CA Montpellier, 2e ch. A, 27 mars 2007, n° 05-03627
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caves du Languedoc Roussillon (SARL)
Défendeur :
Château de Robert (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
Mmes Plantard, Debuissy
Avoués :
SCP Garrigue-Garrigue, SCP Divisa-Senmartin
Avocats :
Mes Caupert, Vaissière
Vu le jugement rendu le 22 juin 2006 par le Tribunal de commerce de Montpellier ;
Vu l'appel interjeté à l'encontre de ce jugement dans des conditions dont la régularité n'est pas discutée ;
Vu les conclusions de la société Caves du Languedoc Roussillon, appelante, déposées le 18 janvier 2007 ;
Vu les conclusions de la société Château de Robert, intimée, déposées le 23 février 2007 ;
Attendu que pour l'exposé des moyens et prétentions des parties il est renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du NCPC, à leurs conclusions visées ci-dessus ;
Attendu que par acte en date du 29 décembre 1995 la société Château de Robert (la mandante), qui exploite un domaine vinicole, a confié à la société Caves du Languedoc Roussillon (l'agent) la commercialisation de l'un de ses crus moyennant une rémunération égale à la différence entre le prix de vente et le prix de revient ; qu'alors qu'elle réglait à l'agent depuis 1996 les remises de fin d'année au taux d'environ 0,5 % négociées avec la société Carrefour Belgique, principal client, la mandante s'est vu réclamer à ce titre à partir de 2001 des sommes correspondant à des taux de l'ordre de 4 % et ne s'est exécutée que le 28 mai 2004 après qu'en raison du non-paiement l'agent eût refusé de continuer à œuvrer pour son compte ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juin 2004 elle a rompu le contrat pour faute grave au motif que les remises de fin d'année s'analysaient en une diminution du prix de vente qui devait s'imputer sur la commission de l'agent et que malgré leur paiement depuis quinze jours des commandes de l'ordre de 10 000 bouteilles passées par le principal client n'avaient toujours pas été traitées ;
Attendu que l'agent a alors assigné la mandante en paiement d'une indemnité de 44 902,42 euro pour brusque rupture ; que par le jugement attaqué le tribunal de commerce a rejeté sa demande au motif qu'il n'avait pas honoré ses engagements de représentation et de négociation depuis le mois de février 2004, avait annulé arbitrairement une commande de 3 000 bouteilles, et avait de surcroît manqué à son devoir de loyauté et d'information ; que, sur demande reconventionnelle, il a condamné l'agent à rembourser la somme de 16 929,03 euro perçue au titre des remises de fin d'année, en relevant que le contrat ne mettait pas ces remises à la charge de la mandante ;
Sur ce,
Sur les remises de fin d'année
Attendu que le contrat stipule : "la rémunération de CLR correspondra à l'écart entre le prix de revient et le prix de vente. Elle comprendra les frais d'agent ainsi que les ristournes et remises effectuées par les soins de CLR au client. CLR réglera directement les agents" ; que l'agent en déduit que les remises, qui étaient destinées à être rétrocédées au client, étaient dues ; qu'il affirme que la mandante a été régulièrement informée des taux pratiqués par les conditions de vente et les structures des prix qui lui ont été transmises et nie s'être, à cet égard, rendu coupable de dol ; que la mandante persiste à soutenir que les remises, discrétionnairement négociées par l'agent, venaient en déduction du prix de vente et que si l'interprétation contraire devait être retenue la nullité de la clause dont l'agent revendique le bénéfice devrait être prononcée en conséquence du dol dont il se serait rendu coupable en ne l'informant pas clairement de l'augmentation du taux des remises ;
Attendu que la clause litigieuse doit être interprétée comme signifiant que la différence entre le prix de revient et le prix de vente inclut les remises et ristournes et non l'inverse qui aboutirait à obliger l'agent, chargé d'en faire l'avance personnellement, à déduire ces avantages d'une commission assise sur un prix de vente les excluant, de sorte qu'il aurait à les supporter deux fois ; qu'à supposer que la mandante se soit méprise sur la portée d'une clause qu'elle a elle-même stipulée et qui doit s'interpréter en faveur de l'agent, elle ne peut sérieusement prétendre à son annulation en considération de faits postérieurs au contrat insusceptibles de caractériser un dol nécessairement contemporain de l'échange des consentements ;
Attendu qu'aucun élément du dossier n'accrédite l'hypothèse que la remise de fin d'année de 4 % a été acceptée par l'agent au détriment des intérêts de la mandante et non, comme il le soutient, aux fins de pénétration et de conservation d'un marché, cette preuve ne pouvant se déduire de la seule attestation de l'expert-comptable de la mandante qui affirme que depuis la rupture des relations plus aucune remise n'est accordée au client concerné ; que l'agent rapporte la preuve par des attestations non combattues quant à leur teneur que la remise de 4 % a été exigée par la société Carrefour Belgique de ses autres fournisseurs ; qu'aucune démonstration n'est faite par la mandante de ce que, si elle avait négocié elle-même la remise elle aurait obtenu sa minoration ou aurait été en mesure de la refuser en perdant le marché, la cause de son ire, révélée par ses courriers, étant la minoration de sa marge qui n'est d'ailleurs pas démontrée compte tenu de l'augmentation concomitante du prix de vente ; qu'il faut en déduire que l'acceptation et la facturation de la remise ne procèdent pas d'un comportement déloyal démontré reprochable à l'agent ;
Attendu que le taux de remise de 4 % pour l'année 2001 et les années suivantes n'apparaît que dans la " décomposition du prix de vente " établie par l'agent, ce document, qui conditionne la détermination du prix de revient, étant cependant suffisamment important pour que la mandante ne puisse prétendre ne pas avoir reçu l'information ; que, aucun agrément préalable des remises n'étant imposé par le contrat et l'agent n'ayant pas agi de manière déloyale en acceptant le taux critiqué, le jugement sera infirmé en ce qu'il a ordonné la restitution des commissions perçues, au demeurant versées en connaissance de cause par la mandante ;
Sur l'indemnité de brusque rupture.
Attendu que la mandante soutient que l'agent a commis une faute grave, exclusive de l'indemnité compensatrice par application des dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce, en ce qu'il a dolosivement bloqué les commandes de vin depuis le mois de février 2004, persisté dans son attitude après le règlement des remises le 28 mai 2004, et manqué à ses obligations de loyauté et d'information en ne signalant pas de manière claire fin 2001 l'augmentation de la remise à l'occasion de la demande de déclaration de chiffre d'affaires annuel ; que l'agent rétorque qu'il a légitimement cessé d'exécuter le contrat en février 2004 dès lors que la rémunération exigible à laquelle il pouvait prétendre ne lui avait pas été versée, et qu'après le règlement il a tout aussi légitimement subordonné la gestion des commandes à venir au provisionnement des remises de fin d'année correspondantes ;
Attendu que les motifs ci-dessus excluent toute faute grave de l'agent dans l'acceptation, le signalement et la facturation de la remise de fin d'année de 4 % ; qu'il ne peut lui être reproché de ne plus être intervenu pour assurer la livraison finale de 3 000 bouteilles en février 2004, alors que depuis plusieurs mois il réclamait en vain son dû et était en droit de se prévaloir de l'exception d'inexécution ; que, l'assertion de l'agent selon laquelle le client réclamait le règlement de la remise à chaque livraison, qui figure dans plusieurs écrits antérieurs au paiement du 28 mai 2004, n'étant pas contredite par la mandante, et le contrat n'organisant à cet égard aucune périodicité, l'exigence de l'agent, même postérieurement au paiement, d'obtenir le provisionnement de la remise au fur et à mesure des ventes, n'était pas illégitime ; que n'est pas gravement fautif dès lors son refus, maintenu après la paiement, de reprendre ses prestations avant que le provisionnement soit accepté ;
Attendu qu'il en résulte que, aucune faute grave n'étant caractérisée à la charge de l'agent, celui-ci peut prétendre à l'indemnité de rupture fixée à deux ans de commissions par le contrat et dont le montant, tel que réclamé, n'est pas contesté ; que la mandante, qui a succombé, ne peut prétendre à dommages-intérêts en raison de manquements, écartés ci-dessus, qu'elle impute à l'agent ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable. Au fond, infirme la décision attaquée et, statuant à nouveau, Condamne la société Château de Robert à payer à la société Caves du Languedoc Roussillon une somme de 44 902,42 euro à titre d'indemnité de rupture avec les intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2004, date de la mise en demeure. Déboute la société Château de Robert de ses demandes en remboursement et en dommages-intérêts. La condamne aux entiers dépens. La condamne à payer à la société Caves du Languedoc Roussillon une somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles. Admet l'avoué de la société Caves du Languedoc Roussillon au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.