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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 24 janvier 2008, n° 05-05840

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha (Sté)

Défendeur :

Toyota France (SAS), Fiat Auto France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

SCP Baufume-Galland-Vignes, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Lefrançois, Lamoureux, Destremau

TGI Paris, du 26 janv. 2005

26 janvier 2005

Pour le lancement de son nouveau modèle "Panda 4x4" à partir de mi-octobre 2004, la société Fiat France (société Fiat) a financé un spot publicitaire diffusé à la télévision, mettant en scène d'autres véhicules à quatre roues motrices avec son propre modèle. La campagne publicitaire se prolongeait dans la presse écrite, outre les messages disponibles sur le site web de la marque.

Estimant qu'une contrefaçon par suppression de sa marque avait eu lieu et avoir en outre subi une concurrence déloyale par dénigrement, la société japonaise dénommée Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha (propriétaire de la marque) et connue sous l'enseigne Toyota Motor Corporation et sa filiale française, la société Toyota France SAS (ci-après ensemble les sociétés Toyota) ont attrait la société Fiat le 3 novembre 2006 devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamnée à lui payer des dommages et intérêts au titre de la contrefaçon et en réparation du dommage résultant de la concurrence déloyale, outre l'interdiction, sous astreinte, de la diffusion du clip vidéo et des quatre slogans de la campagne dans la presse écrite et la publication de la décision.

Vu le jugement prononcé contradictoirement le 25 janvier 2006, par le tribunal qui, retenant essentiellement:

- que s'agissant d'un produit modifié, le délit de suppression de marque n'était pas constitué,

- et que le caractère humoristique et volontairement provocateur de la publicité excluait tout intention malveillante,

a débouté les sociétés Toyota de leurs demandes en les condamnant à verser 8 000 euro de frais irrépétibles;

Vu l'appel interjeté le 11 mars 2005 par les sociétés Toyota et leurs ultimes écritures signifiées le 3 octobre 2007, réclamant des frais non compris dans les dépens, la première, à hauteur de 10 000 euro et la seconde, à hauteur de 30 000 euro et poursuivant l'infirmation du jugement déféré en sollicitant:

- des dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euro au titre de la contrefaçon de la marque, et de 200 000 euro en réparation du dommage résultant du dénigrement outre:

- l'interdiction (en tant que de besoin) de la diffusion du clip vidéo figurant sur le constat d'huissier du 27 octobre 2004 et des quatre slogans litigieux dans la presse écrite, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à partir de la signification de l'arrêt à intervenir;

Vu les dernières conclusions signifiées le 3 septembre 2007 par la société Fiat poursuivant la confirmation pure et simple de la décision critiquée en sollicitant 20 000 euro de frais irrépétibles;

Vu l'ordonnance du 15 novembre 2007 clôturant l'instruction de l'affaire;

Sur ce,

Considérant que les sociétés Toyota estiment que la campagne publicitaire litigieuse a été conçue pour faire valoir le 4x4 Fiat Panda en l'opposant au 4x4 Land Cruiser Toyota, en utilisant ce dernier de manière reconnaissable dans le film publicitaire et en injuriant sa clientèle au travers des slogans parus dans la presse écrite;

Qu'elles prétendent qu'il ne faut pas prendre en compte la brièveté de l'apparition de son véhicule à l'écran en considérant que celle-ci a été suffisante pour qu'il soit vu dans son ensemble, de face, puis de côté, et de dos en permettant son identification;

Qu'elles lient aussi les deux campagnes (télévisée et presse écrite) en ce que, selon elles, les téléspectateurs sont aussi les lecteurs de la presse de sorte qu'ayant reconnu le 4x4 Land Cruiser Toyota dans le clip télévisé et lisant les slogans injurieux utilisés dans la publicité, parus dans les journaux, le public a associé Toyota aux cibles visées par les slogans publicitaires écrits;

Que les appelantes font aussi valoir:

- que l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle interdit la suppression d'une marque régulièrement apposée, d'autant qu'en l'espèce le produit modifié demeure néanmoins identifiable,

- que les termes outranciers des slogans publiés rejaillissent directement sur le 4x4 de Toyota, la campagne publicitaire constituant en conséquence, des agissements de concurrence déloyale, connexes aux actes de contrefaçon par suppression de la marque;

Considérant que pour sa part, la société Fiat expose que pour le lancement de la nouvelle Panda 4x4, elle a voulu détourner de façon humoristique, les clichés concernant ce type de véhicules en faisant preuve "d'audace, d'optimisme et d'anticonformisme, avec des accroches au ton impertinent et décalé", et qu'elle estime que les sociétés Toyota ont surtout voulu saborder une campagne publicitaire qui les gênait;

Que l'intimée fait valoir:

- que pour être " poursuivable ", la suppression de la marque doit être suivie d'une remise du produit concerné sur le marché et qu'en outre il ne s'agit pas en l'espèce, du produit lui-même, mais de sa représentation dans le clip vidéo litigieux,

- qu'en tout état de cause, elle était tenue de supprimer la marque sur un produit ayant subi des transformations, d'autant qu'à défaut, les sociétés Toyota n'auraient pas manqué, selon la société Fiat, de le lui reprocher,

- que les modèles apparaissant dans le film publicitaire ayant été modifiés, aucun produit de marque concurrente ne peut y être identifié;

Ceci étant rappelé,

Considérant que les sociétés Toyota invoquent d'abord l'utilisation d'un de leurs modèles 4x4, reconnaissable, selon elles, dans le clip publicitaire de Fiat;

Qu'elles se plaignent :

- d'une part, de la suppression de leur marque en invoquant l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, en reprochant corrélativement à l'intimée d'avoir porté atteinte à leur droit de propriété,

- d'autre part, de l'association d'une campagne publicitaire concomitante dans la presse écrite, utilisant des slogans qu'elles estiment injurieux, tant à l'égard de leur produit Land Cruiser, qu'à l'égard de leur clientèle les ayant acquis, l'ensemble constituant, à leurs yeux, une concurrence déloyale par dénigrement, connexe à la contrefaçon de leur marque résultant de la suppression ci-avant dénoncée;

Mais considérant que la suppression de la marque n'a pas été opérée sur un produit ensuite offert à la vente;

Que le véhicule utilisé pour les besoins du clip vidéo ayant subi des modifications substantielles, précisément pour éviter qu'il soit reconnu, la suppression de la marque était indispensable pour éviter l'identification de son constructeur et qu'au demeurant, sa suppression était exceptionnellement possible puisqu'il ne présentait plus à l'écran, ses caractères d'origine;

Que c'est dès lors, à juste titre que le tribunal a implicitement estimé que l'usage d'un produit dont on a supprimé la marque, n'était pas établi au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant par ailleurs que, bien que les appelantes invoquent une concurrence déloyale connexe d'une prétendue contrefaçon de leur marque par suppression de celle-ci, laquelle n'est pas reconnue par la cour, il convient cependant de rechercher si les autres faits allégués sont, le cas échéant, constitutifs d'une concurrence déloyale par dénigrement;

Qu'il y a lieu de relever qu'un grand nombre de modèles de véhicules 4x4 actuellement sur le marché, ont une silhouette générale présentant le même "effet masse" nécessitant une observation attentive pour distinguer et reconnaître les différents modèles de fabricants concurrents;

Que dès la première version du clip litigieux, telle qu'enregistrée en annexe du constat d'huissier dressé le 27 octobre 2004 à la requête des sociétés Toyota, la suppression de la marque et la modification générale de l'aspect extérieur notamment au niveau de la calandre, des phares, des anti-brouillards et de l'ajout d'une bande caoutchoutée à l'arrière du véhicule, ne permet pas sa reconnaissance par un téléspectateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, d'autant plus que l'apparition du véhicule incriminé est fugace, en ne durant à peine trois secondes au total, en plusieurs séquences;

Que par ailleurs, la publicité presse écrite, reproduisant les slogans, dont certains sont d'une audace douteuse, voire vulgaire, mettant en scène que le seul véhicule Fiat Panda 4x4, ne constitue pas en conséquence, un quelconque dénigrement à l'endroit du Land Cruiser Toyota, d'autant que ce dernier modèle, maquillé dans le clip diffusé concomitamment à la télévision, n'était pas reconnaissable par le grand public;

Considérant que la société Fiat a déjà été indemnisée de ses frais irrépétibles de première instance et que l'équité ne commande pas de lui allouer une nouvelle indemnité en cause d'appel;

Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Confirme en toutes ces dispositions le jugement critiqué, Condamne solidairement la société japonaise dénommée Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha et connue sous l'enseigne Toyota Motor Corporation et la société française Toyota France SAS aux dépens d'appel, Admet la SCP Bernabe-Chardin-Cheviller au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.