Livv
Décisions

Ministre de l’Économie, 10 mai 2006, n° ECOC0600254Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Moller Maersk

Ministre de l’Économie n° ECOC0600254Y

10 mai 2006

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 10 avril 2006, vous avez notifié la création, par les groupes AP Moller Maersk et Perrigault, d'une entreprise commune destinée à construire et à exploiter un terminal à conteneurs dans le nouveau port du Havre (" Port 2000 "). Ce projet a été formalisé par un protocole d'accord signé par les parties le 18 mai 2004.

I. - LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET L'OPÉRATION

Le groupe AP Moller Maersk est actif dans les secteurs du transport maritime et de la manutention portuaire, de la production pétrolière et gazière, du transport aérien, de la construction navale et du commerce de détail (supermarchés). Il a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires total de 28 168 millions d'euro, dont [>50] millions d'euro en France.

Le groupe Perrigault, détenu à 100% par la famille Bekaert, est un opérateur français spécialisé dans la manutention de conteneurs. Le groupe se compose de deux branches distinctes, la branche " exploitation " à la tête de laquelle se trouve la société Perrigault SA, et la branche " investissement " dont la tête de groupe est la société Normandie Matériel Manutention SA. Le groupe Perrigault a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires total de 112 millions d'euro, intégralement en France.

A l'issue de l'appel à intérêts lancé par le port du Havre en 2002 remporté par les deux groupes, ces derniers ont conclu avec le port du Havre un protocole d'intentions portant sur une convention d'exploitation pour la création, la gestion et l'exploitation d'un nouveau terminal à conteneurs, comprenant deux des douze postes à quai de " Port 2000 ". (1) L'opération notifiée consiste en la création de trois sociétés : la société SA Terminal Porte Océane (" TPO "), la société d'Equipement du Terminal Porte Océane SA (" SETPO "), et la société Docker Porte Océane (" Docker "). L'actionnariat de ces trois sociétés sera composé à 50% par le groupe AP Moller Maersk et à 50% par le groupe Perrigault. Elles seront toutes trois dotées d'organes de direction propres. La convention d'exploitation est prévue pour 36 ans, ce qui garantit la pérennité de l'activité de ces sociétés.

Il ressort des éléments fournis par les parties que leurs sociétés mères exercent sur elles une influence déterminante conjointe. Chacune de ces sociétés contribue à la réalisation d'un seul et même objectif, à savoir l'exploitation d'un nouveau terminal dans le port du Havre. Les activités de ces sociétés sont indissociablement liées dans la mesure où TPO exploitera et gèrera le terminal, SETPO interviendra comme investisseur, et Docker fournira une prestation de service de main d'œuvre pour TPO. Par conséquent, ces trois entreprises constituent ensemble " une entité économique autonome, active sur un marché en y accomplissant toutes les fonctions normalement exercées par les autres entreprises présentes sur ce marché ".

L'opération notifiée constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. - LES MARCHÉS CONCERNÉS

A. - Les marchés d produits et de services

L'entreprise commune sera active dans le secteur de la manutention portuaire. Cette activité est définie, en France, par l'article 50 de la loi n°66-420 du 18 juin 1966, relative aux contrats d'affrètement et de transport maritimes, selon lequel " l'entrepreneur de manutention est chargé de toutes les opérations qui réalisent la mise à bord et le débarquement des marchandises y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein, qui en sont le préalable ou la suite nécessaire. "

Dans sa pratique, au sein du secteur de la manutention portuaire, le ministre de l'économie a isolé l'activité de manutention portuaire de marchandises en conteneurs. Pour la distinguer de l'activité de manutention portuaire de marchandises non conteneurisées, il a notamment relevé, comme la Commission européenne, l'existence d'opérateurs spécialisés dans la manutention de conteneurs, des tarifs différents ainsi que des exigences particulières en termes de prestations et d'infrastructures. (2) Les parties ont précisé que l'entreprise commune fournira des services de manutention portuaire de conteneurs aux navires porte-conteneurs de haute mer. La Commission européenne a également distingué les prestations de manutention portuaire selon le type de trafic : le trafic avec l'hinterland (l'arrière-pays) et le transbordement. L'hinterland correspond à des " zones d'influence économique, structurées et innervées par des axes de desserte terrestre " (3). Le trafic avec l'hinterland correspond au transport de conteneurs directement d'un porte-conteneurs de haute mer vers l'arrière-pays (ou inversement) par barge, camion ou train. Le transbordement consiste à faire passer des conteneurs d'un navire de haute mer à un autre (trafic de relais), ou d'un navire de haute mer à un caboteur (trafic de collecte), toutes opérations réalisées quand les navires sont à quai. En tout état de cause, ces questions de délimitation exacte des marchés pertinents peuvent être laissées ouvertes, l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les segmentations retenues.

B. - Les marchés géographiques

En ce qui concerne la délimitation géographique des marchés de la manutention portuaire, la pratique décisionnelle a mis en évidence son étroite liaison à l'hinterland. L'entreprise commune ne sera active que dans le port du Havre. Il convient donc d'examiner, pour chaque type de trafic de conteneurs, quels sont les ports de commerce qui partagent un hinterland commun avec celui du Havre.

Concernant les services de manutention portuaire de conteneurs liés à un trafic avec l'hinterland d'Europe du Nord, la Commission européenne a retenu un marché géographique, appelé " arc Nord ", qui comprendrait les ports situés entre Hambourg et Le Havre. (4) Les parties s'appuient sur cette définition dans la mesure où le port du Havre est directement concurrencé par les ports du nord de l'Europe pour le trafic vers l'hinterland. Il ressort des éléments fournis par les parties que les ports compris entre Hambourg et Le Havre formeraient en effet un territoire géographique sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour être distingué de zones voisines, comme celle des ports des îles britanniques. A titre d'exemple, plusieurs études montrent que les ports du Benelux sont bien desservis par les voies de communication terrestres et que leur hinterland s'étend à une partie Nord et à l'ensemble de l'Est de la France. La question d'une délimitation plus précise de ce marché peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les segmentations retenues.

Concernant le transbordement, la Commission européenne considère que la dimension géographique est plus large, comprenant les ports de haute mer entre Goteborg et Le Havre, y compris les ports britanniques et irlandais. (5)

III. - ANALYSE CONCURRENTIELLE

D'une manière générale, l'entreprise commune sera soumise à la concurrence d'autres sociétés actives dans les services de manutention portuaire dans les ports de l'Arc Nord, notamment à Hambourg, Rotterdam, ou Zeebrugge. Il peut être noté que, selon les parties, la capacité totale de l'Arc Nord sera quasiment doublée entre 2005 (38,5 millions de conteneurs EVP) et 2012 (environ 70 millions de conteneurs EVP). En ce qui concerne le port du Havre, cinq sociétés se répartissent actuellement le volume de conteneurs traités : Terminaux de Normandie, filiale du groupe Perrigault, TNMSC, entreprise commune entre Terminaux de Normandie et la société MSC, GMP, entreprise commune entre CMA-CGM et P&O Ports, CNMP et Alpha Terminal. Suite à la mise en exploitation de " Port 2000 ", le port du Havre disposera à terme d'une capacité totale estimée à 6 millions de conteneurs EVP avec douze nouveaux postes à quai répartis sur quatre concessions à ce stade, dont l'une a été attribuée à l'entreprise commune créée par les groupes AP Moller Maersk et Perrigault. Deux autres concessions ont été attribuées à GMP et à TNMSC. La quatrième concession reste, à ce jour, disponible. Il ressort de ce qui précède que l'entreprise commune sera soumise à la concurrence de cinq sociétés, dont trois dans lesquelles le groupe Perrigault ne détient aucune participation.

Le risque de coordination du comportement concurrentiel des sociétés mères sur les marchés des services de manutention portuaire ne se pose que dans l'hypothèse d'un marché délimité à l'Arc Nord, dans la mesure où sur le marché le plus étroit (port du Havre), le groupe AP Moller Maersk en est absent. Un tel risque peut être écarté compte tenu des faibles positions des sociétés mères. En effet, en ce qui concerne les services portuaires relatifs au trafic avec l'hinterland, le groupe AP Moller Maersk détenait en 2005 une part de marché en volume estimée à [0-10] % et le groupe Perrigault à [0-10] %. De même, en ce qui concerne les services portuaires relatifs au trafic de transbordement, le groupe AP Moller Maersk détenait en 2005 une part de marché en volume estimée à [0-10] % et le groupe Perrigault [0-10] %.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que cette concentration n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.

Nota : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

1 Un troisième poste à quai fait l'objet d'une option conditionnée au respect des engagements sur le volume de trafic fixés par le port du Havre dans la convention d'exploitation.

2 Cf. la lettre du ministre de l'économie et des finances en date du 4 juin 2003 concernant l'acquisition par la société Sea-Invest de la société Sogema, publiée au BOCCRF n° 2003-15, ainsi que la décision de la Commission européenne en date du 3 juillet 2001 n°JV55 Hutchison/RCP/ECT.

3 Le système portuaire européen, février 2002, Ministère de l'équipement, des transports et du logement - Direction du transport maritime, des ports et du littoral.

4 Cf. la décision de la Commission européenne COMP/M.3576 ECT/PONL/Euromax en date du 22 décembre 2004.

5 Cf. la décision de la Commission européenne COMP/M.3576 précitée.