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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 2 juillet 2008, n° 06-04917

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Télémaque Edition (Sté)

Défendeur :

Newtech Multimedia (Sté), Infoline (Sté), Helios Service (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Verde de Lisle

Conseillers :

MM. Bélières, Coleno

Avoués :

SCP Boyer-Lescat-Merle, SCP Dessart-Sorel-Dessart

Avocats :

SCP Roze-Puech, SCP de Caunes-Forget

T. com. Toulouse, du 29 mai 2006

29 mai 2006

Par jugement du 29 mai 2006 le Tribunal de commerce de Toulouse a :

* débouté la société Télémaque de sa demande de requalification du contrat et d'indemnisation pour un montant de 582 891 euro

* dit que la société Télémaque Edition a commis une faute par ses agissements consistant à prospecter par l'envoi de télécopies

* dit que le groupe Newtech technologie a mal apprécié le délai de préavis lors de la rupture du contrat et condamné la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service solidairement à payer à la société Télémaque Edition la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi

* débouté la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service de leur demande de retrait sur Google du référencement par le mot "fonctio" et de leur demande de 50 000 euro au titre des agissements parasitaires

* condamné la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service solidairement à payer à la société Télémaque Edition la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

* condamné la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service solidairement aux dépens.

Par acte du 24 octobre 2006 la société Télémaque Edition a relevé appel de cette décision.

Prétentions des parties

La société Télémaque Edition par conclusions signifiées le 20 février 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation conclut à la réformation partielle de la décision et demande à la cour de dire que le contrat existant entre elle et la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service est un contrat d'intérêt commun et de les condamner en conséquence solidairement à lui payer la somme de 582 891 euro au titre de son préjudice du fait de la rupture abusive de ce contrat.

Subsidiairement dans l'hypothèse où la qualification de contrat d'agent commercial n'était pas retenue elle demande la condamnation de la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service solidairement à lui payer la somme de 448 500 correspondant à l'année de préavis qui aurait dû être respecté avec intérêt légal et capitalisation des intérêts outre 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle avait pour activité d'effectuer la promotion des services minitel et audiotel au nom et pour le compte de la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service (Infoline et Helios étant des éditeurs propriétaires de numéros de services minitel et audiotel et Newtech Multimédia étant l'opérateur technique hébergeant les services télématiques du groupe), que cette activité de promotion qui vise à la souscription de contrats était rémunérée en fonction du chiffre d'affaire réalisé, ce qui caractérise le mandat d'intérêt commun ; qu'au cours de l'année 2004 le directeur général du groupe Newtech l'a informée de son intention de formaliser par contrats écrits les relations contractuelles existant depuis 2001 ; que les 6 propositions de contrat qu'elle a reçues le 6 janvier 2005 modifiaient en réalité totalement l'économie des relations contractuelles, qu'ayant fait part de sort désaccord, la société Infoline lui a reproché de façon injustifiée une faute de prospection par télécopie, et a coupé ses accès aux principaux serveurs.

Elle fait grief aux premiers juges, d'avoir pour retenir une faute de sa part, pris en considération des stipulations des contrats écrits, alors que ces contrats ont en réalité été signés bien postérieurement, et qu'ils ne peuvent régir les fait incriminés.

Elle souligne l'importance de sa dépendance économique par rapport au groupe Newtech et revendique subsidiairement le bénéfice de l'article L. 442-6-I du Code de commerce et soutient enfin qu'elle n'avait aucune diligence à faire concernant la cession des numéros 08.36.29.01.28 et 08.99.70.28.01, ces diligences incombant au cédant.

La société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service par conclusions signifiées le 11 octobre 2007 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation concluent à la réformation partielle de la décision et demandent à la cour de débouter la société Télémaque Edition de toutes ses demandes, d'ordonner sous astreinte de 1 000 euro par jour le retrait sur Google du référencement par le mot-clef fonctio du site appartenant à la société Télémaque "concours-emploi-fonctionnaires.com", de la condamner à leur payer 50 000 euro de dommages et intérêts et 1 500 euro à chacune d'elles en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles exposent qu'en fin d'année 2004 la mise par écrit des relations commerciales avec la société Télémaque Edition a été entreprise, qu'elles ont adressé le 3 janvier 2005 six contrats, qu'après diverses négociations, la société Télémaque Edition en a retourné 5 signés le 17 mars 2005, qu'indépendamment de cette négociation, la société Infoline était contrainte le 10 février 2005 de résilier ses relations contractuelles avec la société Télémaque Edition pour deux contrats bien spécifiques (contrat de mise à disposition Télétel et contrat de mise à disposition de services à revenus partagés).

Elles soutiennent:

* que la société Télémaque Edition qui avait une simple mission d'information et de promotion et non de négociation des conditions de contrat auprès des tiers ne relevait pas du statut d'agent commercial

* que la société Télémaque Edition a commis des fautes graves ; elles lui font grief d'une part d'avoir procédé à une campagne marketing dans des conditions prohibées puisqu'en réalité par les envois qu'elle faisait auprès de sociétés, Télémaque Edition s'adressait aux salariés de l'entreprise ce qui constituait une publicité interdite auprès de personnes physiques, interdiction dont la société Télémaque Edition avait parfaitement connaissance puisque l'ancien gérant de la société Infoline avait été engagé par la société Télémaque, elles lui reprochent également d'avoir fait figurer dans sa promotion le numéro d'un concurrent, procédé en contradiction totale avec le statut d'agent commercial revendiqué, et empreint de déloyauté

très subsidiairement elles contestent l'état de dépendance économique invoqué par la société Télémaque Edition en raison du fait que le numéro qui générait le plus de chiffre d'affaire soit le 36 29 01 28 avait été cédé dès le 17 décembre 2004 à la société Télémaque qui s'est abstenue de faire le nécessaire pour concrétiser la cession, et que d'autre part la société Télémaque a d'autres ressources substantielles avec des services concurrents.

Elles contestent en tout état de cause le caractère probant des indications fournies par la société Télémaque sur son chiffre d'affaires.

Reconventionnellement elles font grief à la société Télémaque d'avoir utilisé la marque protégée " fonctio " pour obtenir un référencement au titre de lien commercial sur Google et sollicitent la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour ce comportement parasitaire outre des mesures d'interdictions sous astreinte.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mai 2008.

Motifs de la décision

Les sociétés Newtech, Infoline et Helios Services ont été condamnées solidairement en première instance, elles concluent de façon indivisible devant la cour, sans qu'aucune d'entre elle ne soulève de fin de non-recevoir en ce qui concerne l'action dirigée contre elles.

Enfin il résulte de pièces versées que les mails et échanges de courriers concernant les contrats sont établis de façon indifférenciée au nom de l'une ou l'autre de ces trois sociétés.

Il s'en suit que les décisions les concernant seront prononcées à leur égard " in solidum ".

1° - Sur la qualification du contrat.

Le mode de calcul de l'indemnisation ne constitue pas le critère de qualification décisif du contrat qui dépend de la nature de l'intervention réalisée.

L'agent commercial est un mandataire qui à titre de profession indépendante sans être lié par un contrat de louage de services est chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat de location ou de prestations de services au nom et pour le compte de producteurs d'industriels de commerçants ou autres agents commerciaux.

Tel n'est pas le cas en l'espèce où la société Télémaque loue l'accès à un serveur dont elle fait la promotion par le biais de numéro qu'elle loue également.

Ce faisant, elle effectue une prestation de promotion et d'information et non de négociation des contrats, qui supposerait une discussion des éléments de ce contrat.

Par ailleurs les premiers juges ont relevé à juste titre que la société Télémaque Edition effectuait des prestations pour le compte d'au moins une société concurrente du groupe Newtech interactive, sans le consentement de celle-ci, ce qui est incompatible avec le statut d'agent commercial revendiqué.

Il s'en suit que les premiers juges ont à juste titre rejeté la qualification d'agent commercial.

2° - Sur la rupture des relations contractuelles et l'application de l'article L. 442-6-I du Code de commerce.

L'existence de relations commerciales entre parties n'est ni contestable, ni contestée.

La rupture brutale de relations commerciales établies, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels engage la responsabilité de son auteur hors les cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles ou de force majeure.

La société Télémaque Edition reproche à la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service d'avoir mis hors service entre le 17 mars et le 5 avril 2005 l'accès au n° 08.36.29.00.39, 08.36.29.00.08, 08.36.29.01.28, 08.99.70.28.01, 3615 01 MP 3615 autovale 3617 France annu.

Il est certain que par courrier du 10 février 2005 la société Infoline a résilié le contrat de mise à disposition Teletel et le contrat de mise à disposition de services à revenus partagés.

Le fait que les contrats visés n'aient pas encore été signés à la date du contrat, ne prive pas ce courrier de son sens et de son objet, dénué d'ambiguïté et qui vise à mettre un terme aux relations considérées à l'issue du préavis.

Le motif indiqué est la réalisation en janvier 2005 par la société Télémaque Edition d'une campagne marketing d'envois de télécopies publicitaires susceptibles d'entraîner des poursuites contre la société Infoline, et ce alors que la société Télémaque Edition était informée de l'interdiction qui lui était faite de procéder à de telles promotions.

Or les contrats stipulant cette interdiction était encore en cours de négociation à la date des faits incriminés, dès lors faute d'être déjà conclus, ces contrats ne pouvaient déjà régir les relations entre les parties ; la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service ne peuvent donc se prévaloir d'un manquement à une obligation contractuelle.

La société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service invoquent en second lieu un manquement à une obligation légale que la société Télémaque Edition ne pouvait ignorer.

L'article 22 de la loi du 22 juin 2004 qui porte rédaction de l'article L. 334-1 du Code des postes et télécommunications prohibe la prospection directe par télécopie ou courrier électronique utilisant sous quelque forme que ce soit les coordonnées d'une personne physique qui n'a pas donné son consentement à recevoir des prospections directes par ce moyen.

Ces dispositions ont notamment pour objet d'éviter le harcèlement des consommateurs, de nature à porter atteinte à la liberté de contracter.

Toutefois les télécopies versées aux débats pour caractériser cette campagne de promotion ont été adressées à des professionnels ou des personnes morales de sorte qu'il ne peut être considéré, sans insérer dans l'interdiction une considération qu'elle ne contient pas, que cette prospection vise en réalité les personnes physiques salariées de ces sociétés et contreviendrait à l'interdiction légale.

Il en ressort que le grief formulé par la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service à l'égard de la société Télémaque Edition concernant cette promotion ne saurait revêtir la qualification de faute grave.

Le fait que cette promotion viserait le site d'un concurrent de la société Newtech Multimédia n'avait pas été relevé dans le courrier de résiliation, ce qui affaiblit l'hypothèse d'une faute contractuelle de la part de la société Télémaque à ce titre.

Au demeurant, la société Télémaque Edition n'étant tenue à l'époque d'aucune clause d'exclusivité à l'égard des sociétés du groupe Newtech Interactive, ce grief n'apparaît pas plus fondé que le précédent.

Il s'en suit que la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service étaient débitrices d'un préavis à l'égard de la société Télémaque Edition, ce qui n'est d'ailleurs pas sérieusement contestable puisque la résiliation est intervenue avec la mise en œuvre d'un préavis mais qui était limité à un préavis de un mois.

La société Télémaque Edition prétend à une indemnisation représentant une année de chiffre d'affaire sur la base de 9 mois à la moyenne de 2004 (238 500 euro) et 3 mois sur la moyenne de 2005 (210 000 euro) soit un total de 448 500 euro.

Or elle ne peut prétendre à l'indemnisation des conséquences économiques de la rupture, car son préjudice ne résulte pas de la rupture, mais du caractère brutal et sans préavis de cette rupture qui ne permet pas à la partie qui la subit de prendre les dispositions nécessaires en temps utile pour donner une nouvelle orientation à ses activités.

La question est donc de savoir si ce préavis satisfait aux conditions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, nonobstant toute considération concernant les modalités de cession des n° 08.36.29.01.28 et 08.99.70.28.01, qui ne dispensaient pas la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service de respecter une durée de préavis d'usage.

Les parties ne fournissent aucune indication concernant les préavis d'usage en la matière.

Il convient toutefois d'observer que dans les projets de contrat non signés, les préavis prévus sont de deux mois. Même si ces contrats n'ont pas de force obligatoire entre les parties, ces stipulations peuvent, en l'absence de toute autre information plus précise ou contraire, donner une indication sur les préavis habituellement pratiqués en la matière, ce qui confirme que le préavis de un an réclamé par la société Télémaque est très excessif.

Par ailleurs il résulte des pièces que la société Télémaque avait une activité diversifiée et d'autres partenaires commerciaux, et les pièces versées aux débats ne démontrent pas l'existence d'un état de dépendance économique de la société Télémaque ayant rendu la rupture particulièrement préjudiciable.

Dans ces conditions il apparaît que le préavis de un mois est insuffisant et qu'un préavis de deux mois aurait dû être respecté.

L'indemnisation doit être déterminée en tenant compte de la marge brute réalisée sur le chiffre d'affaire et de la durée du préavis qui aurait dû être accordé.

La société Télémaque fait état d'un chiffre d'affaire de 86 524 euro pour 2003, 318 068 euro HT pour 2004, 178 299 euro pour le 1er trimestre 2005, mais ces chiffres qui constituent le chiffre d'affaire ne représentent pas le gain manqué, et le taux de marge brute n'est pas précisé.

En définitive au vu de l'ensemble des éléments du dossier le préjudice de la société Télémaque Edition en raison du caractère brutal de la rupture des relations contractuelles sera réparé par l'allocation de la somme de 35 000 euro de dommages et intérêts.

La décision sera réformée sur ce point.

3° - Sur l'utilisation de la marque " fonctio "

La société Helios Edition a déposé le terme de "fonctio" et le terme de "fonctio Emploi" à titre de marque selon dépôt des 11 octobre 2000 et 20 juillet 1998.

La société Helios Edition a été absorbée par la société Infoline le 18 mars 2004.

La société Infoline devenue propriétaire de ces marques a enregistré comme nom de domaine le terme de fonctio.com et de fonctio.fr

Elle fait grief à la société Télémaque Edition de s'être fait référencer sur un moteur de recherche tel que Google sous le référencement " fonctio "dans les liens commerciaux.

Ce référencement est établi par un constat dressé le 15 septembre 2005 par Maître Saffon huissier de justice.

Toutefois pas plus que devant le tribunal il n'est établi que le référencement de la société Télémaque ait été effectué expressément sous le mot-clef " fonctio ", ni que l'usage de l'abréviation "fonctio" puisse exclure l'accès à un site référencé sous le mot complet fonctionnaire.

En conséquence la demande de dommages et intérêts au titre d'un comportement parasitaire qui n'est pas démontré a été à juste titre écartée.

Il sera alloué à la société Télémaque Edition la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision déférée en ce qu'elle a dit que la société Télémaque avait commis une faute, et en ce qu'elle a fixé l'indemnisation de la société Télémaque pour la résiliation anticipée des contrats à la somme de 30 000 euro, Statuant à nouveau, Dit que la société Télémaque n'était pas titulaire d'un mandat d'intérêt commun. Dit que les sociétés Newtech Multimedia, Infoline et Helios service ont engagé leur responsabilité en rompant brutalement les relations commerciales établies avec la société Télémaque. Condamne in solidum les sociétés Newtech Multimedia, Infoline et Helios service à payer à la société Télémaque la somme de 35 000 euro de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Confirme la décision pour le surplus, sauf à préciser que les condamnations prononcées le sont in solidum et non solidairement. Y ajoutant, Condamne in solidum la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service à payer à la société Télémaque Edition la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne in solidum la société Newtech Multimédia, la société Infoline, la société Helios Service aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Boyer Lescat Merle, avoués.