CA Aix-en-Provence, 17e ch., 5 février 2007, n° 06-02836
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dantzer
Défendeur :
Merck Medication Familiale (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cuttat
Conseillers :
M. Grand, Mme Poirine
Avocats :
Mes Dubois, Valla
Faits et procédure
La société de production des Laboratoires Monot a engagé le 22 juin 1992 Madame Sylvie Dantzer en qualité de VRP dont le contrat a été transféré en 1996 à la SA Lipha Santé, filiale du Groupe Merck Médication Familiale ;
Pour avoir refusé le 9 août 2003 une proposition de modification de son contrat de travail présentée le 3 juillet 2003 dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, Madame Sylvie Dantzer a fait l'objet le 10 octobre 2003 d'un licenciement économique.
Elle a saisi de diverses réclamations le Conseil de prud'hommes de Cannes qui, par jugement du 27 janvier 2006, a considéré justifié le licenciement de la salariée mais a dit que l'ordre des licenciements n'avait pas été respecté et a condamné la SAS Merck Médication Familiale à lui payer les sommes suivantes:
- 37 500 euro à titre de dommages et intérêts,
- 6 557 euro brut à titre de régularisation des salaires sur préavis,
- 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes.
Madame Sylvie Dantzer a relevé appel limité de ce jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'un motif économique.
Elle fait plaider que la SAS Merck Médication Familiale n'a pas de bonne foi effectué une recherche réelle de reclassement au sein du Groupe.
Elle conclut à la réformation parte in qua du jugement entrepris, à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et à la condamnation de l'employeur à lui payer supplétivement les sommes de 130 000 euro à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, 122 800 euro à titre d'indemnité de clientèle en application de l'article L. 751-9 du Code du travail, 656 euro bruts à titre de congés payés sur complément de préavis et 1 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.
La SAS Merck Médication Familiale a également relevé appel du jugement du 27 janvier 2006.
Elle s'attache à démontrer que le motif économique du licenciement est avéré et qu'elle a satisfait à son obligation de reclassement.
Elle ajoute que les calculs du conseil de prud'hommes sont erronés en ce qui concerne le montant du préavis.
Dans des conclusions additionnelles, elle conclut au rejet de l'indemnité de clientèle demandée par Madame Sylvie Dantzer, motif pris qu'elle continue, pour une société concurrente de visiter la même clientèle qu'avant son licenciement.
Elle conclut à la réformation parte in qua du jugement entrepris, au débouté de toutes les demandes de Madame Sylvie Dantzer et à sa condamnation reconventionnelle à lui rembourser la somme de 6 557 euro brut versée au titre de l'exécution provisoire et à lui payer une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
Motifs
Attendu que la lettre de rupture du 10 octobre 2003 énonce le motif économique suivant :
"Les raisons, comme nous l'avons évoqué ensemble, sont les suivantes : dans le cadre de la mise en œuvre du projet client 2005, nous avons procédé à la mise en place d'un nouveau contrat de travail basé notamment sur le passage au statut de délégué pharmaceutique, cadre de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique et d'un changement de rémunération. Cette réorganisation de notre force de vente a été rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise sur le marché actuel, qui doit faire face à des contraintes économiques dues à l'évolution de nos clients et de la concurrence qui a déjà anticipé ces changements.
Le contexte comme nous vous le rappelons, consiste en une centralisation des pharmaciens dans l'industrie pharmaceutique. Jusqu'à aujourd'hui nos clients, soit s'associaient au sein de groupements, soit restaient indépendants. Mais demain de plus en plus d'entre eux vont s'associer au sein d'enseignes et leurs achats s'effectueront par le biais de plates-formes.
Cela aura deux conséquences majeures : les commandes seront traitées en centrales, et seuls les articles référencés au sein de ces centrales pourront être vendus. Cela sera d'autant plus vrai que les adhérents auront une attitude d'appartenance forte aux enseignes.
Ce phénomène va avoir un impact important pour l'ensemble de l'entreprise, mais plus particulièrement pour nos populations commerciales. En effet, ces dernières qui, aujourd'hui, prennent les commandes chez chacun de nos clients, ne pourront, à terme, plus le faire puisque les commandes des enseignes seront traitées depuis des centrales d'achat.
Par conséquent, ces populations principalement payées à la commission verront leur rémunération progressivement baisser.
D'où notre volonté d'anticiper ce changement de métier et de rémunération pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et préserver l'emploi de nos collaborateurs.
Cette démarche est d'autant plus essentielle que la majorité des autres laboratoires ont déjà anticipé ce changement et ont donc modifié leur organisation interne.
La deuxième modification majeure vient de la part du LEEM, le syndicat professionnel des entreprises du médicament auquel nous adhérons.
Dans le cadre de certains contrôles effectués par l'agence sur les populations intervenant dans le processus de vente de produits OTC, une tendance a vu le jour : avoir des populations plus armées sur le plan réglementaire et scientifique. C'est la raison pour laquelle le LEEM travaille depuis plusieurs années sur la mise en place d'un diplôme de "délégué pharmaceutique" au travers d'un CQP.
Ce diplôme tient d'ailleurs compte des évolutions de métier que nous avons abordées précédemment : "Dans un contexte de regroupement et de concentration des pharmacies d'officine, le délégué pharmaceutique aura un rôle renforcé, à la fois de promotion et de vente des produits, mais également de vente des services, afin de favoriser le référencement des produits en officine.
Etant concernés par cette évolution et ne souhaitant pas nous mettre en charge de ce mécanisme, nous désirons souscrire à ce programme.
Or, nos forces commerciales possèdent le statut de VRP et ce CQP concerne les salariés de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.
D'où notre volonté de changer le statut de nos forces commerciales.
De plus, il faudra avoir des équipes commerciales non seulement formées à la négociation commerciale en centrale d'achat pour pouvoir assurer le référencement de nos articles, mais qui continuerons également à aller visiter les pharmaciens avec, principalement, un rôle de conseil auprès de l'équipe officinale, conseil en marchandising, formation de l'équipe officinale. A l'avenir, leur rôle sera plutôt celui de faire sortir les produits afin que les centrales d'achat fassent du réassort plus rapidement que le calendrier prévu.
D'où, au final, notre réflexion complète et profonde sur nos populations commerciales et la transformation substantielle de votre contrat de travail en qualité de délégué pharmaceutique que vous avez refusé en date du 9 août 2003".
Attendu que cette lettre satisfait aux exigences légales de motivation puisqu'elle met en évidence la nécessité de la réorganisation de l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité, ainsi que sa répercussion sur les contrats de VRP en cas de refus de proposition de modification substantielle ;
Attendu que la restructuration s'imposait :
1) d'une part par la mise en place par le CEEM d'un diplôme de délégué pharmaceutique au travers d'un certificat de qualification professionnelle (CQP) prévu par un accord de branche du 13 décembre 1999 étendu par arrêté du 21 juin 2000, car le personnel commercial, tout en continuant de négocier, devait désormais informer et vendre en fonction des lignes édictées dans le cadre de la réglementation pharmaceutique;
2) d'autre part du fait de la conclusion, par les autres laboratoires pharmaceutiques d'accords autour de plates-formes de référencement avec des groupements d'achats et grossistes regroupés en enseigne ;
Attendu que, sauf à courir le risque d'être marginalisée, il incombait à la SAS Merck, pour sauvegarder sa compétitivité, d'anticiper le changement de métier des VRP, désormais dotés de savoirs scientifiques, et d'unifier leur rémunération, leur statut n'étant plus adapté au marché actuel de l'industrie pharmaceutique à destination des officines de pharmacie ;
Attendu que le motif économique du licenciement est donc avéré ;
Attendu qu'il est par ailleurs intéressant d'observer que, lors de la consultation des représentants du personnel sur le projet " client 2005 ", le résultat du vote a été de 5 " oui " et 2 abstentions, étant souligné que, sur les 7 votants, les VRP étaient au nombre de 4 ;
Que le plan de sauvegarde pour l'emploi a été transmis à la direction départementale du travail qui n'a relevé aucune irrégularité de procédure ;
Attendu, s'agissant de l'obligation de reclassement, qu'en sus des postes proposés dans le cadre du plan de sauvegarde pour l'emploi, il a été proposé à Madame Sylvie Dantzer, qui l'a refusé le 9 août 2003, un poste de déléguée pharmaceutique ;
Que l'employeur lui a ultérieurement proposé le 22 août 2003 trois postes de reclassement :
- assistant marketing
- logisticien
- délégué à l'information dermo-cosmétique ;
Que Madame Sylvie Dantzer les a tous refusés ;
Qu'elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait pu prétendre au poste de directeur régional du Grand-Ouest, proposé à Monsieur Beauperin, également VRP qui l'a accepté ;
Que les premiers juges ont considéré à tort que Madame Sylvie Dantzer était prioritaire par rapport à Monsieur Beauperin, car il s'est exact qu'ils étaient à égalité en nombre de points (17) Monsieur Beauperin était domicilié dans le Morbihan, en conséquence de quoi, la SAS Merck Médication Familiale était fondée à lui proposer en premier lieu le poste de directeur du Grand-Ouest ;
Attendu en conséquence, que Madame Sylvie Dantzer doit être déboutée de toutes ses demandes de dommages et intérêts ;
Attendu, pour ce qui concerne la régularisation des salaires, que Madame Sylvie Dantzer a droit à une indemnité de préavis de trois mois ;
Que le montant de l'indemnité compensatrice de préavis perçue du 16 octobre 2003 au 15 janvier 2004 est de 17 280,41 euro brut ;
Que l'indemnité compensatrice de préavis à verser à Madame Sylvie Dantzer lors du solde de tout compte est égale à la différence entre le préavis de base (18 161,16 euro) et le préavis perçu (17 280,41 euro), soit un solde de 880,75 euro ;
Qu'il résulte de l'examen du bulletin de salaire de janvier 2004 que la somme de 915,08 euro lui a été effectivement versée sous la rubrique erronée "compensation perte de commissions" ;
Que la différence (34,33 euro) entre les deux sommes de 915,08 euro et de 880,75 euro s'explique en effet par l'écart existant entre le forfait jour de RTT (68,60 euro) et le paiement au taux horaire dans le solde de tout compte (45,71 euro), soit 22,89 euro multiplié par 1,5 jours, soit 34,33 euro ;
Que Madame Sylvie Dantzer doit donc être déboutée de sa demande de rappel de ce chef ;
Attendu, concernant la demande d'indemnité de clientèle présentée en cause d'appel, que Madame Sylvie Dantzer ne rapporte pas la preuve de la perte effective de sa clientèle d'officine de pharmacie dans la mesure où il est établi que celle-ci poursuit son activité de prospection auprès desdites officines pour le compte d'une société concurrente ;
Que cette demande sera donc rejetée ;
Attendu que Madame Sylvie Dantzer qui succombe doit être condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité de 800 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale, En la forme : Ordonne la jonction des procédures n° 06-2836 et n° 06-3593, Au fond : Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Dit que le motif économique du licenciement est établi, Déboute Madame Sylvie Dantzer de toutes ses demandes, La condamne à rembourser la somme de 6 557 euro brut versée au titre de l'exécution provisoire, Condamne Madame Sylvie Dantzer aux dépens et au paiement d'une indemnité de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.