Livv
Décisions

CA Angers, ch. com., 24 juin 2008, n° 07-01125

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lyon, Vonthron

Défendeur :

Pipelier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Ferrari

Conseillers :

Mmes Lourmet, Breton

Avoués :

Me Vicart, SCP Chatteleyn, George

Avocats :

Mes l'Hélias-Supiot, Rondeau-Tremblaye

T. com. Mans, du 2 avr. 2007

2 avril 2007

Le 23 avril 1999, Willy Pipelier a acheté un fonds de commerce de café-bar à l'enseigne " le Saxo ", à Sablé-sur-Sarthe.

Il s'était auparavant, par contrat du 6 avril 1999, engagé à se fournir exclusivement en certaines boissons auprès de " Stokbox ", pendant 5 ans.

Il s'était aussi engagé, le 22 avril 1999, pour sept ans, à se fournir exclusivement en bière, pour 120 hectolitres par an, auprès de la société Les Brasseurs de Gayant ou de son " entrepositaire " à Sablé-sur-Sarthe, les établissements Pipelier.

Puis le 1er juin 1999, Willy Pipelier s'est engagé à poursuivre l'exécution du contrat de fourniture de 80 hectolitres de bière par an passé en 1995 par le cédant du fonds de commerce avec La Brasserie Fisher SA, la marchandise étant livrée par la société Stokbox à Sablé-sur-Sarthe.

Une année après, par contrat du 5 mai 2000, Willy Pipelier a cédé son fonds de commerce aux époux Thierry Lyon-Agnès Vonthron.

Les époux Lyon-Vonthron, qui avaient déclaré dans l'acte de cession reprendre les trois contrats de fourniture, ont cessé de s'approvisionner auprès des fournisseurs auprès desquels Willy Pipelier s'était engagé.

Se plaignant de cette situation, la société Etablissements Pipelier, exerçant sous l'enseigne " Stokbox " les a fait assigner en résiliation du contrat du 6 avril 1999 à compter du 15 juin 2002 et en responsabilité pour obtenir à concurrence de 90 000 euro l'indemnisation du préjudice causé par la violation de leur obligation d'exclusivité envers Stokbox, résultant de ce contrat.

Le Tribunal de commerce du Mans, par jugement du 2 avril 2007, a constaté la rupture du contrat du 6 avril 1999 par les époux Lyon-Vonthron, les a condamnés à payer à la société Etablissements Pipelier, à titre d'indemnité contractuelle, la somme de 11 180 euro en leur accordant un délai de 2 ans pour s'en acquitter et une indemnité de procédure de 1 000 euro.

LA COUR,

Vu les appels formés contre ce jugement par

1° Thierry Lyon contre les Etablissements Pipelier et Agnès Vonthron

2° Agnés Vonthron, divorcée Lyon, contre les Etablissements Pipelier et Thierry Lyon;

Les appels ayant été joints en raison de la connexité;

Vu les dernières conclusions du 17 avril 2008, par lesquelles l'appelant Thierry Lyon, poursuivant l'annulation en tout cas l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour d'appel de déclarer la société Pipelier irrecevable en son action et subsidiairement mal fondée, encore plus subsidiairement de modérer à une somme symbolique le montant de la peine réclamée et la condamner à une indemnité de procédure de 2 500 euro ;

Vu les dernières conclusions du 17 avril 2008, par lesquelles l'appelante Agnès Vonthron, poursuivant l'annulation en tout cas l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour d'appel de déclarer la société Pipelier irrecevable en son action et subsidiairement mal fondée et condamner Thierry Lyon à la garantir en cas de condamnation;

Vu les dernières conclusions du 22 avril 2008, par lesquelles la société Pipelier, intimée formant appel incident, demande à la cour de juger l'appel non fondé, confirmer le jugement sur la résiliation du contrat aux torts des appelants et les condamner solidairement à lui payer, avec une indemnité de procédure de 2 500 euro, la somme de 90 005,46 euro, majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2003;

Sur ce,

Attendu que les appelants poursuivent l'annulation du jugement qui serait dépourvu de motifs et n'aurait pas répondu aux conclusions " additionnelles et récapitulatives " prises par Thierry Lyon et Agnès Vonthron;

Mais attendu que, d'une part, la motivation du jugement, brève, n'est pas inexistante ; que la critique de la pertinence des motifs ne peut pas être cause d'annulation ; que, d'autre part, et faute pour les appelants de spécifier les moyens présentés au tribunal de commerce, devant lequel la procédure est orale, et auxquels le jugement n'aurait pas répondu, le grief ne peut être retenu;

Que l'exception de nullité doit donc être rejetée;

Attendu qu'Agnès Vothron n'est pas fondée à se prévaloir à l'égard de la société Pipelier, pour échapper aux obligations contractées envers celle-ci, de la convention définitive qu'elle a passée avec son époux pour régler les effets de leur divorce et qui attribue le fonds de commerce de café au mari ; que la fin de non-recevoir qu'elle oppose à la société Pipelier, prise de cette attribution, n'est pas fondée:

Attendu qu'il est établi que Monette Brunet-Pipelier, mère de Willy Pipelier, a exercé, à titre individuel, à compter de la fin de l'année 1995 une activité de vente de boisson sous l'enseigne " Stokbox ";

Attendu qu'il en résulte que tous les contrats passés en 1999 par la partie désignée sous l'appellation " Stokbox " sont en réalité passés par Monette Brunet-Pipelier, personne physique exerçant son activité sous cette enseigne;

Que, dès lors qu'il n'y a aucune ambiguïté sur l'identité du cocontractant de Willy Pipelier, dans la convention signée le 6 avril 1999, les appelants ne sont pas fondés à en contester la validité au prétexte qu'elle a été établie au nom d'une personne inexistante;

Attendu que le 27 juillet 2001 a été immatriculée au registre du commerce la SARL société d'exploitation Etablissements Pipelier, constituée à la même époque, avec un commencement d'exploitation fixé au 2 juillet 2001 ;

Que, par acte du 2 juillet 2001, Monette Brunet-Pipelier a donné son fonds en location-gérance à SARL société d'exploitation Etablissements Pipelier, gérée par son mari William Pipelier; que cet acte a été enregistré le 23 juillet 2001 et qu'il a ainsi date certaine;

Attendu que dépend du fonds remis en location-gérance le bénéfice des contrats de fourniture de bière et boissons;

Qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qui est allégué, la société Pipelier est recevable à agir à raison du contrat du 6 avril 1999 dont elle poursuit l'exécution à son profit par l'effet de la location-gérance ; qu'il est indifférent que la location-gérance soit postérieure à la cession du fonds de commerce de café-bar aux époux Lyon en mai 2000:

Attendu que le caractère frauduleux des conventions passées par Monette Brunet-Pipelier, William Pipelier et leur fils Willy Pipelier n'est nullement démontré par les appelants qui s'en prévalent;

Attendu que les appelants soutiennent par ailleurs que le contrat de fourniture du 6 avril 2004 est nul comme étant dépourvu de cause;

Attendu qu'il est établi que, pour financer l'acquisition du fonds de commerce de café au prix de 550 000 F en avril 1999 et les travaux d'équipement, Willy Pipelier a emprunté la somme de 600 000 F à la Banque populaire de l'Ouest;

Qu'aux termes de l'acte de prêt notarié du 23 avril 1999, les époux Pipelier-Brunet, parents de l'emprunteur, se sont portés caution solidaire des obligations de leur fils envers la banque à concurrence de 720 000 F ; que, par ailleurs, la société Les Brasseurs de Gayant s'est portée caution simple des obligations de l'emprunteur à concurrence de 30 % du prêt, soit 180 000 F;

Attendu que, par acte du 22 avril 1999, Monette Brunet-Pipelier - agissant sous la dénomination Etablissements Pipelier à l'enseigne Stokbox - s'est portée caution de la brasserie afin de contre-garantir le cautionnement de la société Brasseurs de Gayant au profit de la Banque populaire de l'Ouest à concurrence de 50 % de son engagement;

Attendu qu'aux termes du contrat d'achat exclusif de boissons du 6 avril 1999, la contre-garantie apportée par Monette Brunet-Pipelier à la caution du prêt constitue la contrepartie de l'engagement pris par son fils Willy Pipelier de se fournir exclusivement auprès d'elle pour certaines marchandises;

Mais attendu que l'exclusivité de l'approvisionnement consentie dans ce contrat par Willy Pipelier ne peut trouver, faute d'équilibre et de proportionnalité, sa contrepartie dans le sous-cautionnement fourni par sa mère;

Attendu que le cautionnement simple de la société les Brasseurs de Gayant au profit de la Banque populaire de l'Ouest, limité à 180 000 F, s'est ajouté à celui, solidaire, des époux Pipelier-Brunet, parents de l'emprunteur, qui se sont engagés à concurrence de 720 000 F;

Qu'il n'est nullement établi que la société les Brasseurs de Gayant ait subordonné son cautionnement principal au sous-cautionnement de Monette Brunet-Pipelier; que la brasserie a posé comme conditions, aux termes du contrat de prêt, la constitution de garanties par la Banque populaire de l'Ouest, dont un nantissement en 1er rang sur le fonds de commerce;

Attendu qu'il n'est pas non plus établi que l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par Willy Pipelier auprès de sa mère était la condition essentielle de la contre-garantie donnée par celle-ci à hauteur de 90 000 F soit 50 % de l'engagement de caution du brasseur;

Qu'il ne résulte d'aucun élément que, sans le sous-cautionnement de sa mère, Willy Pipelier n'aurait pas obtenu de la banque le prêt de 600 000 F destiné au financement de son programme d'investissements;

Attendu qu'il s'ensuit que, d'une part, le sous-cautionnement n'a pas été déterminant de l'obtention du financement, déjà garanti par le cautionnement solidaire des parents de l'emprunteur et par un nantissement sur le fonds, et que, d'autre part, ce sous-cautionnement ne constituait pas une prise de risque réel pour la sous-caution;

Attendu qu'ainsi l'avantage procuré par le fournisseur à l'enseigne Stokbox, consistant en la contre-garantie fournie, à concurrence de 15 % du prêt, à la brasserie caution principale, est dérisoire, au jour du contrat, par rapport aux obligations d'achat exclusif contractées par Willy Pipelier envers ce fournisseur Stokbox, pour cinq ans, qui portent sur un volume annuel de marchandises hors taxe d'un montant de 200 000 F;

Attendu qu'en conséquence, la convention d'achat exclusif du 6 avril 1999 liant la mère à son fils, qui a revendu son fonds un an plus tard, est dépourvue de cause, faute de contrepartie réelle et sérieuse ; que, partant, cette convention est nulle en application de l'article 1131 du Code civil ; que la société Etablissements Pipelier ne peut dès lors demander contre le cessionnaire du fonds de commerce " le Saxo " non seulement l'application de la clause pénale prévue à l'article 8 du contrat en cas d'inexécution mais encore l'indemnisation de la perte subie du fait de la rupture anticipée; qu'elle doit être déboutée de toutes ses demandes;

Attendu qu'en définitive le jugement déféré sera infirmé;

Attendu que l'intimée, qui n'obtient pas gain de cause, supportera tous les dépens et les frais de procédure de Thierry Lyon;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Infirmant le jugement déféré et statuant à nouveau, Annule pour défaut de cause la convention d'achat exclusif de boissons du 6 avril 1999; Déboute en conséquence la société Etablissements Pipelier de toutes ses demandes ; La condamne à payer à Thierry Lyon la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel et dit que ceux d'appel seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile et conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.