CJCE, 2e ch., 11 juin 2009, n° C-561/07
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Mazák
Juges :
MM. Bonichot, Makarczyk, Bay Larsen (rapporteur), Mme Toader
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant en vigueur les dispositions de l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990 (supplément ordinaire à la GURI n° 10, du 12 janvier 1991, ci-après la "loi n° 428-1990"), en cas de "crise de l'entreprise" au sens de l'article 2, cinquième alinéa, point c), de la loi n° 675, du 12 août 1977 (GURI n° 243, du 7 septembre 1977, ci-après la "loi n° 675-1977"), de telle façon que les droits reconnus aux travailleurs par les articles 3 et 4 de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 82, p. 16), ne sont pas garantis dans le cas du transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Le cadre juridique
Le droit communautaire
2 L'article 3 de la directive 2001-23 dispose:
"1. Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
Les États membres peuvent prévoir que le cédant et le cessionnaire sont, après la date du transfert, responsables solidairement des obligations venues à échéance avant la date du transfert à la suite d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert.
2. Les États membres peuvent adopter les mesures appropriées pour garantir que le cédant notifie au cessionnaire tous les droits et les obligations qui lui seront transférés en vertu du présent article, dans la mesure où ces droits et ces obligations sont connus ou devraient être connus du cédant au moment du transfert. [...]
3. Après le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant, jusqu'à la date de la résiliation ou de l'expiration de la convention collective ou de l'entrée en vigueur ou de l'application d'une autre convention collective.
Les États membres peuvent limiter la période du maintien des conditions de travail, sous réserve que celle-ci ne soit pas inférieure à un an.
4. a) Sauf si les États membres en disposent autrement, les paragraphes 1 et 3 ne s'appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres.
b) Même lorsqu'ils ne prévoient pas, conformément au point a), que les paragraphes 1 et 3 s'appliquent à de tels droits, les États membres adoptent les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs, ainsi que des personnes qui ont déjà quitté l'établissement du cédant au moment du transfert, en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d'acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires visés au point a)."
3 Conformément à l'article 4 de la directive 2001-23:
"1. Le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.
[...]"
4 Aux termes de l'article 5 de la directive 2001-23:
"1. Sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s'appliquent pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente).
2. Lorsque les articles 3 et 4 s'appliquent à un transfert au cours d'une procédure d'insolvabilité engagée à l'égard d'un cédant (que cette procédure ait ou non été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant), et à condition que cette procédure se trouve sous le contrôle d'une autorité publique compétente (qui peut être un syndic désigné par la législation nationale), un État membre peut prévoir que:
a) nonobstant l'article 3, paragraphe 1, les obligations du cédant résultant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail, qui sont dues avant la date du transfert ou avant l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, ne sont pas transférées au cessionnaire, à condition que cette procédure entraîne, en vertu de la législation de cet État membre, une protection au moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80-987-CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur [(JO L 283, p. 23), telle que modifiée par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C-241, p. 21 et JO 1995, L 1, p. 1)]
et, ou sinon, que
b) le cessionnaire, le cédant ou la ou les personnes exerçant les pouvoirs du cédant, d'une part, et les représentants des travailleurs, d'autre part, peuvent, dans la mesure où la législation ou pratique actuelle le permet, convenir de modifier les conditions de travail du travailleur pour préserver l'emploi en assurant la survie de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'entreprise ou d'établissement.
3. Un État membre peut appliquer le paragraphe 2, point b), à tout transfert lorsque le cédant est dans une situation de crise économique grave définie par la législation nationale, à condition que cette situation soit déclarée par une autorité publique compétente et ouverte à un contrôle judiciaire en vigueur dans la législation nationale le 17 juillet 1998.
[...]"
La législation nationale
5 L'article 47 de la loi n° 428-1990 dispose en ses paragraphes 5 et 6:
"5. Lorsque le transfert concerne des entreprises ou des unités de production dont le CIPI [comité interministériel pour la coordination de la politique industrielle] a constaté l'état de crise, conformément à l'article 2, paragraphe 5, point c), de la loi n° 675 du 12 août 1977, [...] les travailleurs dont la relation de travail se poursuit avec l'acquéreur ne relèvent pas de l'article 2112 du Code civil, à moins que l'accord ne prévoie des conditions plus favorables. Ledit accord peut en outre prévoir que le transfert ne concerne pas le personnel excédentaire et que ce dernier reste, en tout ou en partie, au service du cédant.
6. Les travailleurs qui n'entrent pas au service de l'acquéreur, du locataire ou du successeur ont un droit de priorité dans tout recrutement auquel ces derniers procèdent dans l'année qui suit la date du transfert ou pendant une période plus longue fixée par convention collective. L'article 2112 du Code civil ne s'applique pas à ces travailleurs prioritaires, lorsqu'ils sont recrutés par l'acquéreur, le locataire ou le successeur postérieurement au transfert d'entreprise."
6 Conformément à la loi n° 675-1977, la constatation de l'état de crise d'une entreprise au sens de l'article 2, paragraphe 5, point c) de ladite loi permet à l'entreprise de bénéficier temporairement de la prise en charge par la Cassa integrazione guadagni straordinaria (Caisse d'allocations de chômage extraordinaire, ci-après la "CIGS") de la rémunération de tout ou partie de ses salariés.
7 L'article 2112 du Code civil, tel que modifié par le décret législatif n° 18, du 2 février 2001 (GURI n° 43, du 21 février 2001, ci-après le "Code civil"), prévoit:
"1. En cas de transfert d'entreprise, la relation de travail se poursuit avec le cessionnaire et le travailleur conserve tous les droits qui en découlent.
2. Le cédant et le cessionnaire sont solidairement garants de tous les droits acquis par le travailleur à la date du transfert. [...]
3. Le cessionnaire est tenu de fournir les prestations économiques et légales prévues par les conventions collectives nationales, territoriales et les conventions d'entreprise en vigueur à la date du transfert jusqu'à l'expiration de celles-ci, sauf si ces conventions sont remplacées par d'autres conventions applicables à l'entreprise du cessionnaire. L'effet de remplacement n'a lieu qu'entre conventions collectives du même niveau.
4. Nonobstant la faculté pour un travailleur d'exercer son droit de quitter l'entreprise au sens des dispositions applicables en matière de licenciement, le transfert d'entreprise ne constitue pas en soi un motif de licenciement. [...]
[...]"
La procédure précontentieuse
8 Par lettre de mise en demeure du 10 avril 2006, la Commission a attiré l'attention des autorités italiennes sur le fait que l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 est susceptible de violer la directive 2001-23, au motif que les travailleurs d'une entreprise admise au régime de la CIGS, transférés à l'acquéreur, ne bénéficient pas des droits que leur garantit l'article 2112 du Code civil, sans préjudice des garanties éventuellement prévues par un accord syndical.
9 La République italienne a, par lettre du 8 août 2006, contesté avoir manqué à ses obligations, faisant valoir que l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 est conforme à la directive 2001-23.
10 Par lettre du 23 mars 2007, la Commission a envoyé à la République italienne un avis motivé dans lequel elle concluait que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2001-23 et l'invitait à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception. La République italienne a répondu audit avis par lettre du 29 mai 2007 en réitérant, en substance, ses arguments antérieurs.
11 Dans ces conditions, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
12 À titre liminaire, il convient de préciser que, dans sa requête, la Commission soutient que l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 n'est pas conforme à la directive 2001-23, en ce qu'il n'assure pas aux travailleurs l'application de l'article 2112 du Code civil qui transpose les garanties visées aux articles 3 et 4 de la directive 2001-23, dans le cas du transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté.
13 À la suite de certaines précisions apportées par la République italienne et d'une question posée par la Cour, la Commission a renoncé, dans sa réplique et lors de l'audience, au grief tiré de la non-conformité dudit article 47, paragraphes 5 et 6, avec l'article 3, paragraphes 1, second alinéa, et 2, de la directive 2001-23.
Argumentation des parties
14 La Commission fait valoir que, en excluant l'application de l'article 2112 du Code civil au transfert d'entreprise dont l'état de crise a été constaté, les travailleurs dont l'entreprise fait l'objet d'un transfert perdent le droit à la reconnaissance de leur ancienneté, de leur traitement économique et de leurs qualifications professionnelles ainsi que le droit à des prestations de vieillesse découlant du régime de sécurité sociale légal visées à l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001-23. Ils perdraient également le bénéfice du maintien, pendant une durée minimale d'un an, des conditions de travail convenues par conventions collectives, tel qu'il est garanti par l'article 3, paragraphe 3, de ladite directive.
15 La Commission relève que l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2001-23 permet de ne pas appliquer les paragraphes 1 et 3 de cet article 3 aux prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants octroyées en dehors des régimes légaux de sécurité sociale mais que, dans ce cas, les États membres doivent adopter les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs. Or, tel ne serait pas le cas de la législation italienne en cause.
16 L'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 ne serait, de plus, pas conforme à l'article 4 de la directive 2001-23, cette dernière disposition, tout en interdisant le licenciement justifié par le seul motif du transfert, ne faisant pas obstacle à des licenciements justifiés par des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi. Ainsi, la Commission relève que le fait qu'une entreprise soit déclarée en situation de crise n'impliquerait pas automatiquement et systématiquement des changements sur le plan de l'emploi au sens de l'article 4 de la directive 2001-23. En outre, la déclaration de crise d'entreprise n'engagerait que le cédant, tandis que les obligations découlant de l'article 4 de la directive 2001-23 s'appliqueraient aussi au cessionnaire.
17 Selon la Commission, le transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté ne constitue pas un transfert d'entreprise faisant l'objet d'une procédure ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente. Or, cette dernière hypothèse serait la seule prévue par la directive 2001-23 à son article 5, paragraphe 1, qui permet de ne pas appliquer les articles 3 et 4 de celle-ci.
18 L'article 5, paragraphe 2, de la directive 2001-23 ne serait pas davantage applicable à la procédure en constatation de l'état de crise dans la mesure où, d'une part, la prémisse énoncée à cette disposition serait l'application des articles 3 et 4 de la directive 2001-23 et, où, d'autre part, ledit article 5, paragraphe 2, ne serait applicable que dans l'hypothèse d'un transfert d'entreprise réalisé au cours d'une procédure d'insolvabilité, procédure à laquelle celle en cause ne saurait être assimilée compte tenu de ce que la Cour a dit pour droit dans l'arrêt du 7 décembre 1995, Spano e.a. (C-472-93, Rec. p. I-4321).
19 De même, l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23, qui permet l'application du paragraphe 2, sous b), de ce même article 5 lors d'un transfert en cas de situation de crise économique grave, ne pourrait pas non plus s'appliquer, étant donné que l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001-23 habilite uniquement les États membres à permettre au cédant et aux représentants des travailleurs de modifier d'un commun accord les conditions de travail dans certaines circonstances et ne leur permettrait donc pas d'écarter, ainsi que le prévoit l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-90, l'application des articles 3 et 4 de la directive 2001-23.
20 La République italienne conteste le manquement allégué en faisant valoir, premièrement, que, lorsque la directive 2001-23 prévoit une garantie facultative, il ne saurait lui être reproché de ne pas appliquer l'article 2112 du Code civil. Tel serait le cas, par exemple, en ce qui concerne les prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels dont le transfert est exclu par l'article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2001-23, et ceci sauf si les États membres en disposent autrement.
21 Deuxièmement, cet État membre soutient que, lorsque la directive 2001-23 établit des garanties obligatoires, à savoir celles visées à son article 3, paragraphes 1, premier alinéa, et 3, ainsi qu'à son article 4, elle prévoit également expressément la possibilité d'y déroger en raison de circonstances spécifiques.
22 S'agissant de la garantie prévue à l'article 4 de la directive 2001-23, la République italienne relève que la procédure en constatation de l'état de crise vise toujours des cas spécifiques de crise d'entreprise présentant une importance particulière sur le plan social, sous l'angle de l'emploi local et de l'état de la production dans le secteur économique concerné, lesquels constitueraient des circonstances justificatives du licenciement.
23 L'article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001-23 constituerait une dérogation aux garanties prévues à l'article 3, paragraphes 1 et 3, de cette directive applicable dans une situation de crise d'entreprise telle que celle prévue par la loi n° 675-1977, dès lors que le constat de la crise d'entreprise au sens de cette loi suppose l'état d'insolvabilité de l'entreprise.
24 En effet, l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23, qui vise une procédure d'insolvabilité engagée à l'égard d'un cédant, que celle-ci "ait ou non été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant", s'appliquerait à la procédure en constatation de l'état de crise. Dans un tel cas, même si les articles 3 et 4 de la directive 2001-23 s'appliquent, ladite disposition prévoirait une dérogation substantielle qui permettrait, nonobstant les dispositions de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23, de ne pas transférer au cessionnaire les obligations du cédant vis-à-vis des salariés, à condition que cette procédure entraîne une protection au moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80-987, telle que modifiée par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne. Le mécanisme de la CIGS aurait une durée plus longue et, conformément à l'article 47, paragraphe 6, de la loi n° 428-1990, viserait à l'embauche prioritaire du personnel excédentaire par le cessionnaire par rapport aux éventuelles autres embauches que ce dernier entend effectuer dans l'année qui suit le transfert d'entreprises.
25 De même, l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23 qui, par un renvoi au paragraphe 2, sous b), dudit article 5 permettrait de modifier les conditions de travail du travailleur pour préserver l'emploi en assurant la survie de l'entreprise dans le cas d'une situation de crise économique grave, constituerait une dérogation spécifique à la garantie visée à l'article 3, paragraphe 3, de la directive 2001-23 qui prévoit le maintien, au moins pour un an, des conditions de travail. L'article 47, paragraphe 5, de la loi n° 428-90 prévoirait une procédure compatible en tous points avec celle requise pour l'application de la dérogation visée à l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23. En effet, la situation de crise économique grave serait déclarée par une autorité publique, la sauvegarde des possibilités d'emploi serait exigée, un accord entre le cessionnaire, le cédant et les représentants des travailleurs serait nécessaire et l'ouverture d'un contrôle judiciaire serait réalisée dans la mesure où, si la procédure prévue n'est pas respectée en ce qui concerne notamment la conclusion de l'accord, les parties sont en droit de saisir l'autorité judiciaire compétente.
26 La République italienne allègue, enfin, qu'une interprétation de la directive 2001-23 conduisant à empêcher le maintien, au service du cédant, des travailleurs en surnombre de l'entreprise pourrait être moins favorable à ces derniers soit parce qu'un cessionnaire potentiel pourrait être dissuadé d'acquérir l'entreprise s'il devait conserver le personnel excédentaire de l'entreprise transférée, soit parce que le personnel serait licencié et perdrait ainsi tous les avantages qu'il aurait pu, le cas échéant, tirer de la poursuite de ses rapports de travail avec le cédant.
Appréciation de la Cour
27 Il importe de noter d'emblée que la République italienne ne conteste pas que l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990, en excluant l'application de l'article 2112 du Code civil, prive les travailleurs transférés admis au régime de la CIGS, en cas de constatation de l'état de crise de l'entreprise, des garanties visées par le présent recours. Cet État membre fait cependant valoir que cette exclusion est conforme à la directive 2001-23 dans la mesure où, premièrement, cette directive prévoirait une garantie facultative à son article 3, paragraphe 4, et où, deuxièmement, elle permettrait expressément de déroger aux garanties obligatoires visées à son article 3, paragraphes 1, premier alinéa, et 3 ainsi qu'à son article 4.
28 Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier, premièrement, si l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2001-23 établit une garantie facultative dont l'exclusion est justifiée par l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990.
29 À cet égard, il y a lieu de relever que l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2001-23 prévoit une exception à l'application des paragraphes 1 et 3 du même article 3 qui imposent au cessionnaire de maintenir les droits et les obligations résultant pour le cédant du contrat de travail ou de la relation de travail, ainsi que les conditions de travail convenues par une convention collective, jusqu'à la date de la résiliation ou de l'expiration de la convention collective ou de l'entrée en vigueur ou de l'application d'une autre convention collective, pendant une période minimale d'un an.
30 Cette exception concerne les droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale. Aussi, compte tenu de l'objectif général de protection des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise poursuivi par ladite directive, cette exception doit être interprétée de manière stricte (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2002, Beckmann, C-164-00, Rec. p. I-4893, point 29).
31 Il y a encore lieu de relever que, conformément à l'article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001-23, même lorsque les États membres font application de cette exception, ils doivent adopter les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d'acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires visés au point a) de la même disposition.
32 Il s'ensuit que, à supposer que l'exclusion de l'obligation de transfert des prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires résultant de l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 soit conforme à l'article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2001-23, il y a cependant lieu de constater que l'argumentation de la République italienne, tendant à soutenir que l'exclusion, en cas de crise de l'entreprise, de l'application de l'article 2112 du Code civil aux travailleurs transférés est conforme à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2001-23, repose sur une lecture erronée et incomplète de cet article 3, paragraphe 4. En effet, d'une part, seules les prestations octroyées en dehors des régimes légaux de sécurité sociale qui sont limitativement énumérées à l'article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2001-23 peuvent être soustraites à l'obligation de transfert des droits des travailleurs. D'autre part, cette exclusion de l'obligation de transfert doit être accompagnée de l'adoption, par l'État membre, des mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs conformément à l'article 3, paragraphe 4, sous b), de ladite directive en ce qui concerne leurs droits à des prestations de vieillesse au titre des régimes complémentaires visés au point a) dudit article 3, paragraphe 4, ce dont la République italienne ne fait aucunement état.
33 Par conséquent, les arguments de la République italienne visant à soutenir que l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 est conforme à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2001-23 ne sauraient être accueillis.
34 Deuxièmement, il convient de vérifier si la non-application par l'article 47, paragraphes 5 et 6 de la loi n° 428-1990, de l'article 3, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l'article 4 de la directive 2001-23, est conforme aux dispositions de la directive elle-même, dans la mesure où celle-ci envisagerait expressément des dérogations aux garanties obligatoires y étant prévues.
35 S'agissant, en premier lieu, de l'argument de la République italienne selon lequel les raisons justifiant le licenciement en cas de transfert visées à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2001-23 sont remplies dans des cas spécifiques de crise d'entreprise au sens de l'article 2, paragraphe 5, sous c), de la loi n° 675-1977, il y a lieu de rappeler que l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2001-23 assure la protection des droits des travailleurs contre un licenciement justifié par le seul motif du transfert, tant vis-à-vis du cédant que vis-à-vis du cessionnaire, tout en ne faisant pas obstacle à des licenciements pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.
36 Or, force est de constater que le fait qu'une entreprise soit déclarée en situation de crise au sens de la loi n° 675-1977 ne saurait impliquer nécessairement et systématiquement des changements sur le plan de l'emploi au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2001-23. En outre, il convient de relever que les raisons justificatives de licenciement ne peuvent s'appliquer, conformément aux dispositions italiennes en cause, que dans des cas spécifiques de crise d'entreprise, ainsi que la République italienne le reconnaît elle-même. Dès lors, la procédure de constatation de l'état de crise d'entreprise ne saurait nécessairement et systématiquement constituer une raison économique, technique ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2001-23.
37 S'agissant, en deuxième lieu, de l'argument de la République italienne tiré de la prétendue applicabilité de la dérogation prévue à l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 à la procédure de constatation de l'état de crise telle que visée à l'article 47, paragraphe 6, de la loi n° 428-1990, il ressort du libellé de cette première disposition que les États membres, lorsque les articles 3 et 4 de la directive 2001-23 s'appliquent à un transfert au cours d'une procédure d'insolvabilité engagée à l'égard du cédant et à condition que cette procédure se trouve sous le contrôle d'une autorité publique compétente, peuvent prévoir, nonobstant l'article 3, paragraphe 1, de ladite directive, que certaines obligations du cédant ne sont pas transférées dans les conditions fixées au point a) dudit article 5, paragraphe 2.
38 L'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 permet donc aux États membres, sous certaines conditions, de ne pas appliquer certaines garanties visées aux articles 3 et 4 de ladite directive à un transfert d'entreprise pour autant qu'une procédure d'insolvabilité soit engagée et qu'elle se trouve sous le contrôle d'une autorité publique compétente. Or, la Cour a considéré, dans le cadre d'une procédure préjudicielle portant sur la question de savoir si la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26), qui précédait la directive 2001-23, était applicable au transfert d'une entreprise faisant l'objet de la procédure de constatation de l'état de crise, que ladite procédure tend à favoriser le maintien de son activité en vue d'une reprise ultérieure, ne comporte pas de contrôle judiciaire ni de mesure d'administration du patrimoine de l'entreprise et ne prévoit aucun sursis de paiement (arrêt Spano e.a., précité, points 28 et 29). Il y a lieu de relever en outre que le CIPI se limite à déclarer l'état de crise d'une entreprise et que cette constatation permet à l'entreprise concernée de bénéficier temporairement de la prise en charge par la CIGS de la rémunération de tout ou partie de ses salariés.
39 Il s'ensuit que, au regard de ces éléments, la procédure de constatation de l'état de crise d'entreprise ne saurait être considérée comme poursuivant une finalité analogue à celle suivie dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité telle que visée à l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 ni comme se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente, tel que visé au même article.
40 Par conséquent, les conditions d'application de l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 font défaut dans la procédure faisant l'objet du présent manquement et les arguments de la République italienne avancés à cet égard ne sauraient donc prospérer.
41 Au surplus, à supposer même que l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 soit applicable à la procédure en constatation de l'état de crise, ainsi que la République italienne le soutient, il n'en reste pas moins que le postulat de base de cette disposition est l'application des articles 3 et 4 de la directive 2001-23. Or, l'article 47, paragraphe 6, de la loi n° 428-1990 prévoit au contraire leur exclusion.
42 Cette interprétation est d'ailleurs confortée par une lecture systématique dudit article 5 de la directive 2001-23. En effet, lorsque le législateur communautaire a voulu exclure l'application des articles 3 et 4 de la directive 2001-23, il l'a expressément prévu ainsi que cela ressort du libellé même de l'article 5, paragraphe 1, de ladite directive, selon lequel lesdits articles 3 et 4 ne s'appliquent pas au transfert d'une entreprise faisant l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité similaire ouverte en vue de la liquidation des biens, sauf si les États membres en disposent autrement.
43 S'agissant, en troisième lieu, de l'argument de la République italienne tiré de la prétendue conformité de l'article 47, paragraphe 5, de la loi n° 428-1990 avec l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23, il y a lieu de relever que cette disposition permet aux États membres de prévoir que les conditions de travail peuvent être modifiées, conformément au paragraphe 2, sous b), de cette même disposition, en cas de transfert d'entreprise lorsque le cédant est dans une situation de crise économique grave, à condition que cette situation soit déclarée par une autorité publique compétente et ouverte à un contrôle judiciaire.
44 Il en découle que, à supposer que la situation de l'entreprise dont l'état de crise a été constaté puisse être considérée comme constituant une situation de crise économique grave, l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23 habilite les États membres à prévoir que les conditions de travail peuvent être modifiées pour préserver l'emploi en assurant la survie de l'entreprise, sans priver pour autant les travailleurs des droits qui leur sont garantis par les articles 3 et 4 de la directive 2001-23.
45 Or, il est constant que l'article 47, paragraphe 5, de la loi n° 428-1990 prive purement et simplement les travailleurs, en cas de transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté, des garanties prévues aux articles 3 et 4 de la directive 2001-23 et ne se limite pas, par conséquent, à une modification des conditions de travail telle qu'autorisée à l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23.
46 Contrairement à ce que soutient la République italienne, la modification des conditions de travail au titre de l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23 ne saurait constituer une dérogation spécifique à la garantie prévue à l'article 3, paragraphe 3, de ladite directive qui assure le maintien des conditions de travail convenues par une convention collective pendant une période minimale d'un an après le transfert. En effet, les règles de la directive 2001-23 devant être considérées comme impératives en ce sens qu'il n'est pas permis d'y déroger dans un sens défavorable aux travailleurs, les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'une convention collective existant à la date du transfert sont transmis de plein droit au cessionnaire du seul fait du transfert (voir arrêt du 9 mars 2006, Werhof, C-499-04, Rec. p. I-2397, points 26 et 27). Il s'ensuit que la modification des conditions de travail autorisée par l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23 suppose que le transfert des droits des travailleurs au cessionnaire ait déjà eu lieu.
47 En outre, l'application de l'article 5, paragraphe 3, de la directive 2001-23 est subordonnée à l'ouverture de la procédure en cause à un contrôle judiciaire. La République italienne a indiqué à cet égard que les parties ont le droit de saisir l'autorité judiciaire compétente en cas de manquement à la procédure prévue. Ce droit ne saurait être considéré comme constituant le contrôle judiciaire visé audit article dès lors que celui-ci suppose un contrôle constant effectué par le juge compétent de l'entreprise déclarée en situation de crise économique grave.
48 Par ailleurs, s'agissant de l'argument de la République italienne selon lequel l'interprétation de la directive 2001-23 conduisant à empêcher le maintien au service du cédant des travailleurs de l'entreprise en surnombre pourrait être moins favorable à ces derniers, force est de rappeler que la Cour a déclaré, à cet égard, qu'il n'est pas possible de considérer qu'une disposition telle que l'article 47, paragraphe 5, de la loi n° 428-1990, qui a pour effet de priver les travailleurs d'une entreprise des garanties que leur offre la directive 2001-23, constitue une disposition plus favorable aux travailleurs, au sens de l'article 8 de cette directive (arrêt Spano e.a., précité, point 33).
49 Il s'ensuit que l'argumentation de la République italienne, selon laquelle l'exclusion par l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 des garanties visées à l'article 3, paragraphes 1 et 3, ainsi qu'à l'article 4 de la directive 2001-23 est conforme à celle-ci, ne saurait être accueillie.
50 Eu égard aux considérations qui précèdent, le recours de la Commission doit être considéré comme fondé.
51 En conséquence, il convient de constater que, en maintenant en vigueur les dispositions de l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428-1990 en cas de "crise de l'entreprise" au sens de l'article 2, cinquième alinéa, point c), de la loi n° 675-1977 de telle façon que les droits reconnus aux travailleurs par l'article 3, paragraphes 1, 3 et 4, ainsi que par l'article 4 de la directive 2001-23 ne sont pas garantis dans le cas du transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Sur les dépens
52 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) En maintenant en vigueur les dispositions de l'article 47, paragraphes 5 et 6, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990, en cas de "crise de l'entreprise" au sens de l'article 2, cinquième alinéa, point c), de la loi n° 675, du 12 août 1977, de telle façon que les droits reconnus aux travailleurs par l'article 3, paragraphes 1, 3 et 4 ainsi que par l'article 4 de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, ne sont pas garantis dans le cas du transfert d'une entreprise dont l'état de crise a été constaté, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.