CA Paris, 25e ch. B, 13 février 2009, n° 07-02714
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Castel (SARL)
Défendeur :
Carrefour France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
MM. Laurent-Atthalin, Schneider
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, Me Pamart
Avocats :
Me Robert, Demeyere
La société Castel, importateur en France de matériel électronique, tels baladeurs, lecteurs de CD, matériel de chaînes hi-fi, a revendu ces matériels aux fins de leur distribution à la société Carrefour entre 1993 et 1999. En 2000 toutes relations d'affaires ont cessé entre les parties, la société Carrefour n'adressant plus de commandes à la société Castel;
Selon acte du 25 juillet 2005 la société Castel a assigné, devant le Tribunal de commerce d'Évry la société Carrefour aux fins de la voir condamner à lui payer des dommages-intérêts à hauteur de 1 413 954 euro en raison du préjudice, ouvrant droit, selon elle, à réparation, consécutif à la cessation des relations commerciales;
La société Carrefour s'est opposée à cette demande au motif que la demanderesse ne justifiait pas de relations commerciales établies avec elle au sens des dispositions de l'article L. 442-6-I-5 du Code du commerce et a conclu à son débouté ;
Elle a fait valoir qu'en toute hypothèse la demanderesse ne justifiait pas d'un préjudice à hauteur de ce qu'elle demande;
Par jugement prononcé le 25 janvier 2007 le Tribunal de commerce d'Évry a débouté la société Castel de ses demandes et l'a condamnée à payer à la défenderesse 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile; il a débouté la société Carrefour de ses autres demandes.
Le tribunal a retenu, au soutien de cette décision, que les ventes de Carrefour à Castel étaient volatiles dès lors que les contrats de vente étaient conclus annuellement et qu'ils avaient décliné régulièrement de 1993 à 1998.
Le tribunal a retenu également que les relations entre les parties ont été instables, ce qui ne pouvait laisser penser qu'elles avaient vocation à perdurer;
Il a ajouté qu'en présence d'une diminution régulière des achats de 1992 et 1999, la société Castel a attendu que le chiffre d'affaires avec Carrefour ne représente plus que 2 % de ses ventes pour manifester son désaccord puis engager la présente procédure;
La société Castel, ayant relevé appel de la décision, par dernières conclusions signifiées le 18 septembre 2008, demande à la cour d'infirmer la décision, de constater que la société Carrefour a rompu brutalement les relations commerciales établies avec elle depuis le 1er janvier 1987 et de lui allouer pour cette raison des dommages-intérêts à hauteur de 1 398 069 euro;
A titre subsidiaire elle demande que soit retenue à titre de préjudice la seule perte de marge brute, soit 250 330,09 euro et qu'il soit fait application de l'article 1154 du Code civil.
Elle demande à la cour d'écarter le moyen selon lequel les marchandises revendues à Carrefour étaient devenues démodées, ce qui expliquait la chute des ventes, alors que la réalité relève du choix de l'importateur.
Elle conclut que quelles que soient les causes de la diminution des achats il appartenait à l'intimée de faire application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce et par conséquent de respecter un certain délai préalable à la rupture des relations commerciales;
Par dernières conclusions signifiées le 29 octobre 2008 la société Carrefour France demande que la société Castel soit déboutée de l'intégralité de ses demandes, que le jugement du Tribunal de commerce d'Evry prononcé le 25 janvier 2007 soit confirmé en toutes ses dispositions et que la société Castel soit condamnée à lui payer 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Elle demande à la cour tout d'abord de déclarer l'action tardive, faute de s'expliquer sur le fait qu'elle a attendu plus de 5 ans pour l'assigner, en second lieu de dire que le texte visé n'est pas applicable dès lors que n'est démontré aucun des caractères exigés, c'est-à-dire la durée, la permanence et l'intensité de la relation commerciale;
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'aux termes de ses dernières écritures l'intimée conclut qu'elle demande, au vu des faits exposés et des pièces produites, de l'article L. 442-6-I-5° du Code du commerce, de l'article 1154 du Code civil, et au vu du jugement du Tribunal de commerce d'Evry en date du 25 janvier 2007, de débouter la société Castel de toutes ses demandes;
Considérant que le texte visé par le tribunal et par les parties est ainsi rédigé:
"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers...
5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de leurs relations commerciales et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur.
A défaut de tels accords des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer et les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure";
Considérant qu'il apparaît des faits, au regard des exigences de recevabilité de la demande, pour ce qui est de la durée et de la permanence de leurs relations commerciales que la société Castel justifie qu'elle a effectivement reçu des commandes : en 1987 et 1988, en 1992 pour cesser en 1998;
Considérant que la première période ne suffit pas à écarter la continuité de 7 années consécutives pour faire état à la fois de durée et de permanence entre 1992 et 1998;
Considérant par ailleurs que pour demander la confirmation de la décision l'intimée soutient que le montant des commandes était devenu trop peu important pour entraîner une perturbation dans l'activité de l'appelante compte tenu de la diminution progressive et régulière du chiffre des ventes passées avec elle;
Considérant toutefois qu'il convient de limiter le litige à son exacte qualification laquelle repose sur le texte précité ainsi conçu:... " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par... tout commerçant de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale..." la durée minimale étant déterminée au regard des usages;
Considérant que le législateur n'a pas introduit dans ce texte un système de justification ou d'explication et que l'obligation de prévenance est générale dès lors que la rupture peut être qualifiée de brutale;
Considérant que même en présence d'une diminution régulière et peut-être même prévisible des achats, compte tenu de la modification des modes d'approvisionnement des distributeurs, la société Carrefour ne peut soutenir utilement que les produits importés par la société Castel ne lui convenaient plus en raison de leur caractère "vieillot", ce qui a expliqué la fin de ses approvisionnements, ni que Castel, les chiffres étant produits, a compensé ces pertes par des bénéfices beaucoup plus importants avec la société Leclerc, son nouveau client, pour justifier qu'elle n'a pas adressé à son fournisseur un courrier précis faisant connaître sa décision de ne plus s'approvisionner auprès de lui et ainsi qu'il suffit de comparer le montant des contrats passés entre 1993 et 1998 puis en 1999, pour un montant de 230 124 F, pour constater que le dernier montant est dérisoire et qu'il existe bien une diminution brutale au regard des années qui ont précédé;
Considérant que dans ces conditions l'appelante est fondée en sa demande de réparation du préjudice;
Considérant qu'eu égard au chiffre d'affaires effectué en 1998 et à la baisse brutale intervenue en 1999, il convient de lui allouer à ce titre une somme de 54 000 euro de dommages-intérêts;
Considérant qu'il y a lieu de faire application sur cette somme des dispositions de l'article 1154 du Code civil à compter du présent jugement;
Considérant qu'il convient de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 4 000 euro;
Par ces motifs, Infirme le jugement du Tribunal de grande instance d'Évry prononcé le 25 janvier 2007; Statuant à nouveau, condamne la société Carrefour France à payer à titre de dommages et intérêts à la société Castel la somme de 54 000 euro ainsi que 4 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile; Dit qu'il sera fait application de l'article 1154 du Code civil à compter du présent jugement sur la somme de 54 000 euro; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Carrefour aux dépens de première instance et d'appel et admet sur sa demande la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.