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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 14 novembre 2008, n° 08-03385

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Association Les Droits des Non Fumeurs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Falletti

Conseillers :

Mme Séran, M. Reygrobellet

Avocats :

Mes Turrillo, Mairat

TGI Paris, 31e ch., du 31 janv. 2008

31 janvier 2008

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre de X Michel, prévenu de la SAS Y, civilement responsable et à l'égard de l'Association Les Droits des Non Fumeurs, partie civile poursuivante, a :

- Sur l'action publique :

- déclaré X Michel non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, faits commis dans l'édition de février-mars 2007 du magazine "Cigare-Spirits & Co" portant le numéro 44, en tout cas depuis temps non-prescrit et à Paris, en tout cas sur le territoire national, infraction prévue parles articles L. 3512-2 Al. 1, L. 3511 -3, L. 3511-1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 3512-2 Al. 1, Al. 3 du Code de la santé publique,

- Sur l'action civile :

- déclaré recevable, en la forme, la constitution de partie civile de l'Association des Droits des Non Fumeurs,

- débouté de l'Association des Droits des Non Fumeurs de ses demandes,

L'appel :

Appel a été interjeté par :

- l'Association Les Droits des Non Fumeurs, le 31 janvier 2008 contre Monsieur X Michel ;

Décision :

Rendue contradictoirement à l'encontre du prévenu, du civilement responsable et à l'égard de la partie civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel de l'Association Les Droits des Non Fumeurs, partie civile, contre le jugement entrepris,

En présence de Madame l'Avocate générale, qui s'en est rapportée à l'appréciation de la cour,

Présente et assistée, "l'Association Les Droits des Non Fumeurs" a demandé l'infirmation du jugement prononcé le 31 janvier 2008 par le Tribunal de grande instance de Paris et la constatation :

- que X Michel en sa qualité de directeur de la publication du Magazine Cigare Spirits & Co et de président directeur général de la SAS Y s'était rendu coupable dans l'édition datée février, mars 2007 de l'infraction de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique en ce qu'il a publié des photographies et des publications à finalité de propagande et de publicité de cigare,

- que la société éditrice du magazine s'était rendue coupable du même délit.

En conséquence, leur condamnation solidaire au paiement des dommages et intérêts (50 000 euro) et des frais irrépétibles (4 000 euro) étaient réclamée.

Représentés, Monsieur Michel X et la société Y ont demandé la confirmation du jugement et ont fait plaider le défaut de caractérisation de l'élément matériel du délit de propagande en faveur du tabac ; l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique étant déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (articles 10 et 14).

Au motif supplémentaire, que l'élément intentionnel du délit reproché à Monsieur Michel X, n'était pas établi, sa relaxe était réclamée ; la précision que le magazine "Cigares" avait été interrompu au mois de septembre 2008 étant fournie.

Rappel des faits et procédure

Le numéro 44 du magazine "Cigares-Spirits & Co", édité par la société Y, a son siège social 4, rue Reyer à Cannes et Monsieur Michel X comme directeur de publication. La personne morale et le directeur de publication ont fait l'objet d'une citation le 16 juillet 2007 de la part de l'association "Les Droits des Non Fumeurs", qui estime contraire à la prohibition de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique :

1°) la première page de couverture représentant l'acteur Clovis Cornillac en train de fumer un cigare et présenté comme un authentique amateur,

2°) l'entretien titré "Pour le plaisir", paru en pages 89 et 90 accordé par cet acteur,

3°) un texte à propos du cigare "le Double Corona selon Navarre", objet d'un article en page 47 et d'une photographie en page 114,

4°) l'article au sujet du cigare "Chuboy Zino Platinium" en pages 22 et 23,

5°) la représentation photographique en page 6 du cigare "Quai d'Orsay" présenté comme "Le plus Français des Grands Cigares Cubains" et du cigare '"Vegafina" en quatrième page de couverture.

Le 31 janvier 2008, le Tribunal correctionnel de Paris (31e chambre) relaxait les prévenus en retenant :

- la revue ayant obtenu un numéro d'inscription auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, l'attribution de cet agrément avait consacré son caractère licite,

- Monsieur Michel X n'ayant reçu aucune mise en garde était en droit de faire éditer et vendre sa revue et ne pouvait de ce fait avoir conscience d'enfreindre des dispositions légales,

- "l'élément intentionnel des faits" n'était pas établi.

C'est le jugement qui a été frappé d'appel par la partie civile ayant engagé l'action publique.

Considérant que le Ministère public n'ayant pas fait appel de la décision de relaxe rendue à l'égard de Monsieur Michel X, celle-ci est devenue définitive ;

Considérant qu'il doit être relevé qu'aucun appel n'a été interjeté contre la personne morale poursuivie en première instance ;

Considérant cependant qu'en raison de l'indépendance des actions civile et pénale, l'appel de la partie civile saisit valablement la cour des seuls intérêts civils ; qu'en conséquence, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se prononcer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées ;

Considérant que le droit positif de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique interdit toute publicité en faveur du tabac à l'exception des enseignes des débits de tabac ainsi que des affichettes déposées à l'intérieur de ces établissements non visibles de l'extérieur ; que sont prohibées toutes autres formes de communication commerciale, quelqu'en soit le support ayant pour but ou pour effet de promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ;

Considérant que la publication "Le Magazine des Epicuriens Cigares Spirits & Co" avait l'obligation de respecter ces dispositions légales et, ainsi que le rappelle la partie civile dans ses écritures, concernant le directeur de la publication sa responsabilité pénale est engagée s'il a laissé diffuser des publicités dont il ne pouvait ignorer le caractère illicite ;

Considérant qu'au regard de ces prescriptions, il est jugé par la cour d'appel que les quatre extraits et passages de la publication sont une publicité illicite en faveur du tabac ; qu'en effet l'acteur Clovis Cornillac présenté en couverture de la publication en train de fumer un cigare détaille le plaisir qu'il éprouve dans son entretien publié ; qu'ainsi Clovis Cornillac explique que lorsqu'il a fumé un cigare la première fois" il était comme sur un nuage. Une forme de défonce je pense. Du bien être, du calme" ; qu'ensuite Clovis Cornillac détaille avoir éprouvé " un coup de foudre "a propos d'un cigare et caractérise son plaisir de fumer ; que ces extraits de l'entretien, d'une part, font l'apologie du cigare et, d'autre part, par le recours à la technique de l'entretien d'un acteur de cinéma, incite à consommer ce produit ainsi que l'a conclu la partie civile ;

Considérant que la défense des personnes poursuivies conclut sur ce point que la partie civile poursuivante opère une confusion entre information générale et espace publicitaire et qu'est incriminé le contenu rédactionnel, ce qui équivaut à une censure de l'information, pour qualifier la poursuite d'infondée ;

Considérant qu'en droit tout acte et quelqu'en soit la finalité, ayant pour effet de rappeler les produits du tabac ou leur marques constitue une publicité indirecte ; qu'imprimé en France et ne ressortissant pas aux catégories professionnelles exclues par les textes, du champ d'application de cette prohibition, le magazine en cause avait défense légale d'utiliser la notoriété d'un acteur de cinéma pour faire la promotion de cigare dans son entretien ; qu'en incriminant toute forme de communication commerciale à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, la loi ne procède pas à une séparation entre espace rédactionnel et espace publicitaire ; qu'en conséquence les prétentions de la défense sont dépourvues d'incidences sur la poursuite ;

Considérant, s'agissant des autres faits poursuivis que leur caractère de publicité en faveur de quatre marques de cigare n'est ni contesté, la défense l'admettant dans ses écritures (cf : conclusions page 4), ni contestable ;

Considérant que par l'emploi de photographie à la dimension d'une page, les cigares de marque Vegafina et Quai d'Orsay sont présentés avec un effet grossissant faisant notamment ressortir le brillant de la cape ; que cette présentation avantageuse est de nature à susciter l'achat et la consommation, aucune mention de danger que le consommateur de ce produit occasionne n'étant inscrit et le cigare "Quai d'Orsay", au surplus présenté comme "Le plus français des grands cigares cubains", ce qui est constitutif d'une assimilation avec des cigares dont la renommée est mondiale, et là encore, est incitatif de sa consommation ;

Considérant s'agissant du troisième cigare "Le Double Navarre", qu'en sus d'une présentation photographique valorisante figurant en pages 46, 53 et 114, il doit être constaté qu'il fait l'objet d'une annonce en première de couverture comme effectuant "une arrivée remarquée" et d'un reportage à la rubrique "Actu" en pages 47 à 52 ; que l'accumulation de ces procédés équivaut à une opération publicitaire en ce qu'est avec constance, valorisé ce produit et sa consommation, de ce fait, prônée ;

Considérant s'agissant du quatrième cigare "le Chuboy" de Zino Platinum qu'il fait l'objet d'une promotion comparable ; qu'à la publication grossie de la bague de ce cigare en sommaire (page 9) se rajoute sa photographie toujours avec effet grossissant pour en valoriser l'aspect et la forme (page 22) et un texte (page 23) prônant en conclusion après l'exposé de ses qualités et caractéristiques qu'il est " à découvrir pour son évolution olfactive, pour sa forme et sa personnalité atypique " ;

Considérant que le caractère évidemment publicitaire de ces procédés, caractérisé dès la lecture de ces extraits de la publication, a à bon droit été poursuivi par l'association ayant engagé l'action publique ; que les contestations des personnes poursuivies consistent en second lien, à, d'une part, proclamer, à partir des cas légaux d'exclusion de l'application de la prohibition de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique que le Code de la santé publique instaure une discrimination entre publications de la presse écrite et, d'autre part, à réclamer la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il déduit de l'attribution d'un numéro d'inscription parla commission paritaire des obligations et agences de presse, l'absence d'élément intentionnel ;

Considérant que la restriction apportée à la liberté d'information par application des les L. 3511-3 et L. 3512-4 du Code de la santé publique est nécessaire et proportionnée au but légitime de protection de la santé publique poursuivie par le législateur et n'est donc pas contraire à l'article 10 de la Convention ; étant observé qu'à aucun moment, l'avertissement que la consommation du tabac occasionne à la santé d'autrui ne figure dans l'entretien, qu'aucune distance n'est faite par la publication qui en choisissant d'y consacrer sa une confie au point de vue de Monsieur Cornillac les caractéristiques d'une apologie d'un produit dangereux pour la santé publique ; que de même n'est pas pertinent l'argument tiré de l'atteinte au principe d'égalité de traitement garanti par l'article 14 de la Convention car la dérogation est limitée à la retransmission de sports mécaniques qui ne sont pas en l'espèce en cause ;

Considérant ensuite concernant les motifs adoptés par les premiers juges à propos du statut et des fonctions de la commission paritaire des publications et agences de presse, qu' en droit, elle n'exerce pas un contrôle de légalité ou de conformité à la loi des informations diffusées dans les publications ; que l'octroi d'un numéro permet de bénéficier de tarifs postaux préférentiels réservés à la presse ou d'avantages fiscaux mais ne constitue pas le fait justificatif de l'article 122-4 du Code pénal ou n'influe sur l'élément intentionnel du délit ; que l'argumentation des premiers juges, reprise en cause d'appel par M. X, doit être rejetée car elle institue la commission paritaire des publications et agences de presse à un stade d'intervention qui n'est pas le sien et lui attribue des pouvoirs qui lui sont étrangers ; l'appréciation de la conformité à la loi des informations publiées par la presse écrite de magazine, étant de longue date, dévolue au juge judiciaire ;

Considérant par ailleurs que la définition de la responsabilité pénale du directeur de publication est définie par le droit commun ; qu'au cas d'espèce, il ne peut être contesté que le directeur de publication connaissait le caractère illicite de l'entreprise consistant à faire l'apologie à des fins de prosélytisme du cigare dès la première page de couverture, et tout au long des extraits poursuivis par la partie civile ; que l'illicéité manifeste et réitérée n'a pu à raison de son emplacement (première et dernière page de couverture, photographies multiples, annonces en sommaire, rédaction de deux articles et recueil d'un entretien) lui échapper et résulter d'une entreprise fomentée à son insu ; que le fait de laisser publier ces publicités équivaut à la démonstration de l'implication personnelle de Monsieur Michel X, peu important qu'il n'a pas, ainsi que les premiers juges ont cru devoir le consigner dans leur jugement, reçu de mise en garde, Michel X étant présumé connaître la loi ;

Considérant pour ces motif~ que les éléments constitutifs de l'infraction de publicité directe et indirecte en faveur du tabac ou de ses produits sont constitués envers Monsieur Michel X ; que le jugement entrepris sera infirmé ;

Considérant que ses agissements fautifs ont occasionné un préjudice moral certain, personnel et direct à l'association "les Droits des Non Fumeurs" dont il convient de lui accorder réparation ;

Considérant que la cour trouve dans l'ensemble des circonstances de l'espèce et des pièces soumises à son appréciation les éléments suffisants pour lui permettre de fixer à cinq mille euro le montant de ce préjudice ; que Monsieur Michel X sera condamné au paiement de cette somme ;

Considérant sur les frais irrépétibles de la présente instance, qu'il est équitable de permettre à l'association ayant engagé l'action publique de condamner Monsieur Michel X au paiement de la somme de trois mille euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant s'agissant des demandes formulées envers la personne morale Y qu'elles sont irrecevables faute d'appel envers cette personne ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre de Monsieur Michel X, prévenu et à l'égard de l'association "Les Droits des Non Fumeurs", partie civile poursuivante, Reçoit l'appel de la partie civile, Infirme le jugement attaqué sur les intérêts civils, Condamne Monsieur Michel X à payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts à l'association "Les Droits des Non Fumeurs", Condamne Monsieur Michel X à payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale à l'association "Les Droits des Non Fumeurs", Déclare irrecevable les demandes concernant la sas Luxmedia-Group, Déboute la concluante du surplus de ses demandes, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.