CA Lyon, 3e ch. civ. A, 11 décembre 2008, n° 08-01790
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eurindis (SARL)
Défendeur :
Astra Colorants (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvet
Conseillers :
M. Santelli, Mme Clozel-Truche
Avoués :
SCP Ligier de Mauroy-Ligier, SCP Aguiraud-Nouvellet
Avocats :
Mes Catoni, Dauvois
Exposé du litige - procédure - prétentions des parties
La société Holliday Dispersions, devenue la société Astra Colorants, spécialisée dans la fabrication de pâtes pigmentaires (peinture et vernis) a confié par un contrat d'agent commercial du 23 février 1982 la représentation de ses produits sur le secteur Rhône-Alpes à la société Corep, qui a fusionné en 1993 avec la société Eurindis SA, et qui est ainsi devenue la société Eurindis SARL.
A compter de novembre 1998, la société Eurindis a cessé tout démarchage de clientèle.
Le 1er octobre 1999 la société Holliday Dispersions n'a plus versé de commissions à la société Eurindis.
Par courrier du 22 mai 2001, la société Holliday Dispersions a adressé à la société Eurindis un état des commissions dues d'un montant de 316 142 F (soit 48 195,54 euro HT, à majorer de la TVA).
Par courrier du 31 juillet et 15 octobre 2002, la société Eurindis a mis en demeure la société Holliday Dispersions de lui payer les commissions arriérées et de lui adresser l'état des commissions depuis mars 2001 et à l'avenir cet état au terme de chaque trimestre.
N'obtenant pas satisfaction, la société Eurindis a fait citer par acte du 29 juin 2006 devant le Tribunal de commerce de Lyon la société Holliday Dispersions pour lui réclamer le paiement de la somme de 48 195,54 euro HT, majorée de la TVA pour les commissions du 1er octobre 1999 au 28 février 2001 ainsi que celle de 10 798,89 euro TTC à titre d'indemnité de préavis et la communication des documents comptables depuis le 1er octobre 1999 jusqu'à l'assignation, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation et la capitalisation des intérêts par année entière à effet du 3 juillet 2003.
Par jugement du 19 février 2008, le Tribunal de commerce de Lyon a constaté que la société Eurindis avait cessé tout démarchage de clientèle à compter du mois de novembre 1998
- a dit qu'en cessant d'exécuter ses prestations, la société Eurindis avait commis une faute grave au préjudice de la société Holliday Dispersions - a constaté la résiliation du contrat
- a fixé la date de rupture à la fin de novembre 1999 - a dit que la société Eurindis était déchue de tout droit à indemnité de rupture - a débouté la société Eurindis de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la société Holliday Dispersions la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Par déclaration du 18 mars 2008, la société Eurindis a relevé appel de ce jugement.
Dans ses conclusions du 28 mai 2008, la société Eurindis expose qu'aucune lettre de rupture ne lui a été adressée par la société Holliday Dispersions à laquelle elle était liée par un contrat de représentation depuis le 23 février 1982 - que si le contrat pouvait être dénoncé à tout moment, il convenait cependant de respecter un délai de préavis - qu'il n'y a eu aucun accord des parties pour dire que le contrat cessait au 4e trimestre 1999.
Elle soutient qu'en tout état de cause ce n'est pas elle qui a pris la décision de rompre le contrat - qu'aucun grief ne lui a été fait et que notamment, elle n'était pas tenue de faire un compte rendu écrit de son activité, ce qui d'ailleurs ne lui a jamais été demandé - que la société Holliday Dispersions a préféré, plutôt que de rompre le contrat, le vider de sa substance en ne lui donnant pas les moyens de le poursuivre, réduisant ainsi le montant de l'indemnité de cessation du contrat dont elle serait redevable envers elle.
Elle rappelle que du fait des caractéristiques des produits à vendre, le suivi de la clientèle s'effectuait au regard des commandes adressées par les clients au mandant - que les commandes lui permettaient de chiffrer ses commissions, mais aussi de suivre les besoins de la clientèle - qu'en l'absence de ces informations, elle n'a pu démarcher de nouveaux clients, ce qui a affecté son activité.
Elle réclame le paiement de ses commissions sur lequel le premier juge ne s'est pas prononcé pour un montant de 48 195,54 euro HT, majoré de la TVA dû au titre de la période du 1er octobre 1999 au 18 février 2001, ce que d'ailleurs la société Holliday Dispersions n'a jamais contesté.
Elle demande que la date à laquelle le contrat a été suspendu, mais non rompu, soit fixée au 3 juillet 2003 et qu'en conséquence il soit admis qu'il lui est dû les commissions du 1er mars 2001 jusqu'à cette date. Elle sollicite donc que la société Astra Colorants, qui a succédé à la société Holliday Dispersions, soit condamnée à lui communiquer des documents lui permettant de calculer ses commissions, sous astreinte de 100 euro par jour de retard passé le délai d'un mois de la signification de la décision.
Elle réclame une indemnité de rupture du contrat en indiquant que la prescription d'une année n'est pas acquise, dès lors que le délai part du jour de la cessation du contrat. Elle en fixe le montant à la moyenne des commissions perçues au cours des deux dernières années d'activité et fixe cette somme à 75 000 euro sauf à parfaire.
Elle sollicite pour le cas où sa demande d'indemnité serait prescrite l'allocation de 75 000 euro de dommages et intérêts pour la perte de chance qu'elle a subi du fait du comportement de la société Holliday Dispersions qui l'a empêché de percevoir cette indemnité.
Elle demande la réformation du jugement déféré et que la société Astra Colorants soit condamnée à lui payer la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 7 août 2008, la société Astra Colorants (anciennement dénommée Holliday Dispersions) expose que la société Eurindis a cessé toute activité depuis la fin de 1998 entraînant ainsi la cessation du contrat à la fin de l'année 1999 (absence de réunions commerciales - absence de facturation notamment).
Elle soutient que la rupture n'est pas de son fait, mais de celui de la société Eurindis, qui n'a pas respecté ses obligations au titre du contrat d'agent commercial qui lui imposaient de visiter la clientèle et de faire des rapports d'activité.
Elle fait état des difficultés financières qu'a rencontrées la société Eurindis qui sont les véritables raisons de sa carence à exécuter le contrat d'agent commercial.
Elle souligne qu'elle n'a pas à payer de commissions sans qu'il y ait des contreparties - que les commissions réclamées ne sont pas dues comme la société Eurindis le demande jusqu'au 3 juillet 2003 - que le contrat prévoyait un règlement au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elles ont été acquises, alors que la société Eurindis n'a rien réclamé pendant deux ans et demi.
Elle relève que la société Eurindis ne s'est jamais plaint jusqu'à présent de l'absence de communication de documents pour exercer son activité ou pour facturer - qu'elle n'a jamais sollicité une remise de ces documents.
Elle ajoute que les commissions sont dues lorsque les opérations sont conclues par l'intervention de l'agent et pendant la durée de son contrat - que ce n'est pas le cas en l'espèce.
Elle affirme qu'elle ne s'est jamais reconnue redevable de la moindre somme à la société Eurindis et que le fait de provisionner comptablement une charge ne constitue pas une reconnaissance de dette.
Elle relève que la demande d'indemnité pour rupture du contrat faite pour la première fois le 27 février 2007 par la société Eurindis est irrecevable à raison de la prescription d'un an résultant de l'article L. 134-12 alinéa 2 du Code de commerce, dès lors que le contrat s'est achevé à la fin de 1999 - que de toute façon, même si l'on retenait la rupture du contrat au 3 juillet 2003, la demande serait faite hors délai - que le délai court de l'extinction des relations contractuelles et non à la date de la notification de la rupture par le mandant, de sorte qu'elle n'a commis aucune faute en s'abstenant de lui notifier la rupture du contrat.
Elle précise que la société Eurindis se devait de faire sa demande dans le délai requis et qu'elle n'est pas responsable de sa carence.
Elle demande que la société Eurindis soit déboutée de toutes ses prétentions et que le jugement déféré soit confirmé en y ajoutant une condamnation de la société Eurindis à lui payer la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2008.
Motifs et décision
I Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial et la date à laquelle elle est intervenue
Attendu qu'il n'existe aucun accord par lequel les parties auraient volontairement mis fin au contrat d'agent commercial qui les liait à la fin de l'année 1999;
Attendu qu'il résulte du décompte des commissions dues depuis le 1er octobre 1999 jusqu'au 28 février 2001 établi le 22 mai 2001 par la société Holliday Dispersions que la société Eurindis n'a plus été payée de ses commissions depuis le 1er octobre 1999 - que dans ces conditions la société Holliday Dispersions ne peut reprocher à la société Eurindis de n'avoir plus prospecté de clientèle depuis cette date, ni de ne lui avoir plus adressé de comptes rendus écrits d'activité pour les affaires qu'elle continuait de traiter - qu'il convenait que la société Holliday Dispersions mette en demeure la société Eurindis d'exécuter le contrat - qu'elle a laissé par sa faute s'installer une situation dont elle doit être tenue pour responsable - que la société Eurindis ne démontre toutefois pas que la société Holliday Dispersions ne lui a pas communiqué les éléments nécessaires à la poursuite de son activité, faute de l'avoir mise en demeure de satisfaire à cette exigence;
Attendu que la société Eurindis n'a en conséquence pas commis de faute grave dans l'exécution du contrat à l'origine de sa rupture - que c'est donc à tort que le premier juge a retenu cette faute à l'encontre de la société Eurindis;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le contrat d'agent commercial n'a pas non plus été rompu à l'initiative de la société Eurindis, des circonstances imputables au mandant ayant justifié la cessation du contrat;
Attendu que la société Eurindis dans l'assignation en référé qu'elle a fait délivrer le 29 avril 2003 à la société Holliday Dispersions pour lui réclamer la somme de 48 195,54 euro représentant les commissions dues au titre de ses activités a indiqué que les relations contractuelles avaient été interrompues le 28 février 2001 - que la société Eurindis doit se voir opposer sur ce point sa propre déclaration, de quoi il résulte que la rupture du contrat doit être fixée à cette date;
II Sur les conséquences de la rupture.
1) Sur la demande au titre des commissions.
Attendu que le premier juge a omis de statuer sur cette demande;
Attendu que la société Holliday Dispersions ne conteste pas avoir provisionné la somme de 48 195,54 euro au titre des commissions dûes à la société Eurindis - que cette somme correspond aux commissions que la société Holliday Dispersions a elle-même chiffré dans son décompte du 22 mai 2001 estimant donc qu'elles étaient dues à la société Eurindis pour la période du 1er octobre 1999 au 28 février 2001 - qu'elles n'ont ainsi jamais fait l'objet de contestation - que la société Eurindis est ainsi bien fondée à réclamer à la société Astra Colorants cette somme qui représente les commissions qui lui sont dues jusqu'à la rupture des relations contractuelles;
Attendu que la société Astra Colorants doit être en conséquence condamnée à payer à la société Eurindis la somme de 48 195,54 euro HT, majorée de la TVA, cette condamnation n'étant pas faite à titre de dommages et intérêts - que doit être calculé sur cette somme l'intérêt au taux légal à compter du 31 juillet 2002, date de la mise en demeure - qu'il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts par année entière avec effet du 29 juin 2006;
2) Sur la demande au titre de préavis.
Attendu que le premier juge a omis de statuer sur cette demande;
Attendu que la rupture d'un contrat d'agent commercial ne peut intervenir sans observer un préavis soit observé - que ce préavis est de trois mois, lorsque le contrat s'est poursuivi au delà de la troisième année - que la partie qui a l'intention d'y mettre un terme doit en informer l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception - qu'il appartenait à la société Holliday Dispersions de notifier à la société Eurindis son intention de rompre le contrat - que la société Astra Colorants est par conséquent redevable d'une somme de 9 029,17 euro au titre de préavis (commission mensuelle X 3 mois) - qu'il convient en conséquence de la condamner à payer ladite somme à la société Eurindis, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 29 juin 2006 - qu'il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts par année entière avec effet du 29 juin 2006;
3) Sur l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial.
Attendu que l'article L. 134-12 alinéa 2 du Code de commerce dispose que l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat qu'il entend faire valoir ses droits - que c'est dans ses conclusions du 27 février 2007 que la société Eurindis a réclamé pour la première fois une indemnité de rupture du contrat d'un montant de 75 000 euro - que cette demande se heurte donc à la prescription annale édictée à l'article L. 134-12 alinéa 2, le contrat ayant été rompu le 28 février 2001;
Attendu que la prescription annale commence en effet à courir à compter de l'extinction effective des relations contractuelles et non à la date de la notification de la rupture par le mandant, en sorte que l'absence de notification par la société Holliday Dispersions à la société Eurindis de la fin des relations contractuelles le 28 février 2001 se trouve dépourvue d'effet - qu'il appartenait à la société Eurindis de faire sa demande indépendamment de toute notification - que pour ne l'avoir pas fait elle ne peut voir tenir la société Holliday Dispersions pour responsable et doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts formée contre elle à ce titre;
Attendu qu'il y a lieu de confirmer de ce chef le jugement déféré;
III Sur la demande en communication par la société Eurindis des documents comptables de la société Astra Colorants
Attendu que la fin des relations contractuelles étant fixée au 28 février 2001, et en l'absence de tout commencement de preuve de l'existence de commandes après le 31 mai 2001 (fin de préavis), il convient de rejeter la demande de production des documents comptables pour la période postérieure à cette date;
IV Sur les autres demandes
Attendu qu'il serait inéquitable que la société Eurindis supporte la charge de ses frais irrépétibles et qu'il convient ainsi de lui allouer une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, qui s' ajoutera à celle accordée par le premier juge;
Attendu que la société Astra Colorants doit être condamnée aux dépens;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la société Eurindis au titre d'une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial; Le reforme pour le surplus; Et statuant à nouveau : Dit que non seulement la société Eurindis n'a pas commis de faute grave à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial la liant à la société Holliday Dispersions, maris encore qu'elle n'est pas l'origine de cette rupture; Ajoutant au jugement : Fixe le terme des relations contractuelles entre les parties au 28 février 2001; Déclare la société Eurindis bien fondée dans ses demandes en paiement de ses commissions couvrant la période du 1er octobre 1999 au 28 février 2001 ainsi que d'une indemnité de préavis; Condamne en conséquence la société Astra Colorants à lui payer la somme de 48 195,54 euro HT, majorée de la TVA à laquelle s'ajoutera l'intérêt au taux légal à compter du 31 juillet 2002 au titre des commissions et celle de 9 029,17 euro à laquelle s'ajoutera l'intérêt au taux légal à compter du 29 juin 2006 représentant l'indemnité de préavis; Ordonne la capitalisation des intérêts par année entière sur le montant de ces condamnations à compter du 29 juin 2006; Déclare la société Eurindis mal fondée dans sa demande en dommages et intérêts formée sur le fondement de l'article 1383 du Code civil et l'en déboute; Dit n'y avoir lieu d'ordonner à la société Astra Colorants la communication de ses documents comptables; Condamne la société Astra Colorants à payer à la société Eurindis la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel par la SCP Ligier de Mauroy Ligier, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.