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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 20 février 2007, n° 06-01110

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Awego Plast (SAS)

Défendeur :

Cité Plast (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner

Conseillers :

M. Richard, Mme Vieillard

Avoués :

Me Gerbay, SCP Fontaine-Tranchand & Soulard

Avocats :

Mes du Parc, Cavalie

T. com. Le Creusot, ord. réf., du 28 déc…

28 décembre 2004

Exposé de l'affaire

M. Arnaud Philipelli, cadre de la société Cité + puis de la société Cité Plast, a informé son employeur, par lettre du 19 mai 2004, de sa décision de démissionner de son poste de directeur technique, en précisant que son préavis se terminerait le 19 août 2004.

M. Philippe Wehrle, qui avait signé avec la société Cité Plast, le 31 mars 2004, un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directeur commercial, a reçu le 1er juin 2004, une lettre de la société Cité Plast lui confirmant la fin de sa période d'essai, avec un préavis expirant le 14 juin.

Michel Radigue, salarié de la société Cité Plast, a présenté sa démission à son employeur le 15 juin 2004.

A cette même date du 15 juin 2004 ont été établis les statuts de la société Awego Plast, dont l'objet était identique à celui de la société Cité Plast, dont le président a été M. Wehrle jusqu'au 31 décembre 2004, date à laquelle, à la suite de la cession de 3 060 actions à M. Philipelli, celui-ci est devenu président de la société.

Autorisée par une ordonnance rendue sur requête par le président du Tribunal de commerce du Creusot, en date du 16 novembre 2004 la société Cité Plast a fait procéder par l'huissier Fourny, le 15 décembre 2004, au siège de la société Awego Plast à une saisie conservatoire sur les documents commerciaux et comptables et sur le matériel de la société.

Soutenant qu'aucun acte de concurrence déloyale ne pouvait lui être reproché, qu'il n'y avait aucune urgence et qu'il n'était pas démontré que des circonstances justifiaient de ne pas appeler la partie adverse, la société Awego Plast a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce du Creusot d'une demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 16 novembre 2004.

Par ordonnance du 28 décembre 2004, le président du Tribunal de commerce du Creusot a rejeté cette demande, confirmé la décision du 16 novembre 2004 et dit que l'huissier pourrait remettre à la société Cité Plast l'ensemble des documents saisis.

La SAS Awego Plast a fait appel.

Par écritures en date du 1er septembre 2006, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle réitère sa demande de rétractation de l'ordonnance en faisant valoir qu'il n'est pas justifié de circonstances exigeant que la mesure réclamée ne soit pas prise contradictoirement.

Elle ajoute que la saisie a permis à sa concurrente de disposer de toutes les informations relatives à son fonctionnement, ce qui la place en situation de concurrence déloyale.

Elle réclame la restitution des documents saisis sous astreinte, une indemnité forfaitaire de 1 000 euro par document utilisé, 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour abus de procédure et 5 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Dans ses dernières conclusions, en date du 15 janvier 2007, auxquelles il est pareillement fait référence, la société Cité Plast souhaite la confirmation du jugement.

Elle estime qu'elle était fondée à agir sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, que la nécessité d'identifier au plus vite la nature des manœuvres déloyales afin de les faire cesser immédiatement était incompatible avec le respect d'une procédure contradictoire, qui risquait d'entraîner le dépérissement des preuves.

Elle affirme enfin qu'elle justifiait d'un motif légitime pour réclamer une telle mesure, qui était légalement admissible et qui ne constituait pas une mesure d'investigation générale.

Elle souhaite obtenir 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que la requête présentée au Président du tribunal de commerce était fondée sur l'article 145 du nouveau Code de procédure civile qui permet au juge d'ordonner sur requête ou en référé, les mesures d'instruction légalement admissibles, s'il existe un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ;

Attendu que l'article 875 du nouveau Code de procédure civile autorise le Président du tribunal de commerce à ordonner sur requête toutes les mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ;

Attendu qu'à l'appui de sa demande de rétractation, la société appelante soutient d'une part qu'il n'y avait pas urgence et que les circonstances ne justifiaient pas que le contradictoire ne soit pas respecté et d'autre part qu'il n'y avait pas de motif légitime à ordonner la mesure réclamée ;

Attendu sur ce dernier point que la société Cité Plast considère que les éléments dont elle disposait lui permettaient de penser que la société Awego Plast avait commis à son encontre des actes de concurrence déloyale, qu'il convenait d'urgence de faire cesser, après en avoir déterminé l'étendue ;

Attendu qu'elle invoque les éléments suivants :

- M. Philipelli, directeur technique, avait un rôle important dans la société puisqu'il était notamment en relation, comme il le reconnaît dans ses écritures, avec les clients et les fournisseurs et représentait même la société pour la signature de certains contrats (Newco, Alt.Tech),

- M. Philipelli a démissionné le 19 mai 2004 et il a été constaté le 28 juin 2004 que la partition utilisateur de son PC portable avait été effacée,

- M. Wehrle, embauché le 31 mars 2004, a quitté la société le 1er juin 2004,

- le 15 juin 2004, les statuts de la société Awego Plast ont été établis, M. Wehrle en a été nommé président jusqu'au 31 décembre 2004, date à laquelle M. Philipelli l'a remplacé ; le commissaire aux comptes suppléant de cette société est Mme Taesch, membre de la société ECW, qui venait de réaliser un audit pour la société appelante,

- le cabinet comptable Welz, autre membre de la société ECW, a dès le 22 avril 2004 (!), reçu de M. Wehrle une lettre de mission pour le compte de la société Awego Plast,

- M. Philipelli était directement intéressé dès l'origine puisqu'il se présente à la presse, le 24 juin 2004 comme l'un des entrepreneurs, avait pris contact avec la mairie d'Autun, en compagnie de M. Wehrle le 17 mai 2004 et avait commandé le 15 juin 2004 une trieuse pour un prix de 168 038 euro ; il avait par ailleurs procédé à des entretiens d'embauche les 16 et 23 juin,

- le chiffre d'affaires de la société Cité Plast est passé de 3 997 550 euro à 2 786 385 euro de 2004 à 2005 et la baisse a été importante et constante à partir du mois de mai 2004 ; la société intimée soutient que de nombreux clients et fournisseurs l'ont quittée pour aller chez la société appelante, notamment la société Marmillon (M. Marmillon représentait la société Marval, associé fondateur de la société Awego Plast) ;

Attendu que la société Awego Plast conteste toute activité de concurrence déloyale et considère qu'il n'est dès lors justifié d'aucun motif légitime ;

Mais attendu que le contexte particulièrement opaque dans lequel a été créée la société Awego Plast (départ de M. Philipelli après écrasement de son disque dur, nomination de M. Wehrle, remplacé au bout de six mois par M. Philipelli), les circonstances ayant entouré cette opération (choix du comptable, désigné le 22 avril par M. Wehrle, qui avait été embauché par la société Cité Plast le 31 mars), la constatation, affirmée par le commissaire aux comptes, d'une réduction importante du chiffre d'affaires de la société Cité Plast à partir du second semestre 2004, constituent autant d'indices sérieux d'un comportement dépourvu de loyauté ;

Attendu que la société Cité Plast justifiait donc d'un motif légitime au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ; que la saisie réclamée, qui a pour objet de recueillir des éléments de preuve, est légalement admissible ;

Attendu ensuite que la mesure sollicitée ne pouvait être ordonnée sur requête qu'à la condition de démontrer, conformément à l'article 875 du nouveau Code de procédure civile, qu'elle était urgente et que les circonstances exigeaient qu'elle ne soit pas prise contradictoirement ;

Attendu qu'en matière de concurrence déloyale, il est évidemment nécessaire d'agir rapidement afin de mettre fin, si elles sont démontrées, aux pratiques illicites causant chaque jour un préjudice important à celui qui en est victime ;

Attendu qu'il est également nécessaire, pour que la mesure d'investigation sollicitée soit utile, que tous les documents non officiels tels que des courriers, notes internes, études, projets, brochures établis à l'occasion de la création de la société Awego Plast, éléments pouvant être révélateurs de la volonté des associés fondateurs, ne disparaissent pas avant l'exécution de la mesure ;

Que les circonstances exigeaient donc qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ;

Attendu qu'aucun élément ne permet de dire que les documents saisis aient été utilisés par la société Cité Plast pour un autre objectif que la défense de ses intérêts ;

Attendu que le rejet de la demande de rétractation de l'ordonnance du 16 novembre 2004 doit donc être confirmé ;

Que les demandes de la société appelante doivent être rejetées;

Que la société intimée doit recevoir une somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme l'ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions, Ajoutant, Rejette les demandes de la société Awego Plast, La condamne à payer à la société Cité Plast la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel et dit que la SCP Fontaine Tranchand & Soulard, avoués, pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.