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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 28 novembre 2007, n° 06-01294

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Transports Fatton (SA)

Défendeur :

Sodimas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Uran

Conseillers :

M. Bernard, Mme Cuny

Avoués :

Selarl Dauphin & Mihajlovic, SCP Pougnand

Avocats :

Mes Perrachon, Barthelemy, Meresse

T. com. Romans, du 15 févr. 2006

15 février 2006

La société Sodimas, spécialisée dans l'ingénierie, confiait habituellement depuis plus de 20 ans le transport de ses marchandises à la société Transports P. Fatton (Fatton).

Après des discussions entamées au début de l'année 2003, elle a "confirmé" au transporteur l'arrêt des relations commerciales par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 décembre 2003.

Après cessation effective de tout trafic et mise en demeure de payer la somme de 767 272,26 euro à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture, la société Fatton a fait assigner la société Sodimas en paiement de cette somme, portée à 940 983,27 euro en cours d'instance.

Par jugement du 15 février 2006, le Tribunal de commerce de Romans l'a toutefois déboutée de toutes ses demandes et condamnée au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euro.

La société Fatton a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 27 mars 2006.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 5 septembre 2007 par la SA Fatton qui demande à la cour, par voie de réformation, de condamner la société Sodimas à lui payer la somme de 756 513,72 euro, avec intérêts au taux légal capitalisés à compter du 16 avril 2004, à titre de dommages et intérêts pour rupture fautive des relations contractuelles établies entre les parties, outre une indemnité de 5 000 euro pour frais irrépétibles, aux motifs que l'existence d'une relation commerciale établie depuis de nombreuses années (1977) au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est plus contestée par la société Sodimas, qu'elle n'a aucune responsabilité dans la rupture des relations contractuelles alors que l'ajustement de prix qu'elle a pratiqué au début de l'année 2003, en raison de l'augmentation de ses coûts, a été accepté par le donneur d'ordre qui a souhaité transférer son activité transport à une filiale (Sodikap) de création récente, qu'en ne respectant pas un préavis écrit, d'une durée suffisante, la société Sodimas est l'auteur d'une rupture brutale, que les courriers échangés au cours de l'année 2003, qui traduisent les hésitations de la société Sodimas, ne valent en aucun cas notification d'un préavis écrit dont la durée doit être fixée avec précision, que l'ancienneté des relations (25 ans), l'importance des moyens dédiés au trafic Sodimas (équipements spécifiques, nombre de salariés) et le volume du chiffre d'affaires traité, qui représentait l'essentiel de l'activité de son agence de Valence, justifiaient le respect d'un préavis de 12 mois, que son préjudice doit être évalué par référence à la moyenne des trois dernières années de chiffre d'affaires réalisé avec la société Sodimas, telle que chiffrée par l'expert-comptable de cette dernière.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 14 août 2007 par la SA Sodimas qui sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui payer une nouvelle indemnité de procédure de 3 000 euro aux motifs qu'en augmentant unilatéralement et substantiellement ses tarifs au début de l'année 2003 (14 %) sans justification économique, alors que selon les données officielles les augmentations pratiquées par la profession n'ont pas excédé 2 % pour les années 2001 à 2003, la société Fatton a commis une faute exclusive de tout préavis, que sa décision de rompre les relations contractuelles, fondée sur cette augmentation abusive, a été rapidement portée à la connaissance de la société Fatton, qui en a pris acte dès le 12 mai 2003 et qui ne l'a pas contestée, qu'elle a donc exercé sans brusquerie ni abus sa libre faculté de résiliation, qu'en toute hypothèse, le préjudice allégué n'est pas justifié alors que le volume d'affaires antérieur a été maintenu en 2003 et que sa marchandise ne nécessitait aucun équipement spécifique (les trajets retour ont été exploités).

Motifs de l'arrêt

Les nombreux courriers, bons de livraison, demandes de tarifs, factures et justificatifs de paiements produits aux débats par la société Fatton apportent la preuve de l'existence d'un flux continu d'affaires entre les parties depuis le début de l'année 1977, ce que la société Sodimas ne conteste plus aujourd'hui, puisqu'elle se borne à prétendre qu'elle n'a pas commis de faute dans la rupture.

Il existait donc bien entre le donneur d'ordres et le transporteur une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qui n'exige nullement que la relation s'inscrive dans un cadre contractuel formel.

Rappelant le contenu des entretiens qu'elle avait eus les 11 avril 2003 et 6 mai 2003 avec le dirigeant de la société Sodimas, la société Fatton a écrit le 12 mai 2003 qu'elle avait été informée d'un projet de création d'une structure transport, et qu'elle était consciente du sérieux de ce projet qui lui avait été présenté comme étant validé à plus de 70 % et susceptible de l'être à 100 % dans le délai d'un mois. Elle a rappelé que la mise en œuvre effective de ce projet aurait pour elle des conséquences catastrophiques, et qu'elle avait proposé une nouvelle organisation afin de réduire les coûts pour la société Sodimas.

Le 24 juin 2003, elle a interrogé le donneur d'ordre sur "le devenir de la collaboration" entre les parties, et a reçu le lendemain confirmation de ce que le projet de création d'une société de transport, dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait finalisé au cours du mois de décembre 2003.

Par courrier du 18 novembre 2003, elle a indiqué qu'elle avait été informée le 17 octobre 2003 du projet de la société Sodimas de mettre fin aux relations contractuelles, et a souhaité qu'une nouvelle rencontre soit organisée prochainement, après avoir insisté sur les graves conséquences économiques et humaines d'une rupture.

Ce courrier est demeuré sans réponse, et le 15 décembre 2003 elle a à nouveau interrogé la société Sodimas sur l'avenir de la collaboration entre les deux sociétés et sur un éventuel transfert de l'activité à l'entreprise Sodikap, tout en déplorant le très faible volume d'affaires depuis la semaine 50.

C'est ainsi que le 24 décembre 2003 la société Sodimas lui a "confirmé l'arrêt des relations commerciales", après lui avoir rappelé "les discussions entamées depuis le mois de mars 2003", en lui proposant toutefois de maintenir un volume d'affaires réduit.

Contrairement à ce qui a été décidé à tort par le tribunal, il ne résulte pas de ces correspondances que la société Fatton a pris acte sans protester de la rupture des relations contractuelles dès le 12 mai 2003.

A cette date la rupture n'était en aucune façon consommée, alors que la création de la filiale transports Sodikap n'était encore qu'à l'état de projet, et que la société Fatton avait fait une proposition de réduction des coûts dans l'espoir qu'il y fût renoncé. Ce n'est d'ailleurs que le 18 novembre 2003 que cette dernière a fait état du "projet", c'est-à-dire de l'intention de la société Sodimas de mettre fin aux relations contractuelles, sans considérer toutefois qu'à cette date la rupture était effective, puisqu'elle a souhaité l'organisation d'une nouvelle rencontre. Le 15 décembre 2003 elle considérait toujours que la relation commerciale pouvait avoir un avenir, en sorte qu'il n'est pas possible d'affirmer que dès le 12 mai 2003 elle avait connaissance de la rupture définitive et irrévocable de la relation commerciale, qui ne lui a été notifiée que le 24 décembre 2003, de surcroît de façon ambiguë dès lors que la société Sodimas a encore proposé le maintien d'un volume réduit d'affaires.

Il ne peut donc être sérieusement soutenu que la société Fatton a disposé en fait d'un délai de préavis suffisant depuis qu'elle a eu connaissance du projet de réorganisation de l'activité transport de la société Sodimas.

Le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6 du Code de commerce, qui doit permettre au partenaire commercial de connaitre à l'avance avec certitude le temps dont il disposera pour reconstituer le chiffre d'affaires perdu, et prendre toutes dispositions utiles à cette fin, ne peut en effet avoir pour point de départ que la notification d'une décision de rupture ferme et définitive marquant la volonté non équivoque de son auteur de mettre fin à la relation commerciale établie.

Force est dès lors de constater qu'en l'espèce la lettre du 24 décembre 2003, qui a mis fin avec effet immédiat à la relation d'affaires, n'a ouvert aucun délai de préavis au bénéfice du transporteur, étant observé qu'il est constant que la proposition de maintien d'un trafic résiduel n'a pas été suivie d'effet.

Pour échapper aux conséquences de cette brusque rupture, la société Sodimas prétend avoir été victime d'une pratique tarifaire abusive de la part de la société Fatton, qui lui aurait imposé au début de l'année 2003 une augmentation de prix excessive.

Il n'est pas démontré toutefois que l'augmentation incriminée, dont la réalité n'est pas contestée, a été appliquée à l'ensemble des prestations habituellement fournies par la société Fatton (les tableaux comparatifs ne concernent que certaines destinations particulières), ni surtout qu'excédant manifestement les coûts supportés par le transporteur elle a eu pour effet de renchérir anormalement les prix par rapport aux tarifs habituellement pratiqués par la concurrence (il n'est pas exclu, en effet, que la société Fatton ait dû pratiquer un rattrapage après des ajustements antérieurs insuffisants eu égard à l'ancienneté de la relation contractuelle).

Il n'est pas plus établi que les hausses litigieuses auraient eu une incidence significative sur les coûts de transport globaux de la société Sodimas, alors que selon l'expert-comptable de celle-ci les montants facturés en 2003 par la société Fatton sont inférieurs de près de 6 % aux montants facturés l'année précédente, et qu'il n'est pas soutenu que le volume des prestations aurait subi une baisse sensible.

A aucun moment, en outre, la société Sodimas, qui a acquitté sans protestation les factures émises en 2003, n'a fondé sa décision de mettre fin aux relations contractuelles sur des majorations de prix excessives.

C'est par conséquent sans en apporter la preuve que la société Sodimas prétend que le transporteur aurait adopté un comportement fautif privatif de préavis.

La brutalité de la rupture ouvre dès lors droit à dommages et intérêts.

Eu égard à l'ancienneté de la relation commerciale (25 ans), et à défaut pour la société Sodimas de faire état d'un accord interprofessionnel fixant la durée du préavis d'usage, la cour estime qu'il était dû à la société Fatton un délai de prévenance d'une année, qui était seul de nature à permettre la reconstitution du chiffre d'affaires perdu.

N'est toutefois indemnisable que la perte de marge brute pendant le temps du préavis dont le transporteur a été injustement privé.

En l'absence aux débats des comptes annuels de la société Fatton, cette perte ne peut en l'état être déterminée.

C'est pourquoi l'appelante sera invitée à produire et à communiquer ses états de synthèse (bilans et comptes de résultats) au titre des exercices 2001, 2002, 2003 et 2004.

Les débats seront rouverts à cette fin.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Dit et juge que la SA Sodimas a rompu brutalement sans préavis la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la SA Transports P. Fatton, Fixe à une année la durée du préavis dont la SA Transports P. Fatton a été privée, Avant dire droit sur la demande indemnitaire, invite la SA Transports P. Fatton à produire aux débats et à communiquer ses comptes annuels (bilans - comptes de résultats) au titre des exercices 2001, 2002, 2003 et 2004, Ordonne à cette fin la réouverture des débats, Révoque l'ordonnance de clôture. Réserve les dépens.