CA Paris, 18e ch. D, 25 mars 2008, n° 07-01174
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mag Systèmes (Sté)
Défendeur :
Joly
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brogniart (faisant fonction)
Conseillers :
Mme Martinez, M. Capcarrère
Avocats :
Mes Houet-Weil, Vincent, Biacabe
Faits et procédure
M. Joly a été embauché à compter du 2 mai 1977 par la société Mag Systèmes, en qualité de représentant exclusif, son emploi a été, par la suite, requalifié en celui d'ingénieur commercial avec le statut de cadre.
Selon contrat daté du 1er juillet 2005, M. Joly a été embauché par la société Kern France à compter du 1er octobre 2005 en qualité d'ingénieur commercial, classification cadre. Le contrat mentionnait que M. Joly était encore salarié d'une autre entreprise qu'il s'engageait à quitter libre de tout engagement.
Par pli remis en main propre le 21 juillet 2005, M. Joly a notifié à la société Mag Systèmes sa démission.
Par courrier du 25 juillet 2005, la société Mag Systèmes a accusé réception de la lettre de démission de M. Joly et a dispensé celui-ci de l'exécution de son préavis conventionnel de trois mois, dont il était indiqué qu'il lui serait néanmoins payé, ce qui fixait, selon elle, la rupture des relations contractuelles au 20 octobre 2005.
Le 24 août 2005, la société Mag Systèmes a saisi le Conseil de prud'hommes de Bobigny à l'encontre de M. Joly à qui elle reprochait des manquements à l'obligation contractuelle de loyauté et la commission d'actes de concurrence déloyale dans le cadre de ses nouvelles fonctions au service de la société Kern France. Les demandes de la société Mag Systèmes tendaient en dernier lieu au remboursement des salaires perçus de janvier à juillet 2005, des charges patronales afférentes, des sommes perçues au titre du préavis, des congés payés, des frais professionnels versés et en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'une allocation de procédure.
M. Joly a réclamé reconventionnellement des dommages et intérêts et une indemnité de procédure.
Par jugement du 20 décembre 2006, le Conseil de prud'hommes a débouté la société Mag Systèmes et M. Joly de toutes leurs demandes.
La société Mag Systèmes a interjeté appel. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- dire que M. Joly a violé l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu pendant l'exécution de son contrat de travail,
- dire que, dans le cadre de ses fonctions pour la société Kern France, M. Joly a commis des actes de concurrence déloyale à son détriment,
- à titre principal, de condamner M. Joly à lui payer :
- 10 737 euro en réparation du préjudice causé par ses agissements fautifs, correspondant à 50 % du salaire brut et des charges patronales versés entre avril et juillet 2005,
- 1 euro à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral,
- 11 036 euro en remboursement de l'indemnité compensatrice de préavis qu'elle lui a versée et 1 103 euro au titre des congés payés afférents,
- 2 410 euro à titre de remboursement de 50 % des frais professionnels qu'elle a pris en charge d'avril à juillet 2005,
- à titre subsidiaire, de condamner M. Joly à lui payer 11 036 euro en remboursement de l'indemnité compensatrice de préavis qu'elle lui a versée et 1 103 euro au titre des congés payés afférents,
- débouter M. Joly de ses demandes reconventionnelles,
- de condamner M. Joly à lui payer 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Joly conclut à la confirmation du jugement, à l'entier débouté de la société Mag Systèmes et à la condamnation de celle-ci à lui payer 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 24 octobre 2007, reprises et complétées lors de l'audience.
Motifs de la décision
L'appelante explique que la société Kern France s'est livrée à son encontre à des agissements de concurrence déloyale, pour lesquels sa responsabilité a été reconnue par un jugement du tribunal de commerce du 7 mars 2006, sur lequel elle fonde l'essentiel de ses moyens actuels, et que M. Joly a participé activement aux agissements de cette société.
Elle soutient que celui-ci a engagé sa responsabilité envers elle à deux titres :
- pour manquement à son obligation contractuelle de loyauté, de fidélité et de confidentialité en agissant d'ores et déjà pour son futur employeur alors qu'il était encore son salarié,
- pour concurrence déloyale, dans le cadre de ses nouvelles fonctions au service de la société Kern France, en utilisant les informations privilégiées qu'il détenait du fait de ses fonctions antérieures dans la société Mag Systèmes, pour détourner de la clientèle au profit de son nouvel employeur.
M. Joly conteste l'ensemble de ces accusations. Il fait valoir que la vente en décembre 2004 de la société par les dirigeants et associés de Mag Systèmes à la société Pitney Bowes, concurrent direct et agressif, constituait une véritable trahison compte tenu des 40 années de collaboration étroite entre Mag Systèmes et la société Kern AG. Il explique qu'il lui était difficile, comme à beaucoup d'autres salariés, de vanter désormais auprès de ses clients les mérites des produits Pitney Bowes et de critiquer les produits Kern après avoir fait l'inverse auprès de ces mêmes clients pendant 28 ans. Il ajoute que, n'étant pas lié par une clause de non-concurrence envers la société Mag Systèmes, il a préféré de lui-même aller travailler pour la société Kern France lorsqu'il a su que cette nouvelle société, qui reprenait la distribution des produits Kern sur le marché français, recrutait.
Sur les faits
Le contrat de travail de mai 1977 liant la société Mag Systèmes à M. Joly exclut expressément (article 9.2) toute clause de non-concurrence. A l'origine, les relations contractuelles portaient uniquement sur les produits de marque Kem (article 4) et la société Mag Systèmes était dénommée Mag-Kern.
La société Mag Systèmes a pour activité l'achat, la vente et la maintenance de systèmes et d'équipements de traitement du courrier ou de documents. La société Kern AG était son principal fournisseur.
Selon contrat de distribution exclusive signé entre elles le 15 novembre 1983, la société Kern AG a concédé à la société Mag Systèmes, à titre exclusif en France, la promotion, la vente, le service-après vente et la maintenance de modules de mise sous pli (plieuses-inséreuses, découpeuses, traitement par ordinateur...) dont elle était le fabriquant. Cette convention s'inscrivait dans le cadre d'un partenariat étroit entre les deux sociétés depuis 1968.
Par lettre du 23 décembre 2004, la société Kern AG a résilié par anticipation à effet au 30 juin 2005, le contrat de distribution exclusive, ses avenants ainsi que les autres conventions de collaboration existant entre elle et la société Mag Systèmes. Les motifs de cette résiliation étaient les suivants : " Vous nous avez informé que votre société a été vendue à la société Pitney Bowes en date du 16 décembre 2004. Cette prise de contrôle constitue une raison importante autorisant Kern AG à résilier le contrat par anticipation en vertu de l'article VII-6, ce d'autant plus que Pitney Bowes est une concurrente de Kern AG ".
Le groupe Kern a alors entrepris de créer une société filiale dénommée Kern France afin de maintenir la distribution et la maintenance sur le marché français des produits Kern fabriqués en Suisse, puisque le contrat de concession qui le liait à la société Mag Systèmes avait été résilié. Cette société a été immatriculée au registre du commerce le 1er juillet 2005 et le président directeur général du groupe Kern, dans un courrier à la clientèle du 15 juillet 2005, décrit l'activité de cette société en ces termes : " Notre nouvelle filiale, distribuera en exclusivité nos solutions personnalisées du courrier (DMF & DLS), du pré- et post-façonnage (DFD), tant matérielles que logicielles (ADF). Elle assurera l'assistance et la maintenance de vos systèmes. Un service après-vente complet fera en effet partie des prestations proposées et garanties ".
En vue de la création de cette nouvelle filiale, une campagne de recrutement de personnels a été lancée par le groupe Kern et une annonce anonyme, dont l'auteur était toutefois identifiable par les protagonistes de la rupture entre Mag systèmes et Kem, est parue dans le journal Le Figaro, du 20 juin 2005 en ces termes : " Spécialiste du façonnage des documents et après 40 années de présence en France (distribution indirecte), notre groupe décide de s'implanter en direct et crée sa filiale française. Pour ce faire nous recherchons un directeur commercial (...), des responsables commerciaux (...), un directeur marketing et communication (...), un directeur technique (...), des techniciens SAV (...), un responsable projets (...) ".
M. Joly a été embauché le 1er juillet 2005 par la société Kern France à effet au 1er octobre 2005 en qualité d'ingénieur commercial. Le contrat mentionnait que M. Joly était salarié d'une autre entreprise qu'il s'engageait à quitter libre de tout engagement et que son ancienneté dans cette entreprise était reprise par le nouvel employeur.
M. Joly a démissionné de la société Mag Systèmes le 21 juillet 2005.
De très nombreux salariés de la société Mag Systèmes, en particulier cinq de ses six ingénieurs commerciaux (dont M. Joly), ont démissionné à la même époque et ont été engagés par la société Kern France.
Le 25 août 2005, la société Mag Systèmes, après avoir diligenté diverses procédures conservatoires et d'urgence, a assigné la société Kern France devant le Tribunal de commerce de Créteil pour que les agissements de concurrence déloyale à son détriment, dont elle accusait cette société, soient constatés et qu'un expert soit désigné pour permettre l'évaluation du préjudice en résultant.
Par jugement du 7 mars 2006, le tribunal de commerce a dit que l'action en concurrence déloyale de la société Mag Systèmes était fondée et que la responsabilité de la société Kern France était engagée, a ordonné une expertise avant dire droit sur le préjudice et a ordonné la cessation des comportements déloyaux. Ce jugement a fait l'objet d'un appel actuellement pendant et l'expertise ordonnée est en cours.
Sur les manquements invoqués aux obligations de loyauté, de fidélité et de confidentialité en cours d'exécution du contrat de travail au service de la société Mag Systèmes.
La société Mag Systèmes invoque en premier lieu, l'assistance prêtée par le salarié à l'installation de la société Kern en France et la remise à celle-ci d'informations et de documents appartenant à Mag Systèmes, lors de réunions secrètes organisées par Kern, qui avait contacté son personnel pour le débaucher dès décembre 2004.
Elle produit à ce sujet trois attestations (Dumarché, Burkarth, Rineau) et deux sommations interpellatives (Vérier, Roffignac). A l'exception de l'attestation de M. Roffignac, aucun de ces documents ne mentionne M. Joly comme ayant participé aux réunions en question; M. Roffignac, secrétaire général de la société Mag Systèmes, ne relate pas des faits dont il et aurait été le témoin direct mais rapporte des propos que lui aurait tenus M. Vérier, lequel ne les confirme pas.
La participation de M. Joly à des réunions secrètes et la remise par lui de documents à la société Kern ne sont pas établies.
La société Mag Systèmes se réfère en second lieu au détournement de commandes au profit du nouvel employeur (clients groupe Malakoff, Asphéria, Orsid), manifesté par une chute spectaculaire de son chiffre d'affaires pendant les six derniers mois de son activité, par le chiffre d'affaires également spectaculaire enregistré par société Kern France dès son démarrage.
Cependant, la société Kern France n'a eu d'existence qu'à compter de juillet 2005.
La baisse du chiffre d'affaires de M. Joly durant les six derniers mois de son service pour la société Mag Systèmes n'implique pas obligatoirement que celui-ci ait ralenti délibérément son activité et " fait attendre " des commandes pour apporter les clients qu'il traitait à la société Kern France. En effet, ce ralentissement et les atermoiements des clients peuvent s'expliquer par la situation particulière de transition où l'entreprise " passait à la concurrence " et ne distribuait plus de produits Kern du jour au lendemain, situation génératrice de perturbation et de malaise, à la fois pour les ingénieurs commerciaux, qui se trouvaient en porte à faux vis-à-vis de leur clientèle, et pour les clients eux-mêmes, qui avaient du mal à appréhender les conséquences de la modification intervenue.
La société Mag Systèmes ne justifie en outre pas qu'elle a, pendant ces six derniers mois, fait une remarque quelconque à M. Joly sur son travail.
La circonstance que la société Kern France ait démarré rapidement s'explique vraisemblablement par le fait qu'elle avait embauché des salariés expérimentés, dont M. Joly, venant de la société Mag Systèmes. En l'absence de clause de non-concurrence, ce constat ne suffit pas à établir l'existence d'actes déloyaux de la part de M. Joly.
Le détournement de commandes allégué n'est donc pas fondé.
Il n'est par conséquent démontré aucun manquement de M. Joly à ses obligations contractuelles alors qu'il était salarié de la société Mag Systèmes.
Sur les actes invoqués de concurrence déloyale, dans le cadre des nouvelles fonctions du salarié au service de la société Kern France.
M. Joly n'est pas lié à la société Mag Systèmes par une clause de non-concurrence.
Il n'est, par ailleurs, pas partie à l'instance pendante devant le tribunal de commerce entre la société Mag Systèmes et la société Kern France. En outre, la décision rendue par cette juridiction le 7 mars 2006, qui ne lui est ainsi pas opposable, ne mentionne à aucun moment M. Joly comme susceptible d'avoir commis des actes de concurrence déloyale. La société Mag Systèmes ne peut donc poser en principe acquis que la responsabilité du salarié est établie au seul vu des motifs de cette décision selon lesquels la société Kern France a détourné la clientèle de la société Mag Systèmes " en exploitant les relations commerciales entretenues par les commerciaux démissionnaires et en s'appuyant sur le fichier clientèle qu'ils avaient manifestement détourné ".
La société Mag Systèmes reproche au salarié:
- d'avoir proposé aux clients de Mag systèmes, au nom de la société Kern France, d'assurer la maintenance gratuite de leurs équipements jusqu'en décembre 2005 pour les inciter à résilier leur contrat de maintenance auprès de Mag systèmes,
- d'avoir participé à la campagne de désinformation menée par la société Kern France auprès des clients de Mag systèmes en les informant, que ce soit vrai ou non, que les techniciens du service après vente chargés de leur site étaient désormais chez Kern France.
Elle ne produit cependant aucune pièce prouvant que M. Joly personnellement s'est livré à de tels agissements.
Dès l'instant où il était dispensé de l'exécution du préavis par la société Mag Systèmes, et en l'absence d'obligation de non-concurrence, M. Joly n'a commis aucune faute en s'engageant auprès d'une société nouvelle qui reprenait en grande partie d'activité de son ancien employeur. Il n'existe de présomption de déloyauté, ni à l'encontre du salarié qui travaille au service d'un nouvel employeur accusé d'actes de concurrence déloyale par l'ancien, ni à l'égard de celui dont un ou plusieurs collègues sont susceptibles d'avoir commis des actes de cette nature.
Les conditions avantageuses d'embauche de M. Joly par la société Kern France peuvent s'expliquer par différents facteurs, en particulier son expérience, sa bonne connaissance du métier et des produits, et ne sont pas en elles-mêmes de nature à laisser supposer des actes de concurrence déloyale.
En définitive, la société Mag Systèmes ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'actes de concurrence déloyale commis personnellement par M. Joly.
Sur les demandes de la société Mag Systèmes
Compte tenu des développements qui précèdent, la société Mag Systèmes doit être déboutée de toutes ses demandes.
Le jugement sera par conséquent confirmé à cet égard.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
L'action actuelle de la société Mag Systèmes n'excède pas les limites admissibles du droit d'ester en justice. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
Sur les frais irrépétibles
Les conditions d'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne sont pas réunies. Les demandes réciproques de ce chef doivent être rejetées.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Mag Systèmes aux dépens.