CA Agen, ch. com., 15 septembre 2008, n° 08-00539
AGEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Valette Foie Gras (SAS)
Défendeur :
Arnaud Bizac (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Muller
Conseillers :
M. Certner, Mme Auber
Avocats :
SCP Lagarde Alary Gayottabart, Me Choblet-Le-Goff
Faits et procédure
M. François Jaubert a été employé par la société Valette Foie Gras à compter du 1er septembre 1987 en qualité de directeur commercial.
A partir du 3 mai 2004, il a été en arrêt de travail puis, le 28 octobre 2004, il a été licencié pour inaptitude médicalement constatée à tous les postes de l'entreprise sans possibilité de reclassement.
Au mois de novembre 2004, il a été embauché par la société Arnaud Bizac, concurrent de la société Valette Foie Gras.
La société Valette Foie Gras, invoquant un démantèlement de l'équipe qui était dirigée par M. François Jaubert, une désorganisation des ressources humaines, un démarchage massif pour la désorganiser et un détournement de clientèle, a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Cahors la société Arnaud Bizac et François Jaubert, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 253 953 euro à titre de dommages et intérêts et pour que la cessation de tout acte déloyal leur soit ordonnée sous peine d'astreinte.
Par jugement du 13 mars 2008, le Tribunal de commerce de Cahors:
- a ordonné la disjonction de l'instance,
- s'est déclaré incompétent pour juger du conflit entre la société Valette Foie Gras et M. Jaubert au profit du Conseil de prud'hommes de Cahors,
- s'est déclaré compétent pour juger du conflit entre les sociétés Valette Foie Gras et Arnaud Bizac,
- renvoyé les parties à l'audience du 14 avril 2008 pour plaidoiries au fond,
- condamné la société Valette Foie Gras à payer à M. Jaubert la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 27 mars 2008, la SAS Valette Foie Gras a formé un contredit à l'encontre de ce jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour juger du conflit entre la société Valette Foie Gras et M. Jaubert au profit du Conseil de prud'hommes de Cahors.
Par ordonnance du 1er avril 2008, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 juin 2008. Les parties ont été convoquées par lettre recommandée avec avis de réception conformément aux dispositions de l'article 84 du Code de procédure civile et leurs conseils avisés.
Moyens et prétentions des parties
A l'appui de son contredit, la société Valette Foie Gras fait valoir que les faits reprochés à M. Jaubert sont postérieurs à la rupture de son contrat de travail avec elle et se rattachent à son embauche par la société Arnaud Bizac.
Elle rappelle les termes de l'assignation qui précisait les procédés déloyaux invoqués, résultant, selon elle, d'une volonté globale de déstabiliser un concurrent et elle souligne que les faits concurrentiels concernent la fin de l'année 2004 et les années 2005 et 2006.
Elle soutient ainsi que le conseil de prud'hommes ne peut pas être compétent puisqu'elle n'a pas invoqué une clause de non-concurrence et que cette juridiction ne peut connaître des faits postérieurs à la rupture du contrat de travail.
Elle ajoute que le tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour connaître du conflit existant entre elle et la société Arnaud Bizac et qu'il y a bien connexité avec les demandes formées contre M. Jaubert, s'agissant d'une seule et même affaire.
Elle précise aussi que des faits de concurrence déloyale peuvent être reprochés à des personnes physiques exerçant une activité professionnelle au sein de sociétés commerciales notamment sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et elle indique que la Cour de cassation a retenu dans un arrêt du 3 janvier 1972 la compétence du tribunal de commerce à propos d'actes de concurrence déloyale reprochés à des employés supérieurs d'une société commerciale en leur qualité de "facteurs". Or, elle fait observer que M. Jaubert est bien plus qu'un employé supérieur, qu'il était directeur commercial et même administrateur au sein de sa société et qu'il est devenu directeur commercial France/export, directeur de marketing de la société Arnaud Bizac.
Elle estime en conséquence que le tribunal de commerce aurait dû se déclarer compétent pour juger de l'entier litige.
M. François Jaubert fait valoir qu'il résulte des indications données par la société Valette Foie Gras dans son assignation, bien qu'elle se soit ensuite contredite, que les actes qui lui sont reprochés auraient été commis pendant la durée de son contrat de travail et qu'en application de l'article L. 511-1 du Code du travail, le conseil de prud'hommes est seul compétent pour connaître de tout litige entre un salarié et son employeur relatif à des actes accomplis au cours des relations salariales.
Il soutient subsidiairement que si le conseil de prud'hommes n'est pas compétent, il ne peut relever de la compétence de la juridiction consulaire car il n'a jamais eu la qualité de commerçant.
Il conteste l'argumentation de la société Valette Foie Gras tirée de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 1972 en relevant que cette décision a été rendue sur la base des dispositions de l'article 634 de l'ancien Code de commerce qui ont été abrogées et remplacées par celles de l'article L. 721-3 du Code de commerce.
Il demande donc à la cour, au visa des articles L. 511-1 du Code du travail et des articles L. 110-1, L. 110-2, L. 121-1 et L. 123-3 du Code de commerce:
- à titre principal : de confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour juger du conflit existant entre la société Valette Foie Gras et lui-même au profit du conseil de prud'hommes et de rejeter en conséquence le contredit formé par la société Valette Foie Gras;
- à titre subsidiaire: de juger que le tribunal de commerce est incompétent pour connaître du litige l'opposant à la société Valette Foie Gras, seul le Tribunal de grande instance de Cahors étant compétent pour en connaître de ce litige.
Il demande en toute hypothèse la condamnation de la société Valette Foie Gras à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA Arnaud Bizac - "La truffe Cendrée" relève que la société Valette Foie Gras a tergiversé dans son argumentation en soutenant au stade de l'assignation, la thèse du complot entre M. Jaubert et elle pour organiser la rupture du contrat de travail existant entre M. Jaubert et la société Valette et désorganiser cette dernière, puis en invoquant dans ses conclusions du 12 novembre 2007 des faits postérieurs à la rupture du contrat de travail en l'absence de clause de non-concurrence.
Elle fait valoir qu'en droit, l'alternative se présente comme suit:
- Si les conditions de la rupture du contrat chez le premier employeur sont en cause et s'il faut rechercher la responsabilité solidaire du salarié et de son nouvel employeur, la juridiction prud'homale est exclusivement compétente, y compris à l'égard du nouvel employeur en application de l'article L. 122-15 du Code du travail actuellement codifié sous l'article L. 1237-3
- en revanche, s'il s'agit exclusivement d'incriminer des faits postérieurs à la rupture du contrat chez le premier employeur et en l'absence de clause de non-concurrence, la juridiction prud'homale n'est pas compétente.
Observant que la disjonction des affaires risque de compliquer davantage la bonne appréhension du dossier, elle se réserve la faculté de recourir, au besoin, aux dispositions de l'article 331 alinéas 2 et 3 du Code de procédure civile.
Elle demande ainsi à la cour, après analyse des éléments de fait invoqués par la SAS Valette Foie Gras au Soutien de son action, de statuer ce que de droit sur la compétence matérielle et de condamner la société Valette Foie Gras aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Attendu qu'assignés par la société Valette Foie Gras devant le Tribunal de commerce de Cahors, M. Jaubert et la SA Arnaud Bizac ont soulevé l'incompétence de cette juridiction, le premier, au profit du conseil de prud'hommes ou du Tribunal de grande instance de Cahors et la seconde, au profit du Conseil de prud'hommes;
Que statuant sur ces exceptions, le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent pour juger du conflit entre la société Valette Foie Gras et M. Jaubert au profit du conseil de prud'hommes en retenant notamment que la société Valette Foie Gras reproche à M. Jaubert des agissements commis alors qu'il était son salarié, que la nature des faits reprochés relève d'un manquement de loyauté envers son employeur, qu'ils ne sont pas des actes de commerce et que M. Jaubert n'était pas commerçant;
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1411-1 du Code du travail, anciennement codifiées sous l'article L. 511-1, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différents qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient;
Qu'en application de ce texte, la compétence prud'homale ne peut s'étendre aux litiges concernant des faits postérieurs à la rupture du contrat de travail que s'ils trouvent leur source dans le contrat de travail et sont en relation directe avec lui;
Attendu en l'espèce que la société Valette Foie Gras invoque à l'encontre de François Jaubert des agissement déloyaux commis avec la volonté de la déstabiliser par la désorganisation de son équipe en débauchant ses salariés et par des faits de concurrence déloyale et de parasitisme;
Attendu que dans son assignation introductive d'instance devant le tribunal de commerce, la société Valette Foie Gras a soutenu que M. Jaubert avait débuté ses agissements alors qu'il était encore son salarié ; qu'elle a cité, à cet égard, une tentative de débauchage, au début de l'année 2004, de Mme Pradelle Joly, commerciale et deux courriels adressés les 21 et 29 juin 2004 à des commerciaux contenant des offres d'emploi au cas où ils souhaiteraient éventuellement la quitter;
Que cependant ces tentatives de débauchage évoquées ne sont pas explicitées et qu'il résulte de la suite de l'assignation que le départ des salariés concernés n'est intervenu que postérieurement à la rupture du contrat de travail qui liait François Jaubert à la société Valette Foie Gras, le salarié Ghislain Gilbert, destinataire des courriels, ayant quitté la société Valette Foie Gras en 2005 et Mme Pradelle Joly ayant été licenciée en février 2006;
Attendu que l'ensemble des autres faits incriminés par la société Valette Foie Gras dans son assignation se situent après le licenciement de François Jaubert intervenu le 28 octobre 2004;
Qu'elle lui reproche en effet le départ de certains de ses salariés au cours des années 2005 et 2006, à savoir: en mars 2005, le départ de M. Genève accompagné de la cessation des commandes de Genève Distribution et la démission de Joëlle Sors, en 2005, le départ d'Eric Sexe (en même temps que celui de Ghislain Gilbert), en février 2006, la démission de Benoît Monbertrand et de Valérie Pergaud;
Qu'elle invoque aussi l'utilisation du fichier clients et des courriers adressés à ses clients à partir du mois de décembre 2004;
Attendu ainsi que les faits imputés à François Jaubert sont postérieurs à la rupture de son contrat de travail, qu'ils ne s'y rattachent pas directement et ne consistent pas nécessairement en la violation d'obligations nées de ce contrat dès lors que l'ancien salarié n'était pas lié à la société Valette Foie Gras par une clause de non-concurrence;
Attendu en conséquence que le Conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître du litige opposant la société Valette Foie Gras à M. Jaubert;
Attendu, par ailleurs, que François Jaubert n'a pas la qualité de commerçant et que les actes qui lui sont reprochés ne constituent pas des actes de commerce par nature;
Que la jurisprudence invoquée par la société Valette Foie Gras sur la compétence du tribunal de commerce à propos d'actes de concurrence déloyale reprochés à des employés supérieurs d'une société commerciale en leur qualité de "facteurs" était fondée sur des dispositions abrogées de l'ancien article 634 du Code de commerce;
Attendu que les demandes formées contre M. Jaubert et contre la société Arnaud Bizac à l'égard de laquelle le tribunal de commerce s'est déclaré compétent présentent certes un lien de connexité; mais que le tribunal de commerce est une juridiction d'exception et que la connexité ne lui confère pas plénitude de juridiction pour connaître d'un litige mettant en cause un non commerçant et portant sur une matière ne relevant pas de sa compétence exclusive;
Attendu que le tribunal de commerce s'est ainsi déclaré à bon droit incompétent pour juger du litige existant entre la société Valette Foie Gras et M. Jaubert; mais que, contrairement à ce qu'il a ensuite décidé, ce litige relève de la compétence du tribunal de grande instance, juridiction de droit commun;
Attendu qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes et de dire que la juridiction compétente pour connaître du litige concernant M. Jaubert est le Tribunal de grande instance de Cahors;
Attendu que la société Valette Foie Gras sera condamnée aux dépens de cette instance ; qu'elle sera en outre condamnée à payer à M. Jaubert et à la société Arnaud Bizac la somme de 1 000 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 13 mars 2008 par le Tribunal de commerce de Cahors en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour juger du conflit entre la société Valette Foie Gras et M. François Jaubert au profit du conseil de prud'hommes de Cahors, Et statuant à nouveau de ce chef, Dit que le Tribunal de grande instance de Cahors est compétent pour connaître du litige opposant la société Valette Foie Gras à M. François Jaubert, Confirme le jugement déféré pour le surplus, Condamne la société Valette Foie Gras à payer à M. Jaubert et à la société Arnaud Bizac la somme de 1 000 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Valette Foie Gras aux dépens.