CA Rennes, 5e ch. prud'homale, 15 mai 2007, n° 06-05067
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pelhate
Défendeur :
Ioltech (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ploux
Conseillers :
Mmes Citray, Legeard
Avocats :
Mes Massart, Bordet-Lesueur
Par acte du 19 juillet 2006, Monsieur Jean-François Pelhate interjetait appel d'un jugement rendu le 23 juin 2006 par le Conseil de Prud'hommes de Dinan qui dans le litige qui l'oppose à la société SA Ioltech le déboutait de toutes ses demandes tendant à obtenir la requalification de son contrat de travail et l'annulation de la transaction intervenue entre les parties le 4 novembre 2004 ;
Au soutien de son recours, Monsieur Pelhate revendique le statut de VRP et fait valoir qu'étant salarié protégé, son licenciement est nul, faute pour l'employeur d'avoir sollicité l'autorisation de l'inspection du travail et que la transaction est également nulle pour avoir été signée alors qu'il était toujours sous la subordination de l'employeur. Il conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de faire droit à l'ensemble de ses demandes telles qu'elles sont présentées pages 17 et 18 de ses écritures. Il réclame la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La société Ioltech sollicite la confirmation du jugement, elle maintient que la transaction a autorité de la chose jugée et ne permet pas de modifier les droits des parties tels qu'ils ont été fixés par cet accord. Elle réclame au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 3 000 euro ;
Pour un exposé plus complet de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement déféré et aux conclusions régulièrement communiquées à l'adversaire qui ont été développées à l'audience des plaidoiries puis versées dans les pièces de procédure à l'issue des débats ;
Motifs de la décision
Rappel sommaire des faits
Monsieur Jean François Pelhate engagé le 13 octobre 1999 en qualité de responsable régional par la société Ioltech, spécialisée dans la commercialisation de produits d'optique, était élu membre du comité d'entreprise du 12 novembre 2002 au 25 novembre 2004.
La société ayant appris que son salarié était actionnaire à 99 % d'une société de vente d'optiques, le licenciait pour faute grave par lettre du 26 octobre 2004. Le 4 novembre 2004, une transaction intervenait entre les parties. Le 19 juillet 2005, Monsieur Pelhate saisissait le Conseil de prud'hommes de Dinan pour faire constater la nullité de son licenciement et de la transaction et obtenir réparation de ses préjudices ;
Sur le statut de Monsieur Pelhate
Considérant que Monsieur Pelhate entend faire reconnaître par la cour qu'il doit bénéficier du statut de VRP et obtenir de ce fait à la fin de son contrat de travail une indemnité de clientèle pour la part qui pourrait lui revenir personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ( article L. 751-9 du Code du travail) qu'il chiffre à la somme de 100 000 euro,
Considérant que si selon les termes du contrat de travail du 13 octobre 1999 de Monsieur Pelhate, engagé en qualité de responsable régional, cadre commercial et administratif, il n'est pas fait état du statut de VRP, les conditions de son activité sur la région Bretagne répondent aux exigences de l'article L. 751-1 du Code du travail :
Article 8 : Le salarié assurera le suivi et la prospection du secteur qui lui a été confié, son rôle sera de promouvoir notre gamme de produits avec obligation de voir au minimum chirurgiens par jour et d'effectuer un maximum de bloc, il remplira les comptes rendu de visite et les devra parvenir au siège sociale avant le mardi de la semaine suivante ;
Article 5 : le salaire sera composé d'une partie fixe de 11 000 F brut par mois sur douze mois et d'une partie commission sur le chiffre d'affaire ;
Article 12 : le secteur géographique confié au salarié est le suivant : départements 14-22-27-29-35-50-53-56 et 61
Considérant que Monsieur Pelhate exerçant en exclusivité pour le compte de la société Ioltech une activité de prospection et de démarchage sur un secteur géographique fixé par l'employeur auprès d'une catégorie de personnes ou d'établissements déterminés, à la suite de laquelle il devait prendre et transmettre régulièrement des ordres, doit bénéficier du statut des VRP ;
Considérant que contrairement à ce qui est soutenu par l'employeur, Monsieur Pelhate n'a pas exercé pendant qu'il était salarié de Ioltech une activité professionnelle concurrente, mais est devenu depuis le mois d'août 2004 actionnaire à 99 % d'un magasin d'optique à Caen sous l'enseigne commerciale Athéna Optique, or la société Ioltech ne commercialise pas des lunettes ou verres de contacts auprès des revendeurs, mais des implants pour les opérations de la cataracte à des chirurgiens ophtalmologistes et des établissements hospitaliers,
Qu'enfin la société ne saurait faire échec à ce statut de VRP et aux dispositions de la loi du 1er août 2003 sur la création d'entreprise, en invoquant dans la lettre de licenciement du 26 octobre 2004 pour justifier le licenciement pour faute grave de Monsieur Pelhate cet unique motif :
" Il vous est reproché d'avoir contrevenu à vos obligations d'exclusivité et de loyauté à l'égard de notre société par votre lettre du 13 septembre 2004, vous nous avez en effet informé que vous aviez créé un magasin d'optique dont vous déteniez le contrôle effectif avec 99 % des parts... "
Sur le licenciement
Considérant que Monsieur Pelhate ayant été investi d'un mandat de membre du comité d'entreprise du 13 novembre 2002 au 24 novembre 2004, bénéficiait de la protection attachée à cette fonction jusqu'au 24 mai 2005, il appartenait donc à l'employeur avant d'engager une procédure de licenciement de saisir l'inspection du travail pour obtenir l'autorisation de licencier, par application des dispositions les articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail ce qui n'a pas été fait et rend le licenciement nul et de nul effet, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les griefs invoqués par l'employeur dans la lettre du 26 octobre 2004 ;
Sur la validité de la transaction signée le 4 novembre 2004
Considérant que pour être valable, la transaction réglant les conséquences financières de la rupture d'un contrat de travail, ne peut intervenir que lorsque le salarié, n'est plus sous l'autorité de l'employeur, or dans le litige soumis à la cour, le contrat de travail, compte tenu du préavis de quatre mois qui a été travaillé, s'est terminé le 26 février 2005 et la transaction invoquée par la société Ioltech a été signée le 4 novembre 2004, avant la fin du contrat de travail, elle est donc nulle et de nul effet ;
Sur les droits de Monsieur Pelhate
Considérant que Monsieur Pelhate ayant renoncé à demander sa réintégration dans l'entreprise, il appartient à la cour de fixer ses droits en réparation de ses préjudices, la fin de son contrat de travail étant fixé au 25 février 2005, date de la fin de la période de protection ;
Rappel de salaire pendant la période de protection jusqu'au 25 février 2005 : la somme de 16 500 euro brute soumise à cotisations ;
Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et non respect du statut de salarié protégé compte tenu de son temps de présence dans l'entreprise 5 ans et 4 mois : 66 000 euro
S'agissant de indemnité de clientèle, le tableau produit par le salarié permet de constater que depuis l'année 2000 son chiffre d'affaire a régulièrement augmenté chaque année, il était de 578 634 euro en
2000 et de 1 137 495 euro en 2004, il lui sera accordé la somme de 66 000 euro ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, Infirme le jugement du 23 juin 2006, Prononce la nullité du licenciement en date du 26 octobre 2004 et de la transaction signée le 4 novembre 2004 ; Condamne la société SA Ioltech à verser en deniers et quittances à Monsieur Pelhate compte tenu des éventuelles sommes qui ont pu être versées en application de la transaction, les sommes suivantes : - rappel de salaire en brut 16 500 euro, - dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et non respect du statut de salarié protégé 66 000 euro, - indemnité de clientèle 66 000 euro, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile 2 000 euro. Condamne la société Ioltech aux dépens.