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Décisions

CA Paris, 21e ch. B, 6 septembre 2007, n° 06-01219

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Guarino

Défendeur :

Gayon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Veille

Conseillers :

M. Léo, Mme Bertrand-Royer

Avocats :

Mes Zanotto, Thevenin

Cons. prud'h. Paris, sect. encadr., du 3…

30 septembre 2005

Monsieur Vincent Guarino a été engagé par la SA Gayon à compter du 2 juin 1983, en qualité de VRP exclusif.

Il proposait à une clientèle de menuisiers, serruriers et professionnels du bâtiment, des articles de quincaillerie sur le secteur comprenant les départements 77, 93 et 94.

Il était rémunéré exclusivement par des commissions sur le chiffre d'affaires réalisé et percevait en dernier lieu, une rémunération mensuelle moyenne de 3 698 euro.

Par lettre recommandée du 30 août 2000, il prenait acte de la rupture aux torts de son employeur, lui reprochant des dysfonctionnements préjudiciables à ses intérêts, notamment de graves problèmes de livraison et un catalogue ancien, aux références en partie fausses et un tarif de 1994, non réactualisé.

En réponse, la SA Gayon le mettait en demeure, par lettre recommandée du 8 septembre 2000, de réintégrer son poste puis, après l'avoir convoqué à un entretien préalable, le licenciait pour faute lourde, par lettre recommandée du 2 octobre 2000 en levant la clause de non-concurrence qui figurait à son contrat de travail.

Par jugement du 26 mars 2002, le Conseil de prud'hommes de Paris, saisi le 25 octobre 2000 par Monsieur Vincent Guarino de demandes en paiement de rappel de commissions ainsi que de différentes indemnités, a, avant-dire droit ordonné une expertise comptable aux fins de déterminer les commissions dues et encaissées sur la période de juin 1995 à juin 2000 et d'établir le solde éventuellement dû.

L'expert commis a déposé son rapport le 10 mai 2004 et par jugement du 30 septembre 2005, le Conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage, a:

- dit le licenciement pour faute grave justifié,

- entériné le rapport d'expertise,

- condamné la SA Gayon à payer à Monsieur Vincent Guarino les sommes de 5 819 euro à titre de rappel de commissions et de 581,90 euro au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2000,

- rejeté le surplus des demandes de Monsieur Vincent Guarino,

- débouté la SA Gayon de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de dommages-intérêts en application de la clause pénale contractuelle et d'indemnité fondée sur l'article 700 du NCPC.

Régulièrement appelant, Monsieur Vincent Guarino demande l'infirmation de cette décision en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes, sa confirmation en ce qu'elle a rejeté les demandes reconventionnelles de la SA Gayon et la condamnation de cette dernière à lui payer, avec intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance, les sommes suivantes :

* rappel de commissions : 52 531 euro, subsidiairement : 5 819 euro,

* congés payés afférents : 52 531 euro, subsidiairement : 581,90 euro

* indemnité de congés du 1er juin au 30 août 2000 : 1 307,68 euro,

* indemnité de préavis : 11 094 euro,

* congés payés afférents : 11 094 euro,

* indemnité spéciale de rupture : 32 912 euro,

* dommages et intérêts pour rupture abusive : 22 867 euro,

* article 700 du NCPC : 3 000 euro,

La SA Gayon sollicite le débouté de Monsieur Vincent Guarino de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui verser la somme de 11 094 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis, celle de 88 750,94 euro en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des agissements déloyaux de son représentant et une indemnité de 3 048,98 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La cour se réfère aux conclusions développées à l'audience par les parties et visées par le greffier le 24 mai 2007.

Sur ce, LA COUR :

- Sur la demande de rappel de commissions :

Monsieur Vincent Guarino soutient que la SA Gayon a modifié unilatéralement sa rémunération, en majorant à son insu de 3 % le prix d'achat de la marchandise alors que le taux de marque, qui correspond à la différence entre le prix de vente et le prix d'achat des produits, déterminait le pourcentage de son commissionnement, ainsi ce pourcentage était de 6 % pour les affaires traitées à un taux de marque supérieur à 1,39, de 2 % pour un taux de 1,30 à 1,39....

Elle ne conteste pas avoir majoré, à compter de 1993 ou 1994, le prix d'achat des produits qu'elle commercialise de 3 % soutenant que cette pratique commerciale très répandue, dite freinte, qui a pour but de compenser les écarts négatifs d'inventaire, était nécessairement connue de Monsieur Vincent Guarino puisqu'il exerce le métier de commercial depuis une vingtaine d'années.

Elle estime en outre qu'il n'y a eu aucune modification du contrat de travail dans la mesure où celui-ci ne fixait que le seul taux de commissionnement.

L'expert mandaté par le conseil de prud'hommes a conclu que s'il est habituel que les entreprises appliquent aux prix de revient des marchandises vendues, une revalorisation afin de tenir compte des pertes sur stock, de la détérioration d'articles, des vols... "Encore convient-il que son application soit très clairement expliquée aux représentants" et qu'en l'espèce, la SA Gayon qui appliquait une revalorisation de 3 % pour frais de stockage, ne justifie pas avoir porté cette revalorisation à la connaissance de ses représentants.

Pour ce motif l'expert a fixé le montant des commissions restant dues à Monsieur Vincent Guarino à la somme de 5 819 euro, par des conclusions qui emportent la conviction de la cour, après avoir procédé par examens d'échantillons; le contrôle de l'ensemble des opérations aurait en effet entraîné un coût et des délais de dépôt de rapport excessifs.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

- Sur la rupture :

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur Vincent Guarino a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 30 août 2000, son contrat de travail a donc été rompu par ce courrier et non par le licenciement notifié ultérieurement.

Dans sa lettre du 30 août 2000, Monsieur Vincent Guarino reprochait à son employeur de graves problèmes de livraison et la mise à sa disposition d'un catalogue ancien de 1990 aux références en partie fausses avec un tarif de 1994, non réactualisé.

Il justifie dans ses conclusions, sa prise d'acte de la rupture d'une part, par les dysfonctionnements persistants de la société relatifs au catalogue, aux livraisons, aux délais non respectés et aux interventions faites à son insu sur son secteur et d'autre part, par la modification unilatérale des conditions de sa rémunération par son employeur.

La SA Gayon indique que la prise d'acte de la rupture notifiée par Monsieur Vincent Guarino n'est motivée que par sa volonté de "passer à la concurrence" puisqu'il a signé dès le 27 juillet 2000, avec une société concurrente, la société Cogeferm, un nouveau contrat de travail prenant effet le 4 septembre 2000 et que cette prise d'acte doit s'analyser en une démission.

Au vu des pièces versées aux débats, Monsieur Vincent Guarino, comme certains de ses collègues ont dénoncé les dysfonctionnements de la SA Gayon à la Direction de l'entreprise dès 1996 et malgré les engagements pris par la société pour y remédier, ces dysfonctionnements ont persisté au vu des nombreuses lettres de réclamations adressées par des clients à Monsieur Vincent Guarino ou à la SA Gayon avec copie à Monsieur Vincent Guarino, dans les mois qui ont précédé la prise d'acte de la rupture, ainsi Air France reprochait à la SA Gayon des retards importants de livraisons le 10 avril 2000, la SMTB signalait le 16 mai 2000, des délais de livraison excessifs, la Menuiserie Delarasse écrivait le 2 juin 2000 que "passer une commande aux établissements Gayon relève du parcours du combattant" compte tenu des erreurs de références et des livraisons incomplètes, la société des ateliers Thonnelier se plaignait le 28 juin 2000 de se voir facturer des frais de port sur le reliquat d'une livraison, la société Loupias Bois indiquait le 26 juin 2000 qu'elle venait de recevoir " une fois de plus " une livraison incomplète, la SARL Serrurerie Ernest annulait le 25 juillet 2000 le solde de sa commande passée le 26 juin précédant, précisant que le matériel attendu lui était nécessaire immédiatement et informait la SA Gayon qu'elle se passerait désormais de ses services.

Ces conditions de travail difficiles et la perte de certains clients ont nécessairement eu une incidence sur la rémunération de Monsieur Vincent Guarino et la majoration appliquée par la SA Gayon sur le prix d'achat de ses produits, sans l'accord de son représentant, modifiait le taux de marque, lequel était un élément de la détermination du taux de commission et par conséquent modifiait les conditions de la rémunération de Monsieur Vincent Guarino.

Celui-ci soutient donc à juste titre que son employeur a modifié son contrat de travail sans son accord et que ses carences lui étaient préjudiciables.

Les faits invoqués par Monsieur Vincent Guarino justifiaient par conséquent la rupture de son contrat de travail et celle-ci doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens et il sera alloué à ce titre à Monsieur Vincent Guarino l'indemnité demandée de 22 867 euro, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, ainsi que l'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin au 30 août 2000 de 1 307,68 euro et l'indemnité spéciale de licenciement de 32 912 euro, en application de l'article 14 de la convention collective des VRP, applicable à la relation des parties, dont les montants ne sont pas discutés ; ces deux dernières sommes avec intérêts à compter du 30 octobre 2000, date de réception par la SA Gayon de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.

En revanche, Monsieur Vincent Guarino sera débouté de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis dans la mesure où il n'est pas demeuré à la disposition de son employeur après sa prise d'acte de la rupture pour accomplir son préavis mais a occupé immédiatement un autre emploi.

- Sur les demandes formées par la SA Gayon

La SA Gayon soutient que Monsieur Vincent Guarino a enfreint les clauses d'exclusivité et de non-concurrence figurant à son contrat de travail ainsi que son obligation de loyauté puisqu'il a été engagé par un concurrent alors qu'il était astreint à un préavis de trois mois et qu'elle ne l'a libéré de la clause de non-concurrence que le 2 octobre 2000.

Toutefois, en licenciant son représentant pour faute lourde, la SA Gayon faisait le choix de le dispenser de l'exécution de son préavis et s'agissant de l'inobservation reprochée à Monsieur Vincent Guarino de ses obligations, il convient de constater d'une part qu'il avait rompu son contrat de travail le 30 août 2000 et qu'il a conclu un autre contrat de travail à compter du 4 septembre 2000, qu'il n'a donc pas manqué à ses obligations d'exclusivité et de loyauté et d'autre part qu'il a été engagé par son nouvel employeur en qualité de "directeur du service études" et ne pouvait enfreindre la clause de non-concurrence insérée dans le contrat signé avec la SA Gayon ainsi que cette dernière l'a reconnue dans la lettre de licenciement qu'elle lui a adressée le 2 octobre 2000 puisqu'elle indiquait "nous avons pris acte que chez votre nouvel employeur, vous étiez affecté à un poste de cadre sédentaire sur les départements Ouest de l'Ile-de-France, ne présentant pas de risque de concurrence à l'égard de Gayon".

C'est donc à bon droit que le premier juge a débouté la SA Gayon de ses demandes reconventionnelles.

- Sur les demandes fondées sur l'article 700 du NCPC :

Il sera alloué à Monsieur Vincent Guarino à ce titre la somme de 1 200 euro.

La SA Gayon qui succombe pour l'essentiel, sera déboutée de sa demande et condamnée aux dépens.

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il a dit le licenciement justifié par une faute grave et débouté Monsieur Vincent Guarino de ses demandes d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin au 30 août 2000, d'indemnité spéciale de rupture et de dommages-intérêts pour rupture abusive, Statuant à nouveau, sur ces chefs, Dit que le contrat de travail a été rompu par la prise d'acte de la rupture notifiée par Monsieur Vincent Guarino par lettre en date du 30 août 2000 et que cette dernière produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Condamne la SA Gayon à verser à Monsieur Vincent Guarino les sommes suivantes : * 22 867 euro (vingt deux mille huit cent soixante sept euro) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Cette somme avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, * 32 912 euro (trente deux mille neuf cent douze euro) à titre d'indemnité spéciale de rupture, * 1 307,68 euro (mille trois cent sept euro et soixante huit centimes) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin au 30 août 2000, Ces deux dernières sommes avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2000, Confirme le jugement pour le surplus, Y ajoutant, Condamne la SA Gayon à verser à Monsieur Vincent Guarino la somme de 1 200 euro (mille deux cents euro) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SA Gayon aux dépens.