CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 11 février 2009, n° 07-00717
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
High Quality Products (SARL)
Défendeur :
Webexe (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
President :
M. Belières
Conseillers :
Mme Salmeron, M. Coleno
Avoués :
SCP Rives-Podesta, SCP Château
Avocats :
SCP Rivière Maubaret Rivière, SCP Crouzatier Pobeda Thomas
Exposé des faits et procédure
Par acte sous-seing privé du 12 juillet 2004 la SARL High Quality Products France (HQP) a conclu avec la SARL Webexe qui a pour objet la création et l'hébergement de sites sur Internet un contrat de distribution commerciale portant sur la vente de produits de feuilles et accessoires de marque Tecnni Ice importés d'Australie avec clause d'exclusivité sur la France et les Pays-Bas pour toute distribution par Internet pour une durée de trois ans avec tacite reconduction selon une grille tarifaire annexée et l'insertion d'une clause d'approvisionnement à raison d'un minimum de 7 500 euro feuilles par an payables à 30 jours. A l'été 2005 une seule commande de 500 feuilles avait été passée.
Par acte du 25 novembre 2005 la SARL HQP a fait assigner la SARL Webexe devant le Tribunal de commerce de Toulouse en paiement du complément d'approvisionnement annuel dans le délai d'un mois et, à défaut, en résiliation du contrat à ses torts et paiement d'une indemnité de 19 200 euro équivalente aux deux années restant à courir. Par jugement du 16 octobre 2006 cette juridiction a :
- prononcé la nullité du contrat de concession exclusive au motif que " l'absence de remise du document précontractuel L. 330-3 Code de commerce suffit à prouver le vice du consentement "
- débouté la SARL HQP de l'ensemble de ses demandes
- ordonné à la SARL Webexe de restituer à la SARL HQP le stock des produits restant en sa possession
- ordonné à la SARL HQP de rembourser ce stock à la SARL Webexe au prix d'achat
- débouté la SARL Webexe de sa demande tendant à voir dire que la SARL HQP pourra acheter le CD du site moyennant une indemnité de 10 000 euro
- débouté la SARL Webexe de sa demande de réparation du préjudice financier
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
- condamné la SARL HQP à payer à la SARL Webexe la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamné la SARL Webexe aux entiers dépens.
Par acte du 7 février 2007, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SARL HQP a interjeté appel général de cette décision et par voie de conclusions du 27 septembre 2007 la SARL Webexe a formé appel incident.
Moyens des parties
La SARL High Quality Products demande d'infirmer le jugement déféré et de :
- condamner la SARL Webexe à lui payer la somme de 16 100 euro outre la TVA au titre de l'année se terminant le 12 juillet 2005
- constater la rupture du contrat
- dire que la SARL Webexe sera redevable envers elle de la somme de 19 200 euro à ce titre
- la condamner à lui payer la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- la condamner aux entiers dépens.
Elle soutient que l'article L. 330-3 du Code de commerce ne peut s'appliquer en l'espèce dès lors que c'est la SARL Webexe qui aurait dû fournir ce document précontractuel, que cette dernière a rédigé le contrat et ne peut, dès lors, invoquer l'absence de mentions obligatoires pour obtenir sa requalification. Elle admet que d'autres sites marchands proposaient le produit aux Pays-Bas alors qu'elle avait conféré l'exclusivité de la vente à la SARL Webexe mais affirme qu'elle n'avait pas été informée de cette situation, n'en ayant été avisée que dans le cadre de l'instance judiciaire de sorte qu'elle ne pouvait prendre aucune mesure pour la faire cesser. Elle affirme que si la SARL Webexe n'a pas réalisé les résultats escomptés c'est en raison de son attitude même, pour n'avoir pas su mettre en avant le produit qui n'était référencé dans les moteurs de recherches que sous le nom Techni Ice, que ce n'est que sur son intervention qu'ont été rajoutées les mentions " accumulateur de froid-gelpack-icepack " Elle en conclut que le contrat est parfaitement valable de sorte que l'inexécution des obligations contractuelles par la SARL Webexe doit être sanctionnée.
Elle indique avoir depuis le prononcé du jugement déféré récupéré le CD supportant le contenu du site Internet pour pouvoir le faire héberger chez un autre cocontractant mais demande l'indemnisation du préjudice subi né de la rupture, égal à la marge pour les deux années restant à courir soit 1,28 euro par feuille à raison de 15 000 feuilles.
Elle fait remarquer que le fait que la SARL Webexe ait pu dépenser de l'argent pour son propre site n'a rien d'exceptionnel alors qu'elle a elle-même payé la somme de 3 863,08 euro pour le sien en ce inclus la création des versions anglaise, française et hollandaise qu'elle lui a transmis.
Elle souligne n'avoir pu accepter la commande de 500 sacs isotherme transmise par la SARL Webexe pour un client de la Côte d'Ivoire dès lors qu'elle était accompagnée d'une offre gratuite de 500 feuilles Techni Ice ce qui représente une somme de 1 150 euro et qu'elle n'avait pas à supporter le coût des cadeaux consentis par son cocontractant.
Elle affirme avoir dépensé une somme de 5 878,29 euro en 2004 et 376,85 euro en 2005 pour la promotion du site hébergé par la SARL Webexe correspondant à l'achat de liens commerciaux et estime que la qualité du produit étant unanimement reconnue, l'absence de vente ne peut être imputée qu'au distributeur.
La SARL Webexe conclut à la confirmation du jugement déféré et subsidiairement, sollicite de :
- constater la résiliation du contrat de distribution à compter du 8 septembre 2005 aux torts de la SARL HQP et de débouter cette dernière de sa demande en indemnisation
En toute hypothèse, lui octroyer les sommes de :
* 4 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
* 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle indique s'être très rapidement rendu compte que le produit Techni Ice n'avait pas le potentiel escompté malgré le travail fourni en vue d'obtenir le meilleur référencement possible sur les différents moteurs de recherche puisqu'elle n'a réussi qu'à écouler la moitié de son stock soit à peine 250 feuilles. Elle soutient que l'article L. 330-3 du Code de commerce est parfaitement applicable et répond à la définition du contrat de concession exclusive de sorte que la SARL Webexe devait en sa qualité de concédant lui remettre un document au contenu réglementé lui permettant de s'engager en connaissance de cause. Elle estime que le non-respect de cette obligation précontractuelle d'information lui permet de solliciter la nullité de la convention (qu'elle conteste avoir rédigée) pour dol ou tout au moins la résiliation du contrat aux torts de la SARL HQP.
Elle prétend que le défaut de remise de ce document constitue une réticence dolosive, s'étant engagée en toute confiance sur la base des informations fournies verbalement qui se sont révélées totalement fausses telles la vente de 2 millions de produits en Angleterre. Elle ajoute avoir, également été trompée sur l'exclusivité territoriale consentie puisqu'elle a rapidement découvert l'existence de sites marchands hollandais commercialisant ce produit sur Internet. Elle indique avoir beaucoup investi en temps et en argent puisqu'elle a développé le site sur ses fonds propres pour un projet basé sur le mensonge. Elle précise qu'elle n'était chargée que de la distribution via Internet et que la SARL HQP n'a fait aucun effort de promotion du produit dans les circuits de distribution traditionnels, sa première apparition à la télévision datant de 2006 seulement. Elle demande de dire que les ventes effectuées préalablement à l'annulation du contrat ne donneront pas lieu à restitution et qu'elle rendra le stock qui lui reste contre remboursement du prix d'achat.
Subsidiairement, elle soutient que la résiliation du contrat est imputable à la SARL HQP qui a manqué à son devoir d'information, n'a pas respecté la clause d'exclusivité, n'a pas assuré la publicité du produit, n'a pas été en mesure de répondre à la commande d'un client en Côte d'ivoire, a unilatéralement modifié le territoire concédé en retirant la Belgique alors qu'elle n'a elle-même commis aucune faute.
Elle conteste le préjudice allégué, fait valoir que l'objectif de vente de 7 500 feuilles était irréaliste et que le produit ne rencontrant pas le succès attendu, les objectifs auraient du être revus à la baisse puisque l'article 7 de la convention prévoyait qu'ils seraient déterminés chaque année d'un commun accord entre les parties.
Motifs de la décision
Sur la nullité du contrat de concession
Le contrat commercial de distribution conclu entre la SARL HQP et la SARL Webexe le 12 juillet 2004 rappelle dans un article préliminaire l'objectif respectif des parties en mentionnant "le distributeur dispose du potentiel technique et commercial dans la vente et la promotion de produits sur Internet; le concédant a la volonté de commercialiser ses produits Techni Ice en partenariat avec des distributeurs dont la compétence et l'offre globale permettent de valoriser son propre savoir-faire et ses produits".
Dans ses articles 2, 4 et 5 le concédant accorde au distributeur, sans que celui-ci puisse apposer sa propre marque, le droit d'assurer la distribution, la promotion et la vente des produits dans le territoire à savoir la France et les Pays-Bas en exclusivité et les pays européens n'ayant pas d'exclusivité Techni Ice (Allemagne, Espagne, Autriche) et le secteur d'activité à savoir tous acheteurs par internet dans le territoire; il précise qu'il possède les noms de domaine et les met à la disposition du distributeur, s'interdit de mettre en œuvre sur ce territoire des moyens électroniques pour la commercialisation des produits.
En contrepartie le distributeur héberge les sites Internet pour chaque nom de domaine, s'interdit de diffuser sur l'ensemble du territoire et pour les secteurs d'activité des produits directement concurrents et s'engage à un approvisionnement en produits selon des quotas minimum.
Si l'article L. 330-3 du Code de commerce instaure à la charge de toute personne mettant à la disposition d'une autre un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité, une obligation d'information préalable au moyen d'un document dont le contenu est fixé par décret codifié à l'article R. 330-1, la méconnaissance de ces prescriptions ne peut entraîner la nullité que si le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement de la personne protégée.
La SARL HQP admet qu'aucun document d'information n'a été remis à la SARL Webexe.
Mais aucun élément ne permet de retenir qu'en raison de cette carence le concessionnaire ait pu être abusé sur les conditions réelles dans lesquelles il était amené à contracter, étant souligné que l'existence d'un vice du consentement doit être appréciée à la date de la convention soit en juillet 2004.
Aucun des faits allégués au soutien du dol n'est contemporain de la conclusion du contrat ou tout au moins cette concomitance n'est aucunement établie.
Si la SARL Webexe verse aux débats les pages de sites Internet hollandais commercialisant les produits Techi Ice, aucune date ne figure sur ces pièces, même pas celle de consultation desdits sites.
Les prétendus chiffres de vente du produit annoncés pour l'Angleterre ne figurent sur aucun écrit quelconque (courrier ou autre) et aucune donnée n'est davantage communiquée sur les chiffres réels de sorte que leur fausseté ne peut être retenue, d'autant qu'aucune période de référence n'est précisée par la SARL Webexe.
Ainsi, rien ne permet de retenir qu'en juillet 2004 en raison du défaut d'information la SARL Webexe ait été trompée par réticence sur la rentabilité de l'exploitation et les possibilités de développement de la clientèle alors qu'elle est spécialisée dans la création et l'hébergement de sites sur Internet.
L'action en nullité du contrat formée par ce distributeur doit dès lors être écartée.
Sur la résiliation du contrat et ses incidences
Il y a lieu, tout d'abord, de noter que la SARL HQP ne s'est jamais prévalue de la clause résolutoire de plein droit insérée à l'article 10 du contrat en cas notamment de violation par le distributeur de ses obligations puisqu'elle a judiciairement agi en exécution forcée de la convention et n'a sollicité qu'à défaut, non pas le constat mais le "prononcé de la rupture du contrat et la fixation de son indemnisation" (cf page 3 de l'assignation introductive d'instance).
La SARL Webexe ne peut pas se prévaloir de cette clause puisqu'elle ne l'a pas valablement actionnée, une mise en demeure préalable étant contractuellement exigée ; si elle n'était pas nécessaire en cas d'absence d'atteinte des objectifs par le distributeur, seul le fournisseur pouvait l'invoquer, une partie ne pouvant jamais se prévaloir de son propre manquement.
Le principe de la rupture des relations contractuelles est désormais admis par les deux parties mais son imputabilité reste contestée, chacune estimant qu'elle incombe à la faute de l'autre et le concédant exigeant indemnisation de ce chef.
La SARL Webexe n'a pas respecté son engagement d'approvisionnement à raison d'un minimum de 7 500 feuilles par an puisqu'à la date anniversaire du contrat soit juillet 2005 elle avait passé une seule commande de 500 feuilles ; il en était toujours ainsi à la date de délivrance de l'assignation introductive d'instance le 25 novembre 2005; la situation n'a pas changé depuis lors.
La SARL HQP n'a pas davantage rempli ses obligations.
Aucune défaillance ne peut lui être reprochée au titre de son obligation d'information précontractuelle dès lors qu'en raison de sa nature même, elle ne peut s'analyser juridiquement en une faute dans l'exécution du contrat et être sanctionnée comme telle, puisqu'elle concerne la période antérieure à sa formation.
D'autres griefs sont en revanche caractérisés et notamment une violation du monopole de vente accordé à son distributeur.
La SARL HQP admet, en effet, expressément dans ses conclusions d'appel que des sites domiciliés aux Pays-Bas proposaient le produit Techni Ice alors qu'elle avait confié à la SARL Webexe l'exclusivité pour ce pays de l'offre présentée sur Internet. Si la date de début de ces agissements reste imprécise, il est constant qu'ils existaient pendant le cours du contrat.
Or, ayant pris personnellement un engagement envers la SARL Webexe, la SARL HQP avait l'obligation de s'assurer d'être en mesure de l'exécuter et d'intenter les actions nécessaires pour faire cesser les atteintes susceptibles de faire échec aux droits consentis à son propre cocontractant.
Par ailleurs, par mail du 3 février 2006 elle lui a unilatéralement retiré l'exclusivité accordée pour la Belgique et a donc, avant la fin du contrat, désigné dans le territoire concédé un nouveau distributeur.
Ces manquements du fournisseur affectent des engagements contractuels essentiels.
Ils revêtent un caractère de gravité certain car ils modifient toute l'économie de la convention.
Ils étaient de nature à restreindre notablement le marché potentiellement ouvert au distributeur et l'empêcher d'atteindre les chiffres de vente et objectifs fixés au contrat, ce qui ôte son caractère fautif à l'insuffisance d'approvisionnement constatée alors que la SARL Webexe justifie parallèlement avoir fait des investissements importants et s'être ainsi donné les moyens d'action nécessaires à ce type de vente.
Au vu de l'ensemble de ces données, la résiliation du contrat doit être imputée à faute à la SARL HQP, ce qui conduit à rejeter ses demandes indemnitaires.
Le contrat contenait diverses dispositions réglant la situation des parties à la fin du contrat qui doivent recevoir application ; ainsi la SARL Webexe doit conserver les stocks de produits qui demeurent sa propriété pour les avoir acquis et dispose d'un délai de six mois pour les écouler aux conditions du marché. Et il sera donné acte à la SARL HQP de ce qu'elle a récupéré le CD supportant le contenu du site Internet pour pouvoir le faire héberger chez un autre cocontractant.
La date de cette remise doit être retenue comme marquant la fin de la relation contractuelle car elle manifeste sans ambigüité la volonté des parties d'y mettre fin à cette date.
Le jugement déféré sera donc partiellement infirmé.
Sur les demandes annexes
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi avec intention de nuire, légèreté blâmable ou a commis une erreur équivalente au dol, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce; il semble plutôt que la SARL HQP se soit mépris sur l'étendue de ses droits; la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la SARL Webexe doit, dès lors, être rejetée.
La SARL HQP qui succombe dans ses prétentions supportera donc la charge des dépens de première instance et d'appel et ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de la SARL Webexe la totalité des frais exposés pour agir, se défendre et assurer sa représentation en justice, ce qui commande l'octroi de la somme de 1 500 euro à ce titre en cause d'appel, complémentaire à celle déjà accordée en première instance qui doit être parallèlement approuvée.
Par ces motifs, LA COUR, - infirme le jugement déféré hormis en ce qu'il a débouté la SARL High Quality Products de ses demandes, mis les entiers dépens à sa charge et alloué une indemnité à la SARL Webexe au titre des frais irrépétibles. Statuant à nouveau sur les points infirmés, - Dit n'y avoir lieu à annulation du contrat de concession du 12 juillet 2004. - Dit que la résiliation du contrat est imputable à la SARL High Quality Products. - Donne acte à la SARL High Quality Products de ce qu'elle a récupéré le CD supportant le contenu du site Internet. - Dit que la date de cette remise marque la fin du contrat. - Dit n'y avoir lieu à restitution du stock. Y ajoutant, - Déboute la SARL Webexe de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive. - Condamne la SARL High Quality Products à payer à la SARL Webexe la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile - Déboute la SARL High Quality Products de sa demande à ce même titre. Condamne la SARL Webexe aux entiers dépens. - Dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP B Château, avoué.