CA Paris, 18e ch. A, 28 novembre 2006, n° 05-03017
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Kassis (Epoux)
Défendeur :
Shell (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dujardin
Conseillers :
Mmes Joly, Porcher
Avocats :
Mes Jourdan, Courchinoux
Par acte sous-seing privé du 2 mai 2001, la société des pétroles Shell a confié à la SARL Afi, représentée par ses co-gérants Monsieur Fadi Kassis et Madame Asmar Inaam épouse Kassis, l'exploitation d'une station-service situé 130 avenue de Fontainebleau au Kremlin-Bicêtre, pour une durée expirant le 1er mai 2004, l'activité de distribution des carburants étant placée sous le régime du mandat et les prestations de services et ventes de marchandises et produits divers sous la responsabilité de l'exploitant dans le cadre de la location-gérance.
Par lettre du 5 juillet 2003, la SARL Afi a informé la société Shell de sa décision de mettre fin au contrat avant son terme et la résiliation a été arrêtée d'un commun accord entre les parties, par acte du 13 août 2003, au 30 septembre 2003.
Revendiquant le bénéfice de l'article L. 781-1 du Code du travail, Monsieur Fadi Kassis et Madame Asmar Inaam épouse Kassis ont saisi, le 12 septembre 2003, le Conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement rendu le 21 octobre 2004, après avoir considéré l'exception d'incompétence soulevée par la société Shell comme une défense au fond, les a déboutés de toutes leurs prétentions.
Le 16 novembre 2004, Monsieur Fadi Kassis et Madame Asmar Inaam épouse Kassis ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions visées et développées à l'audience, ils soutiennent que la société Shell a utilisé le paravent de la SARL Afi pour tenter de se dispenser de respecter les dispositions d'ordre public du Code du travail, qu'ils étaient les véritables exécutants des obligations du contrat et remplissent les quatre conditions de l'article L. 781 du Code susvisé pour bénéficier du statut.
Ils demandent en conséquence de réformer le jugement déféré, de dire qu'ils remplissent dans leurs rapports avec la société Shell les conditions de l'article L. 781-1 du Code du travail, et subsidiairement, sous réserve de l'accord de la société Shell, d'évoquer le fond de l'affaire et de renvoyer les parties pour conclure à une date d'audience ultérieure, de leur allouer une provision sur dommages et intérêts de 20 000 euro chacun, une somme de 7 500 euro par personne pour non-respect des congés annuels et hebdomadaires et jours fériés, de désigner un expert pour le chiffrage des congés payés et de leur accorder une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions d'appel incident visées et développées à l'audience, la société Shell fait valoir que la démonstration d'un lien direct entre elle et Monsieur et Madame Kassis du fait de la fictivité de la SARL Afi ou de l'exécution par eux-mêmes du contrat et de la réunion des conditions définies par l'article L. 781-1 du Code du travail nécessaire pour retenir la compétence de la juridiction prud'homale fait défaut, qu'en tout état de cause, les demandes ne sont pas justifiées et qu'elle est fondée à faire valoir sa créance dérivant de la même relation contractuelle.
Elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître des prétentions de Monsieur et Madame Kassis au bénéfice de l'article L. 781-1 du Code du travail et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Paris conformément à l'article 21 du contrat, subsidiairement de débouter les appelants de toutes leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 115 556,97 euro avec intérêts de droit et de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
La compétence de la juridiction prud'homale n'est pas déterminée en fonction du texte dont les consorts Kassis sollicitent l'application soit en l'espèce l'article L. 781-1 du Code du travail mais en raison de la reconnaissance du droit pour eux de se prévaloir des dispositions de celui-ci impliquant qu'il soit au préalable examiné s'ils remplissent les conditions pour en bénéficier.
C'est donc à tort que le Conseil de prud'hommes de Créteil a considéré l'exception d'incompétence opposée par la société Shell comme une défense au fond.
Les dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail ne s'appliquent pas à une personne morale ni aux gérants de cette personne morale.
Il résulte des statuts et des pièces produites que la SARL Afi a été constituée le 30 avril 2001 par Monsieur et Madame Kassis, titulaires chacun de 195 parts sociales et par Monsieur Fadi Kassis, disposant de 390 parts, aux fins d'exploitation de tous fonds de commerce de station-service, a été immatriculée le 16 juillet 2001 et a recruté plusieurs salariés pour les besoins de son activité.
Il n'est pas démontré au regard des documents sociaux ni même allégué que la SARL Afi, qui a par ailleurs intenté une action en annulation du contrat d'exploitation devant le tribunal de commerce, n'était qu'une société fictive et il n'est aucunement établi qu'en fait l'activité professionnelle n'a été exercée que par les deux associés cogérants.
Les conditions définies par l'article L. 781-1 du Code du travail pour bénéficier de ce texte n'étant pas remplies par Monsieur et Madame Kassis, il convient d'infirmer le jugement déféré, de dire que le litige ne relève pas de la compétence prud'homale et de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris, compétent en application de l'article 21 du contrat d'exploitation pour connaître de toutes contestations susceptibles de s'élever à l'occasion de celui-ci.
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré. Dit que le litige ne relève pas de la compétence prud'homale. Renvoie l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris. Laisse les dépens à la charge de Monsieur et Madame Kassis. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.