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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 2 octobre 2007, n° 06-04950

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Couturier (SA)

Défendeur :

Stein Energie Chaudières Industrielles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Crovisier, Duthel

TGI Mulhouse, ch. com., du 12 juin 2006

12 juin 2006

Selon assignation du 16 décembre 2002, la société Couturier a attrait la société Alstom Power devant le Tribunal de grande instance de Mulhouse pour obtenir le paiement du solde de diverses factures et l'indemnisation de son préjudice consécutif à la brusque rupture de leurs relations contractuelles.

La défenderesse, désormais dénommée Stein Energie Chaudière Industrielles, s'est opposée à cette demande en paiement des factures en se prévalant soit de la prescription de l'action, soit d'abandons de chantier, soit de sinistres. Elle a par ailleurs fait valoir que la rupture des relations commerciales était imputable à la demanderesse.

Par jugement du 12 juin 2006, le Tribunal de grande instance de Mulhouse a:

- rejeté les exceptions soulevées par la société Stein Energie Chaudière Industrielles,

- donné acte à la défenderesse du règlement à la société Couturier de la somme de 7 291,55 euro au titre du chantier Polirey,

- condamné la société Stein Energie Chaudières Industrielles à payer à la société Couturier les intérêts au taux légal sur la somme de 7 291,55 euro du 2 mai 2002 au 18 septembre 2003,

- condamné la société Stein Energie Chaudière Industrielles à payer à la société Couturier :

* 29 570,60 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2001, au titre du chantier Rhodia,

* la somme de 158 070,36 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2002, au titre du chantier ABP,

* 28 664,13 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2002, au titre du chantier Tredi,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté la société Couturier de sa demande en paiement au titre des chantiers Econotre et Roquette, de sa demande en indemnisation fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- fait masse des dépens, condamnant la société Stein Energie Chaudière Industrielles à en supporter les deux tiers, la société Couturier à en supporter le tiers,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que la somme réclamée au titre du chantier Polirey avait été réglée le 18 septembre 2003 ;

- que, s'agissant du chantier Rhodia, la société Stein Energie Chaudières Industrielles ne pouvait pas opposer la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce dès lors que les prestations litigieuses étaient distinctes des opérations de transport ;

- que la société Couturier était fondée à obtenir le paiement des prestations exécutées jusqu'à l'arrêt du chantier ABP ;

- que la société Stein Energie Chaudière Industrielles ne justifiait pas détenir une contre-créance au titre du chantier Tredi ;

- que la société Couturier ne démontrait pas que sa cliente avait abusivement obtenu des remises sur les chantiers Econotre et Roquette, ces remises procédant au contraire d'accords entre partenaires commerciaux soucieux de leurs intérêts respectifs ;

- que les relations des parties, fondées sur la conclusion de contrats de sous-traitance, ne s'inscrivaient pas dans une relation commerciale unique ;

- que la diminution du chiffre d'affaires réalisé avec la société Alstom Power, même très importante, était en elle-même insuffisante pour engager la responsabilité de la défenderesse à laquelle aucune faute ne pouvait être imputée.

Par déclaration reçue le 9 novembre 2006, la société Couturier a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions déposées le 9 mars 2007, la société Couturier demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses prétentions relatives à l'abus et l'indemnisation des remises accordées, à la rupture sans préavis des relations, à l'indemnisation des autres préjudices et frais non inclus dans les dépens ;

- condamner la société Stein Energie Chaudière Industrielles à lui payer une somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice consécutif à la rupture des relations contractuelles ;

- condamner la société Stein Energie Chaudière Industrielles à lui payer la somme de 87 164,25 euro au titre des avoirs et remise, avec intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2001 et capitalisation des intérêts ;

- condamner la société Stein Energie Chaudière Industrielles à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- condamner la société Stein Energie Chaudière Industrielles à lui payer une indemnité de 25 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamner la société Stein Energie Chaudière Industrielles aux dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :

- que la société Alstom Power a arraché à l'appelante des remises rétroactives et abusives en promettant un paiement immédiat de factures anciennes ;

- que la société Alstom Power a abusé de la situation de dépendance économique de sa sous-traitante ;

- que ces remises sont nulles en application de l'article L. 442-6 II du Code de commerce ;

- qu'en l'absence de tout préavis, la société Alstom Power, avec laquelle l'appelante avait des relations commerciales depuis 1992, a cessé en 2002 de lui passer des commandes ;

- que la société Alstom Power ne justifie pas de l'existence et de l'ampleur du " repli d'affaires " invoqué dans son courrier du 2 avril 2002 ;

- que la société Alstom Power a violé l'article L. 442-6 I du Code de commerce.

La société Stein Energie Chaudière Industrielles n'a pas constitué avocat quoiqu'elle ait été régulièrement citée le 13 avril 2007 selon acte de Me Aullen, huissier de justice à Cernay, remis à une personne habilitée à le recevoir.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 juin 2007.

Sur ce, LA COUR,

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la citation a été remise à une personne habilitée à recevoir l'acte, selon les mentions de l'exploit de Me Aullen ; que le présent arrêt sera réputé contradictoire ;

Attendu que la décision entreprise a été signifiée le 31 octobre 2006 à la société Couturier (acte de la SCP Matrat et Voillequin-Arnal, huissiers de justice associés à Macon) ; que l'appel, interjeté suivant les formes légales, dans le mois de la signification du jugement entrepris, est régulier en la forme et recevable ;

a) Attendu que la société Couturier poursuit l'annulation des avoirs suivants :

- avoir n° 40382 en date du 27 avril 2000 d'un montant de 14 997,84 F soit 2 286,41 euro emportant "annulation partielle de (sa) facture n° 10102 du 31/01/2000"

- avoir n° 41962 en date du 28 février 2001 d'un montant de 60 000 F HT Soit 71 760 F TTC ou 10 939,14 euro valant "remise exceptionnelle sur chantier Roquette à Lestrem et sur chantier à Bessières"

- avoir de 500 000 F TTC soit 76 224,51 euro consenti selon télécopie du 4 décembre 2001 ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites par l'appelante :

- que le 31 janvier 2000, la société Couturier a émis trois factures :

n° 10103 d'un montant de 1 308 510 F TTC afférente à des opérations de grutage sur un chantier Econotre à Bessières

n° 10104 d'un montant de 1 200 181,05 F au titre d'une "plus-value" sur le chantier de Bessières

n° 10102 d'un montant de 318 311,64 F au titre d'une "plus-value" sur le chantier Roquette de Lestrem ;

- que le 28 avril 2000, elle a émis trois nouvelles factures :

n° 40444 d'un montant de 222 844,70 F

n° 40445 d'un montant de 179 998 F

n° 40446 d'un montant de 155 480 F

au titre de travaux sur le chantier de Lestrem ;

- qu'au 20 mars 2001, la société Alstom Power restait redevable, selon la comptabilité de sa sous-traitante, d'une somme globale de 1 990 057,55 F au titre des chantiers de Bessières et Lestrem, compte tenu des avoirs des 27 avril 2000 et 28 février 2001

- que le 14 mai 2001, la société Couturier a mis en demeure sa cliente de régler la somme de 1 990 057,55 F ;

- que le 30 octobre 2001, la société Couturier a réclamé le paiement d'un solde de 1 128 421,05 F ;

- que le 21 novembre 2001, la société Couturier a adressé une télécopie se référant aux "factures impayées/plus-values", chantiers Rhodia - Péage de Roussillon,

Roquette - Lestrem, Econotre - Bessières, rédigée comme suit :

"Nous nous référons aux derniers entretiens téléphoniques entre MM. Sturchler et Couturier en date du 20/11/2001 et confirmons les termes de l'accord intervenu, à savoir :

Montant des sommes dues : 127 779,55 F

Paiement Alstom 821 779,55 F

Avoir de régularisation globale TMC 426 000 F

Pour la bonne forme et afin de valider cet accord et régler définitivement ces affaires nous vous saurions gré de bien vouloir nous retourner le présent fax tamponné et signé par vos soins."

- que par courrier du 6 février 2002, la société Couturier s'est plainte de n'avoir perçu, en dépit de l'abandon d'une "somme forfaitaire supplémentaire de 500 000 F TTC ... pour (lui) permettre d'obtenir un paiement rapide de ces anciennes créances", qu'un "règlement partiel, déduction faite de l'affaire Péage de Roussillon (192 658,50 F TTC)", fin décembre 2001 ;

- que le 20 mars 2002, la société Couturier a réclamé à la société Alstom Power le règlement de la somme retenue de 29 370,60 pour le 25 mars 2002 au plus tard, en la menaçant de "revenir sur (son) geste commercial supplémentaire de 500 000 F TTC en cas de refus" qui était "à valoir en quelque sorte sur (leur) collaboration future" ;

- que le 2 avril 2002, la société Alstom Power a repoussé les doléances de sa partenaire en écrivant notamment :

"Pour Roquette, il s'agissait de négocier vos pénalités suite au retard de 4 semaines sur le chantier, qui nous avait valu de subir de fortes pénalités de notre propre client.

Pour Econotre, Bessières, il s'agissait de négocier votre demande de suppléments, demande qui était fortement contestée par notre client Alstom Power Environnement.

L'accord a porté sur un équilibre entre vos suppléments sur Econotre (largement pris en compte pour nous) et vos pénalités sur Lestrem. En aucun cas, vous ne pouvez parler de remise commerciale à valoir en quelque sorte sur notre collaboration future."

Attendu que la remise de 500 000 F consentie le 4 décembre 2001 est intervenue plus de dix-huit mois après l'émission des factures afférentes aux chantiers Roquette et Econotre, à une époque où la société Alstom Power restait redevable, en dépit de l'ancienneté anormale de la dette, d'une somme de plus de 1 000 000 F ; qu'aucun élément du dossier ne démontre que la société Alstom Power pouvait se prévaloir d'une quelconque contre-créance pour de prétendus retards sur le chantier Roquette ; qu'en émettant les avoirs n° 40382 et 41962, la société Couturier avait déjà pris en considération les revendications de sa cliente sur le montant des suppléments détaillés dans les diverses factures ; qu'il apparaît dans ces conditions que la remise de 500 000 F, qui ne répondait à aucune justification objective, a été accordée en raison de la situation de dépendance de la sous-traitante qui attendait vainement le règlement d'une créance significative et craignait de perdre une cliente qui lui avait procuré 32 % de son chiffre d'affaires en 2000 ;

Attendu qu'il doit être reproché à la société Alstom Power d'avoir abusé de la situation de dépendance de sa sous-traitante pour obtenir des conditions de prix anormalement avantageuses ; qu'elle a engagé sa responsabilité envers la société Couturier en vertu de l'article L. 442-6 I 3° du Code de commerce ; que le préjudice subi par cette dernière correspond au montant de l'avoir indûment obtenu, soit 76 224,51 euro

b) Attendu que l'action introduite sur le fondement de l'article 446 I 5° du Code de commerce est une action en responsabilité qui ne peut aboutir que si la société Couturier démontre avoir subi un préjudice ;

Attendu, dans l'hypothèse même où une brusque rupture des relations commerciales serait caractérisée, que la demande en indemnisation doit être rejetée dès lors qu'aucun préjudice n'est démontré ; qu'en effet, en dépit de l'ancienneté de la procédure, la société Couturier n'a pas jugé utile de verser au débat ses comptes de résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2002 au cours duquel seraient intervenus les faits litigieux ; que l'incidence de la prétendue rupture sur le chiffre d'affaires et les résultats de l'appelante est indéterminée ;

c) Attendu que la société Couturier ne justifie pas avoir subi un préjudice indépendant du simple retard dans le paiement que réparent les intérêts moratoires ; qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Attendu que la société Alstom Power supportera les dépens et réglera une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare la société Couturier recevable en son appel ; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Couturier de sa demande en paiement au titre des avoirs consentis à sa cliente et partagé les dépens entre les parties ; Statuant à nouveau, Condamne la société Stein Energie Chaudière Industrielles à payer à la société Couturier la somme de soixante seize mille deux cent vingt quatre euro cinquante et un centimes 76 224,51 (soixante seize mille deux cent vingt quatre euro et cinquante et un euro) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; Déboute la société Couturier de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ; Condamne la société Stein Energie Chaudières Industrielles à payer à la société Couturier une somme de deux mille euro 2 000 euro (deux mille euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Stein Energie Chaudière Industrielles aux dépens des deux instances.