CA Paris, 8e ch. B, 15 novembre 2007, n° 07-05687
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Absolute Editions ETC (SARL)
Défendeur :
Editions Dipa Burda (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Baland
Conseillers :
Mmes Roiné, Forest-Hornecker
Avoués :
Me Teyaud, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Marie-Saint-Germain, Geschwind
Par jugement du 1er octobre 2004, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- annulé la marque "Cuisine Créative" déposée le 5 décembre 2003 en ce qu'elle vise des produits et services des classes n° 16, 35, 38, 39, 41 et 42,
- dit que la société Editions Dipa Burda en distribuant et en exploitant un magazine intitulé "Burda Cuisine Créative " a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Box Productions qui édite un magazine intitulé "Cuisine Créative ",
- interdit à la société Editions Dipa Burda de poursuivre la commission des actes précités sous astreinte de 10 euro par exemplaire mis en vente ou diffusé gratuitement, passé le délai de 3 mois à compter de la signification de la décision,
- ordonné l'exécution provisoire de cette mesure,
- autorisé la publication du dispositif de la décision dans trois journaux ou revues.
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 19 juin 2006, sauf sur la publication qu'elle a limitée. Cet arrêt a été signifié à la société Editions Dipa Burda par acte du 17 juillet 2006.
La société Absolute Editions ETC, qui vient aux droits de la société Box Productions, a interjeté appel d'un jugement, en date du 8 mars 2007, par lequel le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Paris:
- rejette la demande de sursis à statuer dans l'attente du résultat du recours de la société Editions Dipa Burda à l'encontre de ce jugement,
- constate que la parution du magazine de la société Editions Dipa Burda a eu lieu à une date à laquelle l'astreinte ne courrait pas au profit de la société Absolute Editions ETC. celle-ci n'ayant pas signifié le jugement pour ce qui la concerne,
- constate que la société Editions Dipa Burda s'est conformée à la décision,
- condamne la société Absolute Editions ETC à payer à la société Editions Dipa Burda la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 11 octobre 2007, la société Absolute Editions ETC demande de:
- confirmer le jugement en ce qu'elle a débouté la société Editions Dipa Burda de sa demande de sursis à statuer,
- enjoindre à la société Editions Dipa Burda de fournir tous éléments de nature à permettre à la juridiction de connaître le nombre d'exemplaires vendus ou diffusés gratuitement pour chacun des numéros figurant sur le site Intemet de la société Editions Dipa Burda,
- en tout état de cause, liquider l'astreinte à la somme de 800 000 euro,
- condamner la société Editions Dipa Burda au paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient qu'elle bénéficie de toutes les garanties permettant l'exploitation du titre, notamment l'interdiction de concurrence déloyale, que le chef de condamnation assorti de l'astreinte est un accessoire essentiel et indispensable à l'exploitation du titre cédé, que l'arrêt confirmatif ayant été signifié le 17 juillet 2006, l'astreinte a commencé de courir le 17 octobre 2006, que la société Editions Dipa Burda a violé l'obligation imposée en publiant le 27octobre 2006 le n° 18 de sa revue "Burda Cuisine Créative", qu'elle n'avait pas à signifier à nouveau, pour son compte, l'arrêt dès lors qu'il a été signifié au débiteur de l'obligation qu'il concerne, que la cour a confirmé le jugement alors que la société Editions Dipa Burda avait déjà, selon elle, changé la maquette de son magazine.
Par dernières conclusions du 21 septembre 2007, la société Editions Dipa Burda demande de:
- déclarer la société Absolute Editions ETC irrecevable en sa demande pour ne pas avoir exécuté la condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la Cour de cassation sur son pourvoi à l'encontre de l'arrêt,
- confirmer le jugement,
- condamner la société Absolute Editions ETC à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient que les cessions dont se prévaut la société Absolute Editions ETC ne lui ont été notifiées que le 31 octobre 2006, que l'astreinte ne peut être due qu'après le délai de trois mois à compter de cette date.
Sur ce, LA COUR,
Sur la procédure:
Considérant que la société Editions Dipa Burda demande d'écarter les débats les conclusions déposées par la société Absolute Editions ETC le 11 octobre 2007, parce qu'elles contiennent des arguments nouveaux, au sujet des anciens numéros du magazine diffusés sur Internet sous la nouvelle maquette, auxquels elle n'a pas pu répondre; que de fait, les conclusions déposées par la société Absolute Editions ETC le 11 octobre 2007 demandent de constater que les numéros 12 à 17 de la revue Burda Cuisine Créative sont vendus sur le site Internet de la société Editions Dipa Burda, pour justifier de ce que les actes de concurrence déloyale continuent à être perpétrés par elle et ces allégations n'étaient pas contenues dans les précédentes conclusions du 13 juin 2007; que pour le respect de la contradiction des débats, les conclusions du 11 octobre 2007, déposées par l'appelant le jour de la clôture de l'instruction, doivent être écartées des débats, puisque l'intimée n'a pu y répondre ; que ses prétentions seront examinées au regard de ses conclusions du 13juin 2007;
Sur la recevabilité de la demande de liquidation d'astreinte:
Considérant que l'intimée ne peut utilement demander dans ses dernières conclusions devant la cour, la radiation de l'appel interjeté faute de paiement de la condamnation par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors que selon l'article 526 de ce Code, elle doit être demandée au premier président ou au conseiller de la mise en état;
Considérant que la société Editions Dipa Burda soutient que la société Absolute Editions ETC ne peut se considérer comme subrogée dans les droits de la société Box Productions par l'acte de cession du 10 octobre 2006 souscrit avec la société Planète Couleur qui tenait elle-même ses droits de la précédente, au motif que cet acte ne portait que sur le titre "Cuisine Créative" et ne visait aucun autre élément patrimonial corporel ou incorporel, notamment aucune créance d'astreinte ou autre à l'encontre de la société Editions Dipa Burda ; que la société Absolute Editions ETC réplique qu'en tant que propriétaire du titre elle bénéficie de toutes les garanties permettant son exploitation paisible et notamment l'interdiction de concurrence déloyale ordonnée par la Cour d'appel de Paris à l'encontre de la société Editions Dipa Burda et par conséquent de l'astreinte;
Considérant que, devenue propriétaire du titre "Cuisine Créative", la société Absolute Editions ETC a qualité pour bénéficier de la protection de celui-ci que constitue l'interdiction faite à la société Editions Dipa Burda de poursuivre ses actes de concurrence déloyale par rapport à l'exploitation de ce titre ; que la créance naissant de la liquidation de l'astreinte n'était lors de la cession du titre qu'éventuelle puisqu'elle dépendait de l'attitude même de la société Editions Dipa Burda ; que la signification de la cession par acte du 31 octobre 2006 comportait le rappel du jugement du 1er octobre 2004 et de l'arrêt du 9 juin 2006 et de ce que la société Absolute Editions ETC entendait s'en prévaloir à son encontre ; que la société Absolute Editions ETC est recevable à agir en liquidation de l'astreinte à l'encontre de la société Editions Dipa Burda dès lors que la cession lui a été notifiée;
Sur la demande de sursis à statuer:
Considérant que le pourvoi en cassation, voie de recours extraordinaire, n'est pas suspensif d'exécution de la décision qu'il frappe ; qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dès lors que l'arrêt de la cour d'appel du 19 juin 2006 a pleine force exécutoire;
Sur la demande de liquidation de l'astreinte:
Considérant que l'article 36 de la loi du 9 juillet 1991 dispose que l'astreinte doit être liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter, qu'elle peut être supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère ; qu'il incombe à celui qui se prétend libéré de l'obligation de faire de prouver qu'il s'est acquitté de cette obligation;
Considérant que l'article 503 du nouveau Code de procédure civile dispose que les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire ; qu'il suffit, pour entreprendre l'exécution forcée d'un jugement ou pour faire courir une astreinte, que le jugement ou l'arrêt soit signifié à la partie qui doit l'exécuter, en l'occurrence la société Editions Dipa Burda ; que l'arrêt du 19 juin 2006 est devenu exécutoire à son encontre par la signification du 17 juillet 2006 ; que, dûment avertie de l'interdiction qui lui était faite, elle se voyait ainsi soumise à l'astreinte fixée, si elle l'enfreignait ; qu'il n'y avait nul besoin pour la société Absolute Editions ETC de lui signifier à nouveau l'arrêt, dès lors que la cession du titre avait été valablement notifiée le 31 octobre 2006, avec rappel de l'interdiction faite par le jugement du 1er octobre 2004 et l'arrêt du 9 juin 2006, et qu'ainsi elle se trouvait investie à son encontre, du bénéfice des décisions et de la possibilité de faire liquider l'astreinte ; que le point de départ de l'astreinte n'est pas la notification de la cession mais bien la signification de l'arrêt confirmant l'interdiction faite à la société Editions Dipa Burda;
Considérant que la société Absolute Editions ETC soutient que l'astreinte a commencé de courir à compter du 17 octobre 2006, que la société Editions Dipa Burda a violé son obligation de non-concurrence en publiant le 27 octobre 2006 le numéro 18 de sa revue "Burda Cuisine Créative", alors qu'il lui était fait interdiction d'utiliser l'expression "Cuisine Créative" ; que la société Editions Dipa Burda ne peut valablement soutenir qu'elle a modifié la maquette de présentation du magazine depuis le 15 décembre 2004, puisque l'arrêt a maintenu l'interdiction faite par le jugement du 1er octobre 2004, qu'il confirmait ; qu'elle expose que la diffusion a porté sur 80 000 exemplaires; que la société Editions Dipa Burda réplique que la modification qu'elle a apporté à sa maquette a satisfait la Cour d'appel de Paris et respecte l'autorisation de parution qui avait été donnée ultérieurement par M. le premier président de la Cour d'appel de Paris dans son ordonnance en date du 15 décembre 2004, qu'eu égard à la différence de contenu des magazines et de la cible que ceux-ci visent, la confusion n'était plus dès lors possible;
Considérant que, même si une décision provisoire d'un délégataire du premier président de la Cour d'appel de Paris, pour suspendre l'exécution du jugement du 1er octobre 2004 jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la cour d'appel, a considéré que la nouvelle présentation du magazine, sous le titre "Burda Cuisine Créative", avec le terme distinctif "Burda" en caractères apparents et non plus en petits caractères inclus dans le premier C, échappait aux griefs relevés par les premiers juges, il n'en demeure pas moins que ceux-ci ont expressément jugé, selon les termes du dispositif de leur jugement, que par l'emploi du titre "Burda Cuisine Créative", la société Editions Dipa Burda avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Box Productions ; que dès lors la publication le 24 octobre 2006, d'un magazine qui garde le titre "Burda Cuisine Créative", même avec des caractères autres que ceux précédemment employés, "Burda" étant écrit en caractères légèrement plus gros que les termes "Cuisine Créative", contrevient à l'interdiction faite de l'utilisation de ce titre, interdiction explicitée par l'arrêt du 9 juin 2006 en sa 7e page 4e paragraphe;
Considérant que pour demander la liquidation de l'astreinte pour la diffusion de 80 000 exemplaires, la société Absolute Editions ETC se fonde sur un simple courrier électronique adressé à une employée des Editions Burda et la réponse de celle-ci ; que la société Editions Dipa Burda justifie par des bordereaux établis par les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, que le numéro 18 du 24 octobre 2006 a été vendu d'octobre à décembre 2006 à 24 550 exemplaires ; qu'il n'y a pas lieu, comme y invitaient les conclusions écartées des débats, de rechercher si d'anciens numéros étaient encore diffusés par Internet ; que faute d'autre élément, ce dernier nombre d'exemplaires doit être retenu dans la fixation de la liquidation de l'astreinte ; qu'en conséquence, faute de preuve de difficultés particulières à respecter l'interdiction faite, l'astreinte doit être liquidée à la somme de 245 500 euro;
Considérant que le jugement entrepris doit être infirmé sauf en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer;
Considérant que l'équité commande de rembourser la société Absolute Editions ETC des frais exposés pour cette procédure à concurrence de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer, Et statuant à nouveau, Condamne la société Editions Dipa Burda à payer à la société Absolute Editions ETC la somme de 245 500 euro au titre de la liquidation de l'astreinte fixée par le jugement du 1er octobre 2004, Condamne la société Editions Dipa Burda à payer à la société Absolute Editions ETC la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Editions Dipa Burda aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.