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Décisions

CA Besançon, 2e ch. com., 30 avril 2008, n° 07-00284

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Baise-Cea

Défendeur :

Festina France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Sandivo

Conseillers :

MM. Polanchet, Vignes

Avoués :

Mes Economou, Graciano

Avocats :

Mes Hilbert-Thomasson, Besse

T. com. Besançon, du 11 déc. 2006

11 décembre 2006

Faits et prétentions des parties

La SAS Festina France a conclu avec Olivier Baise-Cea le 2 mai 2000 un contrat d'agent commercial pour une durée indéterminée, portant sur les produits d'horlogerie commercialisés par la mandante sous la marque Calypso, avec exclusivité dans un secteur de sept départements (04, 05, 26, 38, 69, 73 et 74).

Le 27 janvier 2005, la SAS Festina France a rompu le contrat pour faute grave en ces termes:

"Monsieur,

Depuis le 2 mai 2000, vous intervenez en qualité d'agent commercial pour la diffusion et le développement de la collection Calypso proposée par Festina France.

Le 7 octobre 2004, nous vous avons sollicité pour que, conformément à votre contrat d'agent commercial, vous puissiez nous rendre compte de votre activité mensuelle et nous adresser en ce sens un compte rendu détaillé d'information.

Parallèlement, nous vous demandions de nous indiquer sur l'année 2004, les dates de visite que vous étiez censé avoir effectué auprès de la clientèle de votre secteur, conformément à vos obligations contractuelles.

Nous relevons que par courrier du 28 octobre 2004, vous acceptiez de mettre en place un reporting hebdomadaire, mais vous refusiez de communiquer les dates de visites sur 2004 auprès de la clientèle de votre secteur.

Le 25 novembre 2004, par courrier recommandé valant mise en demeure, nous vous réitérions notre demande du 7 octobre 2001 d'avoir à nous transmettre les renseignements contractuellement définis et que faute de réponse de votre part, nous en tirerions les conséquences qui s'imposent sur le plan de la rupture de votre contrat.

Aucune réponse n'a été donnée à ce courrier. Aucune remontée d'information sur les produits concurrents rencontrés, les prix pratiqués par la concurrence ... n'a été enregistrée par nos services.

Il en ressort que vous n'exécutez pas votre mandat en bon professionnel comme l'article L. 134-4 alinéa 3 vous en fait obligation et que cette inexécution fautive de vos obligations explique notamment le non-développement du volume des ventes Calypso sur votre secteur.

Votre objectif de quota de ventes annuel contractuel (article VI) de 731 755 euro n'a jamais été réalisé, votre chiffre d'affaire réalisé en 2003 était de 448 556 euro et de 325 573 euro en 2004, toujours en baisse depuis 2001.

Cette inobservation répétée de l'objectif des ventes résulte nécessairement d'un manque d'activité, qui a pour origine la négligence de vos relations dans la prospection (incapacité à communiquer les dates de visites clients) et le refus de vous plier aux méthodes de travail du mandant (refus d'établir les comptes-rendus d'activité définis contractuellement et plus généralement, refus de fournir les renseignements demandés nécessaires à notre politique commerciale vis-à-vis de la concurrence).

Votre comportement fautif ne nous permet plus de poursuivre le contrat d'agent commercial, eu égard à la finalité commune du contrat de mandat.

La présente rupture pour faute grave de votre contrat d'agent commercial pour le compte de la société Festina prendra effet dès la première présentation du présent courrier sans préavis, ni indemnité compensatrice.

Enfin, nous vous libérons de votre obligation de non-concurrence inscrite à l'article VIII de votre contrat.

Nous vous demandons de nous restituer les collections, tarifs et catalogues Calypso qui vous ont été confiés.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées."

Contestant le bien-fondé de cette rupture et en tout cas le caractère grave de la faute invoquée, arguant en outre de la nullité de certaines clauses du contrat, Olivier Baise-Cea a assigné la SAS Festina France aux fins de paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité compensatrice du préjudice subi, et d'une indemnité de réemploi.

Outre qu'elle a conclu au débouté de ces demandes, la SAS Festina France a reconventionnellement sollicité la condamnation d'Olivier Baise-Cea à lui payer trois factures.

Par jugement en date du 11 décembre 2006, auquel il est référé pour plus ample exposé des faits et moyens, ainsi que pour les motifs, le Tribunal de commerce de Besançon a :

Dit que la rupture du contrat d'agent commercial liant les parties pour faute grave d'Olivier Baise-Cea est parfaitement fondée.

Débouté Olivier Baise-Cea de l'ensemble de ses demandes.

Condamné Olivier Baise-Cea à payer à la SAS Festina France la somme de 164,99 euro.

Condamné Olivier Baise-Cea à payer à la SAS Festina France la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamné Olivier Baise-Cea aux dépens.

Celui-ci a régulièrement formé appel à l'encontre de la décision susvisée.

Sur ce,

Vu le dossier de la procédure,

Vu les conclusions de la SAS Festina France en date du 4 décembre 2007,

Vu les conclusions d'Olivier Baise-Cea en date du 12 octobre 2007, auxquelles il est référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998,

Vu les annexes régulièrement déposées,

Attendu que la SAS Festina France conteste le fait que le premier juge ait estimé nulle la clause de résultat figurant dans le contrat liant les parties, aux termes de laquelle " le mandataire s'engage à atteindre chaque trimestre un chiffre de ventes HT égal à 1 200 KF ", ce montant pouvant "être augmenté chaque année par l'entreprise pour un montant maximum de 20 %";

Mais attendu que si, en tant que telle, une telle clause n'est pas nulle, elle ne pouvait se concevoir, spécialement dans son ampleur, qu'en relation avec l'interdiction initialement convenue, puis retirée conventionnellement quelques mois plus tard comme étant contraire aux principes élémentaires d'un contrat d'agent commercial, faite à Olivier Baise-Cea de représenter d'autres entreprises ou d'agir pour son propre compte dans des domaines d'activité distincts et non-concurrents de ceux de la SAS Festina France;

Attendu en outre que son non-respect ne saurait justifier une rupture pour faute grave, sauf à justifier que l'insuffisance de chiffre d'affaires résulte d'un manque d'activité notoire et fautif de l'agent;

Attendu, quant au fond du litige, que tout au long du contrat et jusque dans les semaines ayant précédé sa rupture, soit pendant plus de 52 mois sur les 56 de sa durée totale, pas le moindre reproche n'a été fait à Olivier Baise-Cea, que ce soit au titre d'une information régulière de sa mandante, ou à celui d'un chiffre d'affaires insuffisant;

Attendu que cela n'est tout de même pas un élément anodin;

Attendu que le 7 octobre 2004, la SAS Festina France a adressé à Olivier Baise-Cea une lettre recommandée avec avis de réception ne lui faisant aucun reproche, mais lui rappelant les dispositions contractuelles en matière de compte-rendu et de visite de la clientèle et lui notifiant qu'à l'avenir un compte-rendu hebdomadaire dans neuf rubriques dûment précisées devra être réalisé, et sollicitant que les dates de visite censées avoir été effectuées en 2004 chez chaque client lui soient indiquées;

Attendu qu'il n'est pas inintéressant de constater que le même jour, sous la même forme, une même lettre a été adressée à David Fournier (annexe 7 bis d'Olivier Baise-Cea);

Attendu que c'est ce qui fait écrire à ce dernier, non sans raison, qu'il s'agissait en fait d'une lettre circulaire adressée à tous les agents, ce que la SAS Festina France ne dément pas, refusant simplement de fournir le moindre renseignement et la moindre justification au sujet de ce qui s'est passé concernant les autres agents, malgré sommation réitérée de son adversaire, au prétexte que seule l'affaire le concernant intéresse le présent litige;

Attendu que le 28 octobre 2004 Olivier Baise-Cea répond par la même voie pour marquer sa grande surprise, se demander ce que cache ce courrier non personnalisé, mais accepter néanmoins de mettre en place un système de reporting hebdomadaire entrant dans le cadre de sa mission et ce par fax à compter de la semaine 44;

Attendu qu'il a tenu parole, comme en font foi les rapports adressés dont la SAS Festina France a fourni quelques exemplaires, et qui respectaient les rubriques précisément indiquées;

Attendu que le 25 novembre 2004 Olivier Baise-Cea était à nouveau destinataire d'une lettre recommandée avec avis de réception le mettant quasiment en demeure de fournir par retour les dates de visites, en 2004, chez 57 clients dûment répertoriés, et se plaignant de l'indigence des rapports hebdomadaires;

Attendu que la réponse d'Olivier Baise-Cea, par la même voie, en date du 28 janvier 2005 s'est croisée avec la lettre de la SAS Festina France lui notifiant la rupture du contrat;

Attendu qu'en dehors des échanges de correspondance susvisés, celle-ci n'apporte aucun élément de preuve relativement aux deux manques qui en sont la clef de voûte : les comptes-rendus qu'elle n'a jamais sollicités par écrit antérieurement à octobre 2004 ni d'une telle fréquence, et les visites chez les clients au nombre minimal de quatre;

Attendu, sur ce dernier point, qu'il eut été facile pour la SAS Festina France de démontrer, par attestations d'un certain nombre de clients, qu'Olivier Baise-Cea ne les visitait pas, ou insuffisamment eu égard aux prescriptions contractuelles;

Attendu qu'aucun élément n'est fourni à cet égard, alors qu'il appartient à la SAS Festina France d'établir la réalité et le bien-fondé de la faute reprochée, ainsi que son caractère de faute grave;

Attendu qu'au regard du déroulement du contrat et de la soudaine attaque revendicatrice de la SAS Festina France adressée non pas à Olivier Baise-Cea seul, mais au minimum à deux agents commerciaux et dans des termes identiques, et en considération tant des éléments susvisés que de ce qu'elle-même, dans sa lettre du 25 novembre 2004, reconnaît que le marché est difficile (ce qui induit un chiffre d'affaires également difficile à réaliser), il convient de considérer que l'attitude fautive d'Olivier Baise-Cea n'est pas établie, encore moins qu'il ait commis une faute grave;

Attendu que c'est dès lors à bon droit qu'il réclame une indemnité de préavis de trois mois calculée sur la base de la moyenne mensuelle des commissionnements hors taxes, soit la somme de 18 293,88 euro hors taxes;

Attendu que c'est également à bon droit qu'il sollicite l'indemnisation de la rupture du contrat;

Attendu, ainsi qu'il le précise, que son préjudice est constitué par la perte de revenu qu'il aurait pu continuer à percevoir si le contrat s'était poursuivi, ainsi que par la perte de valeur économique de son contrat, enfin par l'atteinte morale portée au regard des circonstances de la rupture;

Attendu que ces différents chefs de préjudice seront justement indemnisés par l'allocation d'une indemnité égale à 24 mois de commissions, calculée sur la base de la même moyenne mensuelle que celle utilisée pour l'indemnité de préavis, soit une indemnité de rupture de 146 351,04 euro;

Attendu qu'aux deux indemnités susvisées s'ajoutent les intérêts légaux à compter de l'assignation, lesquels intérêts, conformément à ce qui est demandé, se capitaliseront annuellement en application de l'article 1154 du Code civil;

Attendu que la réparation du préjudice doit être intégrale;

Attendu que c'est dès lors à bon droit qu'est sollicitée une indemnité de réemploi pour compenser l'incidence fiscale dont il est justifié par la production de la réponse du ministère de l'Economie et des Finances quant au régime fiscal des indemnités versées aux agents commerciaux par leurs mandants en cas de cessation de leurs fonctions, soit une taxation au taux réduit au titre du régime d'imposition des plus values professionnelles;

Attendu que le montant de ladite indemnité a été, dans ce cadre, justement calculée à concurrence de 27 % de l'indemnité de résiliation, soit un montant de 39 514,78 euro, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;

Attendu que la demande reconventionnelle de la SAS Festina France est contestée par Olivier Baise-Cea ; qu'en ne produisant en tout et pour tout qu'un simple relevé de factures dont on ignore ce qu'elles concernent précisément, la SAS Festina France ne fait pas la preuve, lui incombant, d'une dette d'Olivier Baise-Cea quant à des commandes personnelles;

Attendu que la SAS Festina France, qui succombe, supportera les entiers dépens;

Attendu qu'elle ne peut en conséquence revendiquer à son profit l'application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'Olivier Baise-Cea la totalité des sommes qu'il a dû exposer, non comprises dans les dépens ; qu'il y a donc lieu de condamner la SAS Festina France à lui payer la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile (étant observé ici que celle-ci, pour elle-même, sollicitait 5 000 euro en sus des 2 500 euro déjà octroyés par le premier juge...);

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit, en la forme, Olivier Baise-Cea en son appel; au fond, infirme la décision déférée et, statuant à nouveau; Sur la demande principale : Condamne la SAS Festina France à payer à Olivier Baise-Cea : - la somme de dix huit mille deux cent quatre-vingt treize euro quatre-vingt huit centimes Hors Taxes (18 293,88 euro HT), à titre d'indemnité de préavis, outre les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2005, date de l'assignation, - celle de cent quarante six mille trois cent cinquante et un euro quatre centimes (146 351,04 euro) à titre d'indemnité de résiliation, outre les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2005, date de l'assignation; Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts, ce à compter de l'assignation qui réclamait cette mesure; Condamne la SAS Festina France à payer à Olivier Baise-Cea la somme de trente neuf mille cinq cent quatorze euro soixante dix huit centimes (39 514,78 euro) à titre d' indemnité de réemploi, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; Sur la demande reconventionnelle : Déboute la SAS Festina France de sa demande; Sur les frais et dépens : Déboute la SAS Festina France de sa réclamation en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la SAS Festina France à payer à Olivier Baise-Cea la somme de sept mille euro (7 000 euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la SAS Festina France aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, avec possibilité de recouvrement direct au profit de Maître Economou, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.