CA Paris, 13e ch. B, 14 novembre 2008, n° 08-03384
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association Les Droits des Non Fumeurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Falletti
Conseillers :
Mme Seran, M. Reygrobellet
Avocats :
Mes Gras, Mairat
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre de Laurent X, prévenu, de la SARL Y, civilement responsable, à l'égard de l'Association Les Droits des Non Fumeurs, partie civile, a :
Sur l'action publique :
- déclaré Laurent X non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, du 01/03/2007 au 31/03/2007, à Paris, infraction prévue par les articles L. 3512-2 Al. 1, L. 3511-3, L. 3511-1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 3512-2 Al. 1, Al. 3 du Code de la santé publique ;
Sur l'action civile ;
- déclaré recevable, en la forme, la constitution de partie civile de l'Association Les Droits des Non Fumeurs,
- débouté l'Association Les Droits des Non Fumeurs de ses demandes.
L'appel :
Appel a été interjeté par :
Les Droits des Non Fumeurs association, le 31 janvier 2008 contre Monsieur X Laurent ;
Décision :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur l'appel de l'Association Les Droits des Non Fumeurs, partie civile contre le jugement entrepris.
Madame l'Avocate générale s'en est rapportée à l'appréciation de la cour.
Présente et assistée, l'Association " Les Droits des Non Fumeurs " demande l'infirmation du jugement prononcé le 31 janvier 2008 par le Tribunal correctionnel (31e chambre) de Paris et la constatation que Laurent X en sa qualité de directeur de la Publication Club Cigare et gérant de la SARL Y et cette personne morale se sont rendus coupable dans l'édition du mois de mars 2007 du magazine "Club Cigare" de l'infraction prévue par l'article L. 3511-1 du Code de la santé publique en ce qu'ils ont publié des photographies et des publications à finalité de propagande et de publicité de cigares.
Leur condamnation solidaire au paiement de dommages et intérêts (60 000 euro) et de frais de procédure (4 000 euro) est réclamée.
Présent et assisté, Laurent X a fait plaider la confirmation du jugement de relaxe entrepris et le déboute des prétentions de la partie civile aux motifs que les éléments matériels et intentionnels du délit de propagande en faveur du tabac n'étaient pas caractérisés ; qu'il convenait de constater l'absence légale de toute incrimination à la provocation à l'usage du tabac au vue du Code de la santé publique.
Que les dispositions dérogatoires de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique étaient contraires aux articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme.
Rappel des faits et de la procédure
Le n° 37, à la périodicité trimestrielle, de la publication Club Cigare éditée par la société Y ayant son siège social à Paris (140 Boulevard Haussmann) et Laurent X comme Directeur de Publication, a fait l'objet le 16 juillet 2007 d'une citation émanant de l'Association "Les Droits des Non Fumeurs", qualifiant au dispositif de la citation de l'infraction à l'article L. 3511-3 renvoyant à l'article L. 3511-1 et réprimés par l'article L. 3512-3 du Code de la santé publique commise tant par M. X que la personne morale.
Les faits révélateurs de la commission de ces infractions sont les suivants :
1) " Figure en couverture, une photographie en couleur et de pleine page d'un acteur français connu et particulièrement en vogue, Kad en train de fumer un cigare. La notoriété de cette personnalité a été utilisée par le mensuel.
Une légende avec les propos tenus par le comédien "J'aime le cigare à l'apéro" vient illustrer cette photographie.
2) Une double page (36-37) est également consacrée à l'acteur, et surtout à son rôle dans "l'aventure Navarre", premier cigare français.
Kad se présente comme un des actionnaires de la société à l'origine de cette création. A la question posée Vous en faîtes la pub dans votre métier" Kad répond "absolument" et donne des exemples d'acteurs auxquels il a parlé du Navarre.
Des photographies viennent illustrer cet article, avec des mentions non équivoques :
"Cigare, mon beau cigare, que caches tu sous ta belle cape."
"Un Navarre et un verre de Côte Rôtie, voilà qui vous met un homme en joie !"
Cet entretien a un caractère incitatif et laudatif. Cet artiste incarne la réussite, un mode de vie agréable auquel peuvent aspirer vouloir ressembler n'importe quel français, potentiellement consommateur de cigare, ou, consommateur averti.
L'insertion en couverture d'une photographie d'une personnalité importante du monde du spectacle, a indiscutablement un objectif promotionnel faisant œuvre de propagande, pour un produit de tabac.
3) De même, dans la rubrique " Evènement " page 24 du magazine, se trouve un article sur une page consacré au "Petit Edmundo" qualifié de petit gros, comportant une photographie de la boîte ouverte et fermée, du cigare, son prix à l'unité.
4) Une autre rubrique est également significative. La rubrique " Civette " relative à la Tabatière des grands boulevards, page 114 réalise une réelle propagande des produits du tabac, par ses différents commentaires, par les photographies de présentation montrant des cigares proposés à la vente.
De la publicité pour les cigares figure également dans le magazine "Club Cigare".
5) Ainsi, en page 43, il y a une publicité relative à la marque "Padron" "La sagesse de l'expérience" " Le savoir faire de plusieurs générations". Egalement, en page 115, sur la face interne de la dernière page du magazine, à un endroit particulièrement visible, se trouve une publicité pour la marque "Vegafina" "Hecho a Mano"."
De la sorte saisi, le Tribunal de grande instance de Paris relaxait Laurent X des fins de la poursuite aux motifs :
- qu'ayant été agréé par la Commission paritaire des Publications de presse, le caractère licite de la revue en cause était " consacré" ;
- que n'ayant reçu aucune-mise en garde de quelque nature que ce soit, Laurent X était en droit d'éditer et de vendre librement la revue et ne pouvait avoir conscience d'enfreindre les dispositions légales ;
- que l'élément intentionnel du délit n'était pas établi ;
Il importe de relever à ce stade de l'examen en cause d'appel, de ce dossier que la personne morale SARL Y poursuivie selon le dispositif de la citation (page 11) et les motifs (pages 5 et 8) en qualité de personne morale pénalement responsable devient, sans motivation particulière, au jugement civilement responsable.
La cour relève que cette qualité figure en page 2 de la citation et constate que faute d'appel interjeté vis à vis de la SARL Y (la partie civile n'ayant exercé ce recours que contre Laurent X), elle n'est pas saisie vis à vis de la personne morale.
Considérant que le ministère public n' a pas fait appel de la décision de relaxe rendue à l'égard de Laurent X, prévenu et de la SARL association des Fumeurs qualifiée au jugement de civilement responsable alors qu'elle apparaissait poursuivie au titre de la responsabilité pénale des personnes morales à la citation directe introductive de l'instance ; que la relaxe est devenue définitive ;
Considérant cependant qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile saisit valablement la cour des seuls intérêts civils dans les limites de l'acte d'appel ;
Considérant en conséquence qu'il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées par l'Association des droits des non fumeurs contre Laurent X les demandes formulées à l'encontre de la société Y (cf conclusions pages 2 à 13) étant irrecevables, faute d'appel ;
Considérant qu'est, en premier point affirmé le caractère de publicité directe ou indirecte des extraits de la revue "Club de Cigare" poursuivis par la partie civile ;
Considérant que les faits dénoncés se répartissent en deux catégories ; la première de couverture représentant l'acteur Kad, l'article qui lui est consacré en pages36 et 37 et l'article à la rubrique Evénement en page 24 à propos du petit Edmundo d'une part et la promotion d'un débit de tabac (page 114) et de deux marques de cigares (en pages43 et 115) d'autre part ;
Considérant que la première catégorie correspond à l'entreprise faisant l'apologie du cigare Edmundo en page 23 et du cigare Navarre par le vecteur d'un acteur de cinéma qui décrit son adhésion à ce nouveau cigare dont il fait la publicité en pages 36 et 37 et proclame son goût pour ce type de consommation ;
Considérant que le procédé de présentation qui constitue, selon l'observation de la cour, l'annonce essentielle pour attirer l'attention du lecteur en ce qu'elle figure en première page de couverture constitue en droit une publicité indirecte en faveur du tabac dont il est fait la promotion par association à une image positive, celle d'un acteur connu de cinéma ;
Considérant que l'article consacré au cigare "le petit Edmundo" en ce qu'il fait, sans mentionner les dangers pour la santé publique inhérents à la consommation de cigare que l'on recommande "en fin de repas d'affaire quand on ne doit pas traîner" est une publicité en faveur du tabac ;
Considérant que la représentation des deux cigares Padron en page 43 et Vegafina en page 115 constituent par le choix de présentation (une photographie avec effet grossissante pour le cigare Vegafina) et un texte faisant l'apologie de la méthode de fabrication du cigare Padron des publicités en faveur des produits constitués de tabac, de ces deux marques ; que leur caractère publicitaire est manifeste dès la lecture ; qu'un tel constat s'impose concernant les tabatières des Grands Boulevards, les propos rapportés établissant ( notamment) que sont mis en valeur auprès de la clientèle les cigares "Juan Lopez Obus", le "Nicarao Robusto", le "Flux de Selva", le "Arturo Fuente", le "Juan Lopez" étant le cigare favori de l'exploitant de ce commerce ;
Considérant face à ces publicité diverses dans leurs modalités, explicites au niveau de l'objectif unique recherché provoquer à la consommation de cigares de multiples marques, que la défense de Laurent X fait valoir trois moyens ;
Considérant qu'il est tout d'abord expliqué à partir des travaux parlementaires de la loi dite Evin et selon l'interprétation téléologiques que les extraits poursuivis constituent des espaces rédactionnels et non des pages de publicités, et ne constituent pas le délit de propagande illicite, une nécessaire distinction entre information générale et espace publicitaire devant être faite ;
Considérant qu'en droit tout acte quelqu'en soit la finalité ayant pour effet de rappeler les produits du Tabac en leur marques, constitue une publicité interdite ;
qu'imprimé en France et ne ressortissant pas aux catégories professionnelles exclues par les textes, du champ d'application de cette prohibition, le magasine Club Cigare avait défense légale d'utiliser la notoriété d'un acteur de cinéma pour faire la promotion du cigare Navarre dont le processus de fabrication et les caractéristiques sont détaillés par l'acteur dans son entretien ; qu'en incriminant toute forme de communication commerciale à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, la loi qui ne procède par à une séparation entre espace rédactionnelle et espace publicitaire, est claire et n'a pas été précisé par les travaux parlementaires comme le revendique la défense de M. X ; qu'en conséquence les prétentions de la défense qui ne concernent en fait pas les autres extraits poursuivis dont le caractère publicitaire n'est pas contestable s' agissant de la promotion des trois marques de cigares retenues à la poursuite et de la rencontre avec l'exploitant de la "Tabatière des grands Boulevards", assimilable à un publi-reportage en faveur du tabac, sont jugées sans effet sur la caractérisation de l'infraction.
Considérant ensuite qu'est invoqué par reprise de l'argumentation des premiers juges l'absence de propagande au sens de l'administration "du fait de l'attribution d'un numéro par la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse ;
Considérant que l'attribution d'un numéro par cette commission n'a ni les effets ni les conséquences juridiques prêtées par le Tribunal correctionnel de Paris et repris en cause d'appel par la défense de Laurent X ; qu'en réalité, sont seulement appréciés les modes de distribution et le régime fiscal d'aides ;
Considérant que la commission Paritaire de Publications et Agence de Presse n'exerce pas un contrôle de légalité ou de conformité à la loi des informations diffusées ; que l'attribution d'un numéro permet de bénéficier de tarifs postaux préférentiels réservés à la presse ou de bénéficier d'avantages fiscaux mais ne constitue pas un fait justificatif de l'article 122-4 du Code pénal ou ne résorbe pas l'élément intentionnel du délit ; que l'argumentation des premiers juges, reprise en cause d'appel par Monsieur X, doit être rejeté car elle institue la Commission Paritaire de Publications et Agence de Presse à un stade d'intervention qui n'est pas le sien et lui attribue des pouvoirs qui lui sont étrangers, l'appréciation de la conformité à la loi des informations publiées par la presse dite de magasine étant dévolu au juge judiciaire ;
Considérant qu'est ensuite invoqué l'absence de délit de provocation à l'usage du tabac et affirmé que faute d'incrimination spécifique la publication Club Cigare ne peut être poursuivie ;
Considérant que cette affirmation est étrangère au fait de l'espèce ; la présentation sous un jour favorable du tabac et de ses dérivés était la conséquence des publicités directes ou indirectes prohibées pari' article L. 3511-3 du Code de la santé publique à bon droit relevé par r association ayant engagé l'action publique ;
Considérant qu'est invoqué la non-conformité de ce texte aux articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Considérant que la restriction apportée à la liberté d'information par application des articles L. 3511-3 et L. 3512-4 du Code de la santé publique est nécessaire et proportionné au but légitime de protection de la santé publique poursuivi par le législateur et n'est donc pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, étant observé au demeurant que les faits illicites en cause dans la présente procédure résultent d'un encart publicitaire et non d'un article d'information que de même n'apparaît pas pertinent l'argument tiré de l'atteinte au principe d'égalité de traitement garanti par l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui résulterait de la dérogation autorisée par la loi au bénéfice des médias audiovisuels, cette dérogation étant limitée à la retransmission de sports mécaniques lesquels ne son par en cause en l'espèce ; que les prétentions de la défense seront en conséquence écartées ;
Considérant que s'agissant de Laurent X, il fait partie de ses attributions de directeur de publication de veiller à ce que le contenu du journal, y compris en ses encarts publicitaires, ne porte pas atteinte aux lois en vigueur ; qu'en l'espèce, il lui appartenait de contrôler ou de faire contrôler la nature et le contenu des messages publicitaires et de l'entretien accordé par Kad Merad à sa publication ;
Considérant que l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac est connu de tout professionnel de la communication ; qu'au surplus l'agencement et la présentation du n° 37 de Club Cigare a, par ses caractères, d'une part, ostentatoire des publicités (1re et 3e de couverture), l'absence de tout rappel du danger lié à la consommation du tabac et systématique caractérise un défaut manifeste chez Laurent X de l'exercice de ses tâches équivalent de la démonstration de l'élément intentionnel du délit ; l'invocation de l'octroi d'un numéro par un organisme administratif ayant déjà été apprécié par la cour comme sans effet sur la caractérisation de l'infraction visée à la poursuite ;
Considérant que dans ces conditions et dans les limites de l'appel dirigé contre Laurent X, les éléments constitutifs de l'infraction dénoncée sont jugés comme étant constitués à son encontre ; que les agissements fautifs de Laurent X ont causé à l'Association Les Droits des Non Fumeurs un préjudice moral incontestable, direct et certain donnant droit à réparation ;
Considérant que la cour trouve dans l'ensemble des circonstances de l'espèce et les pièces soumises à son appréciation les éléments suffisants lui permettant de fixer à cinq mille euro le montant du préjudice moral subi par l'Association Les Droits des Non Fumeurs, la cour relevant le niveau limité de la diffusion de la publication en cause ; que Laurent X sera condamné au paiement de ces dommages et intérêts ;
Considérant qu'il est équitable de permettre à la partie civile qui a engagé l'action publique et d'organiser la défense de sa prétention devant la cour d'appel de recouvrer les frais irrépétibles de la sorte exposés dans la limite de trois mille euro ; que Laurent X sera condamné au paiement de cette somme ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de Laurent X et de l'Association Les Droits des Non Fumeurs, Reçoit l'appel de l'Association Les Droits des Non Fumeurs ; Infirme le jugement entrepris ; Condamne Laurent X à payer la somme de cinq mille euro (5 000 euro) à titre de dommages et intérêts à l'Association Les Droits des Non Fumeurs ; Condamne Laurent X à payer la somme de trois mille euro (3 000 euro) à l'Association Les Droits des Non Fumeurs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Déclare irrecevable les demandes de l'Association Les Droits des Non Fumeurs formulées envers la SARL Y ; Déboute la concluante du surplus de ses demandes ; Rejette toute conclusion plus ample ou contraire.