CJCE, 5e ch., 13 septembre 2000, n° C-341/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes, République française
Défendeur :
Royaume des Pays-Bas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sevón
Avocat général :
M. Cosmas
Juges :
MM. Kapteyn, Jann, Ragnemalm, Wathelet (rapporteur)
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 septembre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en arrêtant, le 16 décembre 1992, la Verordening voorkoming introductie van uitheemse toxische dinoflagellaten (règlement relatif à la prévention de l'introduction de dinoflagellés exotiques toxiques, ci-après le "règlement litigieux"), le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE).
2. Par ordonnance du président de la Cour du 20 mars 1998, la République française a été admise à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Elle n'a toutefois pas déposé de conclusions.
3. Au cours de l'audience, qui s'est déroulée le 2 décembre 1999, le gouvernement néerlandais a, pour la première fois, contesté la recevabilité du recours dans son ensemble, au motif qu'il n'avait pas été en mesure de présenter des observations au sujet du règlement litigieux avant de recevoir, le 20 octobre 1994, un avis motivé relatif audit règlement, les seules mises en demeure qu'il eût reçues n'ayant porté que sur des réglementations antérieures.
4. Par ordonnance du 16 décembre 1999, la Cour a, en vertu de l'article 60 du règlement de procédure et afin de pouvoir se prononcer sur la recevabilité du recours en manquement, rouvert les débats et invité les parties à fournir certains courriers échangés par elles ainsi qu'à déposer des observations écrites sur l'irrecevabilité alléguée.
Le déroulement de la procédure précontentieuse
5. Il ressort du dossier, tel que complété par les parties à la suite de l'ordonnance de réouverture des débats, que, le 1er août 1991, la Commission a envoyé au gouvernement néerlandais une première mise en demeure pour non-conformité avec le droit communautaire de deux réglementations néerlandaises, l'Importregeling levende oesters 1988 (régime d'importation des huîtres vivantes pour 1988) et l'Importregeling verse mosselen 1988 II (régime d'importation des moules fraîches pour 1988 II). Dans leur réponse du 7 novembre 1991, les autorités néerlandaises ont indiqué que ces réglementations avaient été abrogées et remplacées par le Besluit behandeling tweekleppige weekdieren afkomstig uit vreemde wateren du 25 février 1991 (arrêté relatif au traitement des mollusques bivalves provenant d'eaux étrangères, ci-après l'"arrêté de 1991"). Aussi la Commission a-t-elle, le 18 mai 1993, adressé une nouvelle mise en demeure au gouvernement néerlandais, dans laquelle elle faisait valoir que cet arrêté contrevenait également à l'article 30 du traité.
6. Entre-temps, les autorités néerlandaises avaient une nouvelle fois modifié la réglementation en la matière. En effet, le 16 décembre 1992, la direction duProduktschap voor Vis en Visprodukten (Produktschap pour le poisson et les produits de la pêche, ci-après le "Produktschap") a arrêté le règlement litigieux, qui vise à prévenir l'introduction dans les eaux néerlandaises de dinoflagellés exotiques toxiques. Entré en vigueur le 1er janvier 1993, ce règlement fait l'objet du présent recours en manquement.
7. Dans le cadre de la directive 83-189-CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 109, p. 8), telle que modifiée par la directive 88-182-CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 81, p. 75, ci-après la "directive 83-189"), la Commission avait reçu, le 6 mai 1992, le texte du règlement litigieux, alors à l'état de projet.
8. La directive 83-189 prévoit une procédure d'information qui oblige les États membres à communiquer tout projet de règle technique à la Commission, laquelle porte aussitôt le projet reçu à la connaissance des autres États membres (article 8, paragraphe 1). Une fois qu'un État membre a communiqué un projet, la Commission et les autres États membres peuvent lui adresser à ce sujet des observations dont il doit tenir compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique (article 8, paragraphe 2). Conformément à l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189, l'État membre doit reporter l'adoption d'un projet de règle technique de six mois à compter de la date de la communication si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée doit être modifiée afin d'éliminer ou de limiter les entraves à la libre circulation des biens qui pourraient éventuellement en découler.
9. Par un avis circonstancié du 6 août 1992, la Commission a fait valoir, conformément à l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189, que le règlement litigieux, encore à l'état de projet, ne serait pas conforme à l'article 30 du traité s'il venait à être adopté sans que soient prises en considération ses observations. Dans sa lettre, la Commission a attiré l'attention du gouvernement néerlandais sur le fait, que, dans le cas où ce projet de règle technique serait adopté sans que soient prises en compte ses objections, elle considérerait l'avis circonstancié comme valant mise en demeure au sens de l'article 169 du traité et assimilerait la réponse fournie par le gouvernement néerlandais en application de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189 aux observations prévues par cette disposition du traité.
10. Le 17 mai 1993, le ministère de l'Agriculture néerlandais a fait parvenir à la Commission le texte définitif du règlement litigieux, adopté sans la moindre modification par rapport au projet notifié à la Commission.
11. Par lettre du 13 juillet 1993, le représentant permanent des Pays-Bas auprès de l'Union européenne a, d'une part, informé la Commission que, le 1er janvier 1993, le Produktschap avait retiré l'arrêté de 1991 et fait valoir que la mise en demeure du 18 mai 1993 avait dès lors perdu tout objet.
12. D'autre part, s'agissant du règlement litigieux, le représentant permanent des Pays-Bas auprès de l'Union européenne a soutenu que, dans le cadre des notifications effectuées conformément à la directive 83-189, à la suite de l'avis circonstancié de la Commission du 6 août 1992, un entretien avait eu lieu le 24 novembre 1992 entre les autorités néerlandaises et des représentants de la DG VI et du service juridique de la Commission. À cette occasion, la Commission aurait indiqué que les dispositions du règlement litigieux ne lui semblaient pas, après un examen plus approfondi, disproportionnées à la lumière de l'article 36 du traité. Elle aurait fait savoir qu'elle ne voyait plus d'obstacle à ce que le projet de règlement, tel qu'il lui avait été notifié, devienne un règlement à part entière.
13. Le 20 octobre 1994, la Commission a adressé au royaume des Pays-Bas un avis motivé dans lequel elle constatait que le règlement litigieux avait été adopté sans que soient prises en considération les objections formulées dans son avis circonstancié du 6 août 1992. Pour ce qui est de l'entretien du 24 novembre 1992, les représentants de la Commission n'avaient pas, à sa connaissance, reconnu le bien-fondé du règlement litigieux par rapport aux articles 30 à 36 du traité. La Commission concluait dès lors que, tout en regrettant l'éventuelle méprise des autorités néerlandaises, elle se voyait obligée de maintenir la position qu'elle avait exprimée dans ledit avis circonstancié.
La position des parties sur la recevabilité du recours
14. Les parties s'opposent sur le point de savoir si l'avis circonstancié du 6 août 1992, émis par la Commission au titre de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189, constitue une mise en demeure régulière au sens de l'article 169 du traité.
15. Selon le gouvernement néerlandais, un avis circonstancié au sens de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189 ne saurait être qualifié de mise en demeure répondant aux exigences de l'article 169 du traité dans la mesure où il ne porte que sur un projet de réglementation et qu'il n'est pas émis dans une situation dans laquelle un État membre a d'ores et déjà manqué à l'une des obligations lui incombant en vertu du traité.
16. La Commission soutient que rien dans l'article 169 du traité ne s'oppose à ce que l'avis circonstancié prévu à l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83-189 puisse constituer une mise en demeure. Aucune disposition ne prescrirait qu'une mise en demeure au sens de l'article 169 du traité doive revêtir une forme précise. Ce dernier article prévoirait uniquement que l'État membre concerné doit être mis en mesure de présenter ses observations, ce qui aurait été fait au moyen de la lettre du 6 août 1992. Celle-ci aurait circonscrit, en effet, l'objet du litige et aurait indiqué aux autorités néerlandaises les éléments qui leur étaient nécessaires pour formuler leurs observations et préparer leur défense.
Appréciation de la Cour
17. Il résulte de la finalité assignée à la phase précontentieuse de la procédure en manquement que la lettre de mise en demeure a pour but, d'une part, de circonscrire l'objet du litige et d'indiquer à l'État membre qui est invité à présenter ses observations les éléments nécessaires à la préparation de sa défense (arrêt du 17 septembre 1996, Commission/Italie, C-289-94, Rec. p. I-4405, point 15) et, d'autre part, de permettre à celui-ci de se mettre en règle avant que la Cour ne soit saisie (arrêt du 9 novembre 1999, Commission/Italie, C-365-97, non encore publié au Recueil, points 23 et 24).
18. Par ailleurs, l'émission d'une lettre de mise en demeure suppose que soit allégué un manquement préalable à une obligation incombant à l'État membre concerné.
19. Or, force est de constater que, au moment de l'émission d'un avis circonstancié au titre de la directive 83-189, l'État membre destinataire de cet avis ne saurait s'être rendu coupable d'une violation du droit communautaire, l'acte n'existant qu'à l'état de projet.
20. L'opinion contraire aboutirait à ce que l'avis circonstancié constitue une mise en demeure conditionnelle dont l'existence serait subordonnée à la suite que l'État membre concerné réserverait audit avis. Les exigences de la sécurité juridique, inhérentes à toute procédure susceptible de devenir contentieuse, s'opposent à une telle incertitude.
21. Au vu des considérations qui précèdent, il convient, en application de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure, de rejeter comme irrecevable le recours en manquement de la Commission, à défaut d'une mise en demeure répondant aux exigences de l'article 169.
Sur les dépens
22. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume des Pays-Bas ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. La République française supportera ses propres dépens en application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
ordonne:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.
3) La République française supportera ses propres dépens.