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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 6 mars 2009, n° 08-16503

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hachette Livre (SA)

Défendeur :

Gallimard Loisirs (SAS), Les Editions Gallimard (SA), Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (SAS), Place des Editeurs (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schoendoerffer

Conseillers :

Mmes Provost-Lopin, Darbois

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Dubosq-Pellerin

Avocats :

Mes Lamy, Marembert, André, Meffre, Grall

Paris, 14e ch., du 24 janv. 2007 et T. c…

24 janvier 2007

La société Hachette Livre a mis en place une opération promotionnelle offrant aux acheteurs, du 7 juin au 31 août 2006, la possibilité d'obtenir le remboursement de 4 euro pour l'achat simultané de deux guides touristiques dans les collections Guide du Routard, Guides Bleus, Voir, Evasion, Week-End et Top Ten ;

Par ordonnance de référé du 26 juillet 2006 rendue dans l'instance initiée par la société Les Editions Gallimard et la société Gallimard Loisirs à laquelle sont intervenues la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et la société Place des Editeurs, le délégataire du président du Tribunal de commerce de Paris a :

- ordonné la cessation de la campagne de promotion litigieuse ainsi que la diffusion de toute publicité y afférente dans les huit jours à compter de la signification de l'ordonnance, et ce, sous astreinte de 150 euro par infraction constatée,

- condamné la société Hachette Livre à payer aux sociétés Les Editions Gallimard et Gallimard Loisirs la somme de 3 000 euro et "à la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et la société Place des Editeurs la somme de 3 000 euro " sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamné la société Hachette Livre aux dépens ;

Par arrêt du 24 janvier 2007, la 14e chambre section A de cette cour a confirmé cette ordonnance et, y ajoutant, a condamné la société Hachette Livre à payer aux sociétés Les Editions Gallimard et Gallimard Loisirs la somme de 4 000 euro et à la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et la société Place des Editeurs la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel ;

Par arrêt du 26 février 2008, la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision dans toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée en relevant, après avoir rappelé que l'obligation qui pèse sur l'éditeur de fixer, pour les livres qu'il édite, un prix de vente au public à partir duquel les détaillants doivent pratiquer le prix effectif, ne fait pas obstacle à ce que cet éditeur consente un remboursement partiel à ceux qui achètent simultanément plusieurs livres qu'il édite, pourvu que ce remboursement s'applique à tous les acheteurs quel que soit le détaillant auprès duquel ils se sont fournis, que la cour d'appel, en retenant pour accueillir la demande, que contrairement à ce que soutient la société Hachette, la notion de prix unique s'applique tant au détaillant qu'à l'éditeur et que l'éditeur en accordant le remboursement de 4 euro sur la vente de deux de ses livres modifiait le prix fixé par lui-même, peu important que le détaillant ait perçu la totalité dudit prix, a violé l'article 1er de la loi du 10 août 1981 ;

Vu la saisine de la cour de renvoi le 22 juillet 2008 et les dernières conclusions en date du 26 novembre 2008 par lesquelles la société Hachette Livre demande à la cour, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile, de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre et de l'article L. 121-35 du Code de la consommation, de :

- dire n'y avoir lieu à référé, en conséquence.

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, statuant à nouveau,

- condamner solidairement les sociétés Les Editions Gallimard, Gallimard Loisirs. Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs à payer à la société Hachette Livre la somme de 50 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions en date du 26 décembre 2008 par lesquelles les sociétés Les Editions Gallimard et Gallimard Loisirs demandent à la cour, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile et de la loi n° 81-766 du 10 août 1981, de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de condamner la société Hachette Livre au paiement de la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions en date du 8 janvier 2009 par lesquelles les sociétés Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs demandent à la cour, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile et de la loi n° 81-766 du 10 août 1981, de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et à tout le moins, y ajoutant, de :

- dire qu'en proposant une remise de 4 euro à tout acheteur de deux guides Hachette Tourisme, la société Hachette Livre se livre à une pratique de prix illicite contraire aux articles 1er et 6 de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, et à une publicité illicite contraire à l'article 7 de cette même loi.

En tout état de cause,

- condamner la société Hachette Livre à payer à chacune des sociétés Michelin et Place des Editeurs la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans le magazine Livres Hebdo aux frais de l'appelante dans la limite de 2 000 euro par publication,

- condamner la société Hachette Livre aux entiers dépens ;

Vu la signification par les sociétés Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs d'un bordereau de pièces comprenant cinq pièces nouvelles -n° 12 à 16-, le 30 janvier 2009 et la lettre en date du 3 février 2009 par laquelle l'avoué de la société Hachette Livre demande à la cour d'écarter des débats les pièces n° 12 à 16 susvisées, communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture prononcée le 29 janvier 2009 ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'en application de l'article 783 du Code de procédure civile, les pièces n° 12 à 16, signifiées par les sociétés Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs après l'ordonnance de clôture, doivent être déclarées irrecevables ;

Considérant qu'au soutien de son appel, la société Hachette Livre fait valoir en premier lieu que l'opération proposée ne constituait qu'une simple offre de remboursement, licite par principe, et non une " vente avec prime " ou une "prime en espèces", et n'était donc pas soumise au régime de l'article 6 de la loi du 10 août 1981 qu'elle prétend en second lieu que l'offre de remboursement proposée ne contrevenait pas aux dispositions des articles 1 et 7 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, et ne constituait pas un " rabais illicite " ou une "pratique de prix illicite" aux motifs, d'une part. que le prix de vente fixé restait le même que le détaillant relaye ou non l'opération promotionnelle, que la mécanique promotionnelle mise en place n'avait donc aucun impact au niveau des remises pouvant être pratiquées par les détaillants et qu'elle était donc totalement transparente à l'égard de ceux-ci, d'autre part, que le prix effectivement payé par le consommateur au détaillant n'était en aucune manière affecté par l'opération, que l'offre de remboursement était proposée par l'éditeur et non par le détaillant, qu'aucun contournement de la loi précitée n'était donc avéré et, enfin, qu'en aucun cas les publicités autour de cette opération n'ont fait référence au prix de vente des ouvrages commercialisés ;

qu'elle ajoute qu'outre le fait que la question de la discrimination ne saurait se poser en l'espèce dès lors que les dispositions de la loi du 10 août 1981 ne s'appliquent pas à l'opération mise en œuvre, elle n'a opéré aucun traitement abusivement discriminatoire entre les détaillants, que cette opération s'inscrivait dans une relation entre l'éditeur et le consommateur, qu'elle a mis en œuvre une large palette de moyens de communication tant pour porter à la connaissance du public l'opération que pour proposer à l'ensemble des détaillants de relayer ladite opération ;

Considérant que. pour ordonner la cessation sous astreinte de la campagne de promotion litigieuse, le premier juge a retenu d'une part, que cette opération promotionnelle pouvait être qualifiée de prime en espèces et que, dans la mesure où cette campagne ne touche pas tous les détaillants et par conséquent tous les lecteurs, la faculté d'obtenir une remise de quatre euro dans le cas d'achat d'un second ouvrage de certaines collections définies ne permettait pas de garantir l'obligation définie par la loi du 10 août 1981 dite "loi Lang" et, d'autre part, que cette opération n'a pas été proposée à l'ensemble des détaillants et qu'ainsi, il en ressort une pratique discriminatoire qui crée un trouble manifestement illicite ;

Considérant que l'article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août1981 dispose que :

" Toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe un prix de vente au public.

Ce prix est porté à la connaissance du public. Un décret précisera, notamment, les conditions dans lesquelles il sera indiqué sur le livre et déterminera également les obligations de l'éditeur ou de l'importateur en ce qui concerne les mentions permettant l'identification dit livre et le calcul des délais prévus par la présente loi.

(...)

Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 p. 100 et 100 p. 100 du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur.

(...) ;

Que selon l'article 1er du décret en date du 3 décembre 1981 pris en application de ces dispositions, " l'éditeur ou l'importateur indique le prix de vente au public sur les livres qu'il édite ou importe par impression ou étiquetage. (...) " ;

Considérant que l'obligation qui pèse sur l'éditeur de fixer, pour les livres qu'il édite, un prix de vente au public à partir duquel les détaillants doivent pratiquer le prix effectif, ne fait pas obstacle à ce que cet éditeur consente un remboursement partiel à ceux qui achètent simultanément plusieurs livres qu'il édite, pourvu que ce remboursement s'applique à tous les acheteurs quel que soit le détaillant auprès duquel ils se sont fournis ;

Considérant qu'en l'espèce, la mise en œuvre de l'offre de remboursement proposée par la société Hachette Livre reposait sur l'achat simultané par tout consommateur de deux guides parmi les six collections définies ci-dessus ; que, s'agissant d'un remboursement au vu du hon d'achat, lequel supposait le paiement effectif des ouvrages par l'acquéreur au détaillant, il n'y avait ni modification du prix de vente fixé par l'éditeur ni atteinte aux prix respectivement pratiqués par les détaillants après remise éventuelle clans les conditions de l'article 1er précité ;

Que, comme le rappelle l'appelante, cette offre promotionnelle était portée à la connaissance du consommateur et proposée aux détaillants par divers moyens de communication :

- diffusion sur le site internet hachette.com sous la forme d'un mini-site dédié à l'opération,

- accessibilité directe à ce mini-site à partir du site internet routard.com,

- communication sur le site hachette-diffusion.fr,

- insertion clans le magazine Livre-Hebdo du 16 juin 2006 à destination des libraires,

- présentation complémentaire par les représentants lors de leurs visites chez les détaillants,

- campagne radiophonique, notamment sur Europe 1 du 15 juin au 15 juillet 2006. Les jeudis, vendredis et samedis matin et sur France Bleue,

- mailing supplémentaire adressé aux libraires ;

Que, cependant, si les sites internet hachette.com et routard.com sont accessibles tant par le public que par les professionnels, sans exclusion, s'il en est de même de la campagne radiophonique, également perceptible tant par le public que par les professionnels, et si, encore, la parution dans le magazine Livre-Hebdo a touché les détaillants sans distinction, il reste :

- que le message publicitaire diffusé sur les ondes (pièce n° 5 de l'appelante) renvoie le consommateur à se connecter sur le site internet www.hachette.com et à se rendre chez un détaillant en ces termes : "N'attendez pas, courrez chez votre libraire vous serez a agréablement surpris. Modalités sur www.hachette.com",

- que l'encart publicitaire paru dans le magazine Livre-Hebdo (pièce n° 6) mentionne " Pour en savoir plus contactez vite votre représentant ! " et porte la référence du site précité,

- que le contenu des sites en question qu'ils soient à usage du public ou des professionnels (cf impression des pages des sites pièces n° 3 et 4) précisent que, pour bénéficier de l'offre, le consommateur doit remplir un bulletin de remboursement, lequel peut être téléchargé ou trouvé en librairie ;

Qu'en outre, il ressort des écritures mêmes de la société Hachette Livre que son site hachette-diffusion.fr est à l'usage de ses clients professionnels qui passent leurs commandes par ce site, en sorte que, s'il place lesdits clients sur un pied d'égalité pour accéder à l'information sur l'opération proposée, il n'est pas ouvert aux détaillants qui passent commande des ouvrages par un autre réseau ;

Qu'il n'est pas contesté que la lettre circulaire datée du 20 mai 2006 par laquelle la direction des ventes de la société appelante a annoncé aux libraires l'opération envisagée et la visite prochaine d'un représentant pour sa mise en œuvre dans les librairies (pièce n° 1 des sociétés Gallimard) n'a pas été envoyée à tous les détaillants, étant au surplus observé, d'une part, qu'il y était indiqué que l'événement sera soutenu dans les 10 000 points de vente", soit un nombre inférieur au nombre de points de vente en France, et, d'autre part, que la visite avait pour objet de "proposer les conditions commerciales sur les commandes déclenchées à cette occasion" ;

Que, de même, le "mailing supplémentaire" est décrit dans les conclusions (page 18) comme " proposant aux libraires l'installation de matériels PLV compose de 2 stop-rayons, d'une boîte porte-bulletins et de 100 bulletins " ; qu'il ne peut donc s'agir que de la transmission des éléments nécessaires à la mise en œuvre effective de l'opération par les détaillants ayant accepté les conditions commerciales destinées à relayer l'événement ;

Qu'ainsi, contrairement à ce que prétend la société Hachette Livre, c'est de son fait si l'opération promotionnelle litigieuse n'a pas été portée à la connaissance de tous les détaillants et si elle a été proposée sous conditions ; que, dès lors, indépendamment du fait que certains détaillants, informés, aient fait le choix, pour des raisons commerciales, de ne pas relayer cette opération, le procédé par lequel l'offre de remboursement était mise en œuvre ne pouvait pas atteindre tous les acheteurs ;

Qu'il s'ensuit que la société Hachette Livre ayant mené cette opération contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi du 10 août 1981, a causé à ses concurrents un trouble manifestement illicite qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de faire cesser par a mesure à bon droit ordonnée par le premier juge sans qu'il soit utile de prendre en outre une mesure de publication ;

Considérant, dans ces conditions, qu'abstraction faite de tout autre moyen surabondant, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées une indemnité de procédure pour les frais qu'elles ont été contraintes d'exposer devant la cour ;

Par ces motifs, Déclare les pièces communiquées sous les numéros 12 à 16 par les sociétés Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs irrecevables ; Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Condamne la société Hachette Livre à payer aux sociétés Les Editions Gallimard et Gallimard Loisirs la somme de 4 000 euro et aux sociétés Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Place des Editeurs la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Hachette Livre aux dépens d'appel, en ce compris ceux de l'arrêt cassé, dont recouvrement dans les conditions prévues par l'article 699 du même Code.