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Décisions

CA Aix-en-Provence, 18e ch., 11 mars 2008, n° 06-17571

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trémouille, Caparros

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mallet

Conseillers :

Mmes Jacquemin, Elleouet-Giudicelli

Avocats :

Mes Guérin, Bistagne

Cons. prud'h. Toulon, du 25 sept. 2006

25 septembre 2006

Faits et procédure

Distribution Casino France confie la gestion et l'exploitation de magasins de vente au détail, dits supérettes, à des cogérants suivant un contrat-type de cogérance soumis aux dispositions des articles L. 782-1 et suivants du Code du travail et à l'Accord Collectif National des Maisons d'Alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés du 18 juillet 1963 modifié.

Un contrat de cogérance a été conclu en date du 18 octobre 2004 entre Distribution Casino France, d'une part et Monsieur Jean-Philippe Trémouille et Madame Sandrine Caparros, d'autre part, ce contrat de cogérance leur confiait l'exploitation d'une supérette C 80-09 sise à Toulon, 532 Avenue Colonel Picot.

Par la suite, par contrat du 1er juin 2005, ils ont accepté la gestion de la supérette C80.28 sise à Toulon, 681 Boulevard maréchal Joffre.

Un inventaire de renseignement en date du 1er septembre 2005 a fait ressortir:

- un manquant de marchandises de 6 237,51 euro

- un excédent d'emballages de 715,48 euro

Ces résultats ont été incorporés au compte général de dépôt des cogérants et ont fait ressortir un solde débiteur au 22 novembre 2005 de 13 726,96 euro.

Par courrier du 8 décembre 2005, Casino a décide de rompre le contrat de cogérance qui les liait.

Les requérants ont saisi, en paiement de diverses indemnités, le Conseil de prud'hommes de Toulon qui par jugement du 25 septembre 2006 les a déboutés de leurs demandes et condamné au paiement de 1 000 euro au titre de l'article 700 du CPC:

Ils ont régulièrement interjeté appel le 5 octobre 2006 de cette décision, ils ont développé des explications à l'audience et soulevé des moyens auxquels il sera répondu dans la discussion des motifs pour voir la cour réformer le jugement, et leur allouer:

1) Pour Monsieur Jean-Philippe Trémouille:

- 1 308 euro au titre de rappel de salaire

- 6 947,50 euro au titre d'indemnité de congés payés

- 68 167,20 euro au titre d'heures supplémentaires

- 2 414,15 euro au titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

- 4 828,30 euro au titre de l'indemnité de préavis

- 482,83 euro au titre des congés payés y afférents

- 8 694 euro au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 57 948 euro pour licenciement abusif

- 14 484,90 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 000 euro pour annulation d'une clause de non-concurrence

- 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

2) Pour Madame Sandrine Caparros;

- 2 753 euro au titre de rappel de salaire

- 4 095 euro au titre d'indemnité de congés payés

- 38 202 euro au titre d'heures supplémentaires

- 1 213 euro au titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

- 2 426 euro au titre de l'indemnité de préavis

- 242,60 euro au titre des congés payés y afférents

- 10 289 au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 29 112 euro pour licenciement abusif

- 7 278 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 000 euro pour annulation d'une clause de non-concurrence

- 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

La SAS Casino France a présenté ses explications pour demander la confirmation du jugement et réclame 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs

Le dossier ne contient pas d'éléments qui conduiraient la cour à relever d'office l'irrecevabilité de l'appel

Sur la qualification des relations contractuelles entre les parties

Les appelants soutiennent:

Qu'ils ont signé les contrats sans savoir à quoi ils devaient s'attendre;

Qu'ils ont dû obtenir l'aval de la direction pour embaucher deux salariés;

Qu'ils ont dû garder les horaires des précédents cogérants;

Qu'ils devaient adresser tous les 10 jours les documents concernant le chiffre d'affaires et la trésorerie de la supérette;

Que c'est Casino qui impose les promotions sur les produits;

Qu'ils recevaient constamment des ordres des instructions et des visites de contrôle d'une équipe de cadres du groupe, des tâches à effectuer et l'obligation de porter une tenue particulière;

Que Casino imposait une obligation de modifier les prix chaque semaine;

Que les commissions consistaient en des rémunérations fixes fixées au minimum prévu par l'article 1 B de l'avenant au contrat de gestion;

L'intimée fait valoir :

Que les requérants étaient rémunérés par une commission de 6 % sur le CA et se répartissaient la rémunération unique;

Qu'ils étaient libres d'embaucher le personnel de leur choix;

Que par courrier du 25 mai 2005, ils ont fait connaître leur décision quant à leur jour de fermeture, la répartition de la commission et leur désir d'embaucher pour leur propre compte le personnel nécessaire;

Que la société reste propriétaire des marchandises qu'elle confie en dépôt-vente sans que cela modifie la nature du contrat;

Que les cogérants passaient commande de leurs marchandises ce qui prouve leur indépendance;

Qu'il est normal qu'un contrôle comptable puisse s'exercer afin de déterminer la commission globale à reverser aux gérants sans pour autant conférer un pouvoir de contrôle sur la gestion de la superette qui reste l'apanage des gérants ;

Que les directives sous forme de circulaires se présentent comme des recommandations ou règles ni nominatives ni impératives ;

Que les gérants sont rémunérés sous forme de commissions sur le CA du magasin qu'ils gèrent;

Qu'il n'y a ainsi aucun lien de subordination entre Casino et les gérants mandataires.

Attendu qu'aux termes de l'article L. 782-1 du Code du travail, sont des gérants non salariés les personnes qui exploitent notamment des succursales de magasins d'alimentation moyennant le paiement de commissions proportionnelles au montant des ventes, lorsque le contrat ne fixe pas les conditions de leur travail et leur laisse toute liberté d'embaucher du personnel ou de se substituer des remplaçants à leurs frais et sous leur entière responsabilité.

Qu'en revanche, la relation de travail salariée se caractérise par l'état de subordination, l'existence d'une rémunération, et d'une prestation de travail.

Que le lien de subordination est défini par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Que la qualification d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Qu'en l'espèce, le contrat liant les parties qualifié de "cogérance ", se réfère expressément dans son article 1er à l'article L. 782-1 du Code du travail et à l'accord collectif national des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés du 18 juillet 1963 modifié.

Que pour pouvoir prétendre à la requalification de ce contrat en contrat de travail, il incombe aux consorts Trémouille Caparros d'établir que les conditions dans lesquelles était exécuté le contrat étaient exorbitantes de celles prévues par ces textes et les plaçaient dans un lien de subordination juridique vis-à-vis de la société Distribution Casino.

Que l'exploitation dans des locaux, dont le mandant est propriétaire, est prévue par l'article 26 de l'accord national.

Que la clause de fourniture exclusive avec vente à prix imposé prévu par l'article 3 du contrat n'est qu'une modalité commerciale prévue par l'article L. 782-1 du Code du travail et l'article 34 de l'accord collectif national, sans incidence sur la nature du contrat.

Qu'en application des dispositions de ce texte, les gérants doivent suivre la politique commerciale de l'entreprise et notamment:

- participer obligatoirement aux actions promotionnelles et publicitaires proposées;

- apposer le matériel publicitaire fourni par la société;

- se conformer à l'utilisation des documents fournis par la société.

Que sont conformes au même texte, les notes de service, qui révèlent le souci de la société Distribution Casino de parvenir à une harmonisation des pratiques sur l'ensemble des points de vente et d'apporter aux gérants des informations utiles sur la réglementation applicable.

Que les appelants n'établissent pas que les recommandations ainsi diffusées ont revêtu un caractère contraignant, en faisant l'objet de contrôles et de sanctions.

Que le contrôle portant sur les marchandises mises à la disposition des consorts Trémouille Caparros pour les vendre et sur le respect des prix imposés est justifié par le fait que le mandant reste propriétaire des marchandises mises à la disposition des gérants pour être vendues.

Qu'ils ne peuvent prétendre qu'ils ne disposaient pas de la liberté de fixer les jours et heures d'ouverture, alors qu'est produit leur courrier du 25 mai 2005 aux termes duquel ils informaient la société Distribution Casino de leur décision de fermer le dimanche après-midi.

Que les éléments constitutifs du contrat de gérant non salarié spécifiés par l'article L. 782-1 du Code du travail sont réunis en l'espèce:

* ils exploitaient une succursale de magasin de détail d'alimentation,

* ils étaient, selon l'article 9 du contrat, rémunérés par un commissionnement proportionnel aux ventes, fixé dans l'avenant au contrat à 6 % du chiffre d'affaires réparti entre eux selon le pourcentage dont ils étaient convenus,

* l'article 2 du contrat les laissait libres d'organiser leur gestion sous réserve de se conformer à la réglementation et aux usages locaux ; ils ne recevaient aucune directive de la société Distribution Casino quant à l'organisation de leur travail et pouvaient procéder comme ils l'entendaient pour parvenir à un chiffre d'affaires optimal sur lequel leur rémunération était calculée.

* ils disposaient, selon le même article, de la possibilité de se substituer des remplaçants et d'embaucher du personnel.

En conséquence, en l'absence de démonstration d'un lien de subordination, les premiers juges ont exactement analysé la nature des relations contractuelles entre les parties et ont à juste titre, rejeté la demande de requalification du contrat de cogérance en contrat de travail.

Sur la rupture des relations contractuelles:

En cas de rupture à l'initiative du mandant, les gérants non salariés relevant des articles L. 782-1 du Code du travail bénéficient d'indemnités de rupture et dommages et intérêts à la condition de n'avoir pas commis de faute grave ou lourde.

Selon l'article 16 du contrat de cogérance signé par les consorts Trémouille Caparros, constitue une faute lourde le cas de manquant de marchandises ou d'espèces provenant des ventes.

Attendu qu'un inventaire, réalisé contradictoirement le 1er septembre 2005, a fait apparaître un manquant de marchandises de 6 237,51 euro et un excédent d'emballages de 715,48 euro;

Que l'inventaire de reprise signé et approuvé par eux a fait ressortir un manquant de marchandises de 2 792,83 euro et un excédent d'emballages de 1 068,30 euro, que l'arrêté de compte, signé le 20 octobre 2005, a fait ressortir un solde débiteur de 17 665,06 euro qui n'est pas sérieusement contesté.

Que le fait de ne pas être en mesure de présenter les marchandises dont ils étaient dépositaires ou d'en restituer le prix constitue un manquement grave aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat de cogérance.

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris qui a rejeté les demandes en paiement d'indemnité de rupture et de dommages intérêts.

Sur le préjudice résultant de la nullité de la clause de non-concurrence:

Le contrat de cogérance du 1er juin 2005, pris en son article 18, contient la clause de non-concurrence suivante:

"En cas de résiliation, pour une cause quelconque, les cogérants s'interdisent de s'établir durant une période de trois années et dans le rayon ci-dessous précisé de l'établissement qu'ils quittent :

- 1 kilomètre pour les villes de 10 000 habitants et plus,

- 2 kilomètres pour les villes de moins de 10 000 habitants,

- 3 kilomètres pour les "Petit Casino" avec tournées à domicile.

Ils s'interdisent de même toute concurrence directe ou indirecte à Distribution Casino France SAS durant la même période et dans le même rayon que ci-dessus :

- soit en participant d'une manière quelconque à l'exploitation d'un commerce analogue;

- soit en sollicitant ou faisant solliciter la clientèle ;

- soit sous toute autre forme que ce soit, même en prêtant leur concours à une société non commerciale qui répartirait des produits analogues à ceux vendus;

- soit d'une manière générale, sur la vente ou la distribution au détail des articles faisant l'objet du commerce de l'entreprise, à l'exclusion, toutefois, du cas où les cogérants occuperaient les fonctions de simple vendeur chez un spécialiste.

Cette clause n'est cependant pas applicable en cas de fermeture définitive du "Petit Casino" exploité par les cogérants lors de la rupture de leur contrat."

Il s'évince de l'article L. 782-7 du Code du travail que le gérant non salarié qui bénéficie déjà de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, peut bénéficier tout autant de la législation du travail en ce qu'elle concerne l'exercice de droits fondamentaux ou se rapporte à des principes généraux.

Selon l'article L. 120-2 du Code du travail : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ou proportionnées au but recherché ".

Dès lors, en limitant la liberté de travail du gérant, qu'il soit salarié ou non salarié, toute clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle comporte une contrepartie financière.

D'évidence, faute de prévoir une quelconque contrepartie financière pour monsieur Trémouille ou Madame Caparros durant les trois années mentionnées dans la clause, tandis que la SAS Distribution Casino France ne justifie pas les en avoir déliés ni ne soutient qu'elle n'aurait pas été respectée par les cogérants, la clause de non-concurrence doit être déclarée illicite.

Réformant en cela le jugement déféré, la somme de 1 000 euro réclamée sera allouée à chacune des parties.

Aucun élément tiré de l'équité ou de la situation économique des parties ne justifie en la cause l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. La charge des dépens de première instance et d'appel sera partagée entre les parties.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe, Reçoit l'appel, Confirme partiellement le jugement entrepris, à l'exception des dispositions concernant la clause de non-concurrence, les frais irrépétibles et les dépens, Condamne la SAS Distribution Casino à payer, au titre de l'indemnisation de la nullité de la clause de non-concurrence figurant au contrat, la somme de : - 1 000 euro à Monsieur Jean-Philippe Trémouille, - 1 000 euro à Madame Sandrine Caparros, Les déboute du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Partage entre les consorts Trémouille Caparros d'une part, et la SAS Distribution Casino, d'autre part, par moitié les dépens de première instance et d'appel.