CA Paris, 5e ch. A, 19 novembre 2008, n° 06-02583
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gerdy (SARL)
Défendeur :
Alizés (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fevre
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avoués :
Me Couturier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Kalopissis, Benchetrit
LA COUR,
Vu le jugement du 23 janvier 2006 du Tribunal de commerce de Paris qui a prononcé la résiliation, à la date du 28 décembre 2001, du contrat de franchise conclu le 10 juillet 2001 entre la SA Alizés, franchiseur, et la SARL Gerdy, franchisé, pour l'exploitation d'un "centre de bronzage", à l'enseigne "Point Soleil", a débouté les parties de leurs demandes respectives d'indemnisation, a condamné la SARL Gerdy à payer, avec anatocisme, à la SA Alizés la somme TTC de 95 530 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2001, en règlement de machines "UV" et a ordonné l'exécution provisoire ;
Vu l'appel de la SARL Gerdy et ses conclusions du 19 juin 2008 par lesquelles elle demande notamment à la cour de prononcer la nullité du contrat de franchise pour dol, lui donner acte qu'elle met à la disposition d'Alizés les agencements, le matériel mobilier et de bronzage ; dire qu'Alizés est tenue d'en rembourser le prix, soit 193 449 euro HT outre TVA ; subsidiairement condamner Alizés à lui payer les sommes de 100 000 euro, 15 864 euro, 50 476 euro à titre de dommages et intérêts pour divers préjudices, plus subsidiairement désigner un expert, encore plus subsidiairement rejeter l'appel incident d'Alizés, la débouter ; infirmer le jugement quant aux intérêts et réclame 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 15 septembre 2008 de la SA Alizés qui demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a appliqué un abattement de 20 % sur le prix des appareils de bronzage et l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts ; condamner la SARL Gerdy à lui payer le solde, soit 24 633,26 euro avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2006 et capitalisation des intérêts, 100 000 euro de dommages et intérêts en raison d'agissements parasitaires, 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; lui ordonner de modifier les textes contenus dans son site Internet et ordonner la publication de l'arrêt dans deux journaux professionnels aux frais de Gerdy ;
Considérant que le tribunal a rapporté les faits, la cour se référant au jugement sur ce point ;
Considérant sur la demande de nullité du contrat de franchise que la SARL Gerdy soutient qu'elle a été victime d'un dol, le territoire concédé dans le 17e arrondissement de Paris ayant été préalablement concédé à un autre exploitant, dans le cadre d'un contrat de concession de marque, Mme Rosa Lorand qui, quelques semaines après l'installation de la SARL Gerdy, en septembre 2001, a introduit avec succès une procédure de référé aux fins de faire cesser le trouble résultant de l'installation de la SARL Gerdy sur son territoire concédé, ce dont il est résulté la résiliation, avec effet immédiat, le 28 novembre 2001, par Alizés, du contrat de franchise conclu avec Gerdy ; que cette dernière invoque tant l'article 1116 du Code civil que l'article L. 330-4 du Code de commerce ;
Considérant qu'Alizés soutient qu'elle avait prévenu Mme Knafo, gérante de la SARL Gerdy, qu'un autre centre sous l'enseigne Point Soleil existait dans le 17e arrondissement en exécution d'un contrat de licence de marque et qu'une procédure en résiliation pour divers manquements était en cours, ce qui devait aboutir à la résiliation judiciaire, le 9 septembre 2005 ; qu'elle ajoute que " le centre de Mme Lorand figurait dans les informations précontractuelles " remises à Mme Knafo ; mais qu'elle ne fait aucune preuve, qui lui incombe, du bien-fondé de ces allégations ; que cette preuve ne saurait notamment résulter de la production d'une liste des centres Point Soleil mentionnant celui de Mme Lorand qui n'est ni signée ni paraphée, comme le remarque l'appelante, ni d'aucun autre élément en possession de la cour ; que dans la lettre de résiliation du 28 novembre 2001, Alizés ne faisait pas allusion à une information préalable ni à une connaissance de la situation par la SARL Gerdy ; qu'au contraire, Alizés présentait ses excuses et faisait des propositions de dédommagement ;
Considérant qu'en tous cas la situation, lors de la conclusion du contrat en juillet 2001 et de son entrée en application en septembre 2001 était incompatible avec une disposition essentielle du contrat Alizés-Gerdy, l'exclusivité territoriale prévue par l'article 2 dont Gerdy rappelle les termes dans ses conclusions ; que le contrat Lorand-Alizés, de concession sur tout le 17e arrondissement est resté en vigueur jusqu'à septembre 2005 ; qu'ainsi que le fait valoir Gerdy, l'exclusivité territoriale constituait la commune intention des parties et une condition déterminante du contrat Alizés-Gerdy ; qu'il en était d'ailleurs apparemment de même du contrat Alizés-Lorand puisqu'il a été jugé que l'ouverture du centre de la SARL Gerdy constituait un trouble manifestement illicite ; que l'existence du contrat Lorand-Alizés rendait impossible la conclusion, en tous cas le maintien, du contrat Gerdy-Alizés ; que la SARL Gerdy n'a manifestement pas contracté avec Alizés dans la perspective de la résiliation du contrat deux mois après l'installation de son centre ; qu'il est évident que si elle avait connu le caractère illicite de son contrat eu égard aux droits de Mme Lorand, elle n'aurait pas contracté ; que le dol, à tout le moins le vice du consentement, est ainsi caractérisé ; que la SARL Gerdy n'a donc pas valablement contracté ;
Considérant que la nullité du contrat ayant un effet rétroactif, les parties doivent être placées dans l'état antérieur à sa conclusion ; qu'il s'ensuit que la SARL Gerdy doit restituer les matériels acquis dans le cadre du contrat annulé et qu'Alizés doit rembourser le prix éventuellement perçu ; que Gerdy n'établit toutefois pas le montant de la créance qu'elle allègue, que l'attestation d'expert comptable à laquelle Gerdy se réfère fait état seulement "d'investissement", y compris le droit d'entrée apparemment déjà remboursé et le "matériel industriel" non payé et non de paiements à Alizés précisément identifiés ou identifiables ; que la cour ne peut constater une créance de remboursement de Gerdy au-delà des sommes perçues pour prix des matériels en vertu de l'exécution provisoire du jugement entrepris ;
Mais considérant sur les demandes reconventionnelles que la SARL Gerdy a commis des fautes en s'abstenant, d'une manière qui exclut toute bonne foi, de tirer les conséquences de la nullité, ou même de la résiliation du contrat ; qu'Alizés lui a remboursé le droit d'entrée et s'est abstenue de lui faire payer toute redevance ; que Gerdy a continué à utiliser les machines et matériels acquis en exécution du contrat résilié, aujourd'hui annulé sans en payer le prix, en tous cas la totalité de celui-ci, ceci pendant plusieurs années, et alors même que, par lettre de son conseil du 20 décembre 2001, elle refusait de maintenir l'exécution du contrat de vente des matériels UV, l'estimant nécessairement lié au contrat de franchise ; qu'elle a maintenu pendant plusieurs mois l'enseigne Point Soleil, ne la déposant qu'en mars 2002, qu'à la date du constat d'huissier du 15 mars 2002 la dépose de l'enseigne, le signe distinctif de Point Soleil, un demi-cercle jaune dans un triangle rouge surmontant 4 traits figurait encore sur la façade ; que Gerdy a continué à utiliser, postérieurement à cette date, divers éléments tel que le logo "Souriez, vous êtes bronzés", et surtout l'aménagement intérieur blanc encadré de jaune aux portes intérieures et au comptoir ainsi qu'à la vitrine ; que le site internet de Gerdy "Rayon de soleil" était au 22 avril 2008, plusieurs années après la résiliation du contrat, strictement identique, au mot près, quant au texte des rubriques "envie de bronzer", "engagements", "bronzage mode d'emploi" "votre type de peau", "bronzer en toute liberté", "les appareils" à celui des mêmes rubriques du site "Point soleil" d'Alizés ; que ce comportement caractérise de la part de Gerdy le parasitisme économique ; que si elle avait été de bonne foi, Gerdy aurait déposé immédiatement les enseignes et signes distinctifs, négocié avec Alizés qui le lui proposait un dédommagement, éventuellement maintenu, en le détachant du contrat de franchise, le contrat de vente des matériels, aurait payé ou restitué immédiatement ces matériels ; qu'elle a au contraire profité de la situation en se plaçant dans le sillage d'Alizés et de son réseau Point Soleil sans subir de contrepartie ; que ceci a entraîné pour Alizés un désordre quant à l'exploitation de son réseau, l'impossibilité de revendre ou utiliser les matériels vendus et non payés, dont la cour évalue le montant, de manière forfaitaire et toutes clauses inclues, à 95 000 euro ; que la SARL Gerdy sera condamnée au paiement de cette somme à Alizés à titre de dommages et intérêts ;
Considérant qu'il est équitable de laisser à chacune des parties, qui triomphe et succombe partiellement, la charge des frais irrépétibles ainsi que des dépens d'appel qu'elle a engagés ;
Considérant qu'eu égard à l'ensemble des éléments du litige, la publication du présent arrêt n'apparaît pas utile ;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens ; Dit nul le contrat de franchise conclu le 10 juillet 2001 entre la SA Alizés et la SARL Gerdy ; Ordonne à la SARL Gerdy de restituer à la SARL Alizés les matériels acquis dans le cadre de ce contrat et à la SA Alizés de restituer le prix des matériels perçus en vertu de l'exécution provisoire du jugement entrepris ; Condamne la SARL Gerdy à payer à la SA Alizés la somme de 95 000 euro de dommages et intérêts ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Laisse à chacune d'elles la charge des dépens d'appel qu'elle a engagés.