CA Orléans, ch. com., économique et financière, 14 juin 2007, n° 05-03271
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Rajakumar
Défendeur :
Guerrab (Consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rémery
Conseillers :
M. Garnier, Mme Magdeleine
Avoués :
SCP Laval-Lueger, Me Bordier
Avocats :
SCP Prieto-Gillet, Me Blacher
Exposé du litige
Par acte sous-seing privé du 5 novembre 2004, M. Lahouari Guerrab et Mme Aicha Guerrab, épouse Chekrouni (les consorts Guerrab), copropriétaires indivis d'un fonds de commerce de restauration rapide exploité à Tours, sous l'enseigne "Les Andalouses", ont consenti à M. Rajakumar la location-gérance de ce fonds pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction, à compter du 5 novembre 2004. Une redevance mensuelle de 3 600 euro HT, soit 4 305,60 euro TTC, était stipulée, payable le 5 de chaque mois, sous peine d'un intérêt de retard de 5 % par jour de retard. Un dépôt de garantie de 16 000 euro a été versé entre les mains des loueurs. Enfin, le contrat contenait une clause résolutoire de plein droit pour non-paiement à l'échéance de la redevance ou inexécution d'une quelconque des autres conditions du contrat.
Les consorts Guerrab ayant fait délivrer le 3 mars 2005 un commandement de payer la redevance des mois de décembre 2004, janvier et février 2005 à M. Rajakumar, celui-ci a remis les clés à l'huissier de justice des bailleurs le 8 mars 2005. Ces derniers, autorisés par ordonnance du juge de l'exécution de Tours du 22 avril 2005, ont fait pratiquer, en garantie du recouvrement des trois mois de redevance réclamés en principal, soit la somme de 12 916,80 euro, une saisie-conservatoire sur le compte bancaire du locataire-gérant à la Banque Populaire Val-de-France, selon procès-verbal du 26 avril 2005, ce compte étant alors créditeur de 2 445,36 euro. Par décision du juge de l'exécution de Tours du 4 octobre 2005, qui est la première décision entreprise dans la présente instance, la mainlevée de cette saisie a été refusée. M. Rajakumar a interjeté appel de cette décision par déclaration du 2 décembre 2005 enregistrée sous le n° 3271-2005.
Parallèlement, les 24 et 25 mai 2005, les consorts Guerrab saisissaient le Tribunal de commerce de Tours d'une demande tendant à faire constater la résiliation du contrat de location-gérance, à obtenir le paiement des redevances demeurées impayées de décembre 2004 à mars 2005, outre les intérêts contractuels et les frais, ainsi que des dommages-intérêts. Reconventionnellement, M. Rajakumar sollicitait, à titre principal, l'annulation du contrat, subsidiairement sa résiliation aux torts des loueurs. Le Tribunal de commerce de Tours, par un jugement du 21 juillet 2006, qui est le second jugement entrepris dans la présente instance, a joint les deux demandes dont il était saisi, prononcé la nullité du contrat et condamné les consorts Guerrab à payer à M. Rajakumar la somme de 20 717,30 euro. Les consorts Guerrab ont relevé appel de ce second jugement par déclaration du 11 août 2006, enregistrée au greffe de la cour sous le n° 2308-2006.
Les deux affaires étant connexes, il y a lieu désormais de les joindre sous le n° 3271-2005 pour ne rendre qu'un seul arrêt.
Les prétentions et moyens des parties seront exposés dans les motifs qui suivent.
L'instruction a été clôturée par ordonnances du 16 mai 2007, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.
Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.
Motifs de l'arrêt
Attendu, au préalable, sur la procédure, que les consorts Guerrab qui reprochent à M. Rajakumar de ne pas communiquer son adresse personnelle actuelle, mais celle d'un fonds de commerce qu'il aurait acquis à Blois, mais qu'il aurait revendu depuis, ne tirent pas de conclusions procédurales de cette affirmation ; qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter ;
Sur la nullité du contrat de location-gérance du fonds de commerce, invoquée par M. Rajakumar :
Attendu que, dans sa rédaction applicable en la cause, l'article L. 144-3, alinéa 1er du Code de commerce impose seulement au loueur d'un fonds de commerce d'avoir lui-même exploité le fonds pendant au moins deux ans, sauf suppression ou réduction de ce délai par ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance, qui est absente en l'espèce ou exceptions légales, qui ne sont pas non plus en cause ; que, même s'il est défendeur à l'action en annulation du contrat de location-gérance, fondée sur le non-respect d'une telle durée, c'est au loueur qu'il appartient, cependant, de rapporter la preuve qu'il remplissait la condition de durée d'exploitation lors de la conclusion du contrat de location-gérance ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté et résulte de l'extrait du registre du commerce et des sociétés qui est versé aux débats qu'à ce registre M. Guerrab - Mme Guerrab y étant mentionnée comme copropriétaire non exploitante du fonds -, a commencé son activité le 7 novembre 2002, tandis que le contrat de location-gérance litigieux a été conclu le 5 novembre 2004, soit moins de deux ans après, même s'il manque seulement deux jours ;
Que, pour établir que la date du 7 novembre 2002 ne résulterait que d'une erreur de plume, alors que le registre du commerce et des sociétés est le seul document versé aux débats mentionnant le début d'exploitation par M. Guerrab du fonds loué et qu'aux termes de l'article R. 123-38.4° nouveau du Code de commerce (ancien article 8 du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés) c'est la personne physique déclarante qui indique elle-même la date de commencement d'activité, les consorts Guerrab, qui n'estiment pas devoir produire leur propre acte d'achat du fonds aux époux Lassier-Kutasi, mentionné, mais sans date d'acquisition ou d'entrée en jouissance, dans le bail commercial évoqué plus loin, se bornent à déduire, en quelques lignes, l'erreur de date commise par M. Guerrab lui-même du seul fait que, justement, la SCI propriétaire des locaux d'exploitation du fonds leur aurait consenti le renouvellement du bail à compter du 5 novembre 2002 et qu'on "voit mal l'intérêt de ne débuter celle-ci [l'activité des consorts Guerrab] que deux jours plus tard" (p. 5 de leurs conclusions du 30 avril 2007) ; que la date de prise d'effet du bail commercial ne suffit pas, néanmoins, à rapporter la preuve, à la charge des loueurs, que, contrairement à ce que le registre du commerce et des sociétés mentionne sur leur propre déclaration, leur activité aurait débuté, non pas le 7, mais le 5 novembre 2002 ; qu'ainsi, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a prononcé la nullité, absolue et d'ordre public, du contrat de location-gérance ;
Sur les conséquences de la nullité du contrat
Attendu que les consorts Guerrab, du fait de l'annulation, doivent restituer à M. Rajakumar toutes les sommes qu'ils ont encaissées au titre de la location-gérance ; qu'en premier lieu, il s'agit du montant du dépôt de garantie de 16 000 euro prévu au contrat que les consorts Guerrab ne contestent pas avoir reçu ; que, dans ses dernières conclusions signifiées le 17 avril 2007, M. Rajakumar sollicite en outre le remboursement d'une somme de 15 512 euro qui correspondrait, d'après ces écritures (p. 7 et 10), à une redevance payée d'avance au moyen de cinq chèques émis entre le 10 septembre et le 23 novembre 2004 ; que, pour établir le versement de cette somme, M. Rajakumar ne produit que des relevés de compte bancaire qui ne permettent aucun rapprochement avec le dossier, en l'absence de tout nom de bénéficiaire, aucune recherche n'ayant été faite auprès de l'établissement de crédit teneur du compte ; qu'il produit encore trois factures manuscrites à l'en-tête du restaurant "Les Andalouses" dont les deux premières sont particulièrement curieuses ; qu'en effet, elles sont datées des 13 septembre et 15 octobre 2004 et font état d'une somme pour le règlement de la location du local, sans autre précision, en septembre et octobre 2004 et d'un cautionnement, dont on ne comprend pas le sens, puisque la location-gérance n'a commencé que le 5 novembre 2004 ; qu'aucun élément n'établit que M. Rajakumar aurait réglé par avance la redevance, comme il le soutient, alors, au surplus, qu'il justifie n'avoir été, pendant cette période, que le salarié de M. Guerrab ; qu'en revanche, la troisième facture, du 13 novembre 2004, qui est la seule d'ailleurs à mentionner la TVA et le montant TTC de la redevance, soit exactement la somme de 4 305,30 euro se rapporte effectivement à la redevance de novembre 2004, et a été payée, puisque les consorts Guerrab eux-mêmes reconnaissent, dans leurs conclusions, que M. Rajakumar n'a cessé de payer la redevance qu'à compter de décembre 2004, ce qui implique qu'il a réglé la première de novembre 2004 ; qu'en définitive, comme le tribunal l'a, par conséquent, justement retenu, M. Rajakumar ne prouve avoir versé que la somme globale de 16 000 + 4 305,30 + 412 (frais d'acte prévus à l'article 13 du contrat, non contestés) = 20 717,30 euro qui lui sera remboursée ;
Que l'annulation du contrat, qui empêche les consorts Guerrab de rechercher la responsabilité contractuelle de M. Rajakumar à l'effet de les indemniser du préjudice résultant pour eux tant du fait d'avoir dû faire face à un emprunt dont les mensualités de remboursement n'étaient plus couvertes par les redevances impayées et d'avoir perdu le bénéfice d'une relocation immédiate du fonds, leur interdit aussi d'exiger, en tant que bailleurs solidaires des dettes d'exploitation du locataire - ce qui supposerait que le contrat de location-gérance soit valable -, le paiement de celles prétendument non réglées et la justification, sous astreinte, de l'absence de toutes dettes sociales et fiscales ; que, contrairement encore à ce qu'ils soutiennent, ils ne peuvent demander à M. Rajakumar une indemnité pour l'occupation du fonds exclusivement fondée sur cette occupation ou exploitation, la jurisprudence qu'ils invoquent étant obsolète depuis que, mettant fin à la controverse qui divisait trois chambres de la Cour de cassation sur ce point, celle-ci, statuant en Chambre mixte le 9 juillet 2004 (Bull. 2004, Ch. Mixte, n° 2, p. 3, sol. reprise depuis par Cass. 3e Civ. 2 mars 2005, Bull. civ. III, n° 57), a décidé que le caractère rétroactif de l'annulation obligeait seulement à restituer la chose vendue ou louée, en vertu du contrat annulé, sans indemnisation pour son utilisation de fait dans l'intervalle ;
Sur la saisie-conservatoire de créance
Attendu que les consorts Guerrab étant, aux termes du présent arrêt, débiteurs de M. Rajakumar, la saisie-conservatoire qu'ils avaient fait pratiquer à son encontre en garantie du recouvrement d'une créance inexistante, n'a plus de fondement, même si, au moment où elle a été pratiquée, elle n'était pas abusive ; qu'il y a lieu d'en ordonner la mainlevée aux frais des consorts Guerrab, mais sans dommages-intérêts au profit de M. Rajakumar ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que les consorts Guerrab supporteront solidairement tous les frais et dépens des deux instances jointes, en ce compris les frais de commandement de payer, de constat de départ des lieux et tous frais afférents à la saisie-conservatoire ; qu'à ce titre, ils verseront à M. Rajakumar la somme globale, pour les deux instance jointes par le présent arrêt, de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en remboursement des frais hors dépens exposés en appel ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort : Joint les instances n° 3271-2005 et 2308-2006 sous le premier numéro ; Confirme, dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Tours du 21 juillet 2006 (annulation du contrat de location-gérance du 5 novembre 2004 ; restitution par les consorts Guerrab tenus solidairement de la somme de 20 717,30 euro ; indemnité de procédure de 1 000 euro et dépens de première instance) ; Le complétant, rejette les demandes des consorts Guerrab tendant à obtenir de M. Rajakumar des dommages-intérêts, le paiement, en tant que "loueurs" solidaires du fonds de commerce, de dettes d'exploitation ou la justification de l'absence de telles dettes et une indemnité pour l'occupation ou l'exploitation du fonds ; En conséquence, infirme la décision du juge de l'exécution de Tours du 4 octobre 2005 et ordonne mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée sur le compte bancaire de M. Rajakumar à la Banque populaire Val-de-France, selon procès-verbal du 26 avril 2005 ; Rejette la demande de M. Rajakumar tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour saisie "illégitime" ; Condamne les consorts Guerrab, solidairement aux dépens d'appel, qui comprendront tous frais de commandement, constat, saisie et mainlevée de saisie, et à payer à M. Rajakumar, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme globale complémentaire de 2 000 euro en remboursement de tous ses frais hors dépens exposés en appel et devant le juge de l'exécution ; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un office d'avoué près cette cour, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.