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Décisions

CA Pau, 1re ch., 29 septembre 2008, n° 06-04357

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Défi Mode (SAS)

Défendeur :

Les 2R (SARL), Roncari

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nègre

Conseillers :

M. Augey, Mme Carthe Mazères

Avoués :

SCP Marbot-Crépin, SCP de Ginestet-Duale-Ligney

Avocats :

Mes Malard, Aragnouet

T. com. Bagnères de Bigorre, du 6 nov. 2…

6 novembre 2006

Suivant une convention du 30 septembre 2002, la SARL Les 2R a conclu un contrat de mandat avec la société Défi Mode, en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce de distribution au détail d'articles textiles et d'accessoires.

Ce contrat a été conclu pour une durée de trois mois allant du 1er octobre au 31 décembre 2002.

Le mandant devait adresser au mandataire, un mois avant l'expiration de ce délai, une offre de renouvellement du contrat pour une durée de 12 mois.

En l'espèce cette convention n'a pas été renouvelée mais les relations contractuelles se sont néanmoins poursuivies jusqu'au 18 août 2005, date à laquelle la société Défi Mode a notifié à la SARL Les 2R son intention de résilier ce contrat à compter du 31 décembre 2005, en raison de " problèmes liés à l'environnement économique et juridique de l'activité amenant à revoir le mode de fonctionnement de la société Défi Mode ".

La SARL Les 2R a alors saisi le Tribunal de commerce de Bagnères-de-Bigorre d'une demande tendant à la requalification de cette convention en contrat de gérance-mandat et de juger que cette résiliation est abusive, et elle a sollicité la réparation de son préjudice commercial, financier et moral.

Par jugement du 6 novembre 2006, cette juridiction a jugé que la convention en cause est un mandat d'intérêt commun, et que les dispositions de la loi du 2 août 2005 relative au contrat de gérance-mandat ne peuvent lui être appliquées, au motif que les contrats en cours demeurent déterminés par la loi en vigueur au moment où ils ont été formés.

Elle a jugé d'autre part que cette convention obéit aux règles édictées par les articles 1984 et suivants du Code civil relatifs aux mandats, et que ce mandat doit bien être considéré comme étant d'intérêt commun, dans la mesure où la réalisation de son objet présente pour le mandant comme pour le mandataire, l'intérêt d'un essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle.

Le tribunal a condamné la société Défi Mode à payer à la SARL Les 2R une indemnité de rupture d'un montant de 41 660,13 euro, représentant l'équivalent de six mois de commission calculée au taux de 11 % du chiffre d'affaires, ainsi qu'une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

La SAS Défi Mode a interjeté appel de ce jugement,

Elle a conclu à sa réformation en soutenant que la convention litigieuse est régie par les articles 1984 et suivants du Code civil et qu'elle ne peut être qualifiée de mandat d'intérêt commun, en faisant notamment observer que le mandataire n'avait aucun droit sur la clientèle qui avait été créée par le seul mandant.

Elle ajoute que l'activité antérieure a été maintenue par l'intimée et que le chiffre d'affaires ne s'est donc pas développé de manière significative.

Elle a fait valoir à titre subsidiaire que la résiliation de cette convention est intervenue pour une cause légitime et non vexatoire, en s'appuyant sur les dispositions de l'article 2004 du Code civil qui dispose que le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble, et qu'en l'espèce, elle a respecté un délai de préavis de sept mois.

Elle fait observer à cet égard que cette révocation de mandat n'ouvre droit à aucune indemnité au profit du mandataire.

De son côté, la SARL Les 2R a conclu à la confirmation du jugement en portant sa demande à 30 000 euro au titre de la réparation du préjudice moral et financier.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 2008.

Motifs de l'arrêt

Il résulte des pièces versées aux débats que le 30 septembre 2002, la SARL 2R représentée par sa gérante, Madame Roncari, a conclu avec la SAS Défi Mode un contrat de mandat portant sur l'exploitation d'un fonds de commerce de distribution au détail d'articles textiles, accessoires, bazar situé à Capvern.

Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois mois, allant du 1er octobre au 31 décembre 2002.

Aux termes du contrat, le mandant devait renouveler le contrat en adressant au mandataire une offre de renouvellement pour une durée de 12 mois, un mois avant son expiration.

La SAS Défi Mode n'a pas adressé cette offre de renouvellement et la convention s'est donc poursuivie par tacite reconduction.

Le 18 août 2005, la société Défi Mode a adressé un courrier recommandé à Madame Roncari l'informant de son intention de résilier les accords contractuels au 31 décembre 2005.

Cette résiliation était motivée par "des raisons liées à l'environnement économique et juridique de l'activité amenant à revoir le mode de fonctionnement de la société Défi Mode".

En contrepartie de cette résiliation du contrat de mandat, la société Défi Mode a proposé à Madame Roncari la signature d'un contrat de travail.

Madame Roncari a refusé cette proposition, soutenant que le contrat en cause s'analyse comme un contrat de gérance-mandat d'intérêt commun, et que sa rupture manifestement abusive ouvre droit à l'octroi d'une indemnité et à des dommages-intérêts.

Suivant une jurisprudence constante issue d'un arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 1969, le mandat d'intérêt commun est un mandat donné pour la fidélisation d'une clientèle auprès de laquelle le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant, et qui est donc de ce fait la clientèle du mandant, ce qui entraîne des obligations de loyauté au cours du contrat et une indemnisation du mandataire dont le mandat prend fin sans sa faute grave.

D'ailleurs, cette définition a été reprise à l'article L. 146-1 du Code du commerce, issu de la loi du 2 août 2005 créant le statut des gérants mandataires, qui les définit comme des personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires.

Le contrat conclu avec le mandant qui reste propriétaire du fonds et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission en leur laissant toute latitude dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité.

Ces dispositions légales ne sont pas applicables au contrat en cause, puisque les contrats en cours restent soumis à la loi en vigueur au moment où ils ont été formés.

Néanmoins, il convenait de rappeler les termes de cette loi, puisqu'en réalité, la lettre de résiliation du contrat de mandat est intervenue quelques jours après la promulgation de ce texte, et qu'elle est motivée par sa prochaine entrée en vigueur.

En effet, la société Défi Mode fait expressément état de "raisons liées à l'environnement économique et juridique de l'activité l'amenant à revoir le mode de fonctionnement de la société".

La simple lecture du contrat de Madame Roncari permet de constater qu'il entre dans le champ d'application de la jurisprudence rappelée ci-dessus, ainsi que de la loi du 2 août 2005, puisque d'une part l'objet du contrat est d'accroître la clientèle du mandant en développant pour le compte de celui-ci le volume des ventes, notamment en menant des actions soutenues concernant la présentation, l'animation et l'accueil.

D'autre part, l'article deux-trois-un de cette convention stipule que Madame Roncari percevra une commission de 11 % sur le chiffre d'affaires réalisé annuellement.

Par ailleurs, la gestion effectuée par Madame Roncari démontre de manière suffisamment claire qu'elle a contribué au développement de la clientèle et du chiffre d'affaires, puisque les chiffres d'affaires de ventes hors taxes ont évolué de la manière suivante, ainsi qu'il résulte de l'attestation de l'expert-comptable de la société :

- 2003 : 644 940 euro hors taxes ;

- 2004 : 588 473 euro hors taxes ;

- 2005 : 641 689 euro hors taxes.

D'autre part, Madame Roncari n'a reçu que des félicitations pour sa gestion, qui a enregistré au premier trimestre 2003 une progression de 36,3 %, au deuxième trimestre 2003 un dépassement d'objectif de 127 %, et de 110 % pour le troisième trimestre de 2003.

Il en est de même pour l'année 2004 ainsi qu'il ressort du récapitulatif dressé par Monsieur Vergeade, le magasin de Capvern ayant réalisé le meilleur score de l'ensemble des magasins d'une superficie de 350 m2.

Enfin les résultats de l'année 2005 ont également enregistré une progression régulière.

Par ailleurs, lors de la convention de 2004 de Marrakech, le magasin de Capvern a été cité en exemple en troisième position pour la meilleure progression par rapport à l'année 2002, et ce sur l'ensemble des magasins de l'enseigne.

Dès lors, la cour d'appel juge que ce contrat s'analyse comme une convention de mandat d'intérêt commun, et qu'en conséquence sa résiliation non justifiée ouvre droit au paiement d'indemnités.

Il convient de constater en effet que la société Défi Mode n'avait aucune raison valable de résilier ce contrat, et qu'il lui aurait appartenu au contraire de proposer à Madame Roncari la conclusion d'un contrat de gérant-mandataire conforme aux dispositions de la loi du 2 août 2005, ce qu'elle a d'ailleurs fait avec les responsables d'autres magasins ainsi qu'il résulte des courriers adressés le 1er février 2006 et le 2 mars 2006 à deux autres gérants d'établissement.

Dès lors, il y a lieu de fixer à la somme de 41 660,13 euro le montant de l'indemnité que la société Défi Mode sera condamnée à lui payer, représentant l'équivalent de six mois de commission calculée au taux contractuel de 11 % du chiffre d'affaires TTC de l'année 2005, conformément aux dispositions de l'article L. 146-4 du Code du commerce qui fixe à ce niveau le montant de l'indemnité de résiliation due au mandataire en cas de résiliation abusive.

Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris l'indemnité de 10 000 euro allouée en réparation du préjudice moral subi par Madame Roncari alors qu'elle était en droit compte tenu de ses excellents résultats d'envisager avec sérénité la poursuite de ses relations contractuelles avec la société Défi Mode, ainsi que les indemnités allouées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il serait d'autre part inéquitable de laisser à la charge de Madame Roncari les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel ; la société Défi Mode sera donc condamnée à lui payer une indemnité de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il s'ensuit que la société Défi Mode sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bagnères-de-Bigorre du 6 novembre 2006 ; Y ajoutant, Condamne la SAS Défi Mode à payer à Madame Roncari une indemnité de 2 000 euro (deux mille euro) au titre des frais irrépétibles. Déboute la SAS Défi Mode de ses demandes. Condamne la société Défi Mode aux dépens et autorise la SCP de Ginestet-Duale-Ligney, avoués, à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.