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Décisions

CA Nancy, ch. soc., 29 janvier 2008, n° 07-02117

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chatelin

Défendeur :

Karelis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunin

Conseillers :

Mme Mlynarczyk, M. Ferron

Avocats :

Mes Cousin, Lefort

Cons. prud'h. Remiremont, du 27 juin 200…

27 juin 2007

Faits et procédure

Le 28 février 1998, M. Chatelin a été embauché par la société Karelis en qualité d'agent commercial dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée qui stipulait une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans; sa tâche consistait à commercialiser des matériaux de construction en bois destinés à l'édification de chalets, et il était convenu qu'il percevrait des commissions dont le montant était fixé à 8 % du prix hors taxe du bois vendu.

Par courrier du 12 janvier 2006, M. Chatelin a informé la société Karelis qu'il quittait son emploi avant de saisir, le 24 février suivant, le Conseil de prud'hommes de Remiremont d'une demande en requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail et en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire ou de complément de salaire, de dommages-intérêts et d'indemnités de rupture.

Par jugement du 27 juin 2007, le conseil de prud'hommes, accueillant l'exception de procédure soulevée par la société Karelis, s'est déclaré matériellement incompétent au profit du Tribunal de grande instance d'Epinal.

M. Chatelin a régulièrement formé contredit à l'encontre de cette décision et demande à la cour:

- d'infirmer le jugement déféré ;

- de dire qu'il était lié à la société Karelis par un contrat de travail en raison de l'état de subordination juridique dans lequel il se trouvait, et que sa qualification conventionnelle était celle de technico-commercial, échelon C coefficient 290 ;

- d'évoquer le fond du litige et de condamner la société Karelis à lui payer :

* 27 731,51 euro correspondant aux congés payés de la période 1998-2004

* 8 264,90 euro correspondant aux congés payés de l'année 2005

* 183,33 euro correspondant aux congés payés exceptionnels liés à la naissance de son premier enfant né le 19 mai 1999,

* 284,12 euro correspondant aux congés payés exceptionnels liés à la naissance de son deuxième enfant né le 27 décembre 2002,

* 133 484,84 euro en remboursement des frais exposés par lui pendant l'exécution de son travail,

* 13 242,26 euro à titre de primes d'ancienneté

* 20 000 euro à titre de manque à gagner

* 16 061,44 euro à titre d'indemnité de licenciement

* 48 884,32 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail

* 16 061,44 euro à titre d'indemnité de préavis, et 160,61 euro à titre de congés payés sur préavis

* 38 801,46 euro à titre de rappel de salaire

* 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il a encore demandé que la société Karelis soit tenue d'établir un bulletin de salaire global pour chaque année sur toute la période litigieuse.

Il a enfin conclu à l'illicéité de la clause de non-concurrence prévue au contrat, et à la transmission de la décision à intervenir à l'URSAFF.

La société Karelis a répondu que M. Chatelin devait renverser la présomption de non-salariat qui s'attachait à son inscription au registre des agents commerciaux, ce qu'il ne faisait pas dans la mesure où il disposait d'une complète liberté dans l'organisation de son travail et percevait des commissions qu'il déclarait comme telles à l'administration fiscale.

Elle a ajouté que la présente procédure résultait de la volonté de M. Chatelin, qui avait créé une société concurrente de la société Karelis, de s'affranchir de la clause de non-concurrence contenue dans son contrat, avant de conclure à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 45 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle a demandé subsidiairement et oralement à la cour, au cas où celle-ci entendrait user de son pouvoir d'évocation, de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure pour lui permettre de conclure au fond.

Motifs de la décision.

L'article L. 120-3 du Code du travail prévoit que les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ouvrage par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à cette immatriculation.

Il est constant que cette présomption de non-salariat qui avait été instaurée par la loi du 11 février 1994 a été supprimée par la loi du 19 janvier 2000, puis rétablie par celle du 1er août 2003. En l'espèce, M. Chatelin ayant été embauché le 28 février 1998, la loi applicable est celle du 11 février 1994 instaurant la présomption de salariat.

Quant à l'application de celle-ci, il résulte d'un extrait du registre spécial des agents commerciaux délivré le 20 mars 2006 que, conformément à ce qui était convenu dans son contrat, M. Chatelin était immatriculé en cette qualité depuis le 10 mars 1998, et que son inscription avait été renouvelée le 31 mars 2003.

La société Karelis est en conséquence fondée à se prévaloir de la présomption de non-salariat prévue à l'article L. 120-3 du Code du travail, présomption simple qu'il appartient à M. Chatelin de renverser.

Celui-ci doit donc prouver qu'il existait dans ses rapports avec la société Karelis un lien de subordination se caractérisant par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, lien qui était incompatible avec la qualification d'agent commercial figurant dans le contrat du 28 février 1998.

S'agissant des horaires de travail, M. Chatelin fait valoir que son employeur contrôlait et suivait son emploi du temps, et qu'il devait assister à une réunion hebdomadaire le lundi matin dans les locaux de l'entreprise avec les autres salariés ; il produit en ce sens des attestations émanant de son père, M. Claude Chatelin, de son épouse, Mme Sylvie Chatelin, de M. Eric André, technicien dans la même entreprise, de M. Jany Mougel, stagiaire dans la même entreprise, qui confirment l'existence d'une réunion hebdomadaire obligatoire, et tendent à prouver qu'il était tenu de remettre son emploi du temps de la semaine tous les lundis matin.

Cependant, alors que l'obligation d'assister à une réunion hebdomadaire ne peut être assimilée à un horaire de travail imposé par l'employeur, celui-ci verse aux débats le témoignage de M. Odile, agent commercial de la société Karelis, selon lequel en dehors de la réunion du lundi matin qui permettait de faire le point des affaires en cours, il a l'habitude de gérer seul son emploi du temps sans que son employeur soit au courant de son planning et encore moins de ses horaires de travail.

A cet égard, M. Vilmain, salarié technico-commercial de la société Karelis, a confirmé que M. Chatelin et M. Odile, en leur qualité d'agent commercial, n'avaient aucun horaire fixe de sorte qu'ils géraient leur temps et leurs congés sans rendre de compte à personne ; le témoignage de M. Gallaire, technicien de bureau d'études au sein de la société Karelis, a émis le même avis en ce qui concerne M. Chatelin.

M. Poirot, qui travaille avec la société Karelis en tant qu'artisan menuisier a indiqué quant à lui avoir toujours constaté que M. Chatelin était libre de son emploi du temps et de ses mouvements.

En l'état de ces éléments, l'appelant ne rapporte pas la preuve qu'il ait travaillé selon un horaire de travail imposé par son employeur, et ses agendas qui contiennent la chronologie de son emploi du temps au jour le jour, notamment de ses rendez-vous avec ses clients, ne vont nullement en ce sens.

S'agissant du lieu de travail, M. Chatelin fait valoir qu'il disposait d'un bureau et d'un poste de travail dans les locaux de la société Karelis, et que cet élément consacre à lui seul une relation subordonnée entre salarié et employeur.

Néanmoins, il résulte de ce qui précède qu'il n'était pas tenu de se tenir dans ce bureau à des horaires précis, à la disposition de son employeur, pour y recevoir des directives ou y accomplir un travail déterminé, de sorte que ce ledit bureau ne peut être considéré que comme lui ayant été attribué pour les commodités de ses fonctions.

S'agissant des directives qui lui étaient données, M. Chatelin soutient qu'il était tenu de se rendre sur des chantiers où il effectuait des travaux étrangers à sa mission d'agent commercial ; il produit en ce sens les mêmes attestations émanant de son père, de son épouse, de M. André, de M. Mougel, auxquelles s'ajoutent celles de clients de la société Karelis, comme M. Rubin, M. Thiriat, M. Pelleteret, selon lesquels il effectuait des livraisons de matériaux sur les chantiers et participait même à leur mise en œuvre, Mme Sylvie Chatelin ajoutant qu'il faisait tous les devis, plans et métrés.

Ces témoignages sont toutefois contredits par ceux de M. Gallaire pour qui M. Chatelin se rendait sur les chantiers pour entretenir des relations avec les clients, de M. Marchai, charpentier, et de M. Poirot, menuisier, selon lesquels M. Chatelin venait parfois faire visiter un chantier à des clients potentiels, mais n'intervenait pas en ce qui concernait les commandes, la livraison et la pose des fenêtres.

M. Odile, collègue de M. Chatelin, précise que si des lignes directrices étaient données aux agents commerciaux par le gérant de la société Karelis, ils n'étaient pas tenus de s'y plier.

Quant aux congés annuels de l'appelant, la thèse selon laquelle il était tenu de les prendre et organiser selon les impératifs de la société Karelis est démentie par la secrétaire de celle-ci, Mme Bilon, qui atteste que M. Chatelin, durant les six années qu'elle avait passées au sein de cette société, avait toujours pris ses congés aux dates qu'il désirait.

M. Chatelin se réclame aussi du témoignage de M. Mougel qui, ayant travaillé au sein de la société comme stagiaire, atteste qu'il avait été désigné par M. Barrat, gérant, pour être son tuteur ; ces propos ne sont néanmoins pas conformes à son contrat de qualification et de préparation au baccalauréat professionnel de commerce qui prévoyait que M. Barrat, désigné comme son tuteur, devait organiser son emploi du temps, et le faire participer à plusieurs séquences de formation, notamment aux côtés des agents commerciaux de l'entreprise.

Il résulte de ces éléments que si M. Chatelin a effectivement participé à la mise en œuvre de travaux qui ne relevaient pas de sa compétence d'agent commercial, la preuve n'est pas rapportée qu'il ait reçu des ordres en ce sens ou qu'il y ait été contraint par son prétendu employeur.

S'agissant du pouvoir disciplinaire sous lequel tout salarié est censé travailler, l'appelant ne propose pas de démontrer que son supérieur hiérarchique lui aurait adressé des remarques, des mises en garde ou des avertissements sur la manière d'exécuter son travail, et ait usé à son égard d'un quelconque pouvoir de sanction ou d'une mesure d'interdiction, notamment en ce qui concerne la faculté qu'il revendiquait de prendre une autre carte professionnelle.

Il résulte encore des pièces de la procédure que conformément aux stipulations de son contrat, M. Chatelin était rémunéré par des commissions calculées en pourcentage sur le chiffre d'affaires et versées en fonction de l'avancement des travaux, c'est-à-dire aux différents stades de l'évolution de la construction : fabrication, livraison, paiement du solde de travaux.

Enfin, les avis d'imposition sur le revenu des époux Chatelin pour les années 2000 à 2004 révèlent que contrairement à son épouse qui déclarait des salaires, M. Chatelin a toujours déclaré des revenus d'activité non-salariée pour des sommes qui s'élevaient à 21 000 euro en début de période et qui atteignaient 40 000 euro, puis 60 000 euro en fin de période.

Dès lors, la preuve d'un lien de subordination ayant lié M. Chatelin à la société Karelis n'étant pas établie, et la présomption de non-salariat résultant de l'inscription de M. Chatelin au registre du commerce n'étant pas renversée, il convient de confirmer la décision du conseil de prud'hommes qui, s'étant déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de grande instance, a ordonné la transmission du dossier au greffe de cette dernière juridiction.

La société Karelis qui dénonce sans la caractériser la faute qu'aurait commise M. Chatelin dans l'exercice du droit d'agir en justice sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

M. Chatelin qui succombe sera condamné aux dépens de la présente procédure.

Enfin, il n'y a pas lieu en l'état de la procédure de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré et, y ajoutant, Déboute la société Karelis de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Chatelin aux dépens.