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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. B, 4 juin 2008, n° 06-00389

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transport Roth (SA)

Défendeur :

Cargill France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Litique

Conseillers :

Mme Mazarin-Georgin, M. Allard

Avocats :

Mes Wiesel, Eder, Harnist, Fleuris

TGI Strasbourg, ch. com., du 25 nov. 200…

25 novembre 2005

Reprochant à sa partenaire d'avoir brutalement rompu des relations commerciales étroites tissées depuis septembre 1989 et ainsi engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société Transports Roth a, selon assignation du 17 avril 2001, attrait la société Cargill France, en la dénommant Cargill Malt, devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir paiement d'une indemnité de 1 500 000 F.

La société Cargill France s'est opposée à cette demande en arguant de la nullité de l'assignation, en excipant de l'irrecevabilité de l'action de son adversaire au motif que celle-ci était dirigée contre une partie dépourvue de la personnalité morale et en affirmant que la rupture des relations commerciales avait été motivée par l'attitude fautive de sa partenaire.

Par jugement du 25 novembre 2005, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a:

- déclaré la demande recevable,

- condamné la société Cargill France à payer à la société Transports Roth une indemnité de 12 000 euro avec les intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la société Cargill France aux dépens ainsi qu'au paiement de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

Les premiers juges ont principalement retenu:

- qu'il importe peu que la défenderesse ait été désignée dans l'assignation sous sa dénomination commerciale et non sous sa dénomination sociale;

- que la rupture, notifiée selon courrier du 6 décembre 1999, avait été brutale;

- que la société Transports Roth, à laquelle aucune faute significative ne pouvait être reprochée, aurait dû bénéficier d'un préavis de trois ou quatre mois, compte tenu de l'ancienneté des relations et de l'importance du volume d'affaires;

- qu'il résultait des résultats comptables de la demanderesse que le préjudice occasionné par cette rupture brutale avait été limité.

Par déclaration d'appel reçue le 12 janvier 2006, la société Transports Roth a interjeté appel de cette décision. La société Cargill France a formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 8 octobre 2007, la société Transports Roth demande à la cour de:

Sur appel principal,

- recevoir son appel;

- rejeter l'appel incident de la société Cargill France;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la rupture des relations commerciales revêt un caractère fautif et ouvre droit à indemnité au profit de l'appelante:

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué une indemnité de 12 000 euro;

- condamner la société Cargill France au paiement d'une somme de 228 673 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial;

- condamner la société Cargill France à lui payer une somme de 3 811,23 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamner la société Cargill France aux dépens des deux instances.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance:

- que la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce ne peut lui être opposée puisque son action ne procède pas d'une convention de transport mais de la rupture de relations commerciales;

- qu'en tout état de cause, la société Cargill France a renoncé à se prévaloir de cette prescription en développant son argumentation au fond devant les premiers juges;

- que la société Cargill France a commis une faute en privant l'appelante d'un préavis suffisant pour préparer sa reconversion alors qu'aucun manquement grave dans l'exécution de ses obligations contractuelles ne peut lui être reproché;

- que les premiers juges ont sous-évalué son préjudice.

Selon conclusions remises le 1er juin 2007, la société Cargill France soutient:

- que l'action en responsabilité de son adversaire est prescrite en vertu de l'article L. 133-6 du Code de commerce;

- que la prescription peut être opposée pour la première fois en cause d'appel;

- que la cessation des relations commerciales n'a revêtu aucun caractère brutal dans la mesure où la société Transports Roth avait parfaitement connaissance des intentions de la concluante de ne pas renouveler ses relations commerciales;

- que la concluante a rompu les relations en respectant les formes et délais imposés par la loi et la jurisprudence;

- que l'essentiel de la relation entre les parties a débuté en 1997;

- que sa décision a été motivée par la violation délibérée et répétée par la société Transports Roth de ses obligations contractuelles;

- que la société Transports Roth procède à une évaluation fantaisiste de son préjudice;

- que d'après le contrat-type sous-traitance, la durée du préavis aurait été de trois mois au maximum.

En conséquence, elle prie la cour de:

- déclarer irrecevable l'action introduite par la société Transports Roth,

- à titre subsidiaire, la rejeter;

- infirmer le jugement entrepris;

- condamner la société Transports Roth à lui restituer la somme de 12 000 euro versée en exécution du jugement entrepris;

- assortir cette condamnation de l'intérêt légal à compter du 25 novembre 2005;

- condamner la société Transports Roth à lui rembourser la somme de 1 500 versée au titre des frais irrépétibles en exécution du jugement entrepris;

- condamner la société Transports Roth à lui verser la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamner la société Transports Roth aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 février 2008.

Sur ce, LA COUR,

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel principal n'est pas discutée ; qu'aucun élément du dossier ne démontrant qu'il aurait été tardivement exercé, l'appel qui a été interjeté suivant les formes légales sera déclaré recevable ; que l'appel incident de la société Cargill France, régulièrement formalisé par voie de conclusions, est recevable;

Attendu que l'action en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies, formée par la société Transports Roth sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce, n'est pas soumise à la prescription annale de l'article L. 113-6 de ce même Code; qu'en effet, cette action ne tend pas au règlement d'un différend né à l'occasion d'un contrat de transport mais est destinée à assurer la protection d'un acteur économique en situation de dépendance envers un partenaire ; que le régime juridique de cette action ne saurait dépendre du secteur d'activité de la victime de la rupture;

Attendu que le moyen tiré de la prescription de l'action engagée par la société Transports Roth doit être rejeté;

Attendu qu'à la suite d'une réunion tenue le 3 décembre 1999, la société Cargill France a, selon courrier daté du 6 décembre 1999, avisé la société Transports Roth "qu'à compter du début janvier 2000, (elle) ne (ferait) plus appel à (ses) services concernant (ses) transports de malt à destination des brasseries alsaciennes";

Attendu que l'existence de relations commerciales établies n'est pas contestée par la société Cargill France qui écrit que "l'essentiel de la relation entre la société Cargill France et la société Transports Roth n'a débuté qu'en 1997"; que toutefois, la société Transports Roth justifie, par la production de divers factures et courriers, avoir été affrétée de façon habituelle par la société Cargill France dès 1989 ; qu'en 1999, la société Transports Roth a réalisé avec la société intimée près d'un tiers de son chiffre d'affaires (279 893,77 sur 866 326,15 euro);

Attendu que la société Cargill France ne justifie pas avoir informé sa partenaire de son intention de mettre fin à leurs relations commerciales antérieurement au 3 décembre 1999 ; que les premiers juges ont à juste titre noté que les tensions fort ponctuelles (trois incidents en deux ans) qui ont pu survenir entre la société Transports Roth et la brasserie Aldelshoffen, que la société Cargill France présente comme les "prémisses de la rupture", ne laissaient pas entrevoir un arrêt imminent de leurs relations;

Attendu que le préavis de moins d'un mois laissé par le courrier du 6 décembre 1999 était insuffisant au regard de l'ancienneté des relations ; que dans ces conditions, la société Transports Roth est fondée à dénoncer une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce;

Attendu que la société Cargill France ne caractérise pas les fautes graves de sa partenaire qui auraient justifié cette rupture brutale, les incidents précédemment évoqués, survenus les 6 août 1998, 10 et 11 août 1999, étant trop isolés pour recevoir une telle qualification; que le comportement violent de l'un des dirigeants de la société Transports Roth à l'annonce de la rupture n'est pas de nature à légitimer cette rupture;

Attendu que la société Transports Roth aurait pu prétendre à un préavis raisonnable de trois mois, compte tenu de la durée des relations;

Attendu que les relations commerciales ayant pris fin au mois de janvier, le préjudice dont la société Transports Roth peut obtenir la réparation correspond au manque à gagner subi pendant les deux mois de préavis dont elle a été privée et non dans la perte proprement dite des marchés escomptés;

Attendu qu'il résulte des comptes de résultats versés aux débats que la société Transports Roth a réalisé une marge commerciale moyenne de 0,542 (3 800 172 / 5 702 565) lors de l'exercice 1999 et une marge commerciale moyenne de 0,517 (2 278 131 / 4 852 367) lors de l'exercice 2000 ; que sur la base du chiffre d'affaires réalisé en 1999, à savoir 279 893,77 euro selon les indications non contestées fournies par l'appelante, la marge brute perdue durant la période litigieuse a été de 279 893,77 / 6 x 0,542 = 25 283 euro ;

Attendu que la société Transports Roth inclut dans son préjudice le coût de licenciements imposés par la faute de la société Cargill France;

Mais attendu que les lettres de licenciement qui constituent les annexes n° 34 à 37 de l'appelante correspondent à des licenciements prononcés en 2003, plus de trois années après la rupture litigieuse; qu'en l'état de son dossier, la société Transports Roth ne prouve pas avoir dû licencier une partie de son personnel en raison de la perte inopinée de son courant d'affaires avec la société Cargill France et ne fournit aucune justification de son coût ; qu'aucun préjudice complémentaire pour des licenciements ne mérite d'être pris en compte;

Attendu que les éléments dont dispose la cour lui permettent d'évaluer le préjudice de l'appelante à 25 000 euro ;

Attendu que la société Cargill France qui succombe pour l'essentiel, supportera la charge des dépens ainsi qu'une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare la société Transports Roth recevable en son appel; Déclare recevable l'appel incident de la société Cargill France; Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 12 000 euro l'indemnité due à la société Transports Roth en raison de la rupture fautive des relations commerciales; Statuant à nouveau sur le préjudice subi, condamne la société Cargill France à payer à la société Transports Roth une indemnité de vingt cinq mille euro (25 000 euro) en réparation de son préjudice avec intérêts au taux légal à compter de ce jour; Condamne la société Cargill France à payer à la société Transports Roth une indemnité complémentaire de mille cinq cents euro (1 500 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Cargill France aux dépens.