CA Lyon, ch. soc., 15 décembre 2006, n° 05-08296
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fossard (Epoux)
Défendeur :
Distribution Casino (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panthou-Renard
Conseillers :
Mmes Durand, Homs
Avocats :
Mes Ravassard, Bistagne
Exposé du litige
Le 1er octobre 1984, un contrat de gérance a été signé entre Monsieur Pascal Fossard et Madame Maryse Fossard d'une part, la société Distribution Casino d'autre part, aux termes duquel l'exploitation de la succursale de Voiron (Isère) leur était confiée. Ultérieurement, ils ont assuré la gérance du magasin d'Echirolles puis celle de la supérette de Berre l'Etang.
A la suite d'un inventaire réalisé le 17 janvier 2003 faisant apparaître un solde débiteur de 14 985,88 euro, Monsieur et Madame Fossard ont été convoqués à un entretien qui a eu lieu le 5 avril 2003 et se sont vu notifier la rupture de leur contrat de cogérance le 8 avril 2003.
Le 17 février 2004, Monsieur et Madame Fossard ont saisi le Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne pour demander la requalification de leur relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et en conséquence le paiement de rappels de salaires et de diverses indemnités consécutives à leur licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 13 décembre 2005, le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur et Madame Fossard de leurs demandes.
Ce jugement a été notifié à Monsieur et Madame Fossard le 22 décembre 2005.
Monsieur et Madame Fossard ont interjeté appel le 26 décembre 2005 par lettre recommandée adressée au secrétariat-greffe.
Ils demandent la condamnation de la société Distribution Casino à leur payer les sommes suivantes:
Monsieur Pascal Fossard
- à titre de rappel de salaire : 80 743,58 euro
- au titre des congés payés afférents : 8 074,35 euro
- à titre d'heures supplémentaires : 71 525,58 euro
- au titre des congés payés afférents : 7 152,55 euro
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 3 118,42 euro
- à titre de congés payés afférents : 311,84 euro
- à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement : 3 755,09 euro
- à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 592,10 euro
- sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : 2 500 euro
Madame Maryse Fossard
- à titre de rappel de salaire : 80 743,58 euro
- au titre des congés payés afférents : 8 074,35 euro
- à titre d'heures supplémentaires : 71 525,58 euro
- au titre des congés payés afférents : 7152,55 euro
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 3118,42 euro
- à titre de congés payés afférents : 311,84 euro
- à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement : 3 755,09 euro
- à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 592,10 euro
- sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : 2 500 euro
Ils soutiennent qu'en l'absence d'autonomie et d'indépendance dans l'exploitation du magasin dont la gestion leur était confiée, les contrats les liant à la société Distribution Casino doivent recevoir la qualification de contrat de travail,
A l'appui de cette affirmation, ils invoquent:
- le défaut d'autonomie dans l'animation commerciale du magasin
- le lieu de travail, propriété de la société Casino
- le contrôle exorbitant effectué par les inspecteurs locaux et les directeurs commerciaux régionaux
- les termes impératifs des messages minitel
- le défaut de latitude concernant les jours et heures d'ouverture
- l'interdiction de vendre d'autres produits que ceux proposés par la société Casino
- l'absence de liberté dans la fixation des prix
- l'obligation de se soumettre à des procédures uniformisées de gestion comptable
- le fait que la société Casino s'octroyait le droit de modifier le montant des commissions à tout moment.
Ils font valoir que l'interdiction d'établissement dans un rayon géographique prescrite par l'article 18 du contrat est constitutive d'une clause de non-concurrence.
Ils affirment qu'ils étaient soumis à la subordination de la société Distribution Casino, qui leur imposait des méthodes de travail, des formations, des consignes de nettoyage et de tenue du magasin, qui leur donnait des instructions sur l'enregistrement des paiements et sur les jours et heures d'ouverture.
Ils indiquent qu'ils étaient régulièrement soumis à des enquêtes et inventaires.
Ils font encore état du pouvoir de la société Distribution Casino de sanctionner d'éventuels manquements.
A titre subsidiaire, Monsieur et Madame Fossard demandent à la cour de requalifier leur contrat de gérance mandat en contrats de gérance salariée.
Tirant les conséquences de la qualification qu'ils revendiquent, ils prétendent à la qualification de chef de magasin, agent de maîtrise niveau 4 de la convention collective du commerce à prédominance alimentaire et au paiement de la rémunération minimum correspondant.
Par ailleurs, ils sollicitent le paiement des heures supplémentaires qui leur ont été imposées au-delà des heures d'ouverture du magasin pour réceptionner les marchandises, préparer les mises en rayon, transmettre le chiffre d'affaires, nettoyer le magasin.
Ils entendent voir requalifier la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir paiement des indemnités correspondantes.
La société Distribution Casino conclut au rejet de l'intégralité des demandes et sollicite la condamnation de Monsieur et Madame Fossard au paiement de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle rappelle les stipulations du contrat les liant, qui précise dès son article 1er qu'il s'agit d'un mandat régi par les dispositions des articles L. 782-1 et suivants du Code du travail et l'accord national du 18 juillet 1963, statut appliqué sans contestation à leurs relations pendant 20 ans et à la gestion de trois supérettes différentes.
Elle indique que les trois conditions exigées par l'article L. 782-1 du Code du travail pour la reconnaissance du statut de gérant mandataire étaient réunies en l'espèce puisque:
- Monsieur et Madame Fossard étaient rémunérés par commissions,
- disposaient d'une indépendance dans la gestion et notamment de la possibilité d'embaucher du personnel pour leur propre compte et sous leur responsabilité
- fixaient librement leurs conditions de travail, heures d'ouverture et jours de congés
Elle justifie le suivi de la gestion comptable pour les besoins de la fixation des commissions et expose que les co-gérants de supérette ne sont que dépositaires de la marchandise confiée ce qui rend indispensable un contrôle de l'évolution quantitative du stock,
Elle conteste l'existence d'un lien de subordination, qui doit être distingué des recommandations dispensées aux gérants mandataires par une équipe commerciale et non par des inspecteurs.
Elle soutient que les messages relatifs par exemple aux ouvertures des jours fériés ou des fêtes de fin d'année ou aux réglementations en vigueur ont pour but d'informer l'ensemble des gérants mandataires afin de les aider dans leurs fonctions et les préserver d'une perte de clientèle, spécifiant que ces communications n'ont pas un caractère individuel.
Elle fait valoir que l'efficacité de la gestion des supérettes implique l'application de normes, lesquelles ne sont pas imposées mais proposées.
S'agissant de la rupture du contrat, la société Distribution Casino explique qu'elle est le résultat du non-respect par les gérants des obligations qui leur incombent et notamment de l'obligation essentielle qui consiste à pouvoir représenter la marchandise, qui reste sa propriété.
A titre infiniment subsidiaire, elle invoque la compensation entre les sommes perçues à titre de commissions et les sommes réclamées à titre de salaire.
Motifs de la décision
Sur la qualification des relations contractuelles entre les parties
Aux termes de l'article L. 782-1 du Code du travail sont des gérants non salariés les personnes qui exploitent notamment des succursales de magasins d'alimentation moyennant le paiement de commissions proportionnelles au montant des ventes, lorsque le contrat ne fixe pas les conditions de leur travail et leur laisse toute liberté d'embaucher du personnel ou de se substituer des remplaçants à leurs frais et sous leur entière responsabilité.
En revanche, la relation de travail salariée se caractérise par l'état de subordination, l'existence d'une rémunération, et d'une prestation de travail.
Le lien de subordination est défini par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
La qualification d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
En l'espèce, en la forme le contrat liant les parties a été qualifié de " cogérance ", se réfère expressément dans son article 1er à l'article L. 782-1 du Code du travail et à l'accord collectif national des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés du 18 juillet 1963 modifié.
Pour pouvoir prétendre à la requalification de ce contrat en contrat de travail, il incombe à Monsieur et Madame Fossard de démontrer que les conditions dans lesquelles était exécuté le contrat étaient exorbitantes de celles prévues par ces textes et les plaçaient dans un lien de subordination juridique vis-à-vis de la société Distribution Casino.
L'exploitation dans des locaux, dont le mandant est propriétaire, est prévue par l'article 26 de l'accord national,
La clause de fourniture exclusive avec vente à prix imposé prévu par l'article 3 du contrat n'est qu'une modalité commerciale prévue par l'article L. 782-1 du Code du travail et l'article 34 de l'accord collectif national, sans incidence sur la nature du contrat.
En application des dispositions de ce texte, les gérants doivent suivre la politique commerciale de l'entreprise et notamment:
- participer obligatoirement aux actions promotionnelles et publicitaires proposées
- apposer le matériel publicitaire fourni par la société
- se conformer à l'utilisation des documents fournis par la société.
Sont conformes au même texte, les notes de service diffusées notamment au moyen de messages envoyés par minitel, qui révèlent le souci de la société Distribution Casino de parvenir à une harmonisation des pratiques sur l'ensemble des points de vente et d'apporter aux gérants des informations utiles sur la réglementation applicable.
Monsieur et Madame Fossard ne démontrent pas que les recommandations ainsi diffusées ont revêtu un caractère contraignant, en faisant l'objet de contrôles et de sanctions. Ainsi ils n'établissent pas que le refus d'assister à la formation relative au passage à l'euro, fortement encouragée par la société, a pu être sanctionné.
Le contrôle portant sur les marchandises mises à la disposition de Monsieur et Madame Fossard pour les vendre et sur le respect des prix imposés est justifié par le fait que le mandant reste propriétaire des marchandises mises à la disposition des gérants pour être vendues.
Monsieur et Madame Fossard ne disconviennent pas que le contrôle effectué le 4 décembre 2001 tendait au remboursement des marchandises périmées sur leur présentation.
Ils ne peuvent prétendre qu'ils ne disposaient pas de la liberté de fixer les jours et heures d'ouverture, alors qu'est produit leur courrier du 4 mai 1993 aux termes duquel ils informaient la société Distribution Casino de leur décision de fermer le samedi après-midi en précisant qu'ils rouvriront si leur chiffre d'affaires devait baisser.
L'insertion d'une clause de non-concurrence dans le contrat est conforme à l'article 20 de l'accord collectif.
En revanche, les éléments constitutifs du contrat de gérant non salarié spécifiés par l'article L. 782-1 du Code du travail sont réunis en l'espèce:
- Monsieur et Madame Fossard exploitaient une succursale de magasin de détail d'alimentation,
- ils étaient, selon l'article 9 du contrat, rémunérés par un commissionnement proportionnel aux ventes fixé dans l'avenant au contrat à 6 % du chiffre d'affaires réparti entre eux selon le pourcentage, dont ils étaient convenus,
- l'article 2 du contrat laissait les époux Fossard libres d'organiser leur gestion sous réserve de se conformer à la réglementation et aux usages locaux; ils ne recevaient aucune directive de la société Distribution Casino quant à l'organisation de leur travail et pouvaient procéder comme ils l'entendaient pour parvenir à un chiffre d'affaires optimal sur lequel leur rémunération était calculée.
- Monsieur et Madame Fossard disposaient, selon le même article, de la possibilité de se substituer des remplaçants et d'embaucher du personnel.
En conséquence, en l'absence de démonstration d'un lien de subordination, les premiers juges ont exactement analysé la nature des relations contractuelles entre les parties et ont à juste titre rejeté la demande de requalification du contrat de cogérance en contrat de travail.
Sur la rupture des relations contractuelles
En cas de rupture à l'initiative du mandant, les gérants non salariés relevant des articles L. 782-1 du Code du travail bénéficient d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts à la condition de n'avoir pas commis de faute grave ou lourde.
Selon l'article 16 du contrat de cogérance signé par Monsieur et Madame Fossard, constitue une faute lourde le cas de manquant de marchandises ou d'espèces provenant des ventes.
Un inventaire réalisé contradictoirement le 8 février 2002 a fait apparaître un manquant de marchandises de 8 339 euro et un excédent d'emballages de 218,91 euro ; l'arrêté de compte, signé le 9 avril 2002, a fait ressortir un solde débiteur de 8 577,23 euro.
Ultérieurement, un inventaire du 17 janvier 2003 a révélé un manquant de marchandises de 16 324,15 euro et un excédent d'emballages de 362,44 euro.
Monsieur et Madame Fossard ont attesté que les opérations d'inventaire ont été pratiquées contradictoirement; ils n'en critiquent d'ailleurs pas la régularité.
Ils ne contestent pas l'arrêté de compte faisant ressortir un solde débiteur de 14 985,88 euro, qu'ils ont d'ailleurs approuvé le 21 mars 2003.
L'inventaire de cession réalisé le 17 avril 2003 en application des dispositions de l'article 17 du contrat a mis en évidence un solde débiteur de 8 577,23 euro.
Le fait de ne pas être en mesure de présenter les marchandises dont ils étaient dépositaires ou d'en restituer le prix, constitue un manquement grave aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat de cogérance.
En conséquence, les premiers juges ont fait une exacte application des dispositions contractuelles relatives à la révocation du mandat en rejetant les demandes en paiement d'indemnité de rupture et dommages et intérêts.
Le jugement mérite donc d'être intégralement confirmé.
La cour estime devoir faire application des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu par le Conseil des prud'hommes de Saint-Etienne le 13 décembre 2005, Condamne solidairement Monsieur et Madame Fossard à payer la somme globale de 1 000 euro à la société Distribution Casino par application des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur et Madame Fossard aux dépens de première instance et d'appel.