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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. B, 26 février 2008, n° 05-03963

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Boubau-Riboulet

Défendeur :

Cétélem (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cheminade

Conseillers :

MM. Crabol, Barrailla

Avoués :

SCP Fournier, Me Le Barazer

Avocats :

Mes Dupin, Journaud, Berterreche-Menditte, Mendes-Gil

TGI Libourne, du 26 mai 2005

26 mai 2005

Vu le jugement rendu le 26 mai 2005 par le Tribunal de grande instance de Libourne, qui a débouté Laurence Boubau-Riboulet de ses demandes et l'a condamnée à payer à la SA Cétélem une somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens;

Vu la déclaration d'appel de Laurence Boubau-Riboulet du 5 juillet 2005 ;

Vu les dernières écritures de l'appelante, signifiées et déposées le 27 mars 2006;

Vu les dernières écritures de la SA Cétélem, signifiées et déposées le 21 août 2007;

Vu l'ordonnance de clôture du 17 septembre 2007;

Discussion :

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement déféré (page 2 à 4), qui en contient une relation précise et exacte;

1- Attendu que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a estimé que le " contrat de correspondant " conclu le 1er octobre 1997 entre la SA Cofica, aux droits de laquelle vient la SA Cétélem, et Laurence Boubau-Riboulet ne constituait pas un contrat d'agent commercial et que Laurence Boubau-Riboulet n'exerçait pas les fonctions d'agent commercial telles que définies à l'article L. 134-1 du Code de commerce, de sorte que sa demande d'indemnité, fondée sur l'article L. 134-12 du même Code, devait être rejetée (page 5 à 7, paragraphes 1 à 4 du jugement) ; qu'en cause d'appel, Laurence Boubau-Riboulet ne fait valoir aucun argument auquel il n'ait déjà été justement répondu par le premier juge ; qu'en particulier, c'est avec raison que celui-ci a relevé qu'elle ne démontrait pas avoir, de façon permanente, négocié ou conclu des contrats ; que l'appelante critique particulièrement le tribunal sur ce point, en faisant valoir qu'elle avait versé aux débats une attestation de Daniel Regner, gérant de la SARL Chamiers Automobiles, indiquant qu'elle s'occupait notamment " de négocier les conditions de rémunération annuelle pour le garage " (pièce 19 de son actuelle production) ; que toutefois, cette attestation est totalement irrégulière en la forme, comme ne comportant pas en annexe la justification de l'identité et de la signature de son auteur, le fait qu'elle ait été établie sur un papier à l'en-tête de " Chamiers Automobiles " étant insuffisant à apporter cette justification ; qu'au demeurant, à supposer exacte l'affirmation du témoin, elle ne suffirait pas à démontrer que Laurence Boubau-Riboulet ait été chargée, de façon permanente, de négocier ou de conclure des contrats ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes principales, fondées sur une demande de requalification de son contrat en un contrat d'agent commercial ;

2 - Attendu qu'à titre subsidiaire, l'appelante prie la cour de requalifier le contrat de correspondant en un mandat d'intérêt commun ; que la SA Cétélem conclut au rejet de cette prétention au motif que Laurence Boubau-Riboulet n'était pas son mandataire et qu'elle n'était pas intéressée à l'acte juridique faisant l'objet du mandat, puisqu'elle n'intervenait pas auprès d'une clientèle commune, mais seulement d'une clientèle qui ne pouvait profiter qu'au prétendu mandant, et que sa rémunération, qui comprenait une partie fixe forfaitaire et une partie en pourcentage dont l'assiette était constituée par les produits de financement réglés dans son territoire, ne dépendait pas de son activité, mais de celle des garagistes et concessionnaires apporteurs de clientèle;

Attendu cependant que, contrairement à ce qui est prétendu, le contrat litigieux, qui conférait au correspondant une mission générale de promotion et de diffusion des produits de financement de la SA Cofica auprès des concessionnaires et particuliers de son territoire (article 1), et, notamment, la mission " d'intervenir auprès des concessionnaires et garagistes vendeurs de véhicules, agréés par Cofica pour des produits de financement en recueillant et transmettant les demandes de leur clientèle " (article 4.1 paragraphe 1) et celle " d'informer et de conseiller les concessionnaires et garagistes agréés, sur les produits de financement en vue de leur prescription auprès de leur propre clientèle " (article 4.1 paragraphe 2 alinéa 2), et qui prévoyait qu' " à titre accessoire de sa mission principale, le correspondant pourra également, lorsque les délais de traitement l'exigeront transmettre aux concessionnaires et garagistes agréés le règlement des dossiers de financement accordés par Cofica " (article 4.2 paragraphe 1), s'analyse nécessairement en un mandat, c'est-à-dire en " un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ", selon la définition donnée par l'article 1984 du Code civil, étant précisé que les missions précitées portaient sur des actes juridiques à accomplir en représentation du cocontractant ; que par ailleurs, s'il est exact que Laurence Boubau-Riboulet n'avait aucune clientèle commune avec la SA Cofica, il n'en demeure pas moins que l'article 4.1 paragraphe 2 alinéa 1 de la convention précisait que le correspondant aurait pour rôle " de rechercher les concessionnaires et garagistes non-agréés sur son territoire, d'informer Cofica du résultat de ses recherches et d'en aviser Cofica en vue de leur agrément éventuel " ; qu'il apparaît ainsi que Laurence Boubau-Riboulet avait une mission de prospection et d'information destinée à permettre à la SA Cofica de développer sa clientèle ; qu'il s'ensuit qu'elle était intéressée à l'exécution du mandat, puisque le développement de la clientèle de son mandant avait pour conséquence l'augmentation des produits de financement réglés dans son territoire, constituant l'assiette de la partie en pourcentage de sa rémunération (article 5.1, paragraphes 1 et 2 du contrat) ; qu'il y a donc lieu de faire droit à sa demande de requalification;

3- Attendu que Laurence Boubau-Riboulet expose que le contrat initial, conclu jusqu'au 3 décembre 1997, a ensuite été renouvelé chaque année pour une durée de douze mois, en dernier lieu jusqu'au 31 décembre 2001 selon accord de renouvellement du 28 janvier 2000 auquel étaient annexées des conditions de rémunération prévoyant un commissionnement de 1 % pour les opérations de financement, que toutefois par lettre du 22 octobre 2001 la SA Cofica lui a fait savoir que sa nouvelle politique commerciale la conduisait à modifier ses conditions de rémunération, le taux de commissionnement des opérations de financement étant ramené à cette occasion à 0,60 %, que par lettre du 5 novembre 2001, elle-même a refusé ces nouvelles conditions de rémunération, inférieures aux précédentes, et que par lettre du 14 novembre 2001, la SA Cofica lui a indiqué que compte tenu de ce refus, son contrat ne serait pas renouvelé au-delà de son terme du 31 décembre 2001 ; qu'elle soutient que, ce faisant, son cocontractant a rompu de manière illégitime les relations contractuelles ; qu'elle sollicite en conséquence, d'une part une indemnité de 92 312 euro représentant " l'indemnisation d'usage ", correspondant au total hors taxe des commissions qui lui ont été versées au cours des deux dernières années, d'autre part une somme de 45 734,70 euro à titre d'indemnisation complémentaire, en raison du caractère abusif du refus de renouvellement;

Attendu que la SA Cétélem conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes dommages et intérêts, au motif qu'à l'article 3.1 du contrat de correspondant, Laurence Boubau-Riboulet a renoncé à tout droit à indemnité en cas de défaut de conclusion d'un nouveau contrat ; qu'elle ajoute que le défaut de renouvellement d'un contrat à durée déterminée parvenu à son terme ne peut être assimilé à une rupture unilatérale illégitime et ne peut donc donner lieu à indemnité, et qu'elle-même n'a commis aucune faute, dans la mesure où elle a modifié sa nouvelle politique commerciale pour tous ses correspondants, sans aucune circonstance discriminatoire ni vexatoire, et où elle a parfaitement respecté le délai de préavis contractuel d'un mois avant l'expiration du contrat, prévu à l'article 3.1 de celui-ci ;

Attendu qu'à l'article 3.1 paragraphe 1 in fine du contrat de correspondant, il est indiqué que " les parties sont expressément convenues que la non-conclusion d'un nouveau contrat ne donnera droit à aucune indemnité d'aucune sorte "; que s'agissant d'un mandat d'intérêt commun et non d'un contrat d'agent commercial, une telle clause est licite ; qu'il s'ensuit que Laurence Boubau-Riboulet a valablement renoncé à l'indemnisation du préjudice pouvant résulter du défaut de reconduction de ses relations avec son mandant; qu'elle ne peut donc prétendre à une indemnité dite " d'usage ", destinée à réparer le dommage résultant de la cessation des relations contractuelles ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 92 312 euro;

Attendu en revanche que nul ne pouvant s'exonérer de sa propre faute, la clause susmentionnée ne peut avoir pour effet de priver Laurence Boubau-Riboulet du droit de solliciter l'indemnisation du préjudice ayant pu lui être causé par le comportement abusif de son cocontractant ; qu'à cet égard, il convient de noter que la SA Cétélem ne formule aucun reproche sur la manière dont l'intéressée a exécuté ses missions ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que la seule cause du défaut de renouvellement de son contrat réside dans le fait qu'elle n'a pas accepté la réduction du taux de commission qui lui était proposée, ce qui ressort de façon particulièrement nette de la lettre de la SA Cofica du 22 octobre 2001 (" Cette offre constituant la nouvelle politique commerciale que Cofica met en place dans son réseau d'apporteurs d'affaires automobiles, il ne saurait y en avoir d'autre. De ce fait la pérennité de notre partenariat et, par là même, le renouvellement de votre contrat annuel ne peuvent s'envisager que dans la mesure où vous adhérez à cette nouvelle politique avec tous ses tenants et aboutissants "), ainsi que de la lettre du 14 novembre 2001 (" En nous notifiant votre refus d'accepter les dispositions de rémunération qui accompagnent la mise en place de notre nouvelle politique commerciale, nous devons constater que vous n'adhérez pas à cette nouvelle politique commerciale. Cette politique étant appelée à devenir la seule dont nous disposerons à l'avenir, il ne nous est pas possible, dans ces conditions, d'envisager une poursuite de nos relations au-delà du terme de votre contrat annuel prenant fin le 31 décembre 2001. Ce contrat ne sera donc pas renouvelé ") ; que la SA Cétélem ne prétend ni ne justifie que la nouvelle politique commerciale décidée par la SA Cofica ait été imposée à cette société par des circonstances économiques et par la nécessité de s'y adapter ; que dès lors, en l'absence d'un motif réel et sérieux justifiant le refus de renouvellement du mandat d'intérêt commun, ce refus a présenté un caractère abusif; qu'en effet, il a été décidé en fonction des seuls intérêts du mandant, alors que dans un mandat d'intérêt commun, les deux parties sont intéressées aux actes juridiques faisant l'objet du mandat, de sorte que la cessation des relations contractuelles, même par refus de renouvellement du contrat, ne peut intervenir que pour un motif légitime, garantissant que les intérêts du mandataire on été pris en compte ; que le comportement abusif du mandant est donc établi en l'espèce, peu important que la preuve d'une intention de nuire ne soit pas rapportée, que le changement de politique commerciale ait été décidé pour tous les correspondants, sans exception ni discrimination, et que la SA Cofica ait respecté le délai de préavis contractuel ;

Attendu que la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à la somme réclamée le préjudice causé au mandataire par le refus abusif de renouvellement de son contrat; qu'il y a donc lieu de réformer le jugement en ce qu'il a débouté Laurence Boubau-Riboulet de sa demande de dommages et intérêts à ce sujet et de condamner la SA Cétélem à lui payer une indemnité de 45 734,70 euro;

4 - Attendu que la SA Cétélem succombant pour une part importante de ses prétentions, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; que par ailleurs, il serait inéquitable que Laurence Boubau-Riboulet conserve à sa charge la totalité des frais irrépétibles exposés par elle à l'occasion de cette affaire ; qu'il convient de faire droit à sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit Laurence Boubau-Riboulet en son appel; Confirme le jugement rendu le 26 mai 2005 par le Tribunal de grande instance de Libourne en ce qu'il a débouté Laurence Boubau-Riboulet de sa demande en paiement de la somme de 92 312 euro à titre d'indemnité d'usage; Réforme pour le surplus et statuant à nouveau ; Dit que le contrat de correspondant conclu le 1er octobre 1997 entre la SA Cofica et Laurence Boubau-Riboulet et renouvelé ultérieurement, par conventions successives, jusqu'au 31 décembre 2001 a constitué un mandat d'intérêt commun ; Dit que le refus de renouvellement de ce contrat, notifié par la SA Cofica à Laurence Boubau-Riboulet par lettre du 14 novembre 2001, a présenté un caractère abusif ; Condamne en conséquence la SA Cétélem venant aux droits de la SA Cofica, à payer à Laurence Boubau-Riboulet une indemnité de 45 234,70 euro ; Condamne la SA Cétélem à payer en outre à Laurence Boubau-Riboulet une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Cétélem aux dépens de première instance et d'appel, et dit que ces derniers seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.