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Décisions

CA Metz, 1re ch., 12 décembre 2007, n° 04-02229

METZ

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

CNH France (SA)

Défendeur :

Tilly (SA), Tilly

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Staechele

Conseillers :

Mmes Duroche, Cunin-Weber

Avocats :

Mes Haxaire, Schrimpf, Wolff, Bourgeon

TGI Metz, ch. com., du 4 mai 2004

4 mai 2004

Saisi par la société anonyme Tilly et par M. Claude Tilly d'une demande dirigée contre la société Case France, à présent CNH France, tendant à faire constater que le contrat verbal de concession exclusive à durée indéterminée qui les liait a été rompu de façon brutale et abusive par la défenderesse et tendant en conséquence à la condamnation de celle-ci à réparer les préjudices découlant de l'insuffisance du préavis de résiliation (compte tenu de l'ancienneté de leurs relations commerciales, de l'importance de l'activité générée par la distribution du matériel Case et de la nature de l'activité concédée impliquant des investissements lourds), du non-respect par la société Case France de ses obligations contractuelles pendant la durée du préavis (à raison de l'ambiguïté entretenue par la société Case relativement à cette décision de rompre le contrat, de la divulgation de cette décision de résiliation au sein de la société Tilly et de l'absence d'information sur la réorganisation du réseau de distribution Case spécialement en ce qui concerne la garantie et le service après-vente) et du caractère déloyal de la résiliation (consistant à entretenir la croyance de la société Tilly quant à la pérennité des relations contractuelles, alors que dans le même temps le concédant réorganisait sa politique de distribution de ses produits) et par suite tendant à sa condamnation à lui payer les sommes de 160 986 euro et 2 373 305 euro, ainsi encore que à sa condamnation à payer à M. Tilly la somme de 76 225 euro, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, outre sa condamnation aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du NCPC;

Et saisi par la société Case France de conclusions tendant au rejet de ces demandes, aux motifs que la rupture des relations commerciales réalisée effectivement à son initiative ne présente aucun caractère brutal, déloyal ou fautif, que la société Tilly a bénéficié d'un préavis suffisant et que la réalité des préjudices allégués tant par la société Tilly que par M. Claude Tilly n'est pas démontrée, et tendant à la condamnation des demandeurs aux dépens et au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles;

- le Tribunal de grande instance de Metz, chambre commerciale, par jugement du 4 mai 2004, a:

* condamné la société Case France à payer à la société Tilly la somme de 1 000 000 euro, avec exécution provisoire à concurrence de moitié, ainsi qu'une indemnité de 1 500 euro pour frais irrépétibles;

* rejeté les autres demandes.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu pour constant que depuis au moins un contrat souscrit en 1992, et selon la société Tilly depuis une quarantaine d'années, celle-ci vendait des matériels de travaux publics fabriqués par la société Case France et que par lettre recommandée du 19 mars 1998 la concédante a informé la société Tilly de sa volonté de mettre fin à ce contrat de collaboration avec effet au 20 décembre 1998, soit avec un préavis de 9 mois. Le tribunal a relevé que le contrat conclu en 1992 avait été prévu pour une durée de 2 années et que à son expiration les parties étaient convenues que le contrat de distribution des matériels Case s'était poursuivi verbalement pour une durée indéterminée, la société Tilly ayant refusé un nouveau contrat proposé par la société Case France qui prévoyait un préavis de 6 mois.

Le tribunal, rappelant que la société Case France avait le droit de rompre un tel contrat à durée indéterminée, a précisé que cette cessation des relations contractuelles devait se faire selon un délai suffisant pour permettre à la société Tilly de prendre ses dispositions, l'article 442-6-5° du Code de commerce devant s'appliquer au regard de la nécessaire loyauté devant présider aux rapports contractuels.

Le tribunal a considéré que le commerce d'engins de travaux publics était marqué par des lourdeurs particulières et a tenu compte de la nécessité pour la société Tilly, afin de lui permettre de rester sur le marché, de racheter une autre entreprise bénéficiant de la vente d'autres engins de marques concurrentes, opération pour laquelle la société Tilly s'était endettée à hauteur d'une somme de 8 000 000 F, soit 1 219 592 euro.

Retenant que la société Tilly pouvait certes exploiter d'autres marques que la marque appartenant à la société Case, le tribunal a pris en compte la part importante du chiffre d'affaires réalisées par la société Tilly avec le matériel Case, la marque Case étant la seule marque sous laquelle était vendu l'élément central de son chiffre d'affaires, savoir les pelleteuses, engins pour lesquelles les acheteurs souhaitent avoir un interlocuteur unique pour toute la gamme employée.

Le tribunal a fait état également de courriers antérieurement adressés par la société Case France à ses partenaires, courriers mentionnant ses difficultés, lesquelles ont eu un retentissement sur la société Tilly comme sur les autres concessionnaires, et évoquant un partenariat durable.

Sur la base de ces considérations le tribunal a retenu, comme constituant une durée normale de préavis, un préavis d'une année entière.

S'agissant du reproche formé par la société Case France à l'encontre de la société Tilly d'avoir manqué à ses obligations contractuelles et notamment d'avoir effectué une publicité où apparaissait la marque Volvo qu'elle n'était pas autorisée à vendre dans son ressort, le tribunal a observé que ce fait n'était pas contesté mais qu'il était insuffisant à justifier la rupture, de même que l'insuffisance de résultat sur certains produits, insuffisance rapidement rattrapée, et alors que ces données n'ont pas été évoquées dans la lettre de rupture. Le tribunal a mis en évidence les bonnes relations antérieures entre les deux sociétés, au point que selon courrier du 15 décembre 1997 la société Case France avait porté la ligne de crédit de la société Tilly de 6 000 000 F à 8 000 000 F.

Le tribunal a remarqué que concomitamment la société Case France avait entrepris de réorganiser son réseau de vente en revendant ses succursales.

S'agissant de l'évaluation du préjudice résultant de la rupture prématurée du contrat, le tribunal a considéré que, s'il y avait lieu de tenir compte des bénéfices bruts escomptés, des investissements inemployés durant cette période, des frais de personnel inemployé ou licencié durant cette même période, cette indemnité ne pouvait avoir pour but de compenser le préjudice résultant de la rupture du contrat en elle-même en raison du principe de la liberté des relations contractuelles, et de la liberté de rompre, et qu'elle ne saurait équivaloir au coût d'achat de la société Colomat par la société Tilly.

Eu égard au chiffre d'affaires antérieur, le tribunal a indiqué retenir une indemnisation forfaitaire de 850 000 euro.

Le tribunal n'a pas retenu le grief fait par la société Tilly à la société Case France, consistant à lui avoir laissé croire qu'une négociation était encore possible, les courriers échangés entre les parties ne permettant pas de percevoir que la société Case France aurait pu laisser entendre qu'elle pouvait revenir sur sa décision, alors que les réunions qui ont eu lieu avaient pour but d'accompagner la rupture.

Concernant le reproche de manque de discrétion, l'absence d'invitation à certaines réunions, l'absence d'information sur la reprise d'activité de la société Case sur le territoire jusque-là concédé à la société Tilly, ce qui aurait empêché celle-ci d'informer les éventuels clients sur le service après-vente et sur les conditions de la garantie des matériels vendus, le tribunal a précisé que le préavis n'a de sens que s'il permet à la partie qui va perdre une partie de son activité de continuer à l'exercer de manière normale durant de la période de préavis et qu'il n'en est pas ainsi si le public sait que l'activité touche à sa fin et qu'il ne pourra pas entamer une relation durable avec ses partenaires, en sorte que dans ces conditions la discrétion s'imposait, étant insuffisant de se référer aux garanties contractuelles communes aux engins de la marque, dès lors que le service après-vente ne se limite pas aux garanties contractuelles, ce qui rendait légitime pour la société Tilly de se préoccuper non seulement des garanties, mais également du service après-vente, alors qu'elle a été tenue dans l'ignorance des projets de la société Case France sur ce point.

Le tribunal a donc évalué l'indemnisation au titre ces chefs de préjudice à la somme forfaitaire de 150 000 euro.

Le tribunal n'a pas considéré que M. Tilly, intervenu en qualité de dirigeant de la société Tilly, avait subi un préjudice personnel détachable de celui souffert par la SA Tilly, et a repoussé cette demande du dirigeant social.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 2 juin 2004, la société CNH France, venant aux droits de la société Case France, a relevé appel de cette décision.

Par ordonnance de référé du 13 juillet 2004, l'exécution provisoire ordonnée par le jugement susvisé a été assortie de la fourniture par la société Tilly d'une caution bancaire de 500 000 euro.

Par conclusions récapitulatives du 27 novembre 2006, la SA CNH France demande à la cour:

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de débouter la société Tilly et M. Claude Tilly de leurs demandes,

- de les condamner solidairement, et à défaut in solidum, aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions récapitulatives du 4 septembre 2006, la SA Tilly et M. Claude Tilly demandent à la cour:

- de juger recevable mais non fondé l'appel de la société CNH France,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a été jugé que la société Case France avait résilié de manière fautive le contrat verbal de concession exclusive et à durée indéterminée qui la liait à la société Tilly,

- de juger recevable et bien fondé leur appel incident,

- de condamner la société CNH France à payer à la société Tilly les sommes de 160 986 euro et 2 230 029 euro à titre de dommages-intérêts et à M. Tilly celle de 76 225 euro,

- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a été alloué à la société Tilly une somme de 1 500 euro pour frais irrépétibles,

- y ajoutant, de condamner la société CNH France sur ce même fondement à payer à la société Tilly une somme supplémentaire de 9 000 euro et à M. Tilly une somme de 1 500 euro,

- de condamner la société " Case France " aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Motifs de la décision:

Attendu que, s'agissant de l'exposé des faits de la cause, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs écritures respectives des 27 novembre 2006 et 4 septembre 2006, ainsi qu'aux énonciations du jugement attaqué ;

Attendu qu'il ressort des écritures des intimés que M. Claude Tilly ne demande pas l'indemnisation d'un quelconque préjudice matériel consécutif à la rupture, selon lui et la société anonyme de Tilly, anticipée et abusive des relations contractuelles entretenues avec la société Case France, et qu'il ne se prévaut en réalité que d'un préjudice d'ordre moral dont l'existence n'est pas démontrée, et la nature pas explicitée, aucune pièce n'étant apportée par lui aux débats au soutien de ses prétentions;

Que c'est par conséquent à juste titre que le Tribunal de grande instance de Metz a débouté M. Tilly de sa demande d'indemnisation à présent dirigée contre la société CNH France ;

Attendu qu'il convient de relever que, tant en première instance que en cause d'appel, la société Tilly a demandé l'indemnisation des préjudices causés par la résiliation à son sens brutale et abusive qui lui a été imposée par son cocontractant et a à cet effet avancé 3 griefs à l'encontre de la société Case France, savoir un premier grief tiré de l'insuffisance du préavis à l'issue duquel les relations contractuelles ont effectivement pris fin, un deuxième grief résultant du non-respect par la société Tilly de ses obligations contractuelles pendant l'exécution du préavis insuffisant qu'elle lui avait accordé, et un troisième grief découlant du caractère déloyal de la résiliation;

Sur la durée insuffisante du préavis consenti à la société Tilly par la société Case France:

Attendu que l'article L. 442-6 § 5 du Code de commerce énonce que engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, le texte précisant que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure;

Qu'il a été jugé sur la base de ce texte que les dispositions qu'il édicte s'appliquent même en cas de rupture de relations précontractuelles, que ce texte ne fait pas de distinction entre les relations commerciales contractuellement établies et les autres et que les termes de la loi ne permettent pas, dans la généralité de l'expression, d'instaurer des réserves ou des exceptions selon le type de marché ou de contrat, puisque en effet la notion de " relations commerciales établies " est étrangère à la notion restrictive de contrat commercial à durée déterminée et la dépasse, la loi ayant entendu viser une situation contractuelle née de la pratique instaurée entre des parties entretenant des relations d'affaires stables, suivies et anciennes quelles que soient leur forme ;

Que en cas de relations commerciales antérieures la juridiction saisie en déduit souverainement la durée du préavis;

Que, en l'absence d'usage professionnel, le caractère raisonnable du préavis doit être déterminé en prenant en considération l'ensemble des circonstances de fait entourant la relation commerciale, savoir, outre l'ancienneté des relations commerciales, les investissements effectués par le fournisseur au profit du distributeur et l'état de dépendance économique du premier par rapport au second, avec cette observation que l'application du texte n'est toutefois pas subordonnée à un état de dépendance économique de la victime de la rupture, la dépendance avérée ne constituant qu'un facteur aggravant, une telle appréciation de la dépendance économique d'une des parties résultant notamment de la part du chiffre d'affaires et de la marge brute dégagés par le concessionnaire au titre de la distribution des produits du concédant;

Que c'est l'addition de ces différents éléments d'appréciation qui conduit à déterminer le préavis raisonnable laissant à la partie qui n'a pas pris l'initiative de la résiliation le temps nécessaire pour assurer une phase de reconversion et lui permettre de prendre des dispositions afin de réorienter ses activités ou de rechercher de nouveaux clients;

Attendu que dans le cas présent la société anonyme Tilly, qui revendique un préavis de 24 mois, au lieu du préavis de 9 mois octroyé par la société Case France, a fondé sa prétention à partir de l'ancienneté des relations commerciales entre les deux entreprises, l'importance de l'activité générée par la distribution des produits Case Poclain par rapport à l'activité générale de la société Tilly, ainsi que la nature de cette activité de distribution de matériels de travaux publics impliquant des investissements lourds;

Attendu que à la date de notification de la rupture, soit le 13 mars 1998, la société anonyme Tilly prétend à une ancienneté des relations commerciales de 41 ans, indiquant avoir exploité à partir du même site situé à Woippy, sur le même secteur concédé, le même fonds de commerce successivement détenu et exploité par la société anonyme Tilly de 1957 à 1978, détenu par la société anonyme Tilly et exploité par la SE Tilly, locataire-gérante de ce fonds, de 1978 à 1993, et détenu et exploité par la SE Tilly, cessionnaire du fonds de commerce à compter du mois d'avril 1993, alors que pour sa part la société Case France fait observer que le premier contrat produit liant les parties est un contrat à durée déterminée du 2 janvier 1992, d'une durée de 2 ans, non renouvelable par tacite reconduction qui a donc pris fin le 31 décembre 1993, et qui n'a pas été renouvelé début 1993 dans le cadre d'un second contrat écrit proposé par elle, mais non approuvé ni signé par la société Tilly, le premier contrat ayant en conséquence a été suivi d'un contrat verbal à durée indéterminée, dont la cour d'appel de céans a déjà jugé qu'il n'était pas la continuation du contrat souscrit le 2 janvier 1992 ;

Qu'il convient de remarquer que aucun document n'est produit par la société Tilly pour la période comprise entre 1957 et 1978, le premier document fourni par elle sur l'ancienneté des relations contractuelles suivies entre les parties étant un courrier de la société Poclain adressé aux " établissements Tilly ", en date du 31 mars 1978, prenant acte de la création de la société d'exploitation des établissements Tilly, se référant au contrat signé entre les parties les 12 et 15 décembre 1977, contrat en exécution duquel la société Poclain a confirmé à son correspondant son autorisation de louer, à compter du 14 avril 1978, son fonds de commerce à la société d'exploitation des établissements Tilly, demandant en outre que la SA Tilly, titulaire de la concession Poclain garantisse les créances qu'elle-même pourra détenir sur la SE Tilly dans le cadre de son activité;

Que dès lors il y a lieu de considérer que les relations contractuelles entre les deux entreprises, quelle que soit la forme juridique des contrats ou des entreprises, remontent à la fin de l'année 1977, soit à la date de notification de la résiliation, une durée de presque 21 ans, en sorte qu'il est spécieux de la part de la partie appelante de prétendre que ces relations n'ont commencé qu'à compter du 1er janvier 1994, date à laquelle elle ne conteste pas que les parties ont continué d'être liées par un contrat non écrit et à durée indéterminée à la suite de l'arrivée du terme du contrat du 2 janvier 1992 ;

Que la poursuite des relations contractuelles est notamment caractérisée par le fait que, à l'occasion de la cession du fonds de commerce de la société anonyme Tilly à la SE Tilly et des actions de la SE Tilly, la société Case a donné son agrément à ces transactions par lettre du 28 mai 1993, lettre selon laquelle elle a pris acte de ce que ces opérations ne modifiaient pas de manière significative la structure du bilan de la SE Tilly et n'amenait pas d'endettement nouveau pour le " groupe familial " de Monsieur Claude Tilly et compte tenu également des compétences reconnues du repreneur;

Que d'autre part il est constant que la lettre de rupture du 13 mars 2008 a confirmé expressément l'existence et la poursuite de relations contractuelles au-delà du 31 décembre 1993;

Attendu, sur les durées de préavis respectivement avancées comme raisonnables et comme devant être appliquées au litige par l'une et l'autre des parties, qu'il ne peut être déduit du fait que :

- après la date de cessation des relations contractuelles au titre du contrat du 2 janvier 1992, et alors que la société Tilly a refusé de signer le nouveau contrat qui lui a été proposé par la société Case, lequel prévoyait un délai minimum de résiliation de 6 mois à condition que à la date de la résiliation le contrat soit en vigueur depuis plus de 1 an, la société Case a accepté de continuer à faire distribuer ses produits dans le secteur concédé par la société Tilly,

- soit que la société Case aurait accepté dans le cadre du contrat non écrit ayant pris effet à compter de janvier 1994 une durée de préavis de 24 mois telle que réclamée par l'Amicale des Concessionnaires de la société Case Poclain, aucune preuve d'une quelconque novation ou renonciation de la part de la société Case n'étant apportée par la société Tilly,

- soit que la société Tilly aurait au contraire accepté le préavis de 9 mois figurant dans les contrats de distribution que la société Case a fait signer à ses autres concessionnaires, puisque précisément la société Tilly n'a pas consenti à la même époque à apposer sa signature sur le contrat similaire préparé à son intention par la société Case;

Attendu que, s'agissant de la brutalité et de l'imprévisibilité de la rupture, il faut relever que jusqu'au dernier semestre de l'année 1997 la société Tilly a reçu de la part de la société Case des lettres de félicitations sur ses performances commerciales, que des gratifications, récompenses et voyages d'agrément ont été accordés par la société Case aux salariés de la société Tilly et que par courrier du 15 décembre 1997 la société Case a avisé la société Tilly que la ligne de crédit qu'elle lui accordait serait en 1998 portée à la somme de 8 000 000 F, l'auteur de cette lettre ajoutant qu'il espérait que cette disposition permettrait à la société Tilly d'assurer son développement;

Que cette dernière majoration substantielle de la ligne de crédit-fournisseur octroyé par le concédant au concessionnaire autorise la cour à juger que les 2 incidents survenus entre les parties au cours de l'année 1997, (savoir en premier lieu le reproche fait le 4 juillet 1997 par la société Case à la société Tilly d'avoir présenté des résultats insuffisants dans le domaine des chargeuses sur pneus, uniloaders, mini-pelles et mini-chargeuses sur pneus, et en deuxième lieu le manquement reproché le 14 novembre 1997 par la société Case à la société Tilly à l'obligation de non-concurrence lui faisant interdiction de s'intéresser directement ou indirectement à la distribution de matériels concurrents, en dehors de ceux désignés par avenants contractuels, manquement concernant l'annonce parue dans le journal " Les Affiches - Moniteur" du 28 octobre 1997, qui fait référence à la gamme complète de Volvo y compris les pelles hydrauliques, et sur lequel la société Tilly s'est expliquée dès le 28 novembre 1997 en faisant état d'une parution unique qui s'adressait selon elle uniquement à sa clientèle alsacienne, la société Tilly affirmant d'autre part qu'elle n'avait aucune intention de nuire au partenariat entre les deux sociétés et qu'il s'agissait d'un simple malentendu) ne pouvait laisser présager de la part de la société Case une volonté de rompre le contrat à brève échéance;

Attendu que l'importance stratégique pour la société Tilly de l'activité développée à partir de la distribution du matériel Case ne peut être valablement déniée par la société appelante au motif que la société Tilly, ne s'étant jamais engagée par écrit sur une certaine durée, n'aurait pas été tenue à l'égard du concédant d'une obligation de non-concurrence et parallèlement n'aurait bénéficié sur le territoire concédé que d'une exclusivité à caractère précaire, alors que le caractère verbal d'un contrat n'empêche pas qu'existent à la charge de l'une et l'autre des parties des obligations réciproques, devant être rappelé que dans son courrier du 14 novembre 1997 la société Case, se plaignant de la publicité intempestive faite par la société Tilly au profit de la gamme Volvo, s'est attachée à faire respecter l'obligation de non-concurrence, se référant expressément à l'article 7 du contrat du 2 janvier 1992, contrat ayant pourtant pris fin le 31 décembre 1993, ce qui implique que la société Case n'estimait pas à cette date que les obligations respectives des parties avaient le caractère précaire qu'elle annonce à présent;

Qu'il résulte des pièces produites par la société Tilly que le chiffre d'affaires réalisé à partir des ventes de produits Case est passé de 38 % en 1994 à 28 % en 1997 et 29 % en 1998, tandis que les autres marques distribuées par la société Tilly (Volvo, Manitou et Toyota, représentaient 47 % de ce chiffre d'affaires en 1994 et 60 % en 1997;

Qu'un tel le pourcentage ne place pas la société Tilly dans un état de dépendance économique, état de dépendance qui n'est au demeurant pas requis par les dispositions légales précitées, mais qu'il traduit néanmoins une relation de dépendance ayant pour conséquence que la perte du panneau Case ne pouvait manquer d'avoir des conséquences dommageables pour la société Tilly, et alors que les autres marques distribuées par elle concernent essentiellement des marques de matériel de manutention et non pas de matériel de travaux publics, et que ces autres gammes ne comportaient pas de pelles compétitives pouvant compenser la perte des pelles hydrauliques Case, lesquelles représentent une part prépondérante du chiffre d'affaires réalisé sous cette marque par le concessionnaire Tilly;

Que, à défaut d'autres éléments probants fournis par la société Case France, il ne peut être déduit de la baisse relevée ci-dessus du chiffre d'affaires Case entre 1994 et 1998 la preuve que la société Tilly aurait, dès avant la rupture et sans en avertir son cocontractant, réorienté ses activités, devant être pris en compte notamment la conjoncture du marché des travaux publics et l'évolution de la fiabilité des matériels Case, la société Case France ayant par lettre du 22 octobre 1996 fait état des difficultés connues par ses produits, reconnu les lacunes et les avantages de ses produits et du réseau de distribution, convenu qu'elle avait été trop lente à faire face aux problèmes rencontrés, précisé travailler activement à réduire son temps de réaction, pris l'engagement à moyen terme d'aider son réseau à développer ses produits, sollicité en retour le soutien de ses concessionnaires, insisté finalement sur sa volonté de renforcer son partenariat avec son correspondant, la société Tilly;

Attendu que, relativement au dernier critère invoqué par la société Tilly en vue de la fixation du délai de préavis auquel elle prétend, savoir la lourdeur des investissements rendus nécessaires par les impératifs de la distribution de la gamme des produits de la société concédante, il convient de remarquer que la société Tilly fait preuve d'une certaine carence au plan de la preuve qui lui incombe sur ce point précis, dès lors qu'elle n'a communiqué ni produit aucun élément probant établissant qu'elle aurait effectué spécifiquement pour la distribution des produits Case Poclain des investissements dont l'amortissement aurait été rendu impossible par la rupture prématurée du contrat, alors qu'il est constant que la société Tilly distribuait d'autres matériels tels que les matériels Volvo, Manitou et Toyota, ou encore démontrant qu'elle aurait supporté la charge d'investissements à la demande de la société Case qui lui en aurait imposé la réalisation, devant être observé que dans le cadre d'une activité de plus de 20 ans, et même de 41 ans comme elle l'affirme, la société Tilly a été largement en mesure d'amortir ce type de dépenses, et en tout cas des investissements de base relative à son activité de distributeur de matériel de travaux publics et de manutention y compris pour d'autres marques que la marque Case Poclain ;

Attendu que, eu égard aux éléments de fait ainsi définis, il convient de considérer que le délai de 9 mois mis en œuvre par la société Case France est insuffisant et ne mettait pas la société Tilly en mesure d'entreprendre une reconversion efficace par la recherche de nouveaux produits à distribuer et de nouveaux clients ;

Que la cour estime que le délai suffisant et raisonnable en vue d'une telle reconversion doit être fixé, non pas à 1 an comme l'ont arrêté les premiers juges mais bien à une durée supérieure de 18 mois, aucune considération pour réduire ce délai à 9 mois comme le souhaiterait la société concédante, ne pouvant être valablement retenue sur la base du retard apporté par le distributeur dans la recherche de la solution pouvant lui procurer de nouveaux produits à distribuer, puisque, s'il est vrai que la société Tilly a tenté pendant une période relativement longue de faire en sorte que la société Case France revienne sur sa décision de rompre le contrat, ainsi qu'en attestent ses courriers des 17 avril 1998, 5 mai 1998, 8 juin 1998, 2 juillet 1998 et 7 août 1998, et n'a entrepris de procéder à l'acquisition d'une société détenant une autre marque de produits similaires, savoir l'acquisition de la société Colomat distributeur pour le nord de la Lorraine des produits Liebherr que, selon ses propres écritures, par des diligences engagées dès le deuxième semestre 1998 pour rechercher par le canal d'un intermédiaire spécialisé dans la cession d'entreprises une opportunité d'acquisition, il faut néanmoins tenir compte de ce que cette solution relativement lourde a exigé l'élaboration d'un accord avec le cessionnaire, la conclusion d'un contrat de travail avec l'ancien dirigeant de la société Colomat, le financement du prix d'acquisition par l'intermédiaire d'un pool bancaire à hauteur de 8 000 000 F et d'un crédit vendeur de 3 000 000 F, outre des apports du groupe Tilly, après un audit des comptes de la société Colomat au 30 septembre 1998, l'opération n'ayant été finalisée que au cours du premier semestre de l'année 1999 par la signature des actes de cession et de financement, et alors d'autre part que la société Case France, à présent CNH France, admet elle-même dans ses conclusions d'appel que pour les besoins de la cessation des relations contractuelles à la suite de la résiliation décidée par elle les parties avaient à débattre de multiples problèmes tels que notamment le sort des commandes en cours, des stocks des produits neufs et de pièces de rechange, le sort des opérations de garantie en cours à la date d'effet de la résiliation, l'apurement des encours au titre du crédit-fournisseur, la restitution de la signalétique afférente à la qualité de cessionnaire et la restitution de la caution garantissant une partie de l'encours, toutes démarches requérant de multiples réunions entre les parties et pouvant retarder d'autant, ou au moins en partie, celles relatives à la reconversion de la société Tilly;

Sur le non respect par la société Case France de ses obligations contractuelles pendant la période de préavis:

Attendu que le premier grief formé par la société Tilly sous cette rubrique réside dans l'ambiguïté dans laquelle la société Case l'aurait maintenue quant à sa réelle volonté de rompre le contrat, la société Tilly en voulant pour preuve les réunions projetées, remises par la société Case, ou effectivement tenues;

Que c'est pourtant à juste titre que les premiers juges, à l'examen des échanges de courriers ayant suivi la lettre de notification de la résiliation, ont constaté que les termes employés par la société Case dans ses différents courriers n'étaient affectés d'aucune ambiguïté sur la volonté manifestée par elle de mettre fin aux relations contractuelles ;

Que la société Tilly ne peut se pré-constituer des preuves à elle-même et tirer valeur probante des lettres qu'elle a elle-même adressées à la partie adverse, lettres dont la société Case a toujours démenti les affirmations qu'elles contenaient quant à un possible changement d'intention de sa part et à l'éventualité de la poursuite des relations entre les deux entreprises;

Qu'il ressort au contraire des lettres ainsi échangées que la nécessité de maintenir les contacts entre les deux sociétés avait pour cause la définition et l'organisation des modalités d'apurement des comptes entre les parties, tant au point de vue financier, que au point de vue des stocks de matériels neufs, de pièces de rechange, de matériels d'occasion, et relativement au sort de garantie due aux clients et au devenir du service après-vente;

Attendu que la société Tilly reproche d'autre part à la société Case et en l'espèce à son directeur des ventes et de la distribution, d'avoir adressé à M. Claude Tilly le 16 avril 1998 un fax évoquant l'arrêt des relations commerciales des deux sociétés (et reportant un rendez-vous prévu pour le 5 mai 1998), ainsi que le fait que, au cours d'un voyage organisé en juin 1998 un salarié de la société Case a fait état de la rupture du contrat de distribution auprès d'un salarié de la société Tilly;

Que l'intention maligne prêtée à la société Case France n'est pas démontrée, l'emploi d'un fax adressé à M. Tilly personnellement n'étant pas un procédé a prohibé, de même que l'évocation en juin 1998 de la rupture des relations contractuelles, alors que celle-ci avait été notifiée à la société Tilly 3 mois auparavant;

Que surtout la société Tilly ne rapporte pas la moindre preuve, s'agissant d'abord du fax litigieux, que celui-ci aurait été porté à la connaissance d'une autre personne que son destinataire, ni que l'un ou l'autre de ces événements a réellement déstabilisé l'entreprise ou ses salariés, lesquels devaient au contraire être au plus tôt avisés par leur employeur d'une rupture des relations contractuelles pouvant avoir une incidence sur le devenir de la société est éventuellement sur leurs emplois;

Que aussi bien par lettre du 20 juillet 1998 la société Case France a démenti avoir jamais procédé à aucune communication officielle quant à la rupture de ses relations commerciales avec la société Tilly et a attiré son attention sur le fait que la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés ne saurait avoir un caractère confidentiel, le rédacteur de cette lettre ajoutant que les conditions de travail existant entre les sociétés dans le cadre de leurs relations commerciales n'ont pas été modifiées depuis l'envoi de la lettre de résiliation et que la société Case France a au contraire était toujours à la disposition de la société Tilly;

Que la société Tilly mentionne encore une lettre-circulaire qui aurait été adressée à chacun de ses clients par la société Case France en vue de l'ouverture d'une nouvelle agence Case à Metz;

Que le seul exemplaire produit par la société Tilly est une circulaire datée du 21 décembre 1998, soit 10 jours avant l'expiration du contrat, alors que d'une part il n'est pas prouvé que cet envoi à l'extrême fin des relations contractuelles a pu dissuader un quelconque client d'acheter du matériel Case auprès de la société Tilly et que d'autre part il ne peut être fait interdiction à la société Case, en prévision de l'achèvement du contrat de distribution la liant à la société Tilly, de réorganiser précisément la distribution de son matériel dans le secteur jusque-là concédé à la société Tilly;

Attendu que le troisième manquement explicité par la société Tilly quant à la mauvaise exécution par la société Case de ses obligations contractuelles durant la période de préavis de 9 mois consiste dans le fait que, selon elle, elle aurait été laissée par le concédant dans l'ignorance de la réorganisation du réseau de distribution Case, des modalités de prise en charge de la garantie contractuelle due aux clients Tilly ayant acheté du matériel Case ainsi que de l'organisation du service après-vente;

Qu'il faut cependant remarquer que la première réclamation faite à cet égard par la société Tilly à la société Case France a été formalisée par un courrier du 13 novembre 1998, soit seulement un mois et demi avant la fin effective du contrat, cette lettre incriminant " le refus catégorique de la société Case de nous communiquer quelque indication que ce soit sur les conditions dans lesquelles sera assurée la garantie contractuelle du matériel neuf dans l'avenir ", (refus qui) "entache d'autant plus la crédibilité de la société Tilly envers ses propres clients et paralyse son activité commerciale " ;

Que la société Case France a contesté formellement cette affirmation par lettre en date du 2 décembre 1998, a dénié mener une politique discriminatoire et d'affaiblissement de la société Tilly et a " confirmé que le service après-vente concernant les machines Case France vendues par la société Tilly, ainsi que la garantie constructeur sur ces machines à compter de l'arrêt de (nos) relations commerciales seront prises en charge par la succursale de Nancy qui reprendra le secteur " et a ajouté que " afin de permettre à Case France d'assurer un suivi adéquat du service après-vente et de la garantie constructeur de ces machines " il était demandé, à la société Tilly " de bien vouloir adresser à la société Case les listes des machines concernées dans les meilleurs délais " ;

Que la société Tilly a réitéré le 24 décembre 1998 son affirmation de ce qu'elle n'aurait pas été informée des conditions de la prise en charge du service après-vente et de la garantie des machines Case, M. Claude Tilly invoquant en outre le fait que la société Case France ne l'a pas averti de la création par elle d'une agence à Metz de sa succursale de Nancy, un tel défaut d'information valant à la société Tilly de nombreux appels téléphoniques de la clientèle désorientée par l'annonce de la création de " Case Metz " ;

Que ce dernier reproche ne peut être admis dès lors que la société Case France, qui, en raison de principe de la liberté contractuelle régissant les relations entretenues dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, n'avait pas à motiver sa décision de rompre le contrat et qui, n'étant tenue d'aucune obligation d'assistance en vue d'assurer la reconversion de son bientôt ancien partenaire, n'avait pas à informer ce concessionnaire de son projet de réorganisation du territoire dont la concession devait s'achever fin décembre 1998;

Que les lettres de clients produites aux débats par la société Tilly présentent l'inconvénient d'être proches de la date de cessation du contrat, ou d'en être postérieures, et de n'avoir pas la valeur probante qu'elle souhaiterait leur voir reconnaître:

- commande de la société Somergie du 4 novembre 1998 auprès de la société Tilly, suivie d'une plainte de cette entreprise le 13 novembre 1998 auprès de la société Case Poclain, compte tenu de ce que, lorsque cette société a consulté la société Tilly en vue de l'achat d'un chargeur TP, celle-ci ne lui a proposé que des engins Volvo et ne lui a soumis aucune offre quant au matériel Case Poclain, la société Tilly ne faisant pas la démonstration par ces deux documents qu'elle n'a proposé à ses clients que du matériel Volvo en raison de l'ignorance où elle se trouvait elle-même des conditions de la garantie Case et du service après-vente;

- lettre de l'agence Renault du 19 novembre 1998 mentionnant la rumeur selon laquelle la société Tilly ne serait plus concessionnaire Case Poctain, exprimant son inquiétude après l'achat récent d'une machine neuve et insistant sur les efforts énormes consentis par la société Tilly dans la partie commerciale et dans le service après-vente, ce client ne donnant néanmoins pas la date de son acquisition et n'indiquant pas avoir été dissuadé d'effectuer cette acquisition à la suite des rumeurs dont il a fait état;

- lettre de la société Eurovia en date du 8 décembre 1998 rappelant à la société Tilly qu'elle a commandé une pelle Case Poclain le 26 novembre 1998, que lors de l'achat d'un matériel neuf elle attache autant d'importance à la qualité du matériel qu'à la qualité du service sur le terrain (service pièces, SAV, ateliers et, dépannage en suspension), et déclarant être choquée de ce que Case France ne pouvait rien lui dire sur l'organisation future envisagée en Moselle, cette lettre, outre qu'elle est très proche de la date du 31 décembre 1998, n'impliquant pas pour autant que ce client aurait précédemment interrogé la société Tilly sur le service après-vente et la garantie et que cette société n'aurait réellement pas été en mesure de lui répondre;

- lettre de la société Maeva du 31 mars 1999, postérieure à la cessation du contrat, exprimant seulement le regret de son auteur de constater que M. Tilly se soit vu retirer sa concession et ne soit plus en mesure d'assurer le service après-vente ni couvrir la garantie ;

Attendu que les fautes ici alléguées ne sont pas démontrées, de sorte que les demandes présentées sur ce chef du litige ne peuvent être admises et que le jugement dont appel doit être infirmé en ce qu'il a accordé à la société Tilly une indemnité de 150 000 euro ;

Sur le caractère déloyal de la résiliation décidée par la société Case France

Attendu que la société Tilly expose que, confiante dans la poursuite de ses relations avec la société Case, elle l'a laissé procéder, en septembre 1997, sous couvert de contrôle de l'adaptation de l'organisation de l'entreprise aux standards concessions Europe Case, à un audit complet des différents secteurs d'activité de la concession, audit qui lui apparaît rétrospectivement avoir constitué une véritable forme d'espionnage industriel, et alors que la création à Metz d'une agence de la succursale Case de Nancy, celle-ci couvrant traditionnellement la Lorraine Sud, a permis à la société Case de récupérer le parc de Lorraine Nord de matériel Case constitué à grands frais par elle-même, avec cette conséquence que par la suite la société Case a pu céder à un investisseur indépendant sa succursale de Nancy et sa nouvelle agence de Metz, après avoir capté le potentiel commercial qu'elle a elle-même développé;

Qu'elle a en déduit que, quelle que soit la notoriété de la marque, la clientèle appartient au concessionnaire qui l'a développée au plan local, de sorte que en cas de résiliation abusive le concessionnaire a le droit à une indemnité compensatrice de la valeur d'incorporel qu'il avait constitué sous la marque concédée, cette attitude conférant un caractère déloyal et abusif à la décision de résiliation ;

Mais attendu que la société CNH France, venant aux droits de la société Case France, résiste justement à cette demande en rappelant que la société Tilly n'était pas propriétaire de la marque distribuée et que le concédant avait le droit de mettre fin à cette relation commerciale, indication qui ne peut être contestée ;

Qu'elle objecte en outre à bon droit qu'il ne peut lui être imputé à faute de réorganiser la distribution de ses produits à la suite de la résiliation du contrat de concession avec la société Tilly, alors qu'il y a lieu à nouveau de préciser que la société concédante n'est pas débitrice d'une obligation d'assistance envers son concessionnaire, ni de l'informer de ses projets de réorganisation du territoire concédé et du potentiel commercial redevenus disponibles en raison de la cessation du contrat;

Que à ce stade du raisonnement il est opportun de remarquer que le concessionnaire ne peut prétendre à une indemnité de clientèle à la suite de la résiliation du contrat de concession par le concédant, compte tenu de ce que le contrat de concession ne constitue pas un mandat d'intérêt commun, de ce que le concessionnaire propriétaire de son fonds de commerce développe sa propre clientèle pour son compte et en son propre nom, que cette clientèle locale, qui n'existe certes que par les moyens mis en œuvre par le concessionnaire par le biais des éléments corporels de son fonds de commerce et de l'élément incorporel que constitue le bail, fait elle-même partie du fonds de commerce du concessionnaire;

Que de surcroît il n'est apporté par la société Tilly aucune démonstration de ce que l'audit diligenté en son sein à l'initiative de la société Case, et accepté par elle-même, a été entrepris dans une intention malveillante et afin de capter le potentiel commercial constitué par le concessionnaire;

Attendu que toute demande fondée sur ce grief injustifié doit être rejetée;

Sur l'indemnisation de la société Tilly:

Attendu que le Tribunal de grande instance de Metz a de façon pertinente énoncé que l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture prématurée du contrat ne peut avoir pour effet de compenser le préjudice résultant de la rupture même du contrat, dès lors que le principe reste celui de la liberté de rompre, et que spécialement elle ne saurait équivaloir au coût d'achat de la société Colomat ;

Qu'il y a lieu pour parvenir à une évaluation du préjudice réellement subi de tenir compte de la perte de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis, c'est-à-dire pendant les 9 mois qui ont manqué à la société Tilly pour s'assurer une reconversion optimale;

Attendu que le document établi en février 2003 par la Compagnie Fiduciaire de Conseil et d'Audit à la demande de la société Tilly en vue de déterminer la marge brute dégagée par l'activité Case au sein de la société Tilly, complété par des observations de la même société en date du 8 septembre 2006 en vue de répondre aux objections contenues dans les écritures de la société CNH France, peut être utilement retenue comme base de calcul, pour avoir été soumise à la libre discussion des parties tant au cours de la procédure de première instance que en cause d'appel, étant constaté de plus que ce rapport a été assorti de documents comptables, notamment par la production des bilans de la société Tilly pour les exercices 1994 à 1997 ;

Que force de constater en outre que la société CNH France, qui critique abondamment ce travail, n'a versé aux débats aucune analyse de nature à le contredire et n'a formé aucune demande d'expertise financière;

Que la cour prendra ainsi pour base de calcul la marge brute 1998 de 8 801 KF, majorée en tenant compte de la progression du chiffre d'affaires des distributeurs Case pour l'année 1999, soit (8 801 KF x 118 %) x 9 / 12 = 7 788 KF, soit à présent 1 187 249 euro;

Que toutes autres demandes de la société Tilly à titre de dommages-intérêts seront rejetées;

Sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du NCPC:

Attendu que le jugement déféré doit être confirmé en ce que la société CNH France a été condamnée aux dépens de première instance et en ce qu'il a été alloué à la société Tilly une indemnité pour frais irrépétibles;

Que la société CNH France, devant être entendu que la dernière demande de la société Tilly tendant à la condamnation de la société Case France aux entiers dépens, doit se comprendre comme étant une demande de condamnation de la société CNH France aux dépens, doit être aussi condamnée à supporter les dépens d'appel et la charge au profit de la société anonyme Tilly d'une indemnité de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en appel;

Que la demande de M. Claude Tilly fondée sur l'article 700 du NCPC doit être rejetée;

Par ces motifs, Par arrêt contradictoire, prononcé publiquement : * juge recevables et partiellement fondés les appels principal et incident; * infirme ce jugement en ce qu'il a été alloué à la société anonyme Tilly une indemnité de 150 000 euro en compensation du préjudice résultant des manquements attribués à la société Case France au titre de ses obligations contractuelles durant la période de préavis; * rejette les demandes de la société Tilly concernant les manquements par la société Case France à ses obligations contractuelles pendant l'exécution du préavis et au devoir de loyauté auquel la société Case France était tenue; * confirme le jugement prononcé le 4 mai 2004 par le Tribunal de grande instance de Metz en ce que cette juridiction a considéré que le délai de préavis de 9 mois décidé par la société Case France était insuffisant et d'autre part en ce que la demande d'indemnisation à titre personnel formulée par M. Claude Tilly a été rejetée; * infirme ce jugement en ce qui concerne la durée de préavis jugée suffisante pour permettre la reconversion de la société anonyme Tilly, ainsi que en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée de ce chef à la société Tilly; * statuant à nouveau, dit et juge que le délai qui devait permettre à la société Tilly d'assurer sa reconversion dans de meilleures conditions à la suite de la perte du panneau Case est un délai de préavis de 18 mois et condamne la société anonyme CNH France, venant aux droits de la société Case France, à payer à la société anonyme Tilly la somme de 1 187 249 euro en compensation du préjudice découlant de la brutalité de la rupture et de l'insuffisance de la durée de préavis accordée; * rejette toutes autres demandes de la société anonyme Tilly et de M. Claude Tilly; * confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Metz en ses dispositions concernant les dépens et l'application de l'article 700 du NCPC; * condamne la société anonyme CNH France aux dépens d'appel et à payer à la société anonyme Tilly une somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.