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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 24 juin 2008, n° 06-05342

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Acadomia (Sté)

Défendeur :

Bac Plus (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Verde de Lisle

Conseillers :

MM. Coleno, Salermon

Avoués :

Me de Lamy, SCP Dessart-Sorel-Dessart

Avocats :

SCP Bureau Lefèvre, Selarl Morvilliers Sentenac Givry Wallaert Bellefon

Toulouse, du 22 juill. 2002

22 juillet 2002

La société Bac Plus qui exerce sous l'enseigne Abos est agréée pour donner des cours à domicile et elle exerce cette activité notamment dans la région Midi-Pyrénées depuis 1997. La société Acadomia exerce une activité de prestations de services aux entreprises et aux particuliers notamment dans le domaine de l'enseignement. Les deux sociétés ont des activités semblables et la société Bac Plus a assigné la société Acadomia en concurrence déloyale. Le tribunal de commerce lui a donné raison par un jugement du 22 juillet 2002 qui a alloué à la société Bac Plus une provision de 75 000 euro et qui a désigné M. Claux pour effectuer une expertise sur le préjudice. L'exécution provisoire a été prononcée moyennant caution.

Par arrêt du 11 décembre 2003 la cour a réformé le jugement et elle a débouté la société Bac Plus de ses demandes. Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi. Il a été cassé dans toutes ses dispositions au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil et au motif que l'action en concurrence déloyale n'exigeait pas qu'il soit préalablement statué sur la violation des dispositions fiscales et sociales invoquée par la société Bac Plus. Entretemps, la société Bac Plus a engagé contre l'arrêt du 11 décembre 2003 un recours en révision qui a été déclaré irrecevable. La procédure revient donc pour qu'il soit statué sur l'existence ou pas d'une concurrence déloyale.

La société Acadomia, qui est devenue Acadomia Groupe, fait valoir quelle est une holding et qu'en 1997 elle a vendu son fonds de commerce à la société Assistance Internationale Scolaire (AIS) de sorte qu'elle n'a aucune activité sur le terrain et la demande contre elle est mal dirigée.

A titre subsidiaire elle expose que son concept consiste pour toute société utilisant le label Acadomia à être intermédiaire entre des parents désireux de faire donner des cours à domicile à leurs enfants et des professeurs désireux de donner des cours dans leur spécialité. Il est aussi fourni des prestations complémentaires. La société signe un mandat avec la famille et un mandat avec le professeur et l'employeur du professeur reste la famille. La société est mandatée par les parents pour payer les professeurs en leur lieu et place et pour calculer les cotisations URSSAF, elle élabore les bulletins de paye et donne les informations nécessaires à l'établissement des déclarations fiscales des parents. La société est mandatée par les professeurs pour percevoir leur rémunération, elle met à leur disposition des programmes, des ouvrages scolaires, un service de conseils pédagogiques pour ceux qui le souhaitent, elle gère l'agenda des professeurs.

La société Bac Plus assure des cours particuliers à domicile grâce à ses salariés qui sont des enseignants vacataires. Elle estime que les agissements de la société Acadomia sont illégaux en ce qu'ils enfreignent le Code de commerce, le Code général des impôts, le Code du travail, les textes sur la fixation et l'assiette des cotisations de sécurité sociale et qu'ils sont par là-même générateurs d'une concurrence illicite.

Sur quoi

Vu les conclusions de la société Acadomia du 9 mai 2008 tendant à l'irrecevabilité de toute demande à son encontre, à l'infirmation du jugement, au débouté des demandes de la société Bac Plus, subsidiairement à l'absence de préjudice, à l'annulation de la mesure d'expertise et du versement d'une provision, encore plus subsidiairement à la limitation de l'expertise aux comptes de la seule société Acadomia, en toute hypothèse faire droit à la demande reconventionnelle en allouant 60 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10 000 euro pour frais irrépétibles avec distraction des dépens au profit de Me de Lamy ;

Vu les conclusions de la société Bac Plus du 11 avril 2008 tendant à la confirmation du jugement, au paiement d'une provision de 500 000 euro à l'institution d'une expertise, au débouté des prétentions de la société Acadomia, au remboursement des frais irrépétibles et des dépens exposés lors des arrêts de la Cour d'appel de Toulouse du 11 décembre 2003 et du 11 mai 2006 avec intérêts à compter du paiement, tendant au paiement de 10 000 euro pour frais irrépétibles et à la distraction des dépens au profit de la SCP Dessart-Sorel-Dessart ;

Attendu, sur la qualité de la société Acadomia pour répondre du grief de concurrence déloyale, que la société Bac Plus conteste le concept créé et mis en œuvre par la société Acadomia et appliqué sur le terrain depuis 1997 par la société AIS sa filiale à 100% ; que la responsabilité se trouve d'abord chez l'auteur et le diffuseur du concept et qu'à ce titre la société Bac Plus est fondée à agir contre la société Acadomia ;

Attendu que la société Acadomia et la société Bac Plus sont en concurrence sur l'activité de soutien scolaire à domicile ; que la société Bac Plus fonctionne en recrutant et en salariant des professeurs ; qu'elle travaille sur le mode prestataire ; que la société Acadomia fonctionne sur un double mandat reçu tant des parents que des professeurs, l'employeur des professeurs étant les parents ; qu'elle travaille sur le mode mandataire ; que la société Bac Plus estime le mode mandataire illicite comme contraire à plusieurs textes ;

Attendu que la société Acadomia se prévaut d'une enquête fiscale qui n'a pas été poursuivie, ce dont il ne peut être tiré aucune conséquence; qu'elle se prévaut d'un courrier de l'Acoss en date du 12 octobre 2000 qui pourtant incite à la prudence et qui considère que la situation d'Acadomia peut prêter à confusion ; qu'un courrier du 1er février 2001 du même organisme fait état d'engagements d'Acadomia sur le choix du salarié par l'employeur, sur la fixation du salaire, sur l'absence de direction et de contrôle de l'activité des professeurs, tous engagements qui ne se retrouvent pas dans l'organisation du concept Acadomia; que ces courriers sont le préliminaire à une convention négociée entre l'Acoss et la société AIS en décembre 2002 étant précisé au préambule du texte qu'il ne vaut que pour l'application de la législation sociale et qu'il " ne saurait étendre ses effets notamment aux relations du droit du travail "; que les circonstances invoquées par la société Acadomia sont donc indifférentes ;

Attendu que selon l'article L. 129-1-1 du Code du travail dans sa version issue de la loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 l'agrément de l'Etat est nécessaire pour les associations qui se consacrent exclusivement aux services rendus aux personnes physiques lorsqu'elles souhaitent que la fourniture de leurs services au domicile des personnes physiques ouvre droit au bénéfice de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 sexdecies du Code général des impôts ; que la loi du 29 janvier 1996 a prévu l'obligation d'un agrément pour les entreprises qui voulaient bénéficier de la réduction d'impôt ;

Attendu qu'il résulte de ces textes applicable à l'espèce pour la période antérieure à la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005 qu'un agrément était nécessaire ; que la société Acadomia, bien que n'étant pas agréée, a fait bénéficier les parents de la réduction d'impôt en ce qu'ils étaient censés être les employeurs ;

Attendu, sur les articles L. 129-1 et L. 129-2 tels qu'issus de la loi du 26 juillet 2005, qu'ils permettent l'activité de mandataire agréé dans les services à la personne; que toutefois, dans cette hypothèse, la seule possibilité de rémunération du mandataire est de percevoir uniquement des employeurs une contribution représentative de ses frais de gestion; que la société Acadomia a obtenu un agrément bien qu'elle ne tire pas sa rémunération des seuls employeurs ;

Attendu en effet que la qualification et l'agrément d'une entreprise ne doivent pas masquer une activité illicite ; qu'en l'espèce la société Acadomia exerce une activité illicite si elle est le véritable employeur du professeur et si elle perçoit des fonds sur le salarié enseignant ;

Attendu qu'il est largement fictif de prétendre que les parents sont les véritables employeurs et que les enseignants mandatent la société Acadomia pour les tâches administratives qui leur auraient incombé; qu'en réalité c'est la société Acadomia qui anime et organise le système qu'elle a élaboré, qui recrute les professeurs dans la rubrique offres d'emploi, qui les sélectionne, qui les forme, qui les affecte à tel élève, qui recueille leur adhésion sur une grille de rémunération et leur paye leur salaire après en avoir déduit ses redevances ; que la qualité d'employeur se déduit d'une série d'interventions de la société Acadomia en matière de recrutement, en matière de formation, en matière d'organisation du travail et en matière de rémunération; que la notice établie pour l'entrée en bourse de la société Acadomia le 14 avril 2000 décrit aux pages 25 à 51 les processus établis et mis en œuvre par la société Acadomia pour organiser son activité; que les mandats des professeurs, sinon des parents, y apparaissent purement fictifs ;

Attendu ainsi qu'à la page 37 il est décrit un processus de sélection qui porte tant sur le niveau que sur la compétence et sur la présentation du candidat enseignant ; que si plusieurs professeurs sont proposés à la famille, ils sont sélectionnés par Acadomia sur un critère logistique (par exemple proximité géographique) et sur un critère humain (personnalité, compétences pédagogiques, qualités relationnelles, tous éléments qui sont déterminés par la société Acadomia); qu'il est précisé que " la mise en place et le suivi pédagogique des cours font l'objet de procédures internes très strictes ", étant observé que le professeur fait lui-même l'objet de " conseil sur ses méthodes pédagogiques ";

Attendu, sur la rémunération, que la notice décrit à la page 36 " Dans le cadre de ce mandat [avec la famille], la famille adresse à Acadomia le montant des salaires qu'elle souhaite consacrer aux cours particuliers à domicile. En contrepartie Acadomia envoie à la famille le nombre de coupons correspondant, chaque coupon représentant le salaire d'une heure de cours. La famille rémunère le professeur avec des coupons lors des séances de cours. Le professeur retourne les coupons à Acadomia pour percevoir son salaire. ... Avant d'effectuer le versement du salaire, Acadomia facture au professeur les services offerts en les déduisant des salaires collectés pour son compte... "; qu'il résulte de ce document émanant de la société Acadomia qu'un élément essentiel du contrat de travail, à savoir le salaire, est calculé et versé par la société Acadomia après qu'elle ait prélevé sa dîme sur les fonds devant revenir au salarié; qu'en outre ces prélèvements sur le salaire tels qu'effectués par la société Acadomia sont loin d'être négligeables puisqu'ils conduisent à amputer la rémunération de 42,58 % ; qu'en conséquence non seulement la société Acadomia dissimule qu'elle est le véritable employeur, mais ses pratiques en matière de rémunération sont illicites ;

Attendu en conséquence que la société Bac Plus est fondée à voir juger de l'illicite de l'activité de la société Acadomia; que le fait pour la société Bac Plus d'avoir recherché et obtenu un agrément tant de prestataire que de mandataire n'a pas d'effet sur le présent litige qui s'attache à rechercher l'activité réellement exercée sans s'arrêter aux dénominations ;

Attendu que la concurrence déloyale se déduit de l'illicéité du concept et de la pratique développés par la société Acadomia ; que la concurrence déloyale génère nécessairement un préjudice; que la désignation d'un expert s'impose comme l'a fait le tribunal sauf à augmenter à 15 000 euro la provision prévue et à fixer à 10 mois le délai de dépôt du rapport ;

Attendu, sur les investigations de l'expert qu'elles porteront tant sur la société Acadomia Groupe que sur la société AIS filiale à 100 % et qui génère le chiffre d'affaires du groupe ;

Attendu qu'il convient d'allouer une provision de 75 000 euro ;

Attendu qu'en application de l'article 700 du Code de procédure civile, il sera alloué 5 000 euro à la société Bac Plus;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré dans ses dispositions décisoires sauf à porter à 15 000 euro la provision pour expertise et à fixer un délai de 10 mois à compter de la consignation pour le dépôt du rapport d'expertise ; Y ajoutant, Précise que les opérations d'expertise devront prendre en compte tant les résultats comptables des sociétés constituées dans la procédure que ceux de la société AIS ; Condamne la société Acadomia à payer cinq mille euros (5 000 euro) à la société Bac Plus pour frais irrépétibles ; Condamne la société Acadomia aux dépens en ce compris les dépens de l'arrêt du 11 décembre 2003 ; Condamne la société Acadomia à payer les intérêts au taux légal sur les dépens de l'arrêt du 11 décembre 2003 à compter de la signification de l'arrêt de cassation ; Dit que les dépens de l'arrêt du 11 mai 2006 resteront à la charge de la société Bac Plus ; Autorise la SCP Dessart-Sorel-Dessart à faire application de l'article 699 du Code de procédure civile.