CJCE, 6e ch., 7 juillet 1994, n° C-130/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lamaire NV
Défendeur :
Nationale Dienst voor Afzet van Land- en Tuinbouwprodukten
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
MM. Mancini
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Kakouris, Schockweiler, Kapteyn (rapporteur), Murray
Avocat :
Me Steghers
LA COUR (sixième chambre),
1 Par arrêt du 25 mars 1993, parvenu à la Cour le 30 mars suivant, la Hof van beroep te Brussel a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 9 et 12 du traité CEE.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant le Nationale Dienst voor Afzet van Land- en Tuinbouwprodukten (Office national des débouchés agricoles et horticoles, ci-après l'"Office") à la société Lamaire (ci-après "Lamaire"), qui exploite un négoce de pommes de terres en Belgique, au sujet de la légalité d'une cotisation obligatoire perçue sur les exportations de pommes de terre au profit de l'Office.
3 L'Office, créé par la loi belge du 27 décembre 1938 (Moniteur belge du 26.1.1939), telle que modifiée par la loi du 11 avril 1983 (Moniteur belge du 24.9.1983), a pour mission de promouvoir le développement des débouchés intérieurs et extérieurs des produits agricoles, horticoles et de la pêche maritime.
4 La loi en question prévoit, en son article 4, sous c), que l'Office peut "percevoir une cotisation obligatoire par produit ou groupe de produits ... à charge des personnes physiques et morales qui produisent, transforment, transportent, vendent ou commercialisent des produits agricoles, horticoles ou de la pêche maritime".
5 Ces cotisations obligatoires ont été fixées par un arrêté royal du 15 mai 1986 (Moniteur belge du 19.6.1986), modifié par l'arrêté royal du 14 juillet 1987 (Moniteur belge du 29.7.1987), dont l'article 4 est libellé comme suit:
"Les cotisations annuelles obligatoires destinées à la promotion des débouchés des produits de la section consultative 'Produits de grandes cultures' sont déterminées comme suit pour les pommes de terre:
1. une cotisation fixe de cinq mille francs pour les préparateurs agréés, les emballeurs agréés, les entreprises d'épluchage, les négociants en gros et les courtiers et commissionnaires de pommes de terre;
2. une cotisation fixe de cinq mille francs pour les importateurs de pommes de terre de consommation;
3. une cotisation fixe de vingt-cinq mille francs pour les importateurs de pommes de terre de primeur;
4. une cotisation de deux francs par cent kilos de pommes de terre exportées.
Les cotisations fixées sous les points 1, 2 et 3 ne sont pas cumulatives, seule la plus élevée est prise en considération."
6 Il ressort du dossier que les activités de Lamaire sont orientées dans une mesure importante vers l'exportation. Dans le cadre de ces activités, Lamaire a payé, pour les années 1986 et 1987, la cotisation sur les exportations de pommes de terre prévue à l'article 4, point 4, de l'arrêté royal du 15 mai 1986, mais a refusé de la verser pour l'année 1988.
7 Dans le cadre d'une procédure entamée devant le tribunal de première instance de Bruxelles, Lamaire a soutenu qu'elle était fondée à exiger le remboursement des cotisations payées à l'Office pour les années 1986 et 1987 et qu'elle n'était pas tenue de payer la cotisation exigée par l'Office pour l'année 1988, étant donné que ces versements effectués ou à effectuer se fondaient sur l'article 4, point 4, de l'arrêté royal de 1986, qui serait incompatible avec les articles 9 et 12 du traité CEE.
8 Par jugement du 15 novembre 1991, le tribunal de première instance de Bruxelles a rejeté la demande de remboursement des cotisations pour les années de référence 1986 et 1987 et a déclaré fondée la demande reconventionnelle de l'Office en vue du paiement de la cotisation pour l'année de référence 1988.
9 En degré d'appel, le juge a éprouvé des doutes sur la compatibilité des critères de perception mentionnés dans les arrêtés royaux précités avec les articles 9 et 12 du traité, dont il a, par ailleurs, reconnu l'effet direct. C'est dans ces conditions que la juridiction nationale a sursis à statuer et demandé à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur la question suivante:
"Les termes 'droits de douane à l'importation et à l'exportation' et/ou 'taxe d'effet équivalent' visent-ils la cotisation de 2 BFR par 100 kilos de pommes de terre exportées que, en vertu de l'arrêté royal du 15 mai 1986, modifié par l'arrêté royal du 14 juillet 1987, - et plus particulièrement de l'article 4 de ce dernier arrêté - relatif aux cotisations obligatoires destinées à la promotion des débouchés des produits de grandes cultures (Moniteur belge des 19.7.1986 et 29.7.1987), l'Office national des débouchés agricoles et horticoles réclame aux exportateurs de pommes de terre?"
10 A titre liminaire, il convient de relever que, s'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire, elle est cependant compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui permettent à celle-ci d'apprécier la compatibilité de ces normes avec la réglementation communautaire.
11 La question posée par le juge de renvoi vise ainsi, en substance, à savoir si les articles 9 et 12 du traité s'opposent à ce qu'une législation nationale soumette à une cotisation obligatoire, telle que la cotisation de 2 BFR par cent kilos de pommes de terre exportées, prévue à l'article 4, point 4, de l'arrêté royal du 15 mai 1986, modifié par l'arrêté royal du 14 juillet 1987, les exportations de produits agricoles vers d'autres États membres.
12 L'article 9 du traité prévoit l'interdiction, entre les États membres, des droits de douane à l'importation et à l'exportation proprement dits et de toutes taxes d'effet équivalent.
13 Ainsi que la Cour l'a reconnu à maintes reprises (voir arrêts du 1er juillet 1969, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, 2-69 et 3-69, Rec. p. 211; du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, Rec. p. 5; du 31 mai 1979, Denkavit, 132-78, Rec. p. 1923; du 27 septembre 1988, Commission/Allemagne, 18-87, Rec. p. 5427, et du 30 mai 1989, Commission/Italie, 340-87, Rec. p. 1483), constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation et à l'exportation toute charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises nationales ou étrangères en raison du fait qu'elles franchissent la frontière.
14 Selon la même jurisprudence, il est toutefois admis qu'une telle charge frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière échappe à la qualification de taxe d'effet équivalent interdite par le traité, si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés, si elle constitue la contrepartie d'un service déterminé, effectivement et individuellement rendu à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service, ou encore, sous certaines conditions, si elle est perçue en raison de contrôles effectués pour satisfaire aux obligations imposées par la réglementation communautaire.
15 Il convient de rappeler enfin que les articles 9 et 12 du traité ont exclusivement pour objet l'interdiction de toute taxe d'effet équivalant à des droits de douane frappant les échanges "entre les États membres", de sorte que ces dispositions ne concernent pas l'importation ou l'exportation de produits en provenance ou à destination de pays tiers (voir arrêt du 10 octobre 1978, Hansen et Balle, 148-77, Rec. p. 1787, point 22).
16 Dans le cas d'espèce et en premier lieu, il est incontestable que la cotisation litigieuse constitue une charge pécuniaire unilatéralement imposée par un État membre et frappant une marchandise déterminée en raison du fait qu'elle franchit la frontière.
17 A cet égard, il importe de souligner que la circonstance qu'une cotisation obligatoire, imposée en raison de l'importation ou de l'exportation d'une marchandise, est perçue au profit non pas de l'État mais d'un organisme public, n'affecte pas la qualification de ladite cotisation en tant que taxe d'effet équivalent au sens des articles 9 et 12 du traité (voir arrêt Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, précité, point 18).
18 En second lieu, la cotisation litigieuse ne relève d'aucune des exceptions prévues par la jurisprudence évoquée au point 14 du présent arrêt.
19 Tout d'abord, la cotisation en cause n'est pas perçue en raison de contrôles effectués pour satisfaire à des obligations découlant des dispositions communautaires. Ensuite, la cotisation susmentionnée frappe exclusivement les exportations du produit dont il s'agit et n'entre pas dans le cadre d'un système général de cotisations intérieures, perçues systématiquement, selon les mêmes critères, indépendamment de l'origine, de la provenance ou de la destination des marchandises grevées. Enfin, il ressort du dossier que la cotisation litigieuse est destinée à financer, en général, l'activité de promotion commerciale exercée par l'Office. La cotisation litigieuse ne constitue pas, dès lors, la contrepartie d'un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service.
20 Il s'ensuit qu'une cotisation obligatoire frappant les exportations de pommes de terre, telle que celle qui est perçue au profit de l'Office en application de l'article 4, point 4, de l'arrêté royal belge du 15 mai 1986, tel que modifié, doit être considérée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, interdite en tant que telle par les articles 9 et 12 du traité.
21 Dans le cas d'espèce, il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans quelle mesure les opérations d'exportation réalisées par Lamaire avaient pour destination d'autres États membres ou des pays tiers. Il résulte de ce qui précède que c'est seulement dans ce dernier cas que les exportations pourraient être soumises au versement de la cotisation en question.
22 Il convient, dès lors, de répondre à la juridiction nationale que les articles 9 et 12 du traité s'opposent à ce qu'une législation nationale soumette à une cotisation obligatoire les exportations de produits agricoles vers d'autres États membres, lorsque la cotisation en question n'est pas perçue en raison de contrôles effectués pour satisfaire à des obligations découlant des dispositions communautaires, qu'elle frappe exclusivement les exportations des produits concernés et n'entre pas dans le cadre d'un système général de cotisations intérieures, perçues systématiquement, selon les mêmes critères, indépendamment de l'origine, de la provenance ou de la destination des marchandises grevées et, enfin, qu'elle ne constitue pas la contrepartie d'un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service.
Sur les dépens
23 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par la Hof van beroep te Brussel, par arrêt du 25 mars 1993, dit pour droit:
Les articles 9 et 12 du traité CEE s'opposent à ce qu'une législation nationale soumette à une cotisation obligatoire les exportations de produits agricoles vers d'autres États membres, lorsque la cotisation en question n'est pas perçue en raison de contrôles effectués pour satisfaire à des obligations découlant des dispositions communautaires, qu'elle frappe exclusivement les exportations des produits concernés et n'entre pas dans le cadre d'un système général de cotisations intérieures, perçues systématiquement, selon les mêmes critères, indépendamment de l'origine, de la provenance ou de la destination des marchandises grevées et, enfin, qu'elle ne constitue pas la contrepartie d'un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service.