CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 15 novembre 2007, n° 06-02049
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Blomme
Défendeur :
Martelle (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grandpierre
Conseillers :
Mme Corbel, M. Damulot
Avoués :
Me Caussain, SCP Le Roy
Avocats :
Mes Gribouva, Simoneau, Wenzinger
Faits et procédure
Suivant contrat du 20 décembre 1996, la société Martelle a mandaté Madame Castel épouse Blomme en qualité d'agent commercial, pour une durée de six mois.
Ce contrat a été renouvelé le 30 juin 1997, pour une durée similaire.
Par lettre du 20 novembre 1998, la société Martelle a notifié à Madame Castel la rupture du contrat pour fautes graves et, en conséquence, son refus de lui verser une indemnité compensatrice.
Par exploit du 29 novembre 2002, Madame Castel a fait assigner la société Martelle devant le Tribunal de grande instance de Lille afin d'avoir paiement d'une indemnité compensatrice et de dommages-intérêts complémentaires.
Par jugement du 2 juin 2005, la juridiction lilloise s'est déclarée territorialement incompétente pour connaître du litige, qu'elle a renvoyé devant le Tribunal de grande instance d'Amiens.
Ce dernier a, par jugement du 12 avril 2006, condamné la société Martelle à payer à Madame Castel épouse Blomme 14 803,91 euro de dommages-intérêts au titre du préjudice causé par la rupture du contrat, 2 959,04 euro pour non-respect du préavis, et 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 17 mai 2006, Madame Castel a interjeté appel de ce jugement.
Elle demande à la juridiction de céans de le réformer en portant les dommages-intérêts à :
- 51 583 euro au titre de l'indemnité compensatrice, outre intérêts légaux depuis la mise en demeure du 20 novembre 1998, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil ;
- 10 000 euro à raison du non-respect du préavis et du caractère vexatoire de la rupture.
Accessoirement, elle sollicite une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que les relations contractuelles se sont poursuivies après le terme prévu par le contrat du 30 juin 1997, de sorte que le contrat d'agence commerciale est devenu à durée indéterminée, en vertu de l'article L. 134-11, alinéa 1er, du Code de commerce que par lettre recommandée du 29 novembre 1998, elle a fait valoir ses droits dans le délai imparti par l'article L. 134-12 dudit Code ; et qu'elle n'a commis aucune faute grave susceptible de la priver du droit à indemnité compensatrice qu'elle tient de ce texte.
S'agissant du montant de l'indemnité de rupture, Madame Castel soutient, en invoquant la jurisprudence, qu'il doit être égal à deux années de commissions.
Elle soutient également qu'elle aurait dû, en vertu de l'article L. 134-11, alinéa 2, du Code de commerce, bénéficier d'un préavis de trois mois, compte tenu de l'ancienneté des relations contractuelles. Elle fait valoir en ce sens qu'elle avait conclu, le 20 décembre 1994, un contrat d'agent commercial avec la SARL Le Fleuve, qui avait les mêmes dirigeants et la même activité que la SA Martelle.
Cette dernière demande pour sa part à la cour d'infirmer le jugement entrepris en déclarant Madame Castel forclose en ses demandes, subsidiairement, de l'en débouter comme mal fondée ou, plus subsidiairement encore, de confirmer le montant des indemnités allouées par le tribunal.
Elle forme en outre une demande reconventionnelle en répétition d'une somme de 38 726,96 euro, présentée comme un trop versé sur commissions, ainsi que des sommes versées en exécution du jugement querellé, qui était assorti de l'exécution provisoire.
Accessoirement, mais en tout état de cause, elle sollicite une indemnité de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée soutient, à titre principal, que la lettre du 20 novembre 1998, dont se prévaut Madame Castel, ne saurait être regardée comme ayant interrompu le délai d'un an prévu à l'article L. 134-12, alinéa 2, du Code de commerce alors qu'elle n'est pas adressée à la société mais à une personne physique, que rien ne prouve sa réception par le destinataire, et qu'elle ne contient aucune demande précise.
Quant aux motifs de la rupture, elle reproche à Madame Castel de ne pas avoir pris soin des ouvrages qui lui étaient confiés, au point qu'ils étaient devenus invendables, d'avoir négligé la clientèle, de n'avoir pas réalisé le chiffre d'affaires attendu, et d'avoir fait un mauvais usage du véhicule mis à sa disposition.
Enfin, au soutien de sa demande reconventionnelle en répétition de commissions, la société Martelle invoque diverses pièces qui seraient porteuses, selon elle, d'une reconnaissance de dette.
Madame Castel le conteste, et objecte que la société Martelle ne démontre pas que les sommes qu'elle a versées correspondraient à de simples avances.
Discussion
Sur la durée des relations contractuelles
La société Martelle écrit dans ses dernières conclusions que " selon une méthode un peu singulière, l'intéressée s'est maintenue en place " et qu'elle " se prévaut des dispositions de l'article L. 134-11, alinéa 1er du Code de commerce, pour se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée ".
Cette formulation ambigüe laisse entendre que les relations contractuelles auraient cessé avec l'expiration de la durée stipulée dans le contrat du 30 juin 1997.
Or l'article L. 134-11 du Code de commerce dispose qu'un contrat à durée déterminée qui continue à être exécuté après son terme est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée.
Tel est le cas en l'espèce, puisqu'il ressort des exemples de fautes cités par la société Martelle dans sa lettre du 20 novembre 1998 comme des documents comptables et autres pièces qu'elle verse aux débats que les relations contractuelles se sont poursuivies bien au-delà du 1er janvier 1998.
Dans le cas contraire, on ne comprend guère pourquoi la SA Martelle aurait estimé nécessaire d'envoyer à Madame Castel une lettre de rupture.
Sur la forclusion alléguée
L'article L. 134-12, alinéa 2, dispose que " l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ".
Ce texte n'exige pas de l'agent qu'il présente des réclamations chiffrées : il suffit que l'agent ait notifié au mandant son intention de réclamer une indemnité.
Mais la lettre datée du 29 novembre 1998, que Madame Castel verse aux débats, ne satisfait pas pour autant à ces exigences.
En effet, il n'est accompagné d'aucune preuve de sa réception, ou même de son envoi à la société Martelle. En outre, il ne contient aucune demande expresse d'indemnisation, mais seulement une réplique point par point aux griefs du mandataire, qui s'achève sur la menace d'une action, " tant au plan prud'homal qu'au plan commercial, afin de faire trancher le litige ".
Mais la déchéance prévue à l'article L. 134-12 ne trouve pas, pour autant, à s'appliquer en l'espèce.
Il convient en effet de rappeler qu'au mois de janvier 1999, la société Martelle a été convoquée devant le Conseil de prud'hommes de Tourcoing, à la requête de Madame Castel, et que cette convocation précisait, en les chiffrant, les prétentions de la demanderesse - au nombre desquelles figuraient des demandes d'indemnité de clientèle, de préavis et de dommages-intérêts pour rupture abusive.
Il a donc été satisfait aux exigences de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui ne subordonne la notification à aucune forme, peu important que la juridiction devant laquelle la société Martelle était convoquée se soit déclarée incompétente.
En conséquence, le moyen tiré de la forclusion doit être écarté.
Sur une faute grave de l'agent
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'article L. 134-13 dudit Code ajoute toutefois que cette réparation n'est pas due " lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ".
La diminution du chiffre d'affaires ne saurait suffire, en elle-même, à caractériser une faute grave, car elle n'est pas nécessairement imputable à l'agent commercial. Elle peut en effet être en relation avec le contexte économique, la qualité et l'étendue de la gamme proposée, le développement de la concurrence...
Inversement, il n'est pas obligatoire que les fautes reprochées à l'agent commercial aient entraîné une chute du chiffre d'affaires pour caractériser une faute grave, au sens du texte précité.
Celle-ci est définie comme une faute portant atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun que constitue le contrat d'agent commercial (cf art. L. 134-4, alinéa 1er, C. com.), et rend impossible le maintien du lien contractuel.
C'est à la lumière de ce rappel qu'il convient d'examiner les griefs invoqués par la société Martelle à l'encontre de Madame Castel.
Parmi ceux-ci doivent être écartés d'emblée ceux relatifs à l'utilisation du véhicule que l'intimée louait pour son agent commercial, et qui relèvent manifestement d'une tentative de justification a posteriori, en ce qu'ils n'ont pas été mentionnés dans la lettre de rupture du 20 novembre 1998, mais seulement dans les conclusions de la société Martelle.
Ce grief apparaît d'autant moins sérieux qu'on ne voit guère ce qui obligeait la société Martelle à régler les amendes correspondant aux infractions commises par Madame Castel, ni à conserver à sa charge les factures de réparation d'un véhicule qu'elle prétend ne pas avoir mis gratuitement à sa disposition.
La cour se bornera donc à examiner les reproches formulés initialement par la société Martelle pour refuser à Madame Castel toute indemnisation, et que la lettre du 20 novembre 1998 résume comme suit :
" Les mauvais services rendus à la clientèle, les livres en piteux état ou salis, l'absence de suivi auprès de la clientèle, le non-respect des tarifs qui vous ont été communiqués, l'importance du stock en dépôt et ses écarts non justifiés, sont constitutifs de fautes graves (...) ".
Dans sa lettre, la société Martelle a veillé à illustrer ces propos d'exemples concrets, à défaut d'être toujours précis.
Certes, tous ne sont pas pertinents, soit parce que les faits sont insuffisamment établis, soit parce qu'ils ne caractérisent pas une faute grave privative du droit de l'agent à indemnité, quand bien même Madame Castel a reconnu des " erreurs ".
Parmi les incidents relatés par la société Martelle dans sa lettre du 20 novembre 1998, certains sont insuffisamment caractérisés ou présentent un caractère trop isolé pour caractériser une faute grave privative du droit de l'agent à indemnité. Il en va ainsi :
- d'erreurs sur les bons de livraison, par rapport aux bons à facturer (deux incidents);
- de l'octroi d'une remise supérieure à la remise consentie par l'éditeur, qui ne concerne qu'un client et selon les explications fournies par Madame Castel dans sa lettre du 29 novembre 1998, et non démenties par l'intimée, qu'un seul ouvrage.
- de l'acceptation par Madame Castel de commandes importantes de la part d'un client débiteur (un cas), que l'appelante reconnaît, mais qu'elle explique par des considérations commerciales ;
- d'une promesse de gratuité du port, " alors que la gratuité de la livraison n'est pas spécifiée " que Madame Castel reconnaît, mais dont elle souligne qu'il s'agit d'un cas isolé. La société Martelle n'explique d'ailleurs pas où cela aurait dû être spécifié.
Mais il n'en va pas de même d'autres incidents, révélateurs de négligences répétées. Ainsi :
- la transmission tardive (trois semaines) de bons de commande (deux cas, non contestés par Madame Castel) ;
- l'indication sur les bons de commande de prix inférieurs aux prix réels (huit cas), que Madame Castel reconnaît, et qu'elle se contente d'expliquer par l'ancienneté des ouvrages utilisés pour ses démonstrations ;
- la défection de Madame Castel lors de la "Journée du Livre" d'Arques, que l'intéressée explique par le retard pris à l'occasion d'un autre rendez-vous, et un mal de dos, sans pour autant fournir les raisons qui l'ont empêchée de prévenir la personne qu'elle aurait dû rencontrer là-bas, ou de répondre à ses appels (cf lettre de doléances de Monsieur Joly à la société Martelle) ;
- le défaut de livraison de livres facturés au client (cf lettre de la bibliothèque municipale de Fourmies, datée du 25 mai 1998; incident reconnu par Madame Castel dans sa lettre du 29 novembre 1998) comme de récupération de livres laissés en dépôt, malgré les demandes répétées du libraire (cf courrier de Madame Auffrait en date du 24 avril 1998) ;
- les conditions de saleté et de précarité dans lesquelles les ouvrages confiés à Madame Castel ont été entreposées par celle-ci, attestées par Mesdames Grancher et Cochard (dont la seule qualité de salariées de la société Martelle ne saurait suffire à mettre en doute la bonne foi), qui rapportent en outre que plusieurs d'entre eux étaient en très mauvais état.
Le fait que Madame Castel ait été chargée de commercialiser des livres d'occasion ne saurait suffire à expliquer un tel état.
Cet incident est à rapprocher de la lettre adressée à la société Martelle par Madame Felbacq, libraire à Tergnier, pour se plaindre de ce que la représentante lui avait laissé un livre en très mauvais état, donc invendable.
L'ensemble de ces faits, directement préjudiciables aux intérêts de la société Martelle, ne serait-ce qu'en termes d'image de marque, est incompatible avec la finalité du mandat d'intérêt commun que constitue le contrat d'agence commerciale.
A cet égard, le nombre de clients que Madame Castel affirme, sans en rapporter la preuve, avoir créés ne contredit pas cette analyse, dans la mesure où d'une part il ne s'agit pas d'une clientèle captive, et où d'autre part, des clients déçus sont souvent des clients perdus.
Les griefs précités sont donc bien constitutifs d'une faute grave exclusive de tout droit à indemnité pour l'agent, y compris au titre du préavis, conformément aux articles L. 134-11, dernier alinéa, et L. 134-12, deuxième alinéa, du Code de commerce.
Il y a donc lieu de réformer de ce chef le jugement entrepris, en déboutant Madame Castel de l'intégralité de ses demandes, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens.
Sur les demandes reconventionnelles de la SA Martelle
1) Sur les sommes qui auraient été versées en exécution du jugement entrepris :
Il n'y a pas lieu de condamner Madame Castel à rembourser à la société Martelle les sommes que l'intimée lui aurait versées dans le cadre de l'exécution provisoire (et dont la demanderesse ne justifie d'ailleurs pas), le présent arrêt, infirmatif, valant à cet égard titre exécutoire.
2) Sur la demande en paiement des 38 726,96 euro :
Cette somme correspond au solde des mouvements enregistrés du 1er avril 1997 au 31 décembre 1998 au crédit et au débit d'un compte de tiers ouvert au nom de Madame Castel épouse Blomme (pièces n° 24 bis et 24 ter de la société Martelle).
Y figurent notamment les deux prêts de 13 000 F constatés par deux reconnaissances de dettes des 6 février et 24 avril 1997 et stipulés remboursables par prélèvement de 15 % des commissions dues, chaque mois, à l'agent.
Toutefois, la société Martelle ne justifie pas de la réalité des opérations portées au crédit et au débit du compte, ni même n'en donne le détail, à l'exception des prêts constatés par les reconnaissances de dettes.
Elle ne produit, notamment, aucun relevé de commissions, ni demandes d'avances qui permettrait de vérifier que le compte de tiers a été régulièrement tenu, alors même que Madame Castel conteste devoir les 38 726,96 euro réclamés.
Dans ces conditions, la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Martelle de cette demande reconventionnelle.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Madame Castel épouse Blomme, qui succombe sur l'essentiel du litige, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, conformément au principe posé par l'article 696 du nouveau Code de procédure civile, auquel aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit dérogé en l'espèce.
Il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la charge de la société Martelle l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour les besoins de la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens ; aussi Madame Castel sera-t-elle condamnée à lui payer de ce chef une indemnité de 4 000 euro, en application de l'article 700 précité.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a écarté le moyen tiré par la société Martelle de l'article L. 134-12, alinéa 2, du Code de commerce, et débouté la même de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 38 726,96 euro ; Le réforme pour le surplus, et, statuant à nouveau, Déboute purement et simplement Madame Castel épouse Blomme de ses demandes de dommages-intérêts et d'indemnité pour frais irrépétibles ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu de condamner Madame Castel à rembourser à la société Martelle les sommes que l'intimée lui aurait versées dans le cadre de l'exécution provisoire ; Condamne Madame Castel à verser à la société Martelle une indemnité de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Et, rejetant toutes autres demandes, contraires ou plus amples, Condamne en outre Madame Castel épouse Blomme aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application au profit de la SCP Le Roy du droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.