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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 26 novembre 2008, n° 07-11302

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, UFC Que Choisir, DDCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

Mme Mathieu, M. Reygrobellet

Avocats :

Mes Roy, Nabonne, Franck, Coront Ducluzeau

CA Paris n° 07-11302

26 novembre 2008

Rappel de la procédure :

La prévention :

La société X a été poursuivie à la requête de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Evry, pour avoir à Evry-Courcouronnes, entre le 10 décembre 2003 et le 31 décembre 2003, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la portée des engagements pris par l'annonceur, en l'espèce en effectuant, dans le cadre des opérations promotionnelles "Noël en fête" et "Réveillonnez sans compter", des publicités relatives à des offres promotionnelles portant sur du "Champagne Jean-Louis Mallard Premier Cru" et du Champagne Premier Cru Charles Lafitte Tradition Brut",

- sans mettre en œuvre tous les moyens permettant à ses magasins d'acheter des stocks suffisants pour satisfaire la cliente pendant la période de disponibilité,

- en procédant à la mise en place de produits de substitution contrairement à l'engagement pris, en dernière page des catalogues diffusant ces publicités, de procurer aux clients les produits manquants aux prix annoncés,

- en refusant de prendre des commandes pendant la période promotionnelle contrairement à l'engagement pris, en dernière page des catalogues diffusant ces publicités,

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre de la société X, prévenue et à l'égard de l'UFC Que Choisir et du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, parties civiles, a :

- Sur l'action publique :

- déclaré la société X coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur par personne morale, faits commis du 10 décembre 2003 au 31 décembre 2003, à Evry-Courcouronnes, infraction prévue par les articles L. 121 -1, L. 121-5, L. 213-6 al. 1 du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6 al. 2, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8°, 9° du Code pénal, et, en application de ces articles, l'a condamné à une amende délictuelle de cinq cent mille euro (500 000 euro),

- a ordonné, aux frais de la société X, représentée par son Président, Monsieur Guy Z, l'affichage du dispositif du jugement sur chacune des caisses de tous les magasins supermarchés et hypermarchés X établis sur le territoire Français, et ce, pendant une période d'un mois,

- a dit que la présente décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de quatre vingt dix euro (90 euro) dont est redevable la personne morale condamnée,

- Sur l'action civile :

- reçu le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne en sa constitution de partie civile,

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- reçu l'Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir en sa constitution de partie civile,

- condamné la société X, représentée par son Président, Monsieur Guy Z, à lui verser la somme de quinze mille euro (15 000 euro) à titre de dommages et intérêts et celle de huit cents euro (800 euro) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Les appels :

Appel a été interjeté par :

- la société X, le 28 juin 2007, des dispositions pénales et civiles,

- Monsieur le Procureur de la République, le 28 juin 2007 contre la société X,

- l'UFC Que Choisir, le 3 juillet 2007 contre la société X,

- le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, le 3 juillet 2007 contre la société X,

Décision :

Rendue contradictoirement à l'encontre de la prévenue et à l'égard des parties civiles, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par la société X, le Ministère public, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne et UFC que choisir à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence.

Par voie de conclusions, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne demande à la cour de :

- Le recevoir en son appel,

- Statuer ce que de droit sur les conclusions de Monsieur le Procureur général,

- Déclarer le prévenu convaincu et coupable des faits qui lui sont reprochés,

- Le recevoir en sa constitution de partie civile et la déclarer bien fondée,

- Déclarer la société X entièrement responsable du préjudice subi par la partie civile,

- Condamner la prévenue à lui payer les sommes de :

* 15 000 euro à titre de dommages et intérêts,

* 4 200 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Ces sommes avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,

- Condamner la prévenue en tous les dépens,

- Ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir.

Le Comité interprofessionnel du Vin de Champagne soutient en effet que les faits reprochés à la société X lui ont causé un préjudice directement lié à l'infraction.

Il expose, à cet égard, les éléments suivants :

- le fait de leurrer le consommateur pour l'amener à une déception, ne peut que ternir l'image de marque des producteurs concernés et l'appellation Champagne elle-même, qui ne tirent aucun bénéfice de cette opération publicitaire, puisque les quantités commandées étaient quasi habituelles,

- cette pratique des marques d'appel, doublée d'un délit de publicité mensongère, constitue des agissements parasitaires, qui ne peuvent qu'être préjudiciables aux producteurs et négociants en vin de Champagne,

- l'appellation "Champagne" ne peut être détournée de sa fonction pour servir les intérêts d'un grand distributeur, en attirant une clientèle très sensible à ce type de produit au moment des fêtes de fin d'année,

- ainsi, la société X a profité des efforts de communication et de publicité des producteurs et négociants en vin de Champagne et de la notoriété liée à l'image du produit, s'accaparant le bénéfice des investissements et des actions de ces derniers,

- la société X, en obligeant le consommateur à se reporter sur des produits de moindre notoriété, préjudicie à une certaine catégorie de producteurs de vin de Champagne qui ont privilégié la qualité et la promotion de leur marque,

- de telles actions tendent à perturber les relations entre les producteurs de vin de Champagne et leur distributeur, et entre les producteurs eux-mêmes, et ne doivent pas avoir pour effet, en outre, d'attirer artificiellement la clientèle vers la grande distribution au détriment des autres circuits de vente.

Par voie de conclusions, l'Union Fédérale des Consommateurs que choisir (UFC Que choisir) demande à la cour de :

- La déclarer recevable en son appel et y faire droit,

Sur l'action publique :

- Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

* Déclaré la société X coupable des délits qui lui sont reprochés et lui a fait application de la loi pénale,

* Condamné la société X à une amende délictuelle de 500 000 euro,

* Ordonner aux frais de la société X, l'affichage du dispositif sur chacune des caisses de tous les magasins supermarchés et hypermarchés X établis sur le territoire français et ce, pendant une période d'un mois,

Sur l'action civile

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Reçu l'association UFC Que choisir en sa constitution de partie civile,

* Condamné la société X à payer à l'association UFC que choisir la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- Réformer le jugement critiqué en ce qu'il a limité la réparation allouée à l'UFC Que choisir à la somme de 15 000 euro,

Statuant à nouveau :

- Condamner la SAS X à payer à l'UFC Que choisir la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice indûment porté à la collectivité des consommateurs,

A titre subsidiaire :

- Condamner la SAS X à la publication d'un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site internet de la société X (www.x.fr) et dont la teneur serait la suivante :

"Par décision en date du... la 13e Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Paris a condamné la société X pour publicité mensongère à la peine de.., en l'espèce en s'engageant dans les catalogues publicitaires de l'enseigne X "Noël en fête" et "Réveillonnez sans compter" à vendre des champagnes de marque alors que ces produits étaient indisponibles dès les premiers jours de la campagne publicitaire et en proposant des produits de substitution de moindre notoriété ce qui a eu pour conséquence de réduire l'avantage financier réellement consenti aux consommateurs. Ce communiqué est diffusé pour informer les consommateurs",

- Condamner la SAS X à la publication de ce même communiqué judiciaire par voie d'affichage sur chacune des caisses de tous les magasins supermarchés et hypermarchés X établis sur le territoire français, et ce pendant une période d'un mois, le texte devant être publié sur fond blanc en caractères noirs dont la taille ne saurait être inférieure à 1 cm précédé du titre "Communiqué judiciaire" en caractères rouges,

Y ajoutant :

- Condamner la société X à payer à l'UFC Que Choisir la somme complémentaire de 2 200 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

L'UFC Que choisir, qui estime caractérisés à l'encontre de la société X les éléments constitutifs du délit poursuivi, souligne notamment les points suivants :

- les deux opérations publicitaires critiquées ont fait l'objet chacune d'un catalogue de 96 pages diffusés à 18 816 084 exemplaires auprès de 216 magasins à l'enseigne X et le coût de ces catalogues s'est élevé à 8 954 642,09 euro,

- dans l'ensemble des hypermarchés où les constatations ont été effectuées par la DDCCRF, les enquêteurs ont pu observer qu'il y avait eu une réelle sous estimation de l'impact de l'opération publicitaire et que les indisponibilités n'étaient, en aucun cas, dues à des dysfonctionnements de livraison,

- selon la jurisprudence la plus récente, le délit de publicité trompeuse peut résulter d'une faute d'imprudence ou de négligence, les éléments matériels et moraux de celui-ci procédant du seul caractère trompeur des éléments d'information,

- en l'espèce, il est patent que l'indisponibilité des produits était prévisible, voire même voulue par la société X France au regard des marges générées par la vente des produits de substitution aux lieux et places des produits vantés dans les catalogues publicitaires,

- les catalogues publicitaires litigieux ont été diffusés à des centaines de milliers d'exemplaires au moment très rémunérateur pour les grandes surfaces des fêtes de fin d'années, trompant ainsi autant de consommateurs sur la portée des engagements de l'annonceur et la réelle étendue de l'avantage financier offert.

Madame l'Avocat général, qui estime caractérisé en tous ses éléments à l'encontre de la SAS X le délit reproché, requiert la cour de confirmer le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité et sur la peine d'amende prononcée dont le montant lui apparaît justifié compte tenu de l'importance de la publicité illicite.

Elle s'en remet à l'appréciation de la cour sur l'opportunité d'ordonner l'affichage de la décision sur chaque caisse des magasins X établis sur le territoire français, la publication prévue à l'article L. 121-4 du Code de la consommation pouvant, toutefois, avantageusement se substituer à cette mesure.

Par voie de conclusions, X SAS demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Constater que le délit lui étant reproché n'est pas constitué,

- La relaxer, sans peine ni dépens, des poursuites dont elle est l'objet,

- Débouter la partie civile de ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement,

- Constater qu'elle n'a plus d'activité,

- Réduire l'amende à de plus justes proportions conformes à la jurisprudence habituelle de la cour,

- Confirmer l'irrecevabilité de la demande du Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne,

- Réduire à de plus justes proportions les sommes accordées à UFC Que Choisir.

A titre liminaire, la concluante précise tout d'abord que la SAS X n'a plus aucune activité et n'exploite plus aucun magasin depuis le 31 janvier 2006 en raison de la résiliation, le 25 janvier 2006, du contrat de location-gérance qui lui avait été consenti à compter du 17 avril 2001 pour l'exploitation des magasins hypermarchés à l'enseigne X du groupe.

Elle reconnaît qu'il est exact que la société X Hypermarchés a organisé pour les fêtes de fin d'année 2003 deux campagnes publicitaires. La première couvrait la période du 10 décembre au 24 décembre 2003 et se matérialisait par un catalogue de 96 pages visant 300 produits, la seconde se matérialisait quant à elle par un catalogue visant la période du 17 au 31 décembre 2003 également de 96 pages présentant environ 300 produits.

Elle expose les points suivants :

- il s'est avéré que pour chacune de ces deux campagnes publicitaires, un produit s'est très rapidement révélé indisponible à la vente, en l'espèce le champagne Mallard pour la première campagne publicitaire, et le champagne 1er cru Charles Lafitte pour la seconde,

- il est exact également que malgré tous les efforts déployés par X pour qu'un réapprovisionnement rapide soit opéré, un réapprovisionnement complet s'est révélé matériellement impossible pour l'un comme pour l'autre des produits, de sorte que X a été contrainte de mettre en place des produits de substitution sans pouvoir permettre de prendre des commandes jusqu'à la fin de la période promotionnelle des produits objets de la publicité.

Elle fait observer que :

- sur 600 produits offerts à la vente ce sont deux produits seulement qui ont présenté des ruptures dans des conditions qui ne peuvent raisonnablement laisser penser comme voudrait le faire croire la DGCCRF que celles-ci étaient prévisibles, ce qui caractériserait l'élément intentionnel de l'infraction,

- il n'est pas sérieux d'imaginer un seul instant que X aurait pris l'initiative de ces deux campagnes publicitaires sachant qu'une rupture dans les deux produits allait être inévitable,

- il est donc patent que X n'avait pas prévu ces ruptures au moment du lancement de la campagne promotionnelle contrairement à ce qu'affirme fallacieusement la DGCCRF.

Elle souligne que la question est de savoir si X a commis une négligence ou une véritable imprudence.

A cet égard elle fait valoir les arguments suivants :

- il apparaît à la lecture des explications données par les différents intervenants que sur ce type de produit le volume des ventes lors d'une campagne promotionnelle représente sur une semaine le volume d'un mois,

- aussi, c'est en comptant de façon beaucoup plus large que X a passé des commandes auprès des fournisseurs Mallard et Charles Lafitte pour un volume représentant 3 mois de vente, soit beaucoup plus que pour les opérations habituelles afin de se réserver une marge de sécurité,

- or, il s'est avéré que les besoins ont représenté l'équivalent de 9 mois de vente, ce qui s'explique par la mise en place, pour la première fois, d'un "ticket cash" dont l'impact s'est révélé totalement imprévisible.

Elle soutient par ailleurs qu'il ressort du dossier que les mesures de substitution mises en place par X pour satisfaire l'intégralité des demandes de sa clientèle a permis à cette dernière d'obtenir au même prix des produits de qualité équivalente et certainement pas de moindre qualité.

Très subsidiairement et sur la peine, elle affirme que la condamnation prononcée par le tribunal est disproportionnée.

Rappel des faits

Les premiers juges ont complètement et exactement rapporté les circonstances de la cause dans un exposé des faits auquel la cour se réfère expressément.

Il suffit de rappeler que la SAS X a organisé deux campagnes publicitaires autour d'opérations promotionnelles couvrant la période des fêtes de fin d'année 2003.

La DGCCRF a ainsi décrit les opérations promotionnelles critiquées dans un procès-verbal d'infraction clos le 28 mai 2004.

La première campagne, intitulée "Noël en fête", a couvert la période du 10 au 24 décembre, la seconde "Réveillonnez sans compter" a débuté le 17 décembre pour se terminer le 31 décembre 2003. Ces deux opérations promotionnelles de deux semaines se sont chevauchées du 17 au 24 décembre 2003 et elles ont fait l'objet chacune d'un catalogue de 96 pages présentant les produits et les avantages offerts.

Ces deux catalogues ont été diffusés à 18 816 084 exemplaires auprès de 216 magasins à l'enseigne "X" qui avaient la charge de les distribuer dans leurs zones de chalandises respectives.

Le coût de ces catalogues a été de 8 954 642,09 euro, réparti de la façon suivante : 4 423 599,26 euro HT pour "Noël en fête" et 4 531 042,43 euro pour "Réveillonnez sans compter".

Ces deux catalogues publicitaires étaient signés "X" qui était donc l'annonceur pour le compte duquel la publicité était diffusée.

Ils proposaient des offres particulièrement attractives pour les consommateurs. En effet, pour certains produits, une remise différée importante, accessible à tous les clients (atteignant jusqu'à 50 % du prix de produits alimentaires festifs comme le champagne et le whisky) se cumulait avec une réduction immédiate limitée aux clients réglant leurs achats avec la carte de paiement spécifique de l'enseigne (la carte Y).

Une remise différée dénommée "Ticket fête X" correspondant à un bon d'achat, à valoir sur tous les produits hors carburant, diminuait d'autant le coût du produit concerné.

La page 2 des deux catalogues explicitait les modalités de l'offre sous le titre "Le Ticket fête X vous fait économiser encore plus d'argent".

La dernière page des deux catalogues portait les indications identiques suivantes (à l'exception de la date limite d'engagement) :

"Nous avons commandé des stocks que nous pensons suffisants pour répondre aux demandes des consommateurs. Si certains articles venaient à manquer malgré nos précautions, nous nous engageons à vous les procurer aux prix annoncés, à condition de les commander au plus tard le..." (24 décembre 2003 pour "Noël en fête", 31 décembre 2003 pour "Réveillonnez sans compter").

L'opération "Noël en fête"

Le catalogue "Noël en fête" du 10 au 24 décembre 2003 de 96 pages présentait environ 300 produits alimentaires à des prix attractifs, près de 120 d'entre eux bénéficiaient d'un "Ticket fête X" en règle générale d'un montant de 10 à 20 % du prix du produit. Ce ticket atteignait 50 % pour 3 produits et entre 45 et 25 % pour 7 produits, tous présentés en "pleine page".

La page de couverture du catalogue présentait le champagne "Jean-Louis Malard premier cru" au prix de 14,95 euro avec un "Ticket fête X" de 50 % "soit 7,48 % + 25 % avec votre carte Y".

L'opération "Réveillonnez sans compter"

Le catalogue "Réveillonner sans compter" valable du 17 au 31 décembre 2003 comportait 96 pages dont 84 consacrées à des produits alimentaires principalement liés aux fêtes de fin d'année.

Sur près de 300 produits alimentaires offerts, 40 % bénéficiaient d'un "Ticket fête X".

La page 4 était consacrée aux champagnes et la page 5 (en pagination droite) présentait en pleine page le champagne "1er premier cru Charles Lafitte, tradition brut" au prix de 17,50 euro avec "50 % du prix de ce produit en Ticket fête X".

L'offre promotionnelle était ainsi détaillée : mention du prix (17,50 euro), de la réduction principale ("recevez 8,75 euro sur votre ticket") et de l'éventuelle réduction supplémentaire de 25 % (sur le montant de la réduction principale) en cas de paiement avec la carte "Y".

Avec la réduction différée principale (accordée à tous), le prix d'achat effectif du champagne "1er premier cru Charles Lafitte, tradition brut" revenait, pour le consommateur, à 8,75 euro.

Ce produit présenté comme un champagne de qualité ("premier cru") était donc moins cher que le champagne "entrée de gamme" proposé au prix le plus bas sur le catalogue en page 4. Ce dernier proposé à 11,99 euro avec un "Ticket Fête" de 1,80 euro revenait en effet à 10,19 euro.

L'attractivité des offres

Avec la réduction différée principale de 50 % du prix, les offres des champagnes Malard et Lafitte étaient fortement attractives pour les consommateurs.

Le prix de cession final fut même considéré comme préjudiciable, car très bas, pour le propriétaire de la marque Malard. Dans une lettre adressée à X France le 8 décembre 2003 il écrivait en effet "(...) Nous avons travaillé dans un climat de confiance et nous tenons à vous faire part de notre mécontentement d'abord pour le manque d'informations concernant cette opération et surtout pour les conséquences qu'elle pourrait entraîner dans les relations que nous entretenons avec nos partenaires".

L'indisponibilité des champagnes Jean-Louis Malard et Charles Lafitte

Sur l'opération "Noël en fête"

Le champagne "Jean-Louis Malard" premier cru" s'est trouvé rapidement indisponible dans les rayons de nombres de magasins.

Des consommateurs ont dénoncé l'absence de ce produit dès le premier jour de l'offre et plusieurs DDCCRF ont constaté l'absence en rayon du champagne Malard dès la première semaine de la campagne promotionnelle ou le début de la deuxième semaine.

Les agents de l'Administration ont observé que l'indisponibilité du champagne Malard ne relevait pas d'un dysfonctionnement de livraison mais d'une sous-estimation de l'impact de l'opération publicitaire.

Des produits de substitution (champagnes Rockefeller, Carlin) ont été proposés à la clientèle en raison de l'indisponibilité du champagne Malard.

Sur l'opération "Réveillonnez sans compter"

Dans un contexte de consommation de fêtes de fin d'année, le champagne "premier cru Charles Lafitte, tradition, brut", s'est trouvé rapidement indisponible dès la première semaine dans les hypermarchés X Reims, Tinquieux, Douai/Flers, Chalons, Epernay, Boisseuil, Liévin et Martin Laert, ainsi que constaté par les DDCCRF territorialement compétentes.

Là encore des livraisons insuffisantes de Champagne Lafitte ont été à l'origine de l'indisponibilité de ce produit mis en valeur en pleine page dans le catalogue et des produits de substitution ont été proposés aux consommateurs.

Sur ce, LA COUR

Sur l'action publique

Considérant que le champagne "Jean-Louis Malard premier cru" a figuré en page de garde d'un catalogue diffusé à plus de dix huit millions et demi d'exemplaires sur tous les magasins X pendant la période des fêtes de Noël avec une réduction de prix différée de 50 % le rendant ainsi le moins coûteux de la sélection présentée dans la publicité ;

Qu'il constituait, sans conteste, le produit phare du catalogue ;

Considérant que toutefois seulement 132 bouteilles/jour par magasin ont été livrées alors qu'il en aurait fallu cinq fois plus pour que l'engagement pris par l'annonceur soit respecté et que les consommateurs ne soient pas orientés vers un autre produit que celui présenté sur la publicité ;

Considérant que le champagne "premier cru Charles Lafitte, tradition, brut" a figuré en pleine page d'un catalogue également diffusé à plus de huit millions d'exemplaires, sur tous les magasins X, pendant la période des fêtes de fin d'année, avec une réduction de prix différée de 50 % le rendant ainsi le moins coûteux de la sélection présentée dans la publicité ;

Qu'il constituait ainsi le produit phare du catalogue ;

Considérant que toutefois seulement 86 bouteilles/jour par magasin ont été livrées alors qu'il en aurait fallu six fois plus pour que l'engagement pris par l'annonceur soit respecté et que les consommateurs ne soient pas orientés vers un autre produit que celui présenté sur la publicité ;

Considérant que, par ailleurs, l'engagement pris et porté sur la dernière page des deux catalogues de fournir les produits éventuellement manquants lorsque ces derniers sont commandés par les consommateurs avant les dates d'expiration des deux offres n'a pas été respecté puisque, dès le début des opérations, des produits de substitution ont été offerts aux clients en lieu et place des produits de marque objets des publicités ;

Considérant qu'il ressort de l'enquête qu'en réalisant deux offres promotionnelles portant sur des produits de marque sans disposer de la quantité suffisante pour satisfaire les demandes de la clientèle et en remplaçant la commande des produits manquants par des produits de substitution, l'annonceur (la SAS X) n'a pas assuré les engagements pris, rendant ainsi trompeuses les offres publicitaires ;

Considérant qu'en matière de publicité de nature à induire en erreur, l'élément moral du délit peut résulter d'une faute d'imprudence ou de négligence ;

Considérant que la cour observe en l'espèce que les opérations promotionnelles concernées n'ont aucunement été maîtrisées au niveau de l'offre commerciale ;

Considérant qu'il ressort, en effet, du procès-verbal d'infraction clos le 28 mai 2004 qu'au moment de passer les commandes certains magasins ne connaissaient pas le montant de la remise différée, élément pourtant indispensable pour évaluer les besoins ;

Que pour le champagne Malard, non seulement la décision de l'offre "ticket cash" a été prise après les commandes magasins mais son importance a varié dans le temps ;

Considérant que dans une lettre en date du 8 décembre 2003, prise en copie par les enquêteurs de la DRCCRF de Champagne Ardennes, M. Jean-Louis Malard faisait état de son mécontentement à la découverte d'un ticket cash de 7,45 euro alors que l'accord signé prévoyait un ticket cash de 1,75 euro et donc un prix de vente de 13,20 euro (et non de 7,50 euro) ;

Considérant que la cour relève, par ailleurs, que la volonté de X SAS d'annoncer les produits phares des périodes de fêtes de Noël et de fin d'année avec des remises différées de 50 % - en allant au-delà des accords passés avec les fournisseurs - rendant ainsi ces produits de marque moins onéreux que des produits basiques, ne pouvait se concevoir sans une étude préalable de l'impact de ces campagnes publicitaires ;

Considérant qu'il est manifeste qu'une telle étude n'a manifestement pas été faite étant rappelé que les commandes magasins étaient passées dans l'ignorance de l'importance des annonces commerciales ;

Considérant qu'au vu des éléments soumis à son appréciation, la cour est convaincue, en dépit des affirmations de X SAS, que l'indisponibilité des produits phares, mis en avant des les publicités litigieuses, était prévisible dès la rédaction des catalogues ;

Considérant que par ailleurs, malgré les dénégations de la défense, l'enquête minutieuse de l'Administration a permis d'établir que si, en règle générale, les produits de substitution étaient de qualité équivalente et vendus au même prix au consommateur, il s'agissait pourtant, dans la majorité des cas, de produits de valeur marchande plus faible car présentant des prix de cession à l'enseigne X fortement inférieurs (entre 20 et 30 %) au produit promis ;

Que les constations effectuées et consignées dans le procès-verbal d'infraction, clos le 28 mai 2004, ont montré l'intérêt pécuniaire de la mise en place des produits de substitution dans ces deux opérations ;

Considérant qu'en définitive, l'annonceur des publicités "Noël en fête" et "Réveillonnez sans compter" n'a, pour le moins, pas pris les précautions nécessaires pour assurer la réussite des opérations promotionnelles critiquées et ainsi fait preuve de négligence coupable ;

Considérant que le délit visé à la prévention étant caractérisé en tous ses éléments à l'encontre de la SAS X, la cour confirmera le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité ;

Considérant en revanche que réformant en répression le jugement entrepris, la cour condamnera la SAS X à une amende de 300 000 euro étant observé que cette sanction est tout à fait proportionnée à l'importance du budget publicitaire et aux enjeux commerciaux des opérations concernées ;

Que la cour, par ailleurs, faisant application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation ordonnera la publication de l'arrêt à intervenir, par extraits, aux frais de la SAS X, dans les quotidiens "Le Figaro", "Libération" et "Le Monde" ;

Sur l'action civile

L'Union Fédérale des Consommateurs (UFC Que Choisir)

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour l'UFC Que Choisir des faits visés à la prévention à l'encontre de la SAS X ;

Considérant que la cour confirmera donc le jugement attaqué tant sur les dommages intérêts alloués à l'UFC Que Choisir que sur la condamnation au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant qu'y ajoutant, la cour condamnera la SAS X à payer à l'UFC Que Choisir la somme complémentaire de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel ;

Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne

Considérant que le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, constitué en application de la loi du 12 avril 1941, a notamment pour but de (article 8) :

"2°- Contribuer à l'organisation de la production et assurer une meilleur coordination de la mise sur le marché des produits",

3°- Organiser, discipliner les rapports entre les diverses professions intéressées, notamment au moyen de contrat type pour la vente et l'achat des raisins et des vins",

4°- Améliorer le fonctionnement du marché par la fixation de règles de mise en réserve et/ou de sortie échelonnée des produits",

8°- Entreprendre des actions d'information, de communication, de valorisation, de protection et de défense en faveur des appellations d'origine contrôlée de la Champagne délimitée" ;

Considérant que le fait de proposer à la vente des vins de Champagne de grande qualité à des prix très attractifs, sans pouvoir - dès les premiers jours de l'offre - satisfaire la clientèle est de nature à causer un préjudice non seulement aux consommateurs mais aussi aux producteurs et négociants en vins de Champagne ;

Considérant qu'en effet le fait de berner et de décevoir ainsi le consommateur ne peut que ternir l'image de marque des producteurs concernés et l'appellation Champagne elle même, qui n'ont tiré, par ailleurs, aucun bénéfice de cette opération publicitaire puisque les quantités commandées étaient quasi-habituelles ;

Que cette pratique des marques d'appel, doublée d'un délit de publicité mensongère, constitue des agissements parasitaires qui ne peuvent qu'être préjudiciables aux producteurs et négociants en vin de Champagne ;

Considérant que la cour, dès lors, infirmera la décision critiquée en ce qu'elle a débouté le comité interprofessionnel du vin de Champagne de ses demandes ;

Considérant que la cour puise dans les circonstances de l'espèce les éléments suffisants pour fixer à 5 000 euro le montant du préjudice résultant directement pour le Comité interprofessionnel du vin de Champagne des agissements délictueux retenus à la charge du prévenu ;

Que la cour condamnera la SAS X à payer au comité interprofessionnel du vin de Champagne la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre de la prévenue et des parties civiles, Reçoit la prévenue, le Ministère public et les parties civiles en leurs appels, Sur l'action publique : Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, Le reformant en répression, Condamne la SAS X à une amende de 300 000 euro, La personne morale condamnée n'étant pas présente au jour du délibéré, l'avertissement prévu par les articles 707-2 et 707-3 du Code de procédure pénale, n'a pu être donné. Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, aux frais de la SAS X, dans les quotidiens "Le Figaro", "Libération" et "Le Monde", Sur l'action civile : L'UFC Que Choisir, Confirme le jugement attaqué sur les dommages-intérêts alloués à l'UFC Que Choisir et sur la condamnation au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Y ajoutant, Condamne la SAS X à payer à l'UFC Que Choisir la somme complémentaire de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel, Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, Infirme le jugement attaqué en ce qu'il a débouté le comité interprofessionnel du vin de Champagne de ses demandes, Condamne la SAS X à payer au Comité interprofessionnel du vin de Champagne la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.