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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 12 novembre 2008, n° 07-05426

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi

Défendeur :

Distrileg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mmes Cocchiello, Legeard

Avoué :

SCP Bazille

Avocat :

Me Chevallier

T. com. Brest, du 20 juill. 2007

20 juillet 2007

Exposé du litige

La société Distrileg exploite un hypermarché de 10 000 mètres carrés de surface de vente sous l'enseigne "E. Leclerc".

Cet hypermarché fait partie du groupement E. Leclerc.

A ce titre, la société Distrileg adhère à la société coopérative Groupement d'Achats Leclerc (ou GALEC) qui est la centrale nationale de référencement du groupement.

Le GALEC agit pour le compte de ses adhérents qui l'ont mandaté à cette fin : il négocie pour l'année auprès des fournisseurs les conditions d'achat des magasins et les conditions accessoires relatives à la publicité ou aux promotions. Ces négociations font l'objet d'accords et de contrats qui sont communiqués aux magasins et aux centrales d'achats régionales du groupement.

Par ailleurs, des structures intermédiaires entre le GALEC et les centres E. Leclerc, les sociétés coopératives d'achats (SCA), ont mission de centraliser les commandes et d'organiser des plates-formes logistiques.

La société Distrileg est affiliée à la société coopérative d'achats, la société coopérative d'achats régionale d'Armorique (SCARMOR).

Les centrales régionales d'achats ainsi que les magasins ont la faculté de négocier des accords et des contrats spécifiques avec les fournisseurs de leur choix.

La société Distrileg a signé ainsi des contrats de coopération commerciale avec ses fournisseurs.

La Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Finistère a réalisé une enquête le 17 mai 2005 qui a porté sur quatre fournisseurs directs PME ou PMI de l'industrie agro-alimentaire, les sociétés Kerhoas, Kritsen, Laïta et Meralliance, situées dans le département du Finistère, pour lesquels la société Distrileg a émis 15 factures de prestations de services entre le premier janvier 2004 et le 31 mars 2005 pour une somme totale de 84 711,65 euro TTC.

Estimant que l'enquête a révélé des pratiques contraires aux dispositions du Code de commerce, et l'obtention d'avantages non justifiés par des services de coopération commerciale, soit que le service prévu n'a pas été rendu ou que le service rendu ne relève pas de la coopération commerciale, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a engagé une procédure devant le Tribunal de commerce de Brest sur le fondement des articles L. 442-6 I -2°, L. 442-6 III, et L. 470-5 du Code de commerce.

Par jugement du 20 juillet 2007, le Tribunal de commerce de Brest:

* a déclaré l'action du ministre recevable,

* l'en a débouté,

* l'a condamné à payer à la société Distrileg la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles,

* l'a condamné aux dépens.

Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a interjeté appel de cette décision.

Il demande à la cour de:

* infirmer la décision,

* juger que la société Distrileg a obtenu de ses fournisseurs des avantages ne correspondant à aucun service effectivement rendu,

* enjoindre à la société Distrileg de cesser les pratiques dénoncées,

* condamner la société Distrileg à restituer les sommes indûment perçues, soit la somme de 84 711,65 euro TTC, se décomposant comme suit:

* au profit de la société Kerhoas : 74 551,63 euro

* au profit de la société Laïta: 316,94 euro

* au profit de la société Kritsen : 3 599,96 euro

* au profit de la société Meralliance : 6243,12 euro

* cette restitution devant s'opérer par l'intermédiaire du Trésor public,

* condamner la société Distrileg au paiement d'une amende civile de 40 000 euro,

* condamner la société Distrileg aux entiers dépens,

* condamner la société Distrileg au paiement au profit de l'Etat de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il expose :

- que son action est recevable,

- que son action est bien fondée, que la société Distrileg a bénéficié de rémunérations ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu dans le cadre d'accords de coopération commerciale, que les services sont fictifs ou sans spécificité (mise en avant rolls pour société Kerhoas), ou sans intérêt commercial et non justifiés (Laïta, Kritsen et Meralliance, Kerhoas),

La société Distrileg demande à la cour de:

* débouter l'appelant de ses demandes, confirmer le jugement,

* condamner le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive

* condamner le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

* condamner le même aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle expose que l'action engagée par le ministre de l'Economie n'est pas autonome mais subsidiaire, qu'elle est ici contraire à la volonté des bénéficiaires des services fournis par la société Distrileg qui ont voulu ces relations commerciales et s'en sont trouvés satisfaits, que l'action n'est pas fondée alors que les prestations correspondent à un service rendu, en l'espèce un service de marketing à des fournisseurs ainsi qu'il en est attesté, (ex : mise en place de roll) et ne sont nullement fictives, qu'il n' y a pas de pratiques restrictives de la concurrence et atteinte à l'ordre public.

La cour se réfère pour plus ample exposé des faits, moyens aux écritures des parties en date des 3 janvier et 4 avril 2008.

Discussion

• Sur la recevabilité de l'action du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie:

Considérant que l'action du ministre chargé de l'Economie, exercée en application des dispositions de l'article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques qui sont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l'indu et au prononcé d'une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs,

Considérant en l'espèce que l'absence de mise en cause des fournisseurs dans cette procédure n'est pas requise à peine d'irrecevabilité de l'action,

Considérant que l'action du ministre est recevable,

• Sur le bien-fondé de la demande du ministre:

Considérant que la société Distrileg a signé avec ses fournisseurs, les sociétés Kerhoas, Kritsen, Laïta et Meralliance des contrats de coopération commerciale, que les prestations proposées par la société Distrileg moyennant rémunération concernent la réalisation d'études de marketing sur les produits du fournisseur, outre, pour la société Kerhoas, la mise en avant de rolls au sol,

• Sur la mise en avant de rolls au sol:

Considérant que les contrats signés, à durée trimestrielle précisent que le distributeur tend à favoriser l'augmentation des parts de marché, la promotion, la valorisation de l'image du fournisseur auprès des consommateurs par des actions spécifiques, en l'espèce par la mise en avant de rolls Kerhoas; que cette activité est rémunérée par le versement par la société Kerhoas à la société Distrileg d'une somme variant entre 11 400 à 11 700 euro environ pour trois mois,

Considérant que le service fourni doit aller au-delà de la simple obligation résultant des achats et des ventes, qu'il doit s'agir d'une obligation spécifique de mise en valeur du produit ; que telle est manifestement la volonté des parties qui résulte des termes du contrat les liant,

Considérant en l'espèce que, selon l'attestation de Monsieur Kerhoas, la société Kerhoas fournit ses propres présentoirs (rolls) adaptés au produit et se charge de leur mise en place dans l'établissement du distributeur, ce dont elle estime tirer divers avantages en terme de coût, d'organisation du travail,

Considérant, toutefois, qu'il apparaît que le distributeur ne fournit aucune prestation, qu'il se borne à permettre au fournisseur de placer ses propres présentoirs dans l'espace habituel où les œufs sont mis à la disposition du public, qu'à la supposer établie, la mise en valeur ne relève que du seul travail de la société Kerhoas sans aucune prestation réelle de la société Distrileg, sinon celle qui résulte des obligations d'achats et de ventes normales,

Considérant par conséquent que les sommes que verse la société Kerhoas à la société Distrileg au titre des contrats de coopération commerciale pour la mise en avant de rolls ne correspondent en réalité à aucun service fourni par la société Distrileg,

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande du ministre de l'Economie et des Finances,

• Sur les études de marketing:

Considérant que les contrats signés entre le distributeur et les fournisseurs précisent que le distributeur tend à favoriser l'augmentation des parts de marché ainsi que la promotion ou la valorisation des produits et de l'image du fournisseur auprès des consommateurs, qu'il tend à inciter ces derniers à choisir les produits du fournisseur du fait des actions spécifiques mises en œuvre par le centre E. Leclerc et définies comme suit : " L'étude des ventes des produits du fournisseur aux consommateurs, la réalisation d'une étude de marketing sur les produits du fournisseur " par article, par famille de produits..., que cette action est rémunérée,

Considérant en l'espèce que les fournisseurs exposent que des informations statistiques ont été données oralement, par des rendez-vous d'analyse (société Laïta), avec des commentaires verbaux (société Kerhoas) ou dans le cadre d'entretiens trimestriels (société Meralliance) ; que la société Distrileg leur remet de façon informelle des statistiques de vente hebdomadaires (attestation Rault de la société Distrileg);

Considérant cependant qu'aucune étude écrite n'est versée aux débats réalisée par Distrileg, sinon des "situations de ventes géncodées" qui reproduisent un simple histogramme des ventes totales du fournisseur pour certains mois, qu'il n' y a pas étude par article ou par famille de produits, qu'aucun poste budgétaire n'y est consacré, que les informations données ne sont pas vérifiables, que la réalité des études ne peut résulter des seules attestations des fournisseurs alors que le ministre exerce une action autonome précisément destinée à libérer ceux-ci de toute implication dans le litige,

Considérant que la société Distrileg a perçu de ses fournisseurs des fonds au titre de contrats de coopération dans lesquels elle n'a fourni aucune prestation réelle,

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande du ministre de l'Economie et des Finances,

Considérant que la société Distrileg sera condamnée à restituer aux fournisseurs la somme de 84 711,65 euro TTC, cette restitution s'opérant par l'intermédiaire du Trésor public, ladite somme étant décomposée ainsi qu'il est dit dans le dispositif,

• Sur l'amende civile:

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6-III alinéa 2, la société Distrileg sera condamnée à payer une amende civile, que celle-ci sera fixée à la somme de 40 000 euro,

• Sur l'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens:

Considérant que la société Distrileg qui succombe, sera condamnée à verser la somme de 3 000 euro au ministre de l'Economie et des Finances, qu'elle supportera les dépens, que le jugement sera réformé sur ces points,

Décision

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant le jugement, Statuant à nouveau, Déclare l'action du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie recevable, Condamne la société Distrileg à restituer la somme de 84 711,65 euro se décomposant comme suit : société Kerhoas : 74 551,63 euro, société Laïta : 316,94 euro, société Kritsen: 3599,96 euro, société Meralliance: 6243,12 euro, cette restitution s'opérant par l'intermédiaire du Trésor public, Condamne la société Distrileg à une amende civile de 40 000 euro, Condamne la société Distrileg à payer au ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles, Condamne la société Distrileg aux dépens.