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Décisions

Ministre de l’Économie, 17 février 2006, n° ECOC0600116Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil des sociétés Natexis Banques Populaires et Banque Postale

Ministre de l’Économie n° ECOC0600116Y

17 février 2006

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 18 janvier 2006, vous avez notifié le projet de création, par les sociétés Natexis Banques Populaires et SF2, filiale de la Banque Postale, d'une entreprise commune. Cette opération a été formalisée par une lettre d'intention signée par les parties le 6 juillet 2005, prolongée le 20 décembre 2005, ainsi qu'un projet de protocole d'accord en date du 31 janvier 2006. Il ressort de l'instruction que l'ensemble des documents fournis constitue un projet suffisamment abouti au sens de l'article L. 430-3 du Code de commerce.

I. - LES ENTREPRISES CONCERNEES ET L'OPERATION

La société Natexis Banques Populaires, société anonyme de droit français, est l'établissement côté en Bourse du Groupe Banque Populaire qui exerce des activités de banque traditionnelle : financement (activités bancaires et financements spécialisés), investissements (activités de marché et capital-investissement) et services (bancaires, financiers, gestion pour compte de tiers, gestion de produits d'assurance et gestion de l'ingénierie sociale dont l'émission de titres restaurant). Selon les règles de calcul du chiffre d'affaires applicables aux activités bancaires et d'assurances, Natexis Banques Populaires a réalisé en 2004 un chiffre d'affaires total de [...] millions d'euro, dont [...] millions dans l'Union européenne et [> 50] millions en France.

La société SF2, société anonyme de droit français, est une filiale à 100 % de la société La Banque Postale, créée le 1er janvier 2006, qui appartient au groupe La Poste. Ce dernier exerce ses activités dans les secteurs du courrier et, via La Banque Postale, des services financiers. Plus précisément, La Banque Postale est active dans les secteurs des moyens de paiement, des produits d'épargne et de prévoyance, des services de gestion des flux d'encaissements et de décaissements des entreprises et des institutionnels, des produits de placement de la trésorerie des entreprises et des institutionnels. Ses compétences ont également été étendues au crédit immobilier sans épargne préalable. Il ressort de son dernier bilan consolidé que le groupe La Poste a réalisé en 2004 un chiffre d'affaires total de 18 677 millions d'euro, dont plus de 16 047 millions d'euro en France.

La société commune aura pour objet d'assurer la promotion, l'émission, la distribution, le traitement et le remboursement de titres cadeaux, comprenant les chèques cadeaux et les cartes cadeaux. Elle peut être qualifiée d'entreprise commune de plein exercice. En effet, ses sociétés fondatrices exercent sur elle une influence déterminante conjointe, élément indispensable à sa qualification d'entreprise "commune". En outre, il ressort du dossier qu'elle constitue une entité économique autonome, active sur un marché en y accomplissant toutes les fonctions normalement exercées par les autres entreprises présentes sur ce marché, ce qui lui confère son caractère de plein exercice.

La présente opération constitue ainsi une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Bien que les seuils communautaires soient dépassés, l'opération ne relève pas de la compétence de la Commission européenne, dans la mesure où toutes les entreprises concernées réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaires en France. Elle est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. - MARCHES CONCERNES

Le secteur d'activité concerné par l'opération est celui des titres cadeaux, émis sous forme de chèques et de cartes. Les cartes cadeaux ont la même fonction que les chèques, mais prennent la forme d'une carte prépayée. Ces types de produit sont relativement homogènes dans la mesure où seul leur support les différencie. Ce secteur connaît actuellement une forte croissance (15 à 30 % de progression annuelle) et représenterait en 2004 un chiffre d'affaires d'environ 1,3 milliards d'euro en France(1). Les chèques cadeaux sont des chèques d'une valeur définie, utilisables par un consommateur chez les commerçants partenaires afin de payer des biens et des services.

La configuration de ce secteur s'assimile à celle d'un marché "double-face" (two-sided market). La viabilité économique du prestataire de titres cadeaux repose sur son rôle d'interface entre deux types d'agents distincts, les commerçants d'une part, et les consommateurs d'autre part. La satisfaction retirée de l'usage d'un titre cadeau est fonction, pour le consommateur, du nombre et de la qualité des commerçants qui l'acceptent ; inversement, un commerçant sera plus enclin à accepter un titre cadeau s'il est susceptible d'être utilisé par un grand nombre de clients. La valeur économique accordée à l'utilisation de l'interface n'est donc pas indépendante, pour chaque agent, des choix opérés par l'autre type d'agents. En permettant une interconnexion entre deux types d'acteurs, l'interface joue un rôle de catalyseur des transactions.

Sur les marchés doubles-faces, le prix perçu pour sa prestation par l'interface, en l'espèce la délivrance de titres cadeaux, est réparti inégalement entre les deux types d'acteurs. Chaque cas de répartition est envisageable, du partage égal à la subvention d'une partie par l'autre. En l'espèce, ce sont les commerçants qui financent l'intégralité du service, et le coût d'utilisation du titre cadeau pour le consommateur est donc nul.

Le marché aval des titres cadeaux

Sur ce marché, la demande de titres cadeaux est constituée par des personnes physiques, consommateurs, et des personnes morales, comme les comités d'entreprises. Les titres cadeaux peuvent être dépensés dans une seule enseigne (titres mono enseigne) ou dans plusieurs enseignes, tout en n'étant pas universels (titres multi enseignes).

Il convient toutefois de s'interroger sur une définition plus restreinte du marché, selon le circuit de distribution des titres cadeaux. En effet, les produits sont principalement vendus, soit à des consommateurs, par l'intermédiaire d'agences ou la vente par correspondance, soit à des comités d'entreprise, par l'entremise de conseillers-clientèle. Le premier type de demande est constitué de personnes physiques qui achètent directement des titres cadeaux afin de les offrir à des tiers. Aucune prestation de service n'est fournie par les émetteurs des titres cadeaux. Cette demande se caractérise par des achats peu nombreux, avec une faible valeur faciale. D'ailleurs, les parties estiment le volume représenté par cette demande à environ [...] millions d'euro en 2004. Le deuxième type de demande est constitué de dirigeants, de comités d'entreprise, de collectivités locales ou d'administrations qui distribuent des titres cadeaux à leurs salariés ou agents. La commercialisation de ces titres cadeaux s'effectue majoritairement par des chargés de clientèle professionnelle. Les commandes peuvent être importantes en valeur faciale et permettent des services de personnalisation, renchérissant le prix d'achat du titre cadeau. En 2004, cette demande professionnelle représenterait [...] milliards d'euro.

Ces deux segments de la demande arbitrent entre les différents émetteurs de chèques cadeaux, non en fonction du prix puisqu'il est identique entre tous, fixé à sa valeur faciale, mais en fonction de la qualité et de la composition du portefeuille d'enseignes partenaires.

Le marché "amont" des titres cadeaux

Le marché "amont" se caractérise par la rencontre d'une offre, constituée par les émetteurs et distributeurs de titres cadeaux, et d'une demande qui est celle des commerçants. La demande repose sur la volonté de développer la clientèle des commerçants au moyen de ces titres cadeaux offerts à diverses occasions (fêtes, anniversaires...). L'offre repose quant à elle sur la capacité à diffuser auprès du plus large public ce support potentiellement utilisable dans les magasins des enseignes partenaires.

Le prix sur ce marché " amont " est constitué principalement par une commission perçue sur les montants réellement dépensés chez les commerçants. Ce prix dépend, d'une part de la notoriété de l'enseigne partenaire, et, d'autre part, du volume de titres cadeaux que la société émettrice vend. Il convient donc de remarquer que le prix sur le marché est fonction des effets externes à attendre tant pour les consommateurs, une enseigne notoire augmentant leur appétence pour les chèques cadeaux) que pour le commerçant lui-même (le volume des chèques vendus augmentant la taille du marché et donc le profit escompté).

En tout état de cause, la question d'une segmentation des marchés aval et " amont " des titres cadeaux peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les définitions de marché retenues.

En ce qui concerne la dimension géographique de ces marchés, les parties indiquent qu'elle est de dimension nationale, dans la mesure où les principaux opérateurs disposent d'un système de distribution de leurs produits couvrant l'ensemble du territoire national. Il convient de relever que dans des secteurs similaires, le Conseil de la concurrence a rendu deux décisions sur la base de marchés nationaux, l'une relative à des pratiques relevées dans le secteur du traitement des coupons de réduction (2), l'autre relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service (3). En tout état de cause, il n'apparaît pas nécessaire de s'interroger sur la définition exacte des marchés géographiques concernés, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées.

Le marché connexe de la carte bleue cadeau

Il existe depuis novembre 2005 une carte bleue cadeau. L'offre, actuellement représentée par LCL, est potentiellement constituée par les établissements bancaires puisque ce produit nécessite l'utilisation des technologies du GIE Carte Bleue. Ce produit se caractérise en premier lieu par le prix du support, qui s'ajoute à sa valeur faciale. Celle-ci peut être fixée à des montants très largement supérieurs à ceux des titres cadeaux puisqu'ils peuvent atteindre actuellement 799 euro quand les chèques ou cartes cadeaux habituellement distribués ont une valeur faciale de l'ordre de 10 euro ou de 20 euro. De plus, la carte bleue cadeau est destinée à être utilisée chez tous les commerçants disposant d'un terminal de carte bleue : dès lors, il n'existe plus de partenariat avec des enseignes partenaires. Enfin, ce produit a des fonctions supplémentaires qui excèdent le simple moyen de paiement : fonction de retrait et possibilité de rechargement, à la différence du titre cadeau.

III. - ANALYSE CONCURRENTIELLE

D'un point de vue horizontal et vertical

Les parties n'étant pas présentes sur les marchés concernés avant la création de l'entreprise commune, cette opération n'entraîne par nature aucun chevauchement d'activité sur le secteur des titres cadeaux. Ce marché est en développement, tant du point de vue de sa taille que du nombre d'opérateurs, et est actuellement dominé par quatre sociétés : Kadéos ([20-30] % de parts de marché en valeur), Tir Groupé ([10- 20] %), Cadhoc ([10-20] %) et Accentiv ([0-10] %). On note cependant une forte volatilité dans les parts de marché de ces concurrents, dans un marché émergent et en cours de structuration. Au surplus, il n'existerait aucune barrière technologique sur ce secteur dans la mesure où, selon les parties, les techniques d'impression et de lecture des chèques ou des cartes sont connues et accessibles pour tous les opérateurs. Il existe enfin dans ce secteur une concurrence potentielle constituée d'enseignes qui commercialisent des biens et services diversifiés dans un réseau de magasins, comme les groupes de la grande distribution, mais aussi les agences de voyage ou les chaînes d'hôtels.

L'opération ne présente pas non plus de risque d'atteinte à la concurrence d'un point de vue vertical dans le secteur des titres cadeaux.

L'éventuelle coordination entre les entreprises fondatrices

Même si La Poste et Natexis Banques Populaires ne sont pas concomitamment présents sur le secteur de la carte bleue cadeau, les deux sociétés mères ont des projets autonomes de pénétrer ce marché connexe. Dès lors, une éventuelle coordination de celles-ci, au travers de l'entreprise commune, doit être examinée. Un tel risque peut cependant être écarté, dans la mesure où, d'une part, l'entreprise commune n'est pas présente sur ce marché et n'a pas vocation à y être active, et, d'autre part, les parts de marché des sociétés mères y sont actuellement nulles. Enfin, toute tentative de coordination se heurterait à la concurrence actuelle (LCL, premier opérateur à être entré sur ce marché, étant, à ce jour, le seul opérateur actif) et potentielle des autres acteurs du secteur bancaire sur le marché émergent de la carte bleue cadeau. Dès lors, il est peu probable que l'opération ait pour effet de porter atteinte à la concurrence sur ce marché

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération. Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.

NOTA : A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

Notes :

(1) Les parties citent une donnée fournie par LSA et A3C - Association Professionnelle des Emetteurs de Chèques & Cartes Cadeaux.

(2) Cf. Décision du Conseil de la concurrence n° 02-D-33 du 10 juin 2002.

(3) Cf. Décision du Conseil de la concurrence n° 01-D-41 du 11 juillet 2001.