CA Orléans, ch. soc., 25 octobre 2007, n° 06-02873
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Danibert
Défendeur :
Etesia (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Velly
Conseillers :
M. Lebrun, Mme Paffenhoff
Avocats :
Mes Robilaird, Barraux
Résumé de la procédure
M. Gérard Danibert a saisi le Conseil de prud'hommes de Blois de diverses demandes à l'encontre de la SAS Etesia, pour le détail desquelles il est renvoyé au jugement du 29 septembre 2006, la cour se référant également à cette décision pour l'exposé des demandes reconventionnelles.
Toutes les réclamations ont été rejetées.
Le jugement lui a été notifié le 6 octobre 2006.
Il en a fait appel le 30 octobre 2006.
Demandes et moyens des parties
Il demande:
- 3 887,50 euro de solde de commissions
- 3 390,93 euro de salaire pendant la mise à pied conservatoire
- 19 075 euro de préavis
- 1 907,50 euro de congés payés afférents
- 5 595 euro de congés payés
- 3 815 euro de congés d'ancienneté
- 65 907,71 euro d'indemnité de licenciement
- 200 000 euro de dommages-intérêts pour licenciement infondé
- 3 000 euro en application de l'article l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il expose qu'il était commercial et qu'il a été licencié pour faute lourde le 9 mai 2005, au motif qu'il était en train de mettre sur pied une entreprise concurrente, et que pour ce faire, il a essayé de débaucher certains collaborateurs.
Il estime que la faute grave, et a fortiori la faute lourde, ne peut être retenue compte tenu des dix jours écoulés avant la mise à pied conservatoire et du fait qu'après le licenciement, il lui a été demandé de finir de s'occuper d'un marché avec un partenaire russe, ce qui prouve qu'il était en mesure de faire son préavis.
Il ajoute que la société ne prouve pas qu'il ait essayé de débaucher des collaborateurs et que la simple préparation d'une activité concurrente ne soit pas fautive, si elle ne doit prendre effet qu'après la rupture du contrat.
Il explique que cette préparation n'est même pas démontrée, car les courriers qui lui sont opposés dans les affaires LG et Shibaura sont des faux, et que le véritable motif est de nature économique, car il n'a pas été remplacé.
Il réclame la prime " mauvais payeur " d'août 2004 au 10 mai 2005 sur la base, prorata temporis, du maximum de 5 000 euro, si la société ne produit pas le récapitulatif annuel des recouvrements pour qu'il puisse le discuter.
Il demande enfin les congés payés d'ancienneté, prévus par l'article 14 de la convention collective.
La société fait appel incident pour obtenir:
- 1 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle explique qu'elle l'a simplement autorisé, à sa demande, à procéder à l'encaissement d'un marché russe, et qu'il ne s'agissait donc pas d'un maintien en fonction.
Elle précise ensuite qu'il a bien tenté de débaucher des collaborateurs, et qu'il envisageait de créer une entreprise concurrente, ce qui constitue une violation de son obligation de loyauté, peu important que cette concurrence n'ait pas effectivement commencé.
Elle estime enfin que la faute lourde met obstacle à toutes les demandes.
Motifs de la décision
Eu égard aux dates ci-dessus, les appels, principal et incident, sont recevables.
La société Outils Wolf, qui vend des tondeuses à gazon et des mini-tracteurs, a engagé M. Danibert, le 5 septembre 1983, comme VRP exclusif.
En 1989, elle a crée la société Etesia, sa filiale à 100 %, qui avait la même activité.
Celle-ci, qui ne vendait qu'à l'export, s'est implantée sur le marché français en 1993.
Le 1er août 1997, M. Danibert est passé au service de la société Etesia, comme " responsable grands comptes ", avec reprise de son ancienneté. Il est ensuite devenu chef des ventes, puis directeur des ventes pour la France.
Il a été licencié pour faute lourde le 9 mai 2005, dans les termes suivants:
" Nous avons appris tout récemment et obtenu confirmation par la réception de diverses pièces et témoignages qui le prouvent de façon irréfutable que vous projetiez de créer et étiez en train de mettre sur pied une entreprise de négoce sur le marché européen des machines d'entretien d'espaces verts dont vous prendriez la direction et qui serait composée principalement des technico-commerciaux qui sont actuellement nos salariés.
En accompagnant cette démarche de propositions actives de débauchage de certains de nos collaborateurs, dans le but de constituer à notre insu une entité concurrente de notre entreprise, vous vous êtes livré à un manquement très grave au devoir de loyauté que nous sommes en droit d'attendre de la part d'un cadre supérieur ayant au surplus votre ancienneté.
Notre déception est d'autant plus grande compte tenu de votre ascension professionnelle dans notre groupe dont les étapes ont constitué à votre égard autant de témoignages de confiance de notre part.
Nous considérons que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise. "
Le projet de créer une entreprise concurrente, et sa mise sur pied
Si l'exercice d'une activité concurrente à celle de l'employeur constitue une faute, et même une faute grave, tel n'est pas le cas de la simple préparation d'une activité concurrente, dès lors qu'elle n'est destinée à prendre effet qu'après la rupture du contrat. Il ne s'agit que d'une application de la liberté de travail.
La création d'une entreprise concurrente avec le fournisseur coréen LG n'est pas prouvée.
En revanche, il résulte tant de la lettre de M. Danibert à M. Franken, représentant de la société Shibaura en Europe du 21 décembre 2004 que de l'attestation de M. Lauwers que l'appelant avait préparé la création d'une entreprise concurrente en partenariat avec la société Shibaura.
En effet, la lettre du 21 décembre 2004 indique que l'équipe commerciale était quasiment constituée (il restait un DAF à trouver, sans d'ailleurs que l'on sache si tel était réellement le cas, M. Lauwers, sans être nommément désigné, étant présenté comme devant faire partie de cette future équipe, alors qu'il n'était au courant de rien), et précise que M. Danibert souhaite rencontrer M. Franken pour lui exposer les possibilités d'une éventuelle collaboration.
M. Lauwers confirme que cette lettre lui a été communiquée et s'étonne d'avoir été intégré dans le futur organigramme.
Ces pièces ne sont pas des faux et doivent être retenues.
Toutefois, il ne s'agissait là que de la simple préparation d'une activité concurrente qui n'avait pas commencé; la société le reconnaît d'ailleurs (au bas de la page 18 de ses conclusions).
Cette simple préparation n'est pas fautive et ne constitue pas une manœuvre déloyale.
Ce grief ne sera pas retenu.
Les propositions actives de débauchage
Selon la société, elles auraient été faites lors d'une réunion du 11 avril 2005 à Vendôme, à MM. Vinot, Sarlandie et de Chenerilles.
Tout d'abord, quoiqu'en dise la société, M. Danibert utilisait bien une partie de son domicile comme bureau:
- une réunion professionnelle avait eu lieu chez lui le 13 août 2003
- une autre a eu lieu le 18 mai 2005 pour que la société récupère le matériel professionnel qui s'y trouvait.
En outre, MM. Vinot et Sarlandie ont régulièrement attesté qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucune tentative ou proposition de débauchage.
La société est ainsi totalement défaillante dans la preuve qui lui incombe.
Ce grief sera donc écarté, et le licenciement est infondé.
A supposer même que les faits soient établis et considérés comme fautifs, il convient de faire les observations suivantes.
La faute grave est celle qui ne permet pas la poursuite du contrat, même pendant la durée limitée du préavis.
La faute lourde est une faute grave qui comporte, en outre, la volonté de nuire.
Si une faute n'est pas grave, elle ne peut être lourde.
Le 17 mai 2005, la société terminait la lettre informant M. Danibert que le matériel professionnel serait repris à son domicile le 17 mai 2005 par la phrase suivante:
" La ligne fax 02 54 73 29 38 restera ouverte jusqu'à nouvel ordre, suite à ta demande, pour permettre l'aboutissement des affaires en cours avec la Russie. "
La société considérait donc que l'appelant pouvait terminer les affaires en cours avec la Russie, reconnaissant par là même qu'il pouvait faire son préavis, ce qui de toute façon aurait conduit à écarter la faute grave et donc à fortiori la faute lourde.
Les dommages-intérêts ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois, M. Danibert ayant plus de 21 ans d'ancienneté dans une société d'au moins onze salariés.
Cependant, s'il affirme être resté au chômage jusqu'en mars 2006, il ne produit pas les relevés d'indemnités Assedic permettant d'en justifier; de même, il n'est pas prouvé que la société lui ait fait mauvaise presse auprès de la société Rocha Son préjudice matériel et moral sera évalué à 38 150 euro.
Il convient d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage, dans la limite d'un mois.
La faute lourde est écartée, les congés payés sont dus.
M. Danibert n'a jamais bénéficié des congés d'ancienneté prévus par la convention collective. Il est dû 3 815 euro.
De même, il avait droit à une prime " mauvais payeur " d'un montant maximum de 5 000 euro par an. Il a perçu le maximum en 2003-2004.
La société ne produisant aucun décompte pour 2004/2005, il est dû, au prorata, 3 887,50 euro.
Les créances salariales porteront intérêts à compter de la convocation de la société devant le bureau de conciliation.
Il est inéquitable que l'appelant supporte ses frais irrépétibles.
Il était assisté d'un délégué syndical devant le conseil de prud'hommes, et l'est d'un avocat devant la cour.
Compte-tenu de ses frais de déplacement pour venir de Saint-Firmin-des-Près (Loir-et-Cher) aux audiences à Blois et à Orléans, il lui sera alloué 1 500 euro.
La société supportera les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable, infirme le jugement, et, statuant à nouveau, Condamne la société Etesia à payer à M. Gérard Danibert : - 3 887,50 euro de prime " mauvais payeur " - 3 390,93 euro de salaire pendant la mise à pied conservatoire - 19 075 euro de préavis - 1 907,50 euro de congés payés afférents - 5 595 euro de congés payés - 3 815 euro de congés d'ancienneté - 65 907,71 euro d'indemnité de licenciement - 38 150 euro de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse - 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que les créances autres que les dommages-intérêts et les frais irrépétibles porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société devant le bureau de conciliation, Ordonne le remboursement par la société Etesia aux organismes concernés des indemnités de chômage payées à M. Gérard Danibert du jour de la rupture, dans la limite d'un mois d'indemnités, Condamne la société Etesia aux dépens de première instance et d'appel.