CA Nancy, 2e ch. com., 12 décembre 2007, n° 04-02347
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Walser
Défendeur :
Métro Cash & Carry France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moureu
Conseillers :
Mmes Pomonti, Deltort
Avoués :
SCP Chardon & Navrez, SCP Merlinge & Bach-Wassermann
Avocats :
Mes Kroell, Chapouillie
Bases contractuelles du litige
Faits constants et procédure
Mme Françoise Rossit épouse Walser, exerçant sous l'enseigne " Walser Michel " à Liffol Le Grand, a conclu avec la SAS Métro Cash & Carry France, exploitant les magasins Métro, un " contrat de coopération promotionnelle et d'action publicitaire " le 20 avril 2000 et un " contrat catalogues Métro promos " le 26 septembre 2001.
Courant 2001, la SAS Métro Cash & Carry France a accepté de commercialiser une desserte de salle destinée aux restaurateurs au prix d'achat unitaire de 111,29 euro (730 F) HT.
De mai 2001 à mai 2002, Mme Françoise Walser a livré 1 550 dessertes.
Le modèle a paru dans les catalogues Métro à partir de juin 2002 sous le nom Joly.
Mais à partir de mai 2002, la SAS Métro Cash & Carry France ne lui plus commandé aucune desserte.
Mme Françoise Walser prétend que la clientèle se serait reportée sur un modèle fabriqué à bas prix en Thaïlande imitant celui de Mme Françoise Walser.
Vu la demande introduite contre la SAS Métro Cash & Carry France par Mme Françoise Walser selon assignation du 17 janvier 2003 tendant, dans le dernier état de ses conclusions, à la condamnation de la SAS Métro Cash & Carry France au paiement de:
- 70 738,47 euro au titre du préjudice financier,
- 1 000 000 euro au titre de la perte d'une chance,
- 50 000 euro au titre du préjudice moral,
et 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions de la partie défenderesse tendant à l'irrecevabilité de l'action en concurrence déloyale, au débouté de Mme Françoise Walser et à l'allocation de 15 000 euro de dommages-intérêts et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Epinal le 25 mai 2004, non assorti de l'exécution provisoire, qui a condamné la SAS Métro Cash & Carry France à payer à Mme Françoise Walser 15 000 euro au titre de son préjudice moral et débouté les parties de leurs plus amples conclusions,
Vu l'appel de ce jugement interjeté par Mme Françoise Walser le 16 juillet 2004,
Vu les moyens et prétentions de l'appelante exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 7 mars 2006 tendant à la condamnation de la SAS Métro Cash & Carry France au paiement de:
- 70 738,47 euro au titre du préjudice financier
- 1 000 000 euro au titre de la perte d'une chance
- 50 000 euro au titre du préjudice moral
et 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les moyens et prétentions de la partie intimée exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 4 juin 2007 tendant à l'irrecevabilité des demandes au titre de la concurrence déloyale, au débouté de la demanderesse, subsidiairement, à la confirmation en ce qu'il a débouté Mme Françoise Walser de ses demandes de réparation des prétendus préjudices matériel et financier, à l'allocation de 15 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Moyens des parties
Au soutien de son appel, Mme Françoise Walser fait valoir que:
- en application de l'article 1382 du Code civil, la concurrence déloyale est sanctionnée comme acte contraire à la loyauté commerciale,
- en l'espèce l'imitation est flagrante et la SAS Métro Cash & Carry France a offert à la clientèle, sous les mêmes noms et référence, un produit fabriqué à bas prix, pour s'assurer des marges importantes,
- subsidiairement, la SAS Métro Cash & Carry France a causé un préjudice à Mme Françoise Walser en manquant à l'exécution de bonne foi du contrat,
- le modèle concurrent a été présenté par la SAS Métro Cash & Carry France sous le même nom, les mêmes couleurs et la même référence que le produit Walser Michel,
- l'augmentation du prix de 111,29 euro à 115 euro n'est qu'un prétexte car la SAS Métro Cash & Carry France n'a pas cherché à négocier,
- il appartient à la SAS Métro Cash & Carry France de prouver qu'elle n'avait plus en stock la desserte produite par Mme Françoise Walser,
- l'offre de commande de mars 2003 n'est qu'une demande d'information concomitante à l'introduction du litige,
- outre le stock d'une valeur de 6 998,85 euro affecté à la SAS Métro Cash & Carry France, l'appelante s'est procuré une machine spécialement conçue pour cette fabrication valant 25 306,50 euro et a créé une chaîne de fabrication d'une valeur de 35 500 euro,
- la perte de chance de poursuivre les livraisons justifie l'allocation de 1 000 000 euro sur 5 ans, sur la base de 200 000 euro par an,
- la somme de 15 000 euro allouée au titre du préjudice moral est insuffisante compte tenu des deux mois passés à étudier la desserte litigieuse.
La SAS Métro Cash & Carry France réplique que:
- les premiers juges ont méconnu le principe de la responsabilité civile qui exige les trois conditions faute, dommage, lien de causalité,
- l'action en concurrence déloyale de Mme Françoise Walser n'est pas recevable car, étant le fournisseur de la SAS Métro Cash & Carry France, elle n'est pas en concurrence avec elle,
- les premiers juges ont retenu une faute inexistante qui ne lui était pas reprochée et résultant d'une analyse erronée,
- les catalogues Métro ont continué à proposer la desserte Joly en 2002 or la SAS Métro Cash & Carry France détenait encore, en mai 2002, 583 dessertes de salles Walser,
- un constat du 20 mars 2003 établit que la SAS Métro Cash & Carry France disposait encore des dessertes,
- le jugement repose sur une erreur de fait,
- le modèle reproduit dans les catalogues Métro (pièces n° 4 et 5 de l'appelante) diffère de celui du procès-verbal de constat d'achat, ce qui démontre l'erreur des premiers juges,
- Mme Françoise Walser n'a aucun droit exclusif sur le modèle de desserte qu'elle a fabriqué qui est un produit banal et fonctionnel déjà commercialisé depuis 1990,
- au surplus, la nouvelle desserte [non fabriquée par Walser] présente une partie supérieure arrondie et non incurvée [comme la desserte Joly],
- à défaut de contrat d'exclusivité, de lien direct entre le coût supposé des installations et la réalité de la demande, les premiers juges ont justement écarté le prétendu préjudice matériel et financier,
- il n'est pas justifié que l'outillage acquis ne servait qu'à fabriquer les produits livrés à la SAS Métro Cash & Carry France,
- Mme Françoise Walser a unilatéralement augmenté ses tarifs en 2002 et refusé une commande du 17 mars 2003,
- Mme Françoise Walser confond chiffre d'affaires et bénéfice,
- la durée de 5 ans retenue comme base de la perte de chance n'est pas en rapport avec la durée de 18 mois pendant laquelle elle a fourni la SAS Métro Cash & Carry France,
- aucun préjudice moral ne saurait être indemnisé dès lors que Mme Françoise Walser n'avait aucun droit de propriété intellectuelle sur son modèle,
- le montant de la demande, disproportionné et injustifié, caractérise une procédure abusive ouvrant droit à des dommages-intérêts.
Motifs
Attendu que l'objet du litige est la desserte Joly fabriquée par les Ets Walser Michel (57 x 43 x 151 cm poids 38 kg) présentée dans les catalogues Métro sous les références 0729426 (coloris aulne) et 0601906 (coloris noyer);
Attendu qu'en tant que fournisseur de la SAS Métro Cash & Carry France, Mme Françoise Walser, n'étant pas en situation de concurrence avec elle, ne peut fonder son action sur la concurrence déloyale;
Attendu, en outre, que, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, Mme Françoise Walser n'a rapporté la preuve d'aucun préjudice qui soit en relation de cause à effet avec une faute délictuelle imputable à la SAS Métro Cash & Carry France;
Attendu que le principe de la liberté du commerce permet au revendeur de s'approvisionner auprès de tout fournisseur;
Qu'en l'espèce, il est constant que les parties n'étaient liées par aucun contrat d'exclusivité;
Que, plus particulièrement, le meuble litigieux par sa nature fonctionnelle et générique ne présente aucune originalité et ne fait l'objet d'aucune protection;
Que Mme Françoise Walser ne jouit d'aucun droit de propriété intellectuelle sur ledit modèle dont l'imitation n'est pas répréhensible;
Que, d'ailleurs, la SAS Métro Cash & Carry France établit par la production de son catalogue qu'elle a commercialisé dès 1990 un " meuble de rangement à couverts " de dimensions approchantes (H 150 x L 56 x P 60 cm), la seule différence avec la desserte Walser étant l'angle droit du montant latéral à sa partie supérieure (pièce n° 2 de l'intimée);
Attendu que le montant des investissements prétendument financés pour produire la desserte litigieuse ne saurait être invoqué comme préjudice matériel car l'appelante n'a nullement démontré que cet outillage n'avait servi qu'à fabriquer des articles revendus par la SAS Métro Cash & Carry France;
Qu'il en va de même pour le stock de dessertes que Mme Françoise Walser aurait conservé pour satisfaire les commandes de Métro alors qu'elle était parfaitement en mesure de les fournir à d'autres revendeurs;
Attendu que la perte de chance de poursuivre les livraisons pendant 5 ans auprès de la SAS Métro Cash & Carry France ne saurait être invoquée comme un préjudice certain alors que la poursuite des livraisons était totalement hypothétique dans son volume et dans sa durée;
Attendu que Mme Françoise Walser n'a pas davantage établi que la SAS Métro Cash & Carry France aurait chargé un autre fabricant, supposé installé dans un pays émergent, de copier le modèle Joly pour un prix inférieur;
Que l'origine du meuble incriminé par Mme Françoise Walser demeure inconnue;
Attendu que Mme Françoise Walser affirme avoir livré à la SAS Métro Cash & Carry France 1 550 dessertes de juillet 2001 à mai 2002;
Que ce nombre d'articles est confirmé par la SAS Métro Cash & Carry France qui précise qu'à fin mai 2002, elle avait vendu 967 pièces et qu'elle détenait encore un stock de 583 pièces;
Attendu que la SAS Métro Cash & Carry France n'établit par aucun moyen de preuve la réalité de ces chiffres,
Que Mme Françoise Walser ne prouve pas davantage qu'ils soient inexacts,
Qu'en l'état des éléments soumis à son appréciation, la Cour ne peut qu'être dans l'incertitude sur le nombre de dessertes Joly fabriquées par Walser Michel encore détenues par la SAS Métro Cash & Carry France à partir de mai 2002;
Qu'en tout cas, il est établi par un constat d'huissier du 20 mars 2003 que 10 modèles de desserte Walser (une desserte assemblée et 9 colis contenant chacun un meuble à assembler) étaient entreposés dans les locaux de la SAS Métro Cash & Carry France à Limoges (pièce n°13 de l'intimée);
Attendu que Mme Françoise Walser a produit un exemplaire de " contrat de coopération promotionnelle et d'action publicitaire " (non signé) qui pourrait avoir été conclu entre elle et la SAS Métro Cash & Carry France pour l'année 2000 pour assurer la " valorisation promotionnelle " des produits du " fournisseur " moyennant une rémunération de 5 000 F (pièce n° 3);
Que l'appelante a également versé aux débats un " contrat catalogues Métro promos " souscrit par les parties pour l'année 2001 moyennant une redevance de 54 000 F (8 232 euro) correspondant à 4 insertions dans le catalogue Métro Promos couvrant des périodes promotionnelles de 15 jours;
Que les parties n'ont produit aucun autre contrat applicable, notamment, à l'année 2002;
Qu'il y a toutefois lieu de présumer qu'un tel contrat a été conclu pour l'année 2002 car le modèle de desserte Joly, fourni par les Ets Walser Michel (57 x 43 x 151 cm poids 38 kg) est présenté sous les références 0729426 (coloris aulne) et 0601906 (coloris noyer) sur un quart de page dans les catalogues ainsi identifiés:
- catalogue du 28 juin au 11 juillet 2002, au prix de 160 euro (pièce n° 4 de Mme Françoise Walser),
- catalogue du 9 au 22 août 2002, au prix de 160 euro,
- catalogue du 20 septembre au 3 octobre 2002, au prix de 150 euro,
- catalogue du 29 novembre au 24 décembre 2002, au prix de 150 euro;
Or attendu qu'il résulte d'un " procès-verbal de constat d'achat " du 7 octobre 2002 que M. Michel Walser a pu acquérir au magasin Métro d'Epinal une desserte très ressemblante à celle fournie par Mme Françoise Walser mais présentant les dimensions suivantes : 57 x 44 x 150 cm pour un poids de 30,5 kg ou 32 kg;
Que les montants latéraux de ce modèle présentent un découpage arrondi;
Que le meuble démonté était emballé dans un carton présentant les inscriptions suivantes:
Meu 2001
Kitchen cabinet
[suivent les mesures et le poids]
Eureka Marketingco., Ltd
Que ce meuble (sans les accessoires) a été payé 205 euro;
Que le carton d'emballage et la facture mentionnaient la référence 601906;
Qu'il est ainsi établi que le magasin Métro d'Epinal a vendu, sous la même référence que le meuble produit par les Ets Walser (601906), une desserte de dimensions, de forme et de poids légèrement différents;
Que la SAS Métro Cash & Carry France a expressément reconnu dans ses dernières conclusions que " le modèle reproduit dans les publicités de Métro (pièces adverses n° 4 et 5) diffère de celui du procès-verbal de constat d'achat [...] ";
Que, contrairement au raisonnement de l'appelante, loin de démontrer l'erreur des premiers juges, cette déclaration constitue l'aveu d'un manquement à l'obligation d'exécuter de bonne foi les conventions conclues entre les parties, obligation édictée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil;
Qu'en effet, notamment, dans le cas de l'achat du 7 octobre 2002, la SAS Métro Cash & Carry France a mis en vente, sous une des références du meuble fourni par Mme Françoise Walser, donc en renvoyant le client aux caractéristiques de ce produit décrit dans le catalogue, un meuble légèrement différent;
Que cette manœuvre tendant à créer volontairement la confusion entre deux modèles de fabrication et de provenance différentes caractérise un comportement déloyal de la SAS Métro Cash & Carry France dans l'exécution du contrat de coopération promotionnelle et publicitaire par lequel elle s'était engagée moyennant rémunération à présenter les produits de ses fournisseurs dans ses catalogues;
Qu'un tel contrat avait nécessairement pour objet de faire vendre les produits livrés par le fournisseur et non ceux d'une autre provenance;
Qu'en pratiquant de la sorte, la SAS Métro Cash & Carry France a vidé de sa substance le contrat de promotion et entraîné un préjudice justifiant l'allocation de dommages-intérêts;
Qu'en tenant compte de la rémunération perçue par la SAS Métro Cash & Carry France au titre des contrats de promotion publicitaires et du prix des articles livrés sur une année, courant 2001 et 2002, la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer les dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues à 15 000 euro;
Attendu que la disproportion des montants réclamés par rapport au préjudice finalement retenu justifie d'écarter toute application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, et adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS Métro Cash & Carry France à payer à Mme Françoise Walser quinze mille euro (15 000 euro) de dommages-intérêts, Dit pour droit que cette condamnation sanctionne le manquement de la SAS Métro Cash & Carry France à l'exécution de bonne foi des conventions conclues par les parties, Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SAS Métro Cash & Carry France aux entiers dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP d'avoués Chardon & Navrez à recouvrer directement les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.