CA Paris, 25e ch. A, 26 mars 2008, n° 06-09333
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SEBDO (SA), Le Point Communication (SA)
Défendeur :
Segmenscience (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Giroud
Conseillers :
Mmes Blum, Guilguet-Pauthe
Avoués :
Mes Melun, Teytaud, Bodin-Casalis
Avocats :
Mes Imbert, Mergui, Le Gunehec
Vu le jugement rendu le 28 avril 2006 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- condamné la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire Le Point (SEBDO) à payer à la société Segmenscience la somme de 100 000 euro et celle de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire à charge pour la société Segmenscience de fournir une caution bancaire,
- débouté la société Segmenscience du surplus de ses demandes,
- condamné la SEBDO aux dépens;
Vu l'appel relevé par la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire Le Point (SEBDO) et ses dernières conclusions du 21 décembre 2007 par lesquelles elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement,
- de condamner la société Segmenscience à lui payer la somme de 50 000 euro, à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de condamner la société Segmenscience aux dépens de première instance et d'appel;
Vu les dernières conclusions signifiées le 19 décembre 2007 par la société Le Point Communication qui demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son intervention volontaire,
- infirmer le jugement,
- débouter la société Segmenscience de toutes ses demandes à son encontre;
Vu les dernières conclusions signifiées le 16 janvier 2008 par la société Segmenscience qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la société SEBDO à lui payer l'indemnité complémentaire de 100 000 euro au titre des actes de dénigrement,
- statuant à nouveau, condamner la société SEBDO à lui payer la somme de 100 000 euro, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des actes de dénigrement dont elle a été victime,
- ajoutant au jugement, prononcer en tant que de besoin la solidarité de la société Le Point Communication avec la société SEBDO pour la condamnation prononcée par le tribunal,
- condamner la société Le Point Communication à lui payer la somme de 15 000 euro par application de l'article 1382 du Code civil, pour procédure abusive,
- condamner solidairement la société SEBDO et la société Le Point Communication à lui payer la somme complémentaire de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner la société SEBDO aux dépens de première instance et d'appel;
Vu l'ordonnance de clôture du 31 janvier 2008;
Vu les conclusions signifiées le 31 janvier 2008 par la société Le Point Communication et ses conclusions de procédure du 8 février 2008 par lesquelles elle demande à voir déclarer recevable ses conclusions en réplique du 31 janvier 2008 signifiées le jour de la clôture et, subsidiairement révoquer l'ordonnance de clôture pour les voir déclarer recevables et permettre un véritable débat contradictoire;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que les conclusions de la société Le Point Communication, signifiées le 31 janvier 2008 après la clôture de l'instruction, sont irrecevables par application de l'article 783 du Code de procédure civile ; qu'il apparaît que la société le Point a disposé d'un délai suffisant avant la clôture de l'instruction pour répondre aux conclusions de la société Segmenscience signifiées le 16 janvier 2008; qu'il n'y a donc pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture;
Considérant que la société SEBDO est la société éditrice de la revue Le Point; que par contrat du 5 janvier 1998, elle a donné mandat exclusif à la société Le Point Communication pour la vente de la publicité commerciale ainsi que des opérations publicitaires accessoires à paraître dans la publication Le Point; que la société Le Point Communication, qui a comme actionnaires la société SEBDO et la société Interdeco, régie du groupe Hachette Filipacchi, précise qu'Interdeco met à sa disposition des moyens matériels et humains;
Considérant que la société Segmenscience, agence de conseil en publicité, en marketing et en communication, expose que depuis sa création en 1997 elle a développé un chéquier multi-annonceurs qui regroupe des coupons détachables de différents annonceurs et qui est glissé avec le magazine dans l'enveloppe destiné aux abonnés;
Considérant qu'elle fait valoir qu'elle est entrée en contact en 2003 avec les trois principaux hebdomadaires d'information : Le Point, Le Nouvel Observateur et L'Express en vue de l'insertion d'un chéquier dit Gold'n Pack dans les magazines des 25-26 mars 2004 et 4-5 novembre 2004, destinés aux seuls abonnés; qu'elle soutient, pour l'essentiel, que l'échange de courriers électroniques entre le 21 mai 2003 et le 23 septembre 2003 démontrent le contrat passé avec la société SEBDO ou, à tout le moins, l'existence de pourparlers très avancés "assimilables à un contrat"; qu'elle souligne que la société SEBDO a confirmé à plusieurs reprises l'existence d'un contrat, qu'elle lui reproche d'avoir résilié abusivement ce contrat par lettre du 5 décembre 2003; qu'elle conteste tous les arguments invoqués pour justifier la rupture en soulignant que, dans la lettre précitée, la société SEBDO a fait état seulement d'une vente à perte par Segmenscience, d'une atteinte à sa marque et d'un usage impropre de l'expression caution éditoriale, alors qu'elle formule de nouveaux griefs dans ses écritures, à savoir qu'elle aurait été tenue dans l'ignorance du caractère multi-titres de l'opération et qu'elle se serait trouvée mise en porte à faux vis-à-vis des deux autres hebdomadaires; qu'elle demande réparation de son préjudice résultant, d'une part de la résiliation du contrat, d'autre part des actes de dénigrement qu'elle impute à la société SEBDO;
Considérant que la société SEBDO expose que son implication dans l'affaire vient du fait que le 28 novembre 2003, l'Express lui a transmis un exemplaire du document publicitaire diffusé par Segmenscience auprès de ses clients et que, par sa lettre du 5 décembre 2003, elle s'est insurgée contre une contrefaçon de sa marque, contre l'affirmation que les magazines cités auraient consenti une quelconque caution éditoriale et contre la tarification présentée; qu'elle allègue que la société Segmenscience a reconnu l'atteinte à ses droits de marque dans sa lettre en réponse et qu'elle a obtenu gain de cause puisque la société Segmenscience a interrompu le mailing du document publicitaire incriminé; que pour le surplus elle s'associe aux écritures de la société Le Point Communication;
Considérant que la société Le Point Communication fait valoir qu'elle a été l'interlocuteur de la société Segmenscience pour l'établissement du premier devis le 21 mai 2003, les négociations et le devis final du 22 septembre 2004 qui est resté sans réponse; qu'elle prétend qu'aucun contrat d'espace n'a été formé ni conclu, qu'aucun ordre d'insertion n'a été passé, ni aucun bon à tirer donné; qu'elle reproche à la société Segmenscience de s'être placée en marge des usages de la profession et d'avoir eu un comportement déloyal à son égard; que plus précisément elle lui reproche d'avoir négocié séparément et de façon opaque des devis avec les régies des trois hebdomadaires sans les informer de ses intentions véritables, puis de s'être tournée envers des annonceurs et des centrales d'achats en communiquant sur une caution éditoriale des trois hebdomadaires et sur un couplage, c'est-à-dire un accord par lequel différents titres organisent contractuellement et en détail la vente commune de leur espace publicitaire ou de leur espace d'annonces;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que le 21 mai 2003, Interdeco a transmis à Segmenscience un mail comportant une proposition pour "un chéquier de 32 pages jeté sur les abonnés (230 000 ex)" et mentionnant février 2004 comme date à confirmer; que Segmenscience, par mail du 2 juillet 2003, a transmis à Interdeco pour information le visuel de son prochain chéquier "diffusé via les news sur février et octobre 2004"; que par la suite Segmenscience, par mail du 18 septembre 2003 intitulé finalisation devis Gold'n Pack Le Point, a précisé à Interdeco : "Après regroupement des tarifs de base, recentrage des net-net et, en référence à l'historique Segmenscience sur ces actions MD, nous sommes en mesure d'acheter cette opération spéciale (hors CGV et hors Sapin bien sûr) à un tarif net-net d'environ 150 euro le mille"; que Interdeco, par mail du 23 septembre 2003 intitulé finalisation devis Gold'n Pack/Le Point, a indiqué à Segmenscience : " Voici comme convenu le devis final concernant le chéquier Gold'n Pack/ Le Point base (24 p) 210 e pour un 32 p jeté sur les 230 000 abonnés du Point" et a mentionné un tarif net-net de 34 965,75 euro, soit "un CPM de 152 euro";
Considérant qu'il résulte de cet échange de mails que la régie publicitaire du Point, qui est la société Le Point Communication, agissant par l'intermédiaire de Interdeco, a passé un accord avec la société Segmenscience pour la diffusion du chéquier Gold'n Pack auprès de ses abonnés en février et octobre 2004; que la société SEBDO, qui est le mandant de sa régie publicitaire, est tenue des obligations souscrites par son mandataire;
Mais considérant que parallèlement à l'accord avec la régie publicitaire du Point, Segmenscience a négocié avec les régies publicitaires du Nouvel Observateur et de L'Express en vue de l'insertion de son fichier Gold'n Pack dans ces deux magazines;
Considérant que Segmenscience a diffusé auprès de ses clients annonceurs potentiels, et notamment auprès de la société MPG Aréna le 13 novembre 2003 un document contenant les mentions ci-après :
"Stratégiquement, vous intégrez le consommateur à hauts revenus au coeur de votre plan média.
Rigoureusement, vous préconisez le marketing direct comme levier séculaire de votre investissement,
Judicieusement, vous décidez d'associer votre image à la caution éditoriale des magazines Le Point, L'Expresse, Le Nouvel Observateur
Segmenscience, partenaire des 3 incontournables hebdomadaires d'actualité, met à votre disposition le seul couplage multi-annonceurs décliné sur les news français : Gold'n Pack";
Considérant que ce document présente encore le fichier comme : "L'unique compilation des trois fichiers d'abonnement à la presse News"; qu'il précise encore : "Segmenscience a édifié la plus fédératrice des actions de recrutement jamais coordonnées sur les abonnés du Point, de L'Express et du Nouvel Observateur", "tout discours de marque se trouve naturellement renforcé par la caution du titre auquel il est associé " et "Gold'n Pack renforce judicieusement votre présence institutionnelle sur les titres partenaires".
Considérant que Segmenscience a eu un comportement fautif en faisant état dans ce document d'une opération de couplage avec référence à l'ensemble des abonnés des trois magazines, sans avoir recueilli au préalable l'accord des trois magazines concernés, et en se prévalant d'une caution éditoriale de ces magazines; que SEBDO n'a donc pas résilié abusivement l'accord conclu avec cette société portant sur l'insertion du fichier Gold'n Pack dans les envois destinés à ses abonnés;
Considérant que la société SEBDO, en transmettant à ses confrères de L'Express et du Nouvel Observateur la lettre du 5 décembre 2003 dans laquelle elle formulait ses griefs à l'encontre de la société Segmenscience n'a pas commis de "calomnies" ou d'actes de dénigrement susceptibles d'ouvrir droit à réparation;
Considérant, en conséquence, que toutes les demandes de la société Segmenscience en dommages-intérêts et par application de l'article 700 du Code de procédure civile doivent être rejetées ;
Considérant que la société SEBDO ne démontre en aucune façon l'existence d'un préjudice au soutien de sa demande en dommages-intérêts; que sa demande doit donc être rejetée;
Considérant, vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, qu'il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de ce chef à la société SEBDO;
Par ces motifs, Déclare irrecevables les conclusions signifiées le 31 janvier 2008 par la société Le Point Communication, Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture, Déclare la société Le Point Communication recevable en son intervention, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, déboute la société Segmenscience de toutes ses demandes à l'encontre de la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire Le Point et de la société Le Point Communication, Déboute la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire Le Point de ses demandes en dommages-intérêts et en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Segmenscience aux dépens de première instance et d'appel.