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Décisions

CA Paris, 18e ch. E, 6 novembre 2008, n° 06-01723

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Feredj, AGS CGEA Toulouse

Défendeur :

Rey (ès qual.), France Acheminement (SARL), France Acheminement Exploitation (SA), ELS (SARL), Vinceneux (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Froment

Conseillers :

Mmes Thévenot, Cantat

Avocats :

Mes Baudelot, Bajer-Pellet, Sicard

Cons. prud'h. Bobigny, sect. com., du 25…

25 octobre 2005

Faits procédure et prétentions des parties:

Rachid Feredj qui était lié aux sociétés France Acheminement SARL, et France Acheminement Exploitation par un contrat de franchise en date du 27 mars 2000 a contesté la qualification de son contrat et a saisi le 1er juillet 2003 le Conseil des prud'hommes de Bobigny aux fins d'obtenir la requalification de son contrat en contrat de travail à durée indéterminée, et aux fins de voir fixer sa créance au passif des sociétés France Acheminement au titre d'arriérés de salaire du fait du non-paiement d'heures supplémentaires, repos compensateurs, congés payés, au titre d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail et au titre de la restitution de la somme payée pour le droit d'entrée, notamment.

Par jugement du 25 octobre 2005 le conseil des prud'hommes a ordonné la jonction de cette instance avec celle engagée par un autre franchisé, Monsieur Gourmelon, a requalifié les contrats de franchise en contrats de travail, a fixé au passif des sociétés France Acheminement différentes sommes au bénéfice des demandeurs au titre notamment de rappels de salaire, des indemnités compensatrices de préavis et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a annulé la clause de non-concurrence concernant chaque demandeur, a ordonné la remise de documents sociaux conformes, a dit que les créances relatives au droit d'entrée n'étaient pas couvertes par la garantie de l'AGS, a rejeté le surplus des demandes des parties, concernant en particulier les demandes formées au titre des heures supplémentaires et repos compensateurs.

Rachid Feredj a fait appel du jugement par acte du 4 novembre 2005. Monsieur Gourmelon, qui avait également relevé appel, s'étant désisté de ce dernier.

L'AGS a elle-même fait appel par acte du 6 février 2006.

Les instances d'appel ayant été enrôlées sous des numéros distincts, la présente cour a, par arrêt du 18 janvier 2008, statuant sur une demande de remise de pièces formulée par les demandeurs initiaux:

- constaté que la cour n'était plus saisie du litige concernant Monsieur Gourmelon

- ordonné la jonction des instances n° 06-01723 et 06-06519

- rejeté la demande de remise de pièces

- renvoyé l'affaire à l'audience du 3 juillet 2008.

Lors de cette audience, Rachid Feredj a développé ses conclusions visées le jour même par le greffier aux termes desquelles il entend voir:

- Dire que les sociétés France Acheminement, France Acheminement Exploitation et ELS, sont ses employeurs conjoints et, à ce titre, solidairement redevables des créances ci-après détaillées, à l'exception de celles relatives au droit d'entrée qui n'incomberont qu'à la société France Acheminement.

- Fixer dans le passif de la société France Acheminement sa créance à titre de restitution du droit d'entrée, ou de dommages-intérêts pour paiement indu d'un droit d'entrée, à 15 244,90 euro:

- Fixer sa créance au passif des sociétés France Acheminement, France Acheminement Exploitation et ELS, aux sommes suivantes, exprimées en sommes nettes:

- solde salaire 46 796,74 euro

- congés 3217,07 euro

- repos 11 603,18 euro

- préavis et congés payés afférents 2 058,24 euro

- indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse 15 500 euro

- dommages-intérêts pour travail dissimulé 7 290,11 euro

- dommages-intérêts au titre des conditions de travail 3 100 euro

- frais irrépétibles 5 000 euro

toutes ces sommes devant être assorties des intérêts au taux légal de la date de la demande au jour de l'ouverture des différentes procédures collectives

- dire que ces créances donneront lieu aux cotisations sociales de droit

- dire la décision opposable à l'AGS

- condamner l'AGS CGEA de Toulouse, in solidum avec les sociétés à lui payer 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner les mêmes aux dépens

et, à titre subsidiaire, voir fixer à 20 000 euro sa créance dans l'hypothèse où la cour estimerait, sur les rappels de salaires sollicités, devoir recourir à une expertise, avec garantie de l'AGS.

Les mandataires-liquidateurs et l'AGS CGEA de Toulouse ont, lors de l'audience du 3 juillet 2008, conclu à la confirmation de la décision déférée.

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il est constant que la SARL France Acheminement a mis en place un réseau de distribution de colis par camion qui était géré par elle-même ainsi que par la SA France Acheminement Exploitation et par la SARL Exploitation Logistique Service (ELS);

Considérant que Rachid Feredj avait, le 27 mars 2000, souscrit un contrat qualifié de contrat de franchise avec la SARL France Acheminement pour assurer la distribution de ces colis dans le cadre de tournées régulières sur un plan local, départemental ou régional au moyen de véhicules utilitaires légers d'un poids inférieur à 3,5 tonnes et d'un volume inférieur à 14 m3;

Considérant que la société France Acheminement Exploitation a été mise en redressement judiciaire le 17 décembre 2002 puis en liquidation judiciaire le 22 avril 2003; que les sociétés France Acheminement et Exploitation Logistique Service ont été mises en redressement judiciaire le 7 janvier 2003, la première ayant été mise en liquidation judiciaire le 4 juin 2003 et la seconde le 11 février 2003;

Considérant, sur la requalification du contrat, que c'est à bon droit et par des motifs pertinents qu'il convient d'adopter, et qui ne sont au demeurant pas remis en cause par les mandataires-liquidateurs et l'AGS CGEA de Toulouse, que la juridiction de première instance a requalifié ces contrats en contrats de travail à durée indéterminée ; que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef;

Considérant que l'organisation mise en place imposait à Rachid Feredj de respecter les consignes émanant des trois sociétés susvisées qui toutes trois concouraient à l'organisation du travail des intéressés, la SA France Acheminement Exploitation élaborant en particulier les tournées et le service logistique les itinéraires, ce dernier déterminant en outre le montant des frais de fonctionnement à déduire des sommes dues par les clients dont les contrats sont signés par la SA France Acheminement Exploitation;

Considérant que c'est donc à juste titre qu'il entend voir fixer ses créances à l'encontre de ces trois sociétés;

Considérant, sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail, que, compte-tenu d'une part de la date de saisine du conseil de prud'hommes et d'autre part de la période sur laquelle portent les réclamations, aucune prescription n'est encourue;

Considérant pour le surplus qu'il résulte de l'article L. 3171-4 du Code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, qui doit fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles;

Considérant que les demandes de rappels de salaires portent tant sur les minima conventionnels de la convention collective nationale des transports routiers que sur des heures supplémentaires alléguées;

Considérant qu'il y a lieu, au regard des règles applicables, d'examiner les pièces versées aux débats de part et d'autre, étant observé qu'il n'est pas discuté que la convention collective nationale applicable est, au regard de l'activité de la société, celle des transports routiers et que Rachid Feredj relevait du groupe 3 bis, coefficient 118 M de cette convention;

Considérant qu'il résulte de la documentation sur la franchise établie par la SARL France Acheminement que le rôle du " franchisé " consistait à enlever chez les clients expéditeurs ses colis conditionnés et préparés destinés à être distribués auprès de destinataires se trouvant sur la tournée, et ce sur un circuit préétabli, passant à midi et le soir par la plate-forme d'Aubervilliers, et selon des horaires précis;

Considérant qu'à l'appui de ses réclamations, l'appelant verse aux débats divers documents dont une instruction relative à la procédure des dispatching et horaires de la plate-forme d'Aubervilliers dont il résulte que les départs de cette plate-forme se faisaient à partir de 6h30 le matin et 13h40 à midi, heures pour lesquelles les colis apportés pour redistribution devaient être zonés par le franchisé en fonction de sa destination ; que l'engagement pris auprès des clients était d'assurer la livraison l'après-midi des colis enlevés entre 11 et 12 heures et le lendemain matin pour ceux enlevés entre 17 et 18 heures;

Considérant par ailleurs qu'il verse aux débats des attestations qui confirment que ses horaires dépassaient sensiblement la durée légale et conventionnelle du travail;

Considérant enfin que plusieurs salariés, dont l'instance est concomitante ont produit des relevés informatiques de certaines de leurs journées de travail qui confirment de manière objective que la durée légale et conventionnelle de travail, en Ile-de-France, était largement dépassée;

Considérant que l'appelant étaie ainsi sa demande;

Considérant que pour leur parties mandataires-liquidateurs ne produisent aucune pièce de nature à établir les horaires réels de travail de l'appelant alors qu'il avait été mis en place un système informatique qui permettait de suivre à la minute près les diverses livraisons effectuées par chaque appelant et les trajets effectués par ces derniers et que ces documents auraient été de nature à déterminer précisément la durée du travail ;

Considérant qu'au vu de ces éléments la présente cour a la conviction, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à une mesure d'instruction qui n'aurait, au vu de ce qui précède d'autre effet que de pallier aux carences des sociétés intimées, que l'appelant a bien effectué les heures supplémentaires dont il demande paiement;

Considérant que sa créance au titre des rappels de salaires sera donc fixée à 46 796,74 euro;

Considérant par ailleurs que c'est à juste titre que l'appelant, qui n'a pas été informé par son employeur de son droit à congés payés et qui, s'il partait en congés, devait procéder à ses frais à son remplacement, sollicite un rappel de congés payés ; qu'il sera fait droit à sa demande;

Considérant enfin que Rachid Feredj a été privé du droit au repos compensateurs auxquels ouvraient droit les heures supplémentaires effectuées, et ce du fait de l'employeur; qu'il sera fait droit à sa demande de ce chef;

Considérant que les sommes ci-dessus allouées produiront, vu leur nature, intérêts au taux légal du jour de la réception par les différentes sociétés de leur convocation en conciliation au jour de l'ouverture de leur procédure collective;

Considérant pour le surplus que la demande formée au titre de la restitution du droit d'entrée versé lors de la conclusion du contrat de franchise est parfaitement justifiée, le contrat liant les parties étant en réalité un contrat de travail dans le cadre duquel aucun droit d'entrée ne pouvait être exigé ; que la SA France Acheminement a, en exigeant un tel droit, commis une faute et doit réparer le préjudice qu'elle a causé de ce chef; qu'il y a lieu de fixer la créance de Rachid Feredj à ce titre, étant observé que cette créance se rattache à l'exécution du contrat de travail et entre en conséquence dans le champ de garantie de l'AGS;

Considérant enfin que les employeurs ont manqué à tous leurs devoirs au regard des règles du Code du travail applicables ; qu'ils ont ainsi causé au salarié auquel ils ne remettaient pas en particulier de bulletins de salaires, un préjudice indéniable qu'il convient d'indemniser par l'octroi d'une somme de 3 000 euro ; que cette somme, due en raison de la mauvaise exécution par les employeurs de leurs obligations auxquelles ils étaient tenus en vertu du contrat de travail, seront garanties par l'AGS ;

Considérant, sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail, que la décision querellée n'est pas critiquée en ce qu'elle a dit la rupture imputable aux employeurs qui ne respectaient aucune des obligations résultant d'un contrat de travail;

Considérant, sur le préjudice, que Rachid Feredj avait plus de deux ans d'ancienneté dans une société employant plus de 10 salariés ; qu'il peut donc prétendre, sur le fondement de l'article L. 1235-3 du Code du travail à au moins six mois de salaires ; que de plus, l'employeur a sciemment dissimulé son emploi aux organismes sociaux par un montage destiné à éviter le coût, notamment, des charges sociales, et qu'en application de l'article L. 8223-1 du Code du travail, une indemnité de six mois de salaires lui est due;

Considérant que, sur le fondement de ce dernier texte, il y a lieu d'allouer à Rachid Feredj la somme de 7 290, euro;

Considérant que, pour le surplus, et compte-tenu notamment de l'ancienneté des salariés au moment de la rupture, il convient d'allouer à Rachid Feredj la somme de 10 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant que l'intégralité de ces sommes seront garanties, dans la limite du plafond 13 applicable, par l'AGS CGEA de Toulouse qui devra également garantie, les sommes de nature salariale allouées étant des sommes nettes, des cotisations sociales y afférentes, et ce, en application des dispositions de l'article L. 3253-8 du Code du travail;

Considérant pour le surplus qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles;

Considérant que, succombant, les sociétés employeurs supporteront les dépens d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a : - requalifié le contrat de franchise conclu par Rachid Feredj avec la SARL France Acheminement en contrat de travail à durée indéterminée - dit que les dépens seraient inscrits en frais de liquidation. L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit que la SARL France Acheminement, la SA France Acheminement Exploitation et la SARL Exploitation Logistique Service étaient co-employeurs des appelants, Fixe la créance de Rachid Feredj à l'encontre de ces trois sociétés à : - 46 796,74 euro (quarante six mille sept cent quatre-vingt seize euro et soixante quatorze centimes) de rappel de salaires - 3 217,07 euro (trois mille deux cent dix sept euro et sept centimes) au titre des congés payés -11 603,18 euro (onze mille six cent trois euro et dix huit centimes) au titre des repos compensateurs - 3 000 euro (trois mille euro) de dommages-intérêts au titre des conditions de travail - 2 058,24 euro (deux mille cinquante huit euro et vingt-quatre centimes) au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents - 7290,11 euro (sept mille deux cent quatre-vingt dix euro et onze centimes) au titre du travail dissimulé - 10 000 euro (dix mille euro) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Dit que les mandataires-liquidateurs devront adresser à Rachid Feredj des bulletins de salaires au vu d'un décompte précis et conforme à la présente décision que ce dernier devra leur adresser pour chaque mois de travail, Fixe en outre la créance de Rachid Feredj à l'encontre de la SARL France Acheminement au titre du droit d'entrée à 15 244,90 euro (quinze mille deux cent quarante quatre euro et quatre vingt dix centimes); Dit que les sommes de nature salariale ont produit intérêts au taux légal du jour de la réception par les différentes sociétés de la convocation en conciliation au jour de l'ouverture de la procédure collective ; Déclare la présente décision opposable à l'AGS CGEA de Toulouse qui sera tenue à garantie de toutes les sommes allouées dans la limite du plafond 13 applicable, en ce y compris les cotisations sociales afférentes aux sommes de nature salariale ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Dit que les dépens d'appel seront supportés par les sociétés intimées et employés en frais privilégiés de procédure collective.