CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 15 novembre 2007, n° 06-05230
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Brunel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jacques
Conseillers :
Mmes Blin, Auge
Avoués :
SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier, SCP de Saint-Ferreol-Touboul
Avocats :
Mes Covillard, Semoun, Charlet
Faits et procédure - prétentions et moyens des parties
La société Médis, filiale à 100 % du Groupe Casino exerçait une activité de grande distribution sous les enseignes Casino et Spar.
Franck Brunel qui exploitait un fonds de commerce de vente au détail d'articles alimentaires créé en janvier 2000 aux Salins d'Hyères a signé avec Médis le 26 février 2002 un protocole d'accord visant à la conclusion d'un contrat de franchise pour une exploitation sous l'enseigne Spar.
Ce protocole avait pour objet de formaliser l'accord des parties sur les conditions essentielles du futur contrat dans l'attente de l'agrément du comité Spar, nécessaire à la signature du contrat définitif. Ce dernier disposait d'un délai maximum de deux mois à compter de la signature du protocole pour se prononcer, soit au plus tard le 26 avril 2002.
Le 9 avril 2002, Franck Brunel a informé la société Médis qu'il ne souhaitait plus signer le contrat de franchise.
Par exploit d'huissier du 25 avril 2002, la société Médis a fait signifier à M. Brunel une lettre par laquelle elle lui confirmait l'accord d'agrément donné par le comité et l'invitait à venir signer le contrat.
Par assignation du 11 février 2002, la SAS Distribution Casino France venant aux droits de la société Médis a saisi le Tribunal de commerce de Toulon en vue d'obtenir l'application du contrat et la réparation du préjudice causé.
Vu le jugement par lequel le Tribunal de commerce de Toulon, le 9 février 2006 a :
- débouté la SAS Distribution Casino France de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à M. Brunel la somme de cinq mille euro au titre des frais irrépétibles,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la SAS Distribution Casino France aux dépens.
Vu l'appel relevé par la SAS Distribution Casino France le 17 mars 2006,
Vu les conclusions de la société appelante en date du 22 août 2007, auxquelles il est référé en application des dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998,
Vu les conclusions de Franck Brunel, en date du 21 septembre 2007, auxquelles il est référé en application des dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 septembre 2007,
Motifs de la décision
1) Sur la recevabilité de l'action de la SAS Distribution Casino France
C'est à tort que l'intimé conteste la recevabilité de l'action de la société appelante pour défaut de qualité et d'intérêt à agir en invoquant le caractère intuitu personae du contrat de franchise empêchant la cession de ce contrat par la société Médis à la société Distribution Casino France et ce, dès lors que cette dernière ne demande pas l'exécution du contrat de franchise mais seulement la réparation d'un préjudice qu'aurait subi la société Médis.
En effet, la fusion entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de la réalisation définitive de l'opération.
En l'espèce, la société appelante a absorbé la société Médis en novembre 2002, se trouvant ainsi substituée dans les droits et obligations de cette dernière, nés avant la fusion. La société Distribution Casino France est donc recevable en son action en vue de la réparation d'un préjudice qu'elle allègue comme subi par la société Médis.
Il en est de même pour le fondement juridique de l'action de la société appelante. En effet, la société Distribution Casino France soutient, à titre principal qu'il a existé entre elle et M. Brunel un protocole d'accord dont l'inexécution doit entraîner la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de celui-ci et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas l'existence d'un accord contractuel, elle demande la condamnation sur le fondement de la responsabilité délictuelle de M. Brunel pour rupture abusive des pourparlers.
La société appelante n'invoque donc pas à la fois une responsabilité contractuelle et délictuelle mais en premier lieu une responsabilité contractuelle puisqu'elle estime qu'un véritable accord pouvant s'assimiler à un pré-contrat avait existé entre les parties. L'existence de ce contrat étant contestée par M. Brunel, elle n'invoque la responsabilité délictuelle de celui-ci que s'il était fait droit aux moyens de l'intimé sur ce point.
L'action de la société Distribution Casino France sera donc déclarée recevable.
2) Sur la responsabilité contractuelle de Franck Brunel
La société appelante invoque la signature d'un protocole d'accord signé le 26 février 2002 pour soutenir l'existence d'obligations de nature contractuelle pesant sur Franck Brunel.
Ce document signé par le directeur de région de la société Médis ainsi que par Franck Brunel a confirmé les conditions faisant l'objet de l'accord, l'absence de la mention "bon pour accord" n'ayant aucune incidence sur la validité de la signature.
Ces accords portaient sur l'enseigne et le tarif, les frais d'intervention, les cotisations, les conditions de paiement, la signature d'un contrat de 7 ans, le budget et les garanties.
Il mentionnait d'une part que les engagements ne deviendraient réciproques qu'après acceptation du dossier par le Comité d'agrément Spar qui devrait faire connaître sa position dans un délai maximum de 2 mois et indiquerait alors les garanties définitives à constituer et d'autre part que dès l'avis favorable du comité, M. Brunel s'engageait à signer le contrat de franchise et à constituer les garanties demandées.
Il résulte donc de ces mentions que jusqu'à l'acceptation du dossier par le comité d'agrément, l'intimé n'était pas tenu à la signature du contrat et aux engagements pris avant cet agrément de même que la société Médis.
Par ailleurs, dès lors que la société appelante considère que l'accord du 26 février engageait l'intimé et constituait un véritable contrat, elle était tenue, pour que les obligations contractuelles puissent être invoquées, à respecter les dispositions régissant les contrats de franchise et notamment l'obligation précontractuelle d'information prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce.
En l'espèce, le paragraphe 5 de l'accord du 26 février 2002 se borne à indiquer " signature d'un contrat de franchise à l'enseigne Spar pour une durée de 7 années selon le modèle qui vous a été remis ".
Il n'est nullement fait mention de la remise des éléments d'information mentionnés à l'article susvisé dont la société appelante admet qu'ils n'ont pas été transmis au candidat franchisé à l'occasion de l'accord du 26 février 2002 mais seulement à l'occasion de pourparlers précédents dans le courant de l'année 2000.
En l'absence de ces informations, seules susceptibles de permettre à M. Brunel de se déterminer en connaissance de cause la société appelante ne pouvait exiger la signature du contrat et ce, alors que les parties n'étaient tenues à leurs engagements qu'à compter de l'obtention de l'agrément et que l'intimé conservait jusque là la libre faculté de contracter ou non. La société appelante prévoyait elle même que le contrat de franchise pourrait ne pas être signé puisqu'au paragraphe "budget" elle mentionne qu'un budget d'enseigne de 18 000 euro serait versé "dans le cas de concrétisation définitive de nos accords".
En conséquence, l'existence d'un contrat passé entre les parties ne peut être retenue et la responsabilité de Franck Brunel ne peut être recherchée sur le plan contractuel.
3) Sur la responsabilité délictuelle de Franck Brunel
Le document signé par les parties le 26 février 2002 ne mettant à la charge de Franck Brunel, comme retenu précédemment, l'obligation de signer le contrat de franchise qu'à partir du moment où le comité d'agrément aurait donné son accord, il en résulte que celui-ci conservait la liberté de ne pas s'engager.
En conséquence, la seule décision de rompre les pourparlers ne constitue pas une faute, la responsabilité délictuelle n'étant encourue qu'en cas de faute caractérisant un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi.
La société appelante fait grief à l'intimé d'avoir porté atteinte à la croyance légitime de la société Médis dans la signature imminente d'un contrat de franchise. Elle invoque la durée et la continuité des négociations, les démarches qu'elle a effectuées pour l'assistance de M. Brunel, l'approvisionnement de celui-ci auprès de la société Médis ainsi que la transmission de son relevé d'identité bancaire dans le but de faciliter le paiement des commandes à venir. Enfin, elle fait état de pourparlers parallèles menés par l'intimé avec une société concurrente sans qu'elle en soit informée.
C'est à tort que la société appelante invoque la durée et la continuité des pourparlers. En effet, si des négociations ont eu lieu au début de l'année 2000 entre M. Brunel et la société Médis puis ont échoué en raison de l'impossibilité de procéder aux travaux nécessaires en l'absence de permis de construire, il ne peut être sérieusement soutenu que les pourparlers ayant donné lieu à la signature du protocole du 26 février 2002 ne sont que la continuité de ceux entrepris deux ans plus tôt.
La société appelante ne verse aux débats aucun élément permettant de retenir que malgré l'échec d'un accord en 2000, les parties ont poursuivi leurs négociations pour parvenir à un nouvel accord en 2002. Au contraire, entre l'arrêt du projet de 2001 et les études de 2002, aucune relation entre M. Brunel et la société Médis n'est démontrée.
Par ailleurs, le premier document concernant le projet de 2002 est daté du 8 janvier 2002 et le protocole est daté du 26 février 2002. Il ne s'est donc écoulé qu'un peu plus d'un mois entre les premières études et le protocole ce qui ne permet pas de qualifier les négociations de longues et continues. Par ailleurs, l'envoi d'un relevé d'identité bancaire à la société Médis, l'achat de marchandise auprès de celle-ci et l'acquisition d'une caisse enregistreuse Spar au cours du mois de mars 2002 ne peuvent en rien être assimilés à la manifestation irrévocable de la volonté de contracter avec la société Médis et ne constituent pas des éléments suffisants pour établir la mauvaise foi de l'intimé et ce d'autant plus que rien ne prouve l'existence de pourparlers à la même période avec une enseigne concurrente.
Il en résulte que la rupture par M. Brunel de ses relations avec la société Médis ne présente pas un caractère fautif permettant à cette dernière de lui demander réparation d'un quelconque préjudice.
Le jugement entrepris sera donc confirmé.
Pour infondé qu'il soit, l'appel de ne revêt pas les caractéristiques susceptibles de le faire dégénérer en abus du droit d'ester en justice. Franck Brunel sera débouté de sa demande au titre des dommages et intérêts.
La société appelante sera condamnée au paiement de la somme de cinq mille euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit l'action de la SAS Distribution Casino France recevable, Confirme le jugement entrepris ; Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts, Condamne la société appelante à payer à Franck Brunel la somme de cinq mille euro (5 000 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus de celle allouée en première instance de ce chef, Condamne la société appelante aux dépens et autorise la SCP de Saint Ferreol-Touboul, titulaire d'un office d'avoué à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.