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Décisions

CA Riom, ch. com., 24 septembre 2008, n° 07-01503

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Prodim (Sté), CSF (Sté)

Défendeur :

Distribution Casino France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bressoulaly

Conseillers :

M. Despierres, Mme Javion

Avoués :

SCP Goutet-Arnaud, Me Gutton-Perrin

Avocats :

SCP Leblond-Constantin, Selarl Lexi

T. com. Puy-en-Velay, du 1er juin 2007

1 juin 2007

Faits, procédure et prétentions des parties :

Le 9 février 2001, la société Prodim a signé avec la SARL RSN, dont le dirigeant est M. Pobolisaj, un contrat de franchise d'une durée de 7 ans renouvelable pour exploiter une superette à Retournac sous l'enseigne "8 à huit", lequel comporte une clause de préférence au profit du franchiseur en cas de cession du fonds de commerce. Le même jour, la SARL RSN signait un contrat d'approvisionnement avec la société Logidis aux droits de laquelle se trouve à présent la société CSF pour la même durée.

Après avoir informé la société Prodim de son désir de céder son fonds de commerce par courrier du 25 février 2002 puis après lui avoir notifié par courrier du 12 février 2003 son intention de vendre à la société Distribution Casino France, et en l'absence d'exercice du droit de préférence du franchiseur, la SARL RSN a cédé son fonds à cette dernière le 21 mai 2003, à l'exclusion de l'enseigne, du nom commercial, et des marchandises, moyennant le prix principal de 256 073 euro.

Estimant que les conditions de cette cession relevaient de la concurrence déloyale et leur avaient causé des préjudices importants dont elles demandaient indemnisation, la société Prodim et la société CSF, du groupe Carrefour Promodes, ont assigné la société Distribution Casino France devant le Tribunal de commerce du Puy, lequel par jugement du 1er juin 2007, a débouté les demanderesses de l'intégralité de leurs réclamations et débouté la défenderesse de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La société Prodim et la société CSF, qui ont interjeté appel général le 13 juin 2007, demandent dans leurs dernières conclusions signifiées le 14 mars 2008 de :

- dire que la société Distribution Casino France est responsable de la rupture anticipée des contrats de franchise et d'approvisionnement conclus avec la SARL RSN, et la condamner en conséquence à payer à la société Prodim la somme de 79 262 euro au titre de la perte de cotisations de franchise, à la société CSF la somme de 812 663 euro au titre de la perte de marge sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle,

- dire que la société Distribution Casino France est responsable de la violation des clauses des contrats de franchise et d'approvisionnement et la condamner à payer la société Prodim la somme de 10 000 000 euro au titre de la violation du pacte de préférence, et celle de 152 449 euro au titre de la violation de la clause de non-réaffiliation à une enseigne concurrente,

- outre une indemnité de 15 000 euro au titre de l'article 700.

La société Prodim prétend essentiellement qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'exercer son droit de préférence en raison de la condition particulière liée à l'offre d'embauche des époux Pobolisaj dans une fonction de gérant-mandataire non salarié au sein du groupe Casino, ce qui serait selon elle constitutive d'une démarche déloyale dès lors que la société Distribution Casino France savait pertinemment qu'elle-même n'exploitait pas les magasins de son réseau par le biais de gérants mandataires non salariés, de sorte qu'elle en déduit que sa concurrente a proposé volontairement cette condition pour contourner la clause de préférence.

Elle estime que la société Distribution Casino France est ainsi le maître d'œuvre de cette opération litigieuse entraînant la violation des contrats et fonde son action sur l'application combinée des articles 1165 et 1382 du Code civil en invoquant la tierce complicité reconnue par la jurisprudence qui sanctionne toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commettant ainsi une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction.

Dans ses dernières écritures signifiées le 5 décembre 2007, la société Distribution Casino France, appelante incidente, a conclu à la confirmation du jugement et y ajoutant, à la condamnation in solidum des appelantes à lui payer la somme de 100 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 17 500 euro au titre des frais irrépétibles.

Elle observe préalablement qu'elle ne peut être sérieusement accusée de démarchage dès lors que la cession est intervenue 15 mois après le premier courrier adressé par la SARL RSN à son franchiseur, que la SARL RSN a respecté le droit de préférence de la société Prodim, laquelle ne l'a pas exercé, étant précisé qu'elle n'avait pas donné suite à l'offre antérieure qui lui avait été proposée pour un prix inférieur.

Elle rappelle que le principe fondamental de la liberté du vendeur quant au choix du prix et des conditions de la vente n'est pas remis en cause par l'existence d'un pacte de préférence et qu'il appartenait à la société Prodim, si elle était réellement intéressée de formuler elle-même, ou tout autre société du groupe Carrefour, une offre de reclassement ou à tout le moins une compensation équivalente à M. et Mme Pobolisaj.

Elle conteste par ailleurs les dommages et intérêts réclamés, tant sur le principe que sur le quantum.

Sur quoi :

Attendu qu'en vertu de la liberté de commerce, le franchisé, commerçant indépendant, est libre de céder son fonds de commerce à tout moment ;

Qu'il n'est pas contesté par les appelantes que les contrats de franchise et d'approvisionnement conclus par l'exploitant d'un fonds de commerce ne font pas partie de celui-ci et ne sont donc pas transmis au cessionnaire, raison pour laquelle le contrat de franchise prévoit en général, comme en l'espèce, un droit de préférence au profit du franchiseur ;

Qu'il s'ensuit que les contrats de franchise et d'approvisionnement peuvent être résiliés de manière anticipée en cas de cession du fonds de commerce, sous réserve du respect de la clause de préférence ;

Attendu que le présent litige, distinct des cas des diverses jurisprudences citées, porte sur le fait de savoir si la clause de préférence a été respectée, les appelantes soutenant que tel n'a pas été le cas au motif que la société Prodim s'est trouvée dans l'impossibilité manifeste d'exercer son droit de préférence du fait de la clause relative à la proposition d'embauche des époux Pobolisaj comme gérants mandataires non salariés, constitutive selon elle d'une démarche déloyale de la part de la société Distribution Casino France, via le franchiseur cédant, l'intimée soutenant quant à elle que la société Prodim a délibérément renoncé à exercer son droit de préférence ;

Attendu qu'il résulte des diverses pièces produites que par lettre du 25 février 2002, la SARL RSN a informé son franchiseur de son désir de vendre son fonds de commerce " pour un prix qui ne saurait être inférieur à 228 674 euro majoré éventuellement du budget d'ouverture si la société Prodim en exigeait le remboursement ", laquelle a répondu le 11 avril 2002 en prenant bonne note de ce souhait et en indiquant que dans l'hypothèse où des candidats franchisés seraient intéressés par cette proposition, elle les mettrait en contact ;

Qu'en l'absence de proposition d'achat de la part de la société Prodim, des pourparlers sont intervenus entre la SARL RSN et la société Distribution Casino France à partir de juillet 2002 sans qu'il ne soit établi de démarchage abusif de la part de ce distributeur concurrent, lesquels ont abouti à une proposition d'achat formulée le 13 janvier 2003 pour un prix global de 256 073 euro assorti de la possibilité pour les époux Pobolisaj, dans les deux mois de la cession, de prendre une fonction de gérant mandataire non salarié dans les départements de la Loire et Haute-Loire ;

Que le 12 février 2003, la SARL RSN a donné son accord sur cette proposition et a informé le jour même le service juridique Promodes France par lettre recommandée avec accusé de réception de ce projet de vente suivant les modalités prévues par l'article 4 du contrat de franchise relatif au pacte de préférence, en indiquant notamment les coordonnées de l'acquéreur potentiel, les conditions de la vente dont le prix et la condition particulière relative à la possibilité d'embauche des époux Pobolisaj au sein du groupe Casino, et en lui rappelant le délai de 3 mois pour faire jouer ou non le pacte de préférence ;

Que par courrier du 4 mars 2003, la société Prodim a accusé réception de cette lettre et a informé la SARL RSN du fait qu'en l'état actuel de la proposition faite par Distribution Casino France, elle était dans l'impossibilité manifeste de faire jouer son pacte de préférence au regard des conditions prévues, en particulier celle relative à l'embauche, les magasins de ses réseaux n'étant pas exploités par le biais de gérants mandataires non salariés, et qu'elle considérait que si une telle cession intervenait, elle serait constitutive à ses yeux d'une violation du pacte de préférence ; Qu'elle adressait le même jour un courrier incendiaire à la société Distribution Casino France critiquant le montage qu'elle qualifiait de frauduleux et empreint de mauvaise foi, ayant pour seul objectif de paralyser et violer son pacte de préférence et ses contrats, et la mettant en garde pour l'avenir ;

Qu'à l'expiration du délai de 3 mois, la société Prodim n'ayant pas exercé son droit de préférence, l'acte de cession projeté a été passé le 24 mai 2003 ;

Attendu que si la clause litigieuse, qui n'est pas illicite et va dans le sens des intérêts des époux Pobolisaj, pouvait poser difficultés à la société Prodim, elle ne l'empêchait pas pour autant de poursuivre des pourparlers avec la SARL RSN durant le délai de trois mois dont elle bénéficiait pour prendre position et de faire une contreproposition en des termes différents pouvant compenser l'offre d'embauche ;

Qu'il résulte par ailleurs du courrier de la SARL RSN du 12 février 2003 qu'elle avait informé auparavant son franchiseur à "plusieurs reprises" de son intention de vendre ; que l'offre initiale du 25 février 2002 pour un prix inférieur à celui finalement obtenu par le cédant, n'avait alors pas recueilli l'adhésion de la société Prodim ;

Qu'il doit être déduit de ces éléments que la société Prodim ne démontre pas qu'elle se soit trouvée dans l'impossibilité manifeste d'exercer son droit de préférence comme elle le prétend ; Qu'il apparaît en fait qu'elle n'a pas souhaité débourser des sommes plus importantes alors qu'elle ne craint pas à présent d'invoquer des préjudices pour des montants dépassant de très loin le prix de cession ;

Que la clause relative au pacte de préférence n'ayant pas été violée, il ne peut être reproché à la société Distribution Casino France une tierce complicité frauduleuse pas plus qu'un acte de concurrence déloyale ;

Attendu qu'il échet par suite de confirmer le jugement qui a rejeté les prétentions des appelantes ainsi que celles de la société Distribution Casino France, l'abus de droit d'ester en justice n'étant pas caractérisé pas plus que le préjudice allégué ;

Attendu qu'il lui sera par contre alloué une indemnité de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés lors des deux instances ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré. Condamne in solidum la société Prodim et la société CSF à payer à la société Distribution Casino France la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés fors des deux instances. Les condamne in solidum aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.