CA Lyon, 3e ch. civ. A, 4 juin 2009, n° 08-02521
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lasselberger AS (Sté)
Défendeur :
Tradeuro (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvet
Conseillers :
M. Santelli, Mme Clozel-Truche
Avoués :
SCP Laffly-Wicky, SCP Baufume-Sourbe
Avocats :
Me Laurent, Groupe Juris
Faits, procédure et prétentions des parties
La société Tradeuro, spécialisée dans le commerce de produits chimiques achetait depuis 2001 pour les revendre, des marchandises (kaolin) auprès de la société Lasselberger.
Le 17 novembre 2005, la société Lasselberger a fait connaître à la société Tradeuro sa décision d'approvisionner directement les clients à compter du 1er janvier 2006.
Par acte d'huissier en date du 15 janvier 2007, la société Lasselberger a donné assignation à la société Tradeuro devant le Tribunal de commerce de Lyon pour obtenir sa condamnation au paiement d'une facture de 11 147,92 euro et la société citée a formé une demande reconventionnelle fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, en invoquant la rupture brutale de relations commerciales établies.
Par jugement en date du 3 mars 2008, le Tribunal de commerce de Lyon a condamné d'une part la société Tradeuro à payer la somme de 11 147,92 euro outre intérêts postérieurs à la date d'exigibilité de chacune des factures et d'autre part la société Lasselberger à payer la somme de 33 900 euro en réparation de son préjudice (8 400 euro pour rupture brutale et 25 500 euro pour détournement de clientèle) et celle de 417,14 euro au titre d'une facture.
La même décision a rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société Tradeuro pour rupture abusive de contrat d'agent commercial.
Le 15 avril 2008, la société Lasselberger a relevé appel de cette décision.
Elle conteste le caractère brutal de la rupture des relations commerciales, faisant valoir que le courrier du 17 novembre 2005 n'est que l'épilogue de discussions entamées depuis le mois de juillet 2005, date à laquelle les parties ont envisagé une collaboration à compter du 1er janvier 2006 en modifiant le système de distribution.
La société Lasselberger expose qu'elle a laissé un préavis de six mois à la société Tradeuro, qu'elle lui a proposé un nouveau mode de distribution avantageux et que c'est de manière légitime que, devant son refus, elle a décidé de mettre fin à sa collaboration.
Elle conclut à l'affirmation du jugement de ce chef, au rejet de la demande et, à titre subsidiaire, à la conformité aux usages du préavis accordé.
Sur le détournement de clientèle, la société Lasselberger rappelle que le démarchage de clients ne devient répréhensible que lorsqu'il est accompagné de manœuvres destinées à tromper la clientèle et que si en l'espèce, elle connaissait le nom des clients destinataires des marchandises commandées par la société Tradeuro, c'était uniquement dans le but de pouvoir les livrer et non de les détourner ultérieurement.
Elle conteste toute faute et également l'existence de tout préjudice.
La société Lasselberger demande la confirmation du jugement en ce qui concerne la condamnation de la société Tradeuro au paiement des factures non contestées (11 147,92 euro), s'oppose au paiement de sa part de la facture de 417,14 euro qui concerne la société Lasselberger GmBH, la société-mère et conclut à l'allocation de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de celle de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Tradeuro réplique que depuis 2001, elle a créé un réseau de clients pour distribuer des kaolins de la société Lasselberger, en affectant un membre de son personnel uniquement à cette activité.
Elle soutient qu'elle n'entendait nullement rompre ses relations commerciales avec la société Lasselberger, même après son refus d'accepter les nouvelles conditions défavorables de vente que comptait lui imposer celle-ci et que la rupture du 17 novembre 2005 est intervenue de manière brutale, en contradiction avec les termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
La société Tradeuro revendique la réparation du préjudice qu'elle a subi pour le non-respect d'un préavis de 6 mois et elle demande la confirmation du jugement qui lui a accordé la somme de 8 400 euro à titre de dommages-intérêts, eu égard à sa marge brute moyenne annuelle.
Elle critique le comportement déloyal de la société Lasselberger qui a démarché systématiquement ses propres clients qu'elle a mis plusieurs années à référencer, ce qui constitue un détournement de clientèle et un démarchage déloyal de celle-ci.
La société Tradeuro prétend que 20 % de son chiffre d'affaires était généré par la société Lasselberger et que sa perte de marge brute pendant trois ans - durée pour la reconstitution d'un réseau - s'élève à la somme de 50 899 euro.
Elle ne nie pas devoir la somme de 11 147,92 euro et conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 417,14 euro au titre d'une facture et à son infirmation en ce qu'il a limité à la somme de 25 500 euro son préjudice pour le démarchage déloyal qu'elle porte à la somme de 50 899 euro.
La société Tradeuro sollicite le rejet des autres demandes de la société Lasselberger, la compensation des créances et elle fixe à 5 000 euro sa réclamation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er avril 2009.
Motifs de la décision
Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à le réparer, le fait par tout industriel, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de la profession;
Attendu en l'espèce, qu'il est constant que les relations commerciales entre les parties ont commencé au début de l'année 2001 et que par courrier du 17 novembre 2006, la société Lasselberger a fait connaître, qu'à compter du 1er janvier 2006, elle avait pris la décision d'approvisionner directement les clients;
Attendu que dès le 14 juillet 2005, la société Lasselberger avait proposé une nouvelle organisation de la relation commerciale, en demandant de pouvoir facturer directement les clients, ce à quoi s'était opposée la société Tradeuro (courrier électronique du 21 septembre 2005), qui lui a fait part du fait que la clientèle qu'elle avait constituée, lui appartenait et qu'elle ne voulait pas modifier cette relation;
Attendu que les courriers électroniques échangés entre juillet et novembre 2005, ne peuvent être considérés comme une négociation laissant entrevoir que les relations contractuelles avec la société Tradeuro ne seraient pas renouvelées;
Que la société Lasselberger n'a pas, de manière non équivoque, avant le 17 novembre 2005, manifesté son intention de rompre les relations contractuelles si la société Tradeuro n'acceptait pas les nouvelles conditions du contrat;
Attendu que compte tenu de la durée des relations (5 années), et la part du chiffre d'affaires réalisé avec la société Lasselberger (environ 100 000 euro de moyenne) par rapport au chiffre d'affaires total (496 000 euro en 2005 et 698 000 euro en 2004), il apparaît que le préavis d'un mois et demi donné à la société Tradeuro était insuffisant;
Que c'est à juste titre que les Premiers juges, en retenant une durée de six mois, ont fixé à la somme de 8 400 euro le préjudice subi par la société Tradeuro, eu égard à la moyenne de sa marge brute de 2003 à 2005 (16 966 euro);
Que le jugement est confirmé de ce chef;
Attendu sur la concurrence déloyale reprochée à la société Lasselberger, que la société Tradeuro achetait du kaolin pour le revendre à différentes entreprises et qu'il résulte des pièces produites et notamment des confirmations de commandes, que le nom de l'acheteur des produits était indiqué et donc connu de l'appelante;
Que d'ailleurs, parmi les sept clients de la société Tradeuro, l'un d'entre eux (société Prayon), était facturé directement par la société Lasselberger depuis 2004 ;
Attendu que la société Tradeuro reproche à la société Lasselberger un démarchage déloyal de la clientèle;
Qu'aucun élément n'est produit de nature à établir un comportement dénigrant de la société Lasselberger, ou un détournement de fichiers ou de documents techniques;
Attendu que la modification du système de vente de société Lasselberger (suppression d'un intermédiaire et vente directe), ne constitue pas un abus et que le fait pour cette société de continuer à proposer ses produits aux clients, ne constitue pas un procédé déloyal alors qu'il était loisible à la société Tradeuro d'acheter du kaolin à une autre société pour le revendre à ses clients (la société Tradeuro vendait 1 000 tonnes de kaolin par an pour une consommation française de 500 000 tonnes);
Attendu dès lors, que la société Tradeuro ne caractérise pas la concurrence déloyale de la société Lasselberger et que le jugement est réformé pour avoir fait droit à sa demande de dommages-intérêts de ce chef;
Attendu que la société Tradeuro ne conteste pas devoir la somme de 11 147,92 euro au titre des factures impayées, qui portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation et non à compter de l'exigibilité de chacune des factures;
Attendu sur la demande de la société Tradeuro en paiement de factures, que la société Lasselberger - société de droit tchèque - a payé plusieurs factures émises au nom de la société Lasselberger société de droit autrichien;
Que l'appelante ne soutient pas que les produits aient été livrés par la société Lasselberger de droit autrichien et que c'est à juste titre que les premiers juges ont condamné l'appelante au paiement de la somme de 417,14 euro;
Attendu par contre que le jugement est réformé en ce qu'il a dit que les intérêts étaient dûs à compter de l'exigibilité de la facture
Qu'ils sont dûs à compter de la date de la demande à l'audience du 22 octobre 2007;
Attendu qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts;
Attendu que la société Lasselberger ne démontre pas le caractère abusif de la résistance de la société Tradeuro et que sa demande de dommages-intérêts est écartée;
Attendu que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Attendu que chacune des parties succombant partiellement dans ses demandes, les dépens seront supportés par moitié par chacune d'elles;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel comme régulier en la forme, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Lasselberger à payer à la société Tradeuro la somme de 8 400 euro et en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts, Statuant à nouveau pour le surplus, Condamne la société Lasselberger à payer à la société Tradeuro la somme de 417,14 euro outre intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2007, Condamne la société Tradeuro à payer à la société Lasselberger la somme de 11 147,92 euro outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Rejette les autres demandes, Fait masse des dépens et condamne chacune des parties à en payer la moitié, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.