Cass. crim., 5 mars 2008, n° 07-84.882
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Rognon
Avocat :
SCP Tiffreau
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par Y Pierre, la société X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2007, qui, pour pratiques commerciales prohibées et infractions aux règles sur la facturation, les a condamnés, chacun, à 7 500 euro d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, L. 441-3, L. 441-6, alinéas 5 et 6, du Code de commerce (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-882 du 2 août 2005), 8, 551, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre Y et la société X coupables de " non-communication par écrit des conditions de rémunération du distributeur ou prestataire " et " facturation non conforme - vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle ", a condamné Pierre Y à une amende délictuelle de 7 500 euro, a condamné la société X à une amende délictuelle de 7 500 euro, et a prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs que sur la nullité de la citation introductive ; que l'article 551 du Code de procédure pénale prévoit en son alinéa 2 que : " la citation énonce le fait poursuivi et vise le texte de loi qui le réprime " ; que l'article 565 du Code de procédure pénale dispose que : " la nullité d'un exploit ne peut être prononcée que lorsqu'il a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'il concerne " ; qu'il résulte de ce texte que la citation est valable dès lors qu'elle comporte le détail des faits reprochés et la référence à l'article du Code dont la violation constitue l'infraction visée dans la poursuite ; que, selon les mandements de citation en date des 26 avril et 17 mai 2005, Pierre Y en sa qualité de dirigeant de la société X et cette dernière en qualité de personne morale sont prévenus d'avoir, à Tulette et Lisieux, courant 2003, d'une part, étant distributeur de marchandises, omis de communiquer à leur fournisseur UVCR un contrat écrit préalable à leur demande de rémunération commerciale, faits prévus par l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce et réprimés par l'article L. 441-6, alinéa 6, du Code de commerce, et d'autre part effectué, pour une activité professionnelle, des achats et ventes de produits ou des prestations de service sans établir de facturations conformes, faits prévus par l'article L. 441-3, alinéas 2,3 et 4, du Code de commerce et réprimés par les articles L. 441-4 et L. 470-2 du Code de commerce ; que les prévenus font grief à la citation d'avoir fait référence à une commission de faits courant 2003 sans autre précision et font valoir aux termes de leurs conclusions qu'en se reportant à l'étude du procès-verbal de la DGCCRF qui sert de base aux poursuites, les faits reprochés auraient été commis en 1998 et non en 2003 ; que le procès-verbal établi le 1er septembre 2003 par la DGCCRF qui sert de base aux poursuites et dont les prévenus ont eu connaissance dès le 8 septembre 2003, fait référence à une facture émise par la société X le 4 février 2003 et relative au paiement par le fournisseur d'une somme de 25 305,99 euro TTC au titre d'un audit exercice 1998 ; qu'il résulte de ces éléments et des propres conclusions des prévenus que ces derniers avaient connaissance de la nature exacte des faits reprochés et de leur date et qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la citation ; sur la prescription : qu'en application de l'article 8 du Code de procédure pénale : " en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues " ; qu'en matière d'infractions aux articles L. 441-3 et L. 441-6 du Code de commerce, le point de départ de l'action publique court à compter du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de cette action ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal dressé par la DGCCRF que, si le projet d'accord de coopération litigieux a été réalisé par la société X le 10 juillet 1998, cette dernière n'a adressé à l'UVCR une facture pour un montant de 25 305,99 euro TTC au titre d'un audit de 1998 que le 4 février 2003 ; qu'il convient, dès lors, de fixer le point de départ de la prescription de l'action publique à la date de l'émission de la facture du 4 février 2003, seule l'émission de cette facture étant de nature à permettre la poursuite des infractions visant l'absence de formalisme du contrat écrit matérialisant l'accord des parties au moment de la demande de rémunération des prestations ; qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré non prescrites les infractions reprochées aux prévenus, les citations étant intervenues les 26 avril et 17 mai 2005, soit dans le délai de trois ans ; sur l'action publique : que la coopération commerciale est un contrat de prestation de services dont le contenu et la rémunération sont définis d'un commun accord entre un fournisseur et un distributeur ; que ces services spécifiques qui sont des actions de nature à stimuler ou à faciliter au bénéfice du fournisseur la revente de ses produits par le distributeur, telle la mise en avant des produits ou la publicité sur les lieux sont, en principe, convenus dans des accords annuels de coopération commerciale, dits contrats de coopération commerciale cadre qui fixent une enveloppe globale maximum annuelle par catégorie de service exprimée en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le fournisseur dans l'enseigne ; que la loi NRE du 15 mai 2001 a introduit de nouvelles dispositions codifiées dans l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce ainsi libellé : les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de service se fait rémunérer par ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques doivent faire l'objet d'un contrat écrit en double exemplaire détenus par chacune des deux parties ; que l'article L. 441-3 du Code de commerce dispose que : " tout achat de produit ou toute autre prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation ; le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ; la facture doit mentionner (...) la date de vente ou de la prestation de service, la quantité, la dénomination précise et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus (...) ; qu'en l'espèce, il est constant que pour assurer la promotion de ses produits dans l'enseigne A, l'UVCR était convenue avec le distributeur de réaliser des actions promotionnelles diverses dont le contenu et la nature étaient définis au cours de l'année 1998 et qu'un accord cadre de collaboration commerciale avait été signé le 10 février 1998 fixant " les conditions de vente des produits et les conditions de coopération commerciale dont un budget publi-promotionnel au taux moyen minimum global de 5 % à négocier point par point contrat et facture à faire ; que la facture adressée le 4 février 2003, soit cinq années plus tard, par la société X à l'UVCR et versée aux débats a pour objet " la régularisation budget publi promo 5 % sur chiffre d'affaires de 2 775 859 francs au titre de l'audit 1998 " et s'élève à la somme de 23 305,99 euro ; que si, à la date des prestations qui ont été effectuées en juillet 1998 aucun formalisme n'était exigé, ce dernier, tel qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 15 mai 2001, devait être respecté dès cette date lors de la présentation de la facture ; qu'il n'est pas contesté que la facture concernant les prestations effectuées en juillet 1998 n'a été adressée à l'UVCR que le 4 février 2003 ; qu'à cette date, cette facture aurait dû comporter les mentions exigées par l'article L. 441-3 du Code de commerce susvisées et qu'un contrat écrit en double exemplaire aurait dû fixer les conditions édictées par l'article L. 441-6 du Code de commerce pour la fourniture de prestations de service en matière de coopération commerciale ; qu'il résulte du procès-verbal dressé par la DGCCRF qu'à la date d'émission de la facture, soit le 4 février 2003, la société X ne justifiait pas de l'existence d'un contrat préalable et que cette facture ne répondait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce en ce qui concerne les factures de prestations de service, peu important la date à laquelle avaient été effectuées lesdites prestations, soit en l'espèce en juillet 1998 ; que ces infractions ont été commises pour le compte de la société X par son représentant Pierre Y ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer la déclaration de culpabilité de la société X en sa qualité de personne morale ; sur la délégation de pouvoir : que sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas pris personnellement part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il apporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; que la société X produit une délégation de pouvoir en date du 24 janvier 2002 de Pierre Y à Pascal Z, directeur d'entrepôt, aux termes de laquelle ce dernier doit faire appliquer les lois et règlements en vigueur en tous domaines relatifs à l'exploitation dudit entrepôt ; que cette délégation de pouvoir qui ne vise que l'exploitation de l'entrepôt, ne confère en conséquence, à Pascal Z, aucune compétence en matière de facturation au sein de la société X et s'avère, en conséquence, inopérante pour exonérer Pierre Y de sa responsabilité pénale engagée lors de l'émission de la facture du 4 février 2003, dès lors que ce dernier a personnellement, en sa qualité de président de la société X investi des pouvoirs et compétences générales, pris part aux infractions reprochées ; qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qui concerne la déclaration de culpabilité de Pierre Y et de la société X (...) ;
" 1°) alors que, pour être régulière, la citation doit énoncer le fait poursuivi et le texte de loi qui le réprime ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué que la citation visait les articles L. 441-6, alinéas 5 et 6, du Code de commerce ; que ces textes sanctionnent l'absence de contrat écrit lors de la fourniture de " services spécifiques " ; que les services spécifiques avaient été fournis en l'espèce en juillet 1998 ; que ces faits essentiels n'étaient pas énoncés dans la citation ; qu'il devait s'en déduire que celle-ci était irrégulière ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 août 2005) impose la conclusion d'un contrat écrit préalablement à la fourniture de " services spécifiques " ; que l'infraction à ces dispositions est constituée par l'absence de contrat écrit au moment de la fourniture des " services spécifiques " ; qu'en jugeant que l'infraction à l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce serait constituée par l'absence de contrat écrit " au moment de la demande de rémunération " des services fournis, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
" 3°) alors que, selon les propres énonciations de l'arrêt attaqué, la loi " NRE " du 15 mai 2001 a introduit de nouvelles dispositions codifiées à l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce ; que ce texte impose la conclusion d'un contrat écrit préalablement à la fourniture de " services spécifiques " ; qu'en jugeant que " si, à la date des prestations qui ont été effectuées, en juillet 1998, aucun formalisme n'était exigé, ce dernier, tel qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 15 mai 2001, devait être respecté dès cette date lors de la présentation de la facture ", quand l'article L. 441-6, alinéa 5, du Code de commerce n'impose nullement, pour des services fournis à une époque où " aucun formalisme n'était exigé ", la formalisation a posteriori d'un contrat, " lors de la présentation de la facture ", la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
" 4°) alors que, l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en se bornant à affirmer que la facture litigieuse du 4 février 2003 " ne répondait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce ", sans s'en expliquer davantage et sans caractériser, ainsi, une infraction aux dispositions de l'article L. 441-3 susvisé, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs,
" 5°) alors que, subsidiairement, Pierre Y faisait valoir, dans ses conclusions d'appel (p. 21 et s.), qu'il avait consenti à Pascal Z une " délégation de pouvoirs " avec faculté de subdélégation, aux fins de " prendre toutes mesures ou décisions (...) en vue d'appliquer ou de faire appliquer par l'ensemble du personnel les lois et règlements en vigueur ", notamment dans le domaine " de la législation commerciale " ; qu'en vertu de cet acte, Pascal Z avait subdélégué une partie de ses pouvoirs à M. B, concernant la responsabilité du service " achats et approvisionnements ", et les fonctions de " comptabilité " à M. C ; qu'en affirmant que la délégation de pouvoirs consentie à Pascal Z ne lui conférait aucune compétence " en matière de facturation ", sans expliquer en quoi cette " matière " n'aurait pas relevé de la " législation commerciale " que Pascal Z devait faire observer, et sans rechercher si ce dernier avait précisément subdélégué ses pouvoirs aux fins d'assurer le respect des règles de facturation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 4 février 2003, la X a facturé à l'Union des vignerons des côtes du Rhône (UVCR), avec laquelle elle entretenait des relations commerciales suivies, une somme de 25 305,99 euro, censée représenter 5 % d'un " budget publicitaire promotionnel ", au titre de l'exercice 1998, sur le fondement d'un projet d'accord du 10 février 1998, dont le fournisseur contestait l'application en soutenant qu'aucun contrat spécifique n'avait été établi ; que la société X a imputé le montant de la facture sur celui de ses achats du premier trimestre 2003 ;
Attendu que, sur le procès-verbal dressé le 8 septembre 2003 par des agents de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la société X et Pierre Y, son dirigeant, sont poursuivis pour avoir omis, courant 2003, d'une part, de communiquer à leur fournisseur un contrat écrit préalable à leur demande de rémunération de prestations de coopération commerciale, d'autre part, de délivrer une facture comportant la dénomination précise des prestations facturées ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la citation, tirée par les prévenus d'une prétendue inexactitude dans la date des faits, et les déclarer coupables des infractions visées à la prévention, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction, et dès lors que, d'une part, les prestations facturées sont réputées effectuées à la date de la facturation, d'autre part, la facture délivrée doit comporter toutes les mentions exigées par l'article L. 441-3 du Code de commerce, enfin, la réalité et la portée d'une délégation de pouvoirs sont souverainement appréciées par les juges du fond, la cour d'appel, qui a fait l'exacte application des articles 551, alinéa 2, et 565 du Code de procédure pénale et répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.