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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 20 février 2007, n° 06-01690

DIJON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cité Plast (SAS)

Défendeur :

Awego Plast (SAS), Philipelli, Wehrle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner

Conseillers :

M. Richard, Mme Vieillard

Avoués :

Me Gerbay, SCP Fontaine-Tranchand & Soulard

Avocats :

Mes Du Parc, Cavalie

TGI Chalon-sur-Saône, prés. ord., du 5 s…

5 septembre 2006

Exposé de l'affaire

M. Arnaud Philipelli, cadre de la société Cité + puis de la société Cité Plast, a informé son employeur, par lettre du 19 mai 2004, de sa décision de démissionner de son poste de directeur technique, en précisant que son préavis se terminerait le 19 août 2004.

M. Philippe Wehrle, qui avait signé avec la société Cité Plast, le 31 mars 2004, un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directeur commercial, a reçu le 1er juin 2004, une lettre de la société Cité Plast lui confirmant la fin de sa période d'essai, avec un préavis expirant le 14 juin.

Michel Radigue, salarié de la société Cité Plast, a présenté sa démission à son employeur le 15 juin 2004.

A cette même date du 15 juin 2004 ont été établis les statuts de la société Awego Plast, dont l'objet était identique à celui de la société Cité Plast, dont le président a été M. Wehrle jusqu'au 31 décembre 2004, date à laquelle, à la suite de la cession de 3 060 actions à M. Philipelli, celui-ci est devenu président de la société.

Autorisée par une ordonnance rendue sur requête par le Président du Tribunal de commerce du Creusot, en date du 16 novembre 2004, la société Cité Plast a fait procéder par l'huissier Fourny, le 15 décembre 2004, au siège de la société Awego Plast à la saisie de documents comptables et sociaux.

Une demande de rétractation de cette ordonnance a été rejetée par le Président du Tribunal de commerce du Creusot le 28 décembre 2004.

Considérant que les pièces saisies par l'huissier et les documents par ailleurs recueillis démontraient que MM. Philipelli et Wehrle avaient mis en œuvre des moyens de la concurrencer alors qu'ils étaient encore ses salariés, la société Cité Plast les a assignés, avec la société Awego Plast pour obtenir l'instauration d'une mesure d'expertise.

Par ordonnance de référé du 5 septembre 2006, le Président du Tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône a rejeté une demande de sursis à statuer, s'est déclaré compétent en raison de l'existence d'un différend au fond et de l'absence de contestation sérieuse mais a rejeté la demande en considérant qu'il n'y avait pas de motif légitime.

La SAS Cité Plast a fait appel.

Dans ses dernières écritures, en date du 15 janvier 2007, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle maintient que les éléments qu'elle a déjà réunis lui permettent d'invoquer un motif légitime au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile pour demander une mesure d'expertise.

Elle fait état de débauchages ou tentatives de débauchage, de détournements de fournisseurs, de clients et de matières et de la baisse de son chiffre d'affaires à partir du départ de MM. Philipelli et Wehrle.

Elle considère enfin que la mesure demandée est légalement admissible car il ne s'agit pas d'une mesure d'investigation générale, contrairement à ce qui a été admis par le premier juge.

Elle propose une mission et souhaite obtenir 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SAS Awego Plast, MM. Philipelli et Wehrle, par conclusions du 21 décembre 2006, auxquelles il est pareillement fait référence, sollicitent la confirmation de l'ordonnance en faisant valoir que les motifs invoqués ne sont pas légitimes, que les documents saisis par l'huissier n'ont rien démontré, que l'attestation de M. Taillez, nouveau directeur de la société appelante, ne peut être admise et qu'aucun élément ne permet de retenir une concurrence déloyale.

Chacun des intimés souhaite obtenir 1 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Motifs de la décision

Attendu que le premier juge a considéré d'une part qu'il n'existait pas de contestation sérieuse rendant incompétent le juge des référés, d'autre part que la mesure d'investigation générale demandée permettrait à la société demanderesse d'entreprendre éventuellement des actes de concurrence à l'encontre des défendeurs, ce qui constituait un motif illégitime imposant de rejeter la demande d'expertise ;

Mais attendu que la demande est fondée sur l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, ce qui a pour conséquence d'une part que l'article 146 du nouveau Code de procédure civile n'est pas applicable, d'autre part que le juge doit seulement rechercher s'il existe un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et si la mesure réclamée est légalement admissible ;

Attendu que la société Cité Plast considère que les éléments dont elle dispose lui permettent de penser que la société Awego Plast, M. Philipelli et M. Wehrle ont commis à son encontre des actes de concurrence déloyale ;

Qu'elle n'a évidemment pas à ce stade de la procédure à en rapporter la preuve mais doit seulement justifier d'indices sérieux ;

Attendu qu'elle invoque les éléments suivants :

- M. Philipelli, directeur technique, avait un rôle important dans la société puisqu'il était notamment en relation, comme il le reconnaît dans ses écritures, avec les clients et les fournisseurs et représentait même la société pour la signature de certains contrats (Newco, Alt.Tech),

- M. Philipelli a démissionné le 19 mai 2004 et il a été constaté le 28 juin 2004 que la partition utilisateur de son PC portable avait été effacée,

- M. Wehrle, embauché le 31 mars 2004, a quitté la société le 1er juin 2004,

- le 15 juin 2004, les statuts de la société Awego Plast ont été établis, M. Wehrle en a été nommé président jusqu'au 31 décembre 2004, date à laquelle M. Philipelli l'a remplacé ; le commissaire aux comptes suppléant de cette société est Mme Taesch, membre de la société ECW qui venait de réaliser un audit pour la société appelante,

- le cabinet comptable Welz, autre membre de la société ECW, a dès le 22 avril 2004, reçu de M. Wehrle une lettre de mission pour le compte de la société Awego Plast,

- M. Philipelli était directement intéressé dès l'origine puisqu'il se présente à la presse, le 24 juin 2004 comme l'un des entrepreneurs, avait pris contact avec la mairie d'Autun, en compagnie de M. Wehrle le 17 mai 2004 et avait commandé le 15 juin 2004 une trieuse pour un prix de 168 038 euro ; il avait par ailleurs procédé à des entretiens d'embauche les 16 et 23 juin,

- le chiffre d'affaires de la société Cité Plast est passé de 3 997 550 euro à 2 786 385 euro de 2004 à 2005 et la baisse a été importante et constante à partir du mois de mai 2004 ; la société appelante soutient que de nombreux clients et fournisseurs l'ont quittée pour aller chez la société intimée, notamment la société Marmillon (M. Marmillon représentait la société Marval, associé fondateur de la société Awego Plast),

- M. Philipelli a également pris une participation de 24 % dans une société Recyfuts, créée le 15 juillet 2004 et dont l'objet social était identique ;

Attendu que la société appelante fait encore état des éléments contenus dans l'attestation établie le 18 avril 2005 par M. Telliez, son nouveau directeur, qui rapporte des faits portés à sa connaissance depuis son arrivée par des salariés de la société ;

Mais attendu en premier lieu que la cour ne peut que constater que cette attestation du responsable actuel de la société appelante, qui fait état de faits qu'il n'a pas constatés lui-même et dont la plupart se rapportent plus à des pratiques internes contestables et préjudiciables à la société, qu'à des faits de concurrence déloyale, n'apporte aucun élément utile à la présente procédure ;

Attendu ensuite qu'il est vrai que le fait par d'anciens salariés, qui ne sont pas liés par une clause de non concurrence, de créer une société concurrente de celle quittée ne constitue pas une faute si la création de cette société ne s'accompagne pas de manœuvres déloyales ;

Qu'il ne doit y avoir ni débauchage massif entraînant une désorganisation de la société quittée ni captation des clients ou fournisseurs par des comportements déloyaux ;

Attendu cependant que le fait pour M. Philipelli, qui avait un rôle important voire essentiel au sein de la société Cité Plast, de prendre de multiples contacts avant le terme de son préavis pour créer une société concurrente dans des conditions particulièrement opaques (écrasement de son disque dur avant de quitter la société, nomination de M. Wehrle, remplacé au bout de six mois par M. Philipelli), les circonstances ayant entouré la création de cette société (choix du comptable désigné par M. Wehrle le 22 avril alors qu'il avait été embauché par la société Cité Plast le 31 mars), la constatation, affirmée par le commissaire aux comptes de la société appelante d'une réduction importante du chiffre d'affaires de cette société à partir du second semestre 2004 constituent autant d'indices sérieux de comportement des intimés dépourvus de loyauté ;

Que la société appelante justifie ainsi de motifs légitimes de vouloir établir par une mesure d'instruction la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige l'opposant aux intimés ;

Attendu que cette mesure, dont rien ne permet de dire qu'elle a un objet autre que celui de rechercher si les faits de concurrence déloyaux suspectés ont effectivement été réalisés et, dans l'affirmative de déterminer le préjudice en résultant, sera limitée afin de préserver le secret des affaires, lequel d'ailleurs ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle constitue dès lors une mesure légalement admissible ;

Qu'il y a lieu d'infirmer en conséquence l'ordonnance entreprise et de faire droit à la mesure réclamée, la mission étant cependant limitée et précisée ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que la société appelante, qui la réclame, en avancera les frais ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, Ordonne une expertise, Désigne pour y procéder M. Diaz, expert inscrit sur la liste de la cour d'appel et lui confie la mission suivante, laquelle devra être accomplie en veillant au respect du secret des affaires : - Procéder à l'audition des parties et à celle de toute personne dont la déposition lui apparaîtrait nécessaire, - Se faire communiquer tout document nécessaire à l'accomplissement de sa mission et notamment tout document établi à l'occasion de la création de la société Awego Plast, - Rechercher si des fournisseurs de la société Cité Plast sont devenus des fournisseurs de la société Awego Plast et, dans l'affirmative, en déterminer les circonstances, donner à la cour les éléments permettant de dire si des procédés déloyaux ont été employés, et dans ce cas chiffrer le préjudice en résultant, - Rechercher si des clients de la société Cité Plast sont devenus clients de la société Awego Plast et, dans l'affirmative, en déterminer les circonstances, donner à la cour les éléments permettant de dire si des procédés déloyaux ont été employés, et dans ce cas, chiffrer le préjudice en résultant, - Rechercher si des salariés de la société Cité Plast sont devenus salariés de la société Awego Plast et, dans l'affirmative, en déterminer les circonstances et donner à la cour les éléments permettant de dire si des procédés déloyaux ont été employés, - Donner en définitive à la cour, en cas de comportements déloyaux, tous les éléments permettant de chiffrer le préjudice subi par la société Cité Plast, Accorde à l'expert, pour le dépôt de son rapport au service central des expertises un délai de six mois à compter de la notification de la consignation, Dit que l'expert devra solliciter du magistrat chargé du contrôle de l'expertise une prorogation de ce délai, si celui-ci s'avère insuffisant, Dit que la SAS Cité Plast consignera à la régie de la cour d'appel, dans le mois du prononcé de la présente décision, la somme de 7 000 euro destinée à garantir le paiement des frais et honoraires de l'expert et qu'à défaut de consignation dans ce délai et selon les modalités imparties, la désignation de l'expert sera caduque, Dit que s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée, l'expert devra, lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion, dresser un programme de ses investigations et évaluer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours, puis solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, Dit qu'à la fin de ses opérations, l'expert pourra s'il l'estime utile organiser une réunion de clôture au cours de laquelle il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expert, Dit qu'au cas où l'expert constaterait que les parties sont parvenues à se concilier, il lui appartenait d'en aviser immédiatement le service central de contrôle des expertises (ou le magistrat chargé du contrôle), Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus, l'expert commis pourra être remplacé, par ordonnance, à la demande de la partie la plus diligente, Dit que l'expertise aura lieu sous le contrôle du Conseiller de la mise en état, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Awego Plast, M. Philipelli et M. Wehrle aux dépens d'instance et d'appel et dit, pour ces derniers, que la SCP Fontaine Tranchand & Soulard, avoués, pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.