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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 17 juillet 2008, n° 07-01280

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Van Lith

Défendeur :

Le Gourmet à Rungis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cheminade

Conseillers :

MM. Crabol, Barrailla

Avoués :

SCP Rivel, Combeaud, SCP Fournier

Avocats :

SCP Rivière-Maubaret-Rivière, Me Raskin

TGI Bordeaux, du 17 févr. 2005

17 février 2005

Vu le jugement rendu le 17 février 2005 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux, qui a rejeté une exception d'incompétence territoriale soulevée par la SARL Le Gourmet à Rungis, qui a débouté Geoffroy Van Lith de ses demandes de dommages et intérêts, qui a condamné la SARL Le Gourmet à Rungis à lui payer une somme de 3 526,60 euro en deniers ou quittances au titre d'une facture de commissions du 25 juin 2002, qui a débouté Geoffroy Van Lith du surplus de ses demandes, qui a dit n'y avoir lieu a exécution provisoire ni à indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et qui a condamné la SARL Le Gourmet à Rungis aux dépens;

Vu la déclaration d'appel de Geoffroy Van Lith du 18 mars 2005, enrôlé sous le n° 05-1721;

Vu l'arrêt de cette chambre du 9 janvier 2006 qui a sursis à statuer dans l'attente d'un arrêt de la Cour de cassation à intervenir sur la question de la compétence territoriale à la suite d'un pourvoi n° R 04-19.005 formé par la SARL Le Gourmet à Rungis contre un arrêt de la 5e chambre de la présente cour du 28 septembre 2004, et qui a ordonné la radiation de l'affaire;

Vu l'arrêt de non-admission rendu le 7 juin 2006 par la Cour de cassation dans le cadre du pourvoi n° R 04-19.005;

Vu la demande de réinscription au rôle formée le 7 mars 2007 par Geoffroy Van Lith et le ré-enrôlement de l'affaire sous le n° 07-1280;

Vu les conclusions de la SARL Le Gourmet à Rungis, contenant appel incident, signifiées et déposées le 11 janvier 2008;

Vu les dernières écritures de l'appelant, signifiées et déposées le 17 janvier 2008;

Vu l'ordonnance de clôture du 22 janvier 2008;

Discussion:

Attendu qu'il est constant qu'à compter du printemps 2000, Geoffroy Van Lith a exercé, sans contrat écrit, une activité d'agent commercial pour le compte de la SARL Le Butler, ayant pour objet la distribution non exclusive d'alcools et de spiritueux auprès d'une clientèle de professionnels ; que le 22 juillet 2002, il a fait assigner son mandant devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux, en exposant que ses factures de commissions des mois de mai et juin 2002 ne lui avaient pas été réglées et que Frédéric Espana, responsable de la SARL Le Butler, lui avait fait savoir téléphoniquement qu'il mettait fin à son contrat, étant précisé que les principaux clients qu'il avait apportés lui avaient indiqué dans le même temps devoir désormais commander directement, sans passer par lui ; qu'il sollicitait, outre ses commissions, diverses indemnités pour rupture de son contrat;

Attendu que la compétence territoriale, qui avait fait l'objet de vives contestations en première instance, tant devant le juge de le mise en état que devant le tribunal, n'est plus contestée depuis l'arrêt de non-admission rendu le 7 juin 2006 par la Cour de cassation ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la défenderesse;

Attendu sur le fond, que c'est à tort que le tribunal a estimé que Geoffroy Van Lith était responsable de la rupture de relations contractuelles, au motif qu'il ne démontrait pas que la SARL Le Butler ait mis un terme à son mandat et qu'il avait enrôlé au mois de septembre 2002 son assignation du mois de juillet sans tenir compte du fait que pendant l'été 2002, la SARL Le Butler avait écrit à ses clients qu'il demeurait son mandataire, ni du fait que par lettre du 24 juillet 2002 l'avocat de cette société l'avait mis en garde, en lui indiquant que la poursuite de la procédure serait considérée comme valant rupture des relations contractuelles de sa part ; qu'en effet, d'abord, la circonstance que la SARL Le Butler ait adressé le 25 juillet 2002 une lettre de démenti à six de ses clients, en s'excusant de ce qu'elle qualifiait de " malentendu ", démontre bien, a contrario, quoiqu'elle s'en défende, qu'elle les avait précédemment avisés, par son dirigeant social ou par l'un de ses préposés, de ce que Geoffroy Van Lith ne travaillait plus pour son compte, ce dont il peut être déduit de manière certaine qu'elle avait fait savoir la même chose verbalement à l'intéressé ; qu'ensuite, il ressort des pièces versées aux débats que les factures des commissions des mois de mai et juin 2002 n'avaient pas été réglées à Geoffroy Van Lith, ce qui, à soi seul, constituait un cas de résiliation du contrat aux torts du mandant ; que dans ces conditions, la lettre officielle de l'avocat de la SARL Le Butler du 24 juillet 2002, adressée à l'avocat de Geoffroy Van Lith pour lui conseiller de ne pas enrôler une assignation "dont l'objet n'a pas lieu d'être", ne peut s'analyser qu'en une tentative de faire renoncer l'agent commercial à une action en justice parfaitement justifiée ; qu'il apparaît ainsi que c'est le comportement de la SARL Le Butler qui a été à l'origine de la rupture des relations contractuelles ; que la date de cette rupture sera fixée à la date de l'assignation introductive d'instance, ainsi que le demande l'appelant;

Attendu qu'il résulte des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat a été provoquée par sa faute grave ; que la SARL Le Gourmet à Rungis, nouvelle dénomination de la SARL Le Butler, soutient que tel est le cas en l'espèce en indiquant, d'une part que la qualité du travail de Geoffroy Van Lith n'a cessé de se dégrader à partir de l'automne 2001, date à laquelle l'intéressé a quitté la région parisienne pour venir s'installer à Bordeaux, plus aucun renseignement n'étant fourni sur l'état de son activité, les recouvrements s'avérant très problématiques et le suivi de la clientèle déplorable, d'autre part que Geoffroy Van Lith a fait preuve de déloyauté à son égard en ayant accepté sans son accord la représentation de concurrents pendant la période contractuelle et en ayant récupéré la clientèle auprès de laquelle il était intervenu pour son compte ; que toutefois, elle ne produit aucun élément de preuve à l'appui de son premier grief; que pour justifier du second, elle se borne à de simples allégations, sans démontrer que son mandataire ait accepté des mandats de concurrents portant sur les mêmes gammes de produits que ceux qu'il commercialisait pour son compte, alors que Geoffroy Van Lith soutient qu'il s'agissait de produits complémentaires ; qu'enfin, elle verse aux débats une attestation de Jean-Louis Pelage, expert-comptable, qui certifie qu'elle n'a enregistré aucun chiffre d'affaires entre le 1er août 2002 et le 3 septembre 2003 avec six clients auprès desquels intervenait Geoffroy Van Lith ; que cependant, cette seule pièce n'est pas de nature à démontrer que cette absence de chiffre d'affaires soit imputable au susnommé ; qu'il apparaît ainsi que la preuve des fautes alléguées n'est pas rapportée ; qu'il s'ensuit que Geoffroy Van Lith a droit à une indemnité compensatrice;

Attendu que tant les usages professionnels que la jurisprudence fixent habituellement à deux années de commissions brutes le montant de l'indemnité compensatrice due à l'agent commercial ; que Geoffroy Van Lith réclame à ce titre une somme de 67 371,58 euro ; que la SARL Le Gourmet à Rungis soutient que cette demande n'est pas fondée, dans la mesure où l'intéressé n'a pas perdu sa clientèle ; que toutefois, outre que cette affirmation n'est pas démontrée, le préjudice résultant, pour un agent commercial, de la cessation de son mandat consiste essentiellement en la perte du droit de traiter avec une certaine clientèle en vue de développer la vente des produits de son mandant, c'est-à-dire en la perte d'une part de marché ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande, dont le détail du calcul est justifié et ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune critique ; que les intérêts au taux légal seront dus sur l'indemnité à compter de l'assignation introductive d'instance, par application de l'article 1153-1 alinéa 2 infime du Code civil, ainsi qu'il est demandé;

Attendu que Geoffroy Van Lith sollicite des dommages et intérêts complémentaires, destinés à l'indemniser du préjudice spécifique résultant du fait que si l'indemnité compensatrice n'est pas soumise à la TVA en raison de sa nature, il devra acquitter la taxe sur la plus-value professionnelle, actuellement fixée à 27 % de la somme allouée, ce qui représente un montant de 18 190,32 euro ; qu'il convient de faire droit à cette demande, afin de réparer la totalité du préjudice né de la cessation des relations contractuelles, conformément aux principes généraux de la responsabilité civile, en indemnisant l'agent commercial d'une incidence fiscale née directement de la cessation du contrat et qu'il n'aurait pas eu à subir si celui-ci s'était poursuivi ; que les intérêts au taux légal sur la somme précitée seront dus à compter du présent arrêt, par application de l'article 1153-1 alinéa 2 du Code civil, ainsi qu'il est demandé;

Attendu que l'appelant réclame encore, sur le fondement de l'article L. 134-11 du Code de commerce, une somme de 10 072,01 euro TTC à titre d'indemnité de rupture de son contrat sans préavis ; que cette demande, égale à l'équivalent de trois mois de commissions, est conforme aux dispositions de l'alinéa 3 du texte précité ; qu'il convient d'y faire droit ; que les intérêts au taux légal seront dus à compter de l'assignation introductive d'instance, par application de l'article 1153-1 alinéa 2 in fine du Code civil, ainsi qu'il est demandé;

Attendu qu'au titre de l'arriéré de ses commissions, Geoffroy Van Lith sollicite une somme de 1 363 318 euro TTC, correspondant au total de deux factures du 14 mai 2002 (2 227,75 euro TTC + 7 878,83 euro TTC) et d'une facture du 25 juin 2002 (3 526,60 euro TTC) ; qu'il précise que si les deux factures du 14 mai 2002 ont été émises non par lui mais par une SARL La Villa, dont il est gérant et propriétaire des parts avec son épouse, cette circonstance s'explique par le fait que cette société devait se procurer de la trésorerie et doit s'analyser en une cession de créance par lui-même " à une société amie " ; que toutefois, la SARL Le Gourmet à Rungis ne soulève pas de contestation particulière sur ce point et ne conteste pas l'affirmation du demandeur selon laquelle la SARL Le Butler avait déjà réglé sans difficulté plusieurs factures de commissions établies par la SARL La Villa ; que par ailleurs, les deux factures du 14 mai 2002 mentionnent clairement qu'elles ont été établies pour des commissions dues à Geoffroy Van Lith au titre des mois de janvier 2002 (facture de 2 227,75 euro TTC) et de février à avril 2002 (facture de 7 878,83 euro TTC) que pour le surplus, ces factures ayant été établies à partir des relevés adressés par le mandant, elles ne sont pas sérieusement contestables ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande, sauf à préciser qu'une provision de 3 526,60 euro, correspondant au montant de la facture du 25 juin 2002 accordée par ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 3 mars 2003, confirmée par un arrêt de la présente cour du 28 septembre 2004, viendra en déduction de la condamnation ; que les intérêts au taux légal sur la somme de 13 633,18 euro seront dus à compter de l'assignation introductive d'instance, valant mise en demeure, par application des dispositions de l'article 1153 du Code civil, ainsi qu'il est demandé;

Attendu que la SARL Le Gourmet à Rungis succombant en toutes ses prétentions, il v a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance, et de la condamner aux dépens de l'appel ; que par ailleurs, il serait inéquitable que Geoffroy Van Lith conserve à sa charge la totalité des frais irrépétibles exposés par lui à l'occasion de cette affaire ; qu'il convient faire droit à sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit Geoffroy Van Lith en son appel et la SARL Le Gourmet à Rungis en son appel incident; Confirme le jugement rendu le 17 février 2005 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la SARL Le Gourmet à Rungis et en ce qu'il a condamné cette société aux dépens de première instance; Le réforme pour le surplus, et statuant à nouveau : Dit que le contrat d'agent commercial conclu entre la SARL Le Butler et Geoffroy Van Lith a été rompu par le fait de la SARL Le Butler; Fixe la date de la rupture au 22 juillet 2002 ; Condamne la SARL Le Gourmet à Rungis, nouvelle dénomination de la SARL Le Butler, à payer à Geoffroy Van Lith: 1) une somme de 67 371,58 euro à titre d'indemnité compensatrice de la cessation des relations contractuelles, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2002; 2) une somme de 181 90,32 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; 3) une somme de 10 072,01 euro TTC à titre d'indemnité de rupture du contrat sans préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2002; 4) une somme de 13 633,18 euro TTC à titre d'arriérés de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2002 ; Dit que la provision de 3 526,60 euro accordée à Geoffroy Van Lith par ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 3 mars 2003, confirmée par un arrêt de la présente cour du 28 septembre 2004, viendra en déduction de la dernière condamnation qui précède; Ajoutant au jugement : Condamne la SARL Le Gourmet à Rungis à payer à Geoffroy Van Lith une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la SARL Le Gourmet à Rungis aux dépens de l'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.