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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 10 mars 2009, n° 07-03601

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hagtra Haguenau Transports (SA)

Défendeur :

Woehl et Cie Transports Internationaux (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Levy, Borja de Mozota, Heichelbech, Wolff

TGI Strasbourg, ch. com., du 29 juin 200…

29 juin 2007

Depuis le mois de septembre 1990, la SA Woehl et Cie Transports Internationaux (ci-après dénommée la société Woehl), commissionnaire en transports publics de marchandises, avait confié en sous-traitance à la SA Hagtra Haguenau Transports (ci-après dénommée la société Hagtra), également transporteur public, une activité de transport régional sur la base d'un forfait journalier pour un certain kilométrage.

Cette tournée journalière de transport était assurée au moyen d'un véhicule lourd (camion tracteur et semi-remorque) appartenant à la société Hagtra, conduit par l'un de ses salariés, et équipé d'une bâche fabriquée aux couleurs et au nom de la société Woehl.

A compter du 18 juin 2004, la société Hagtra a été contrainte de procéder au remplacement de Monsieur Z, chauffeur habituellement affecté à la tournée de livraison, consécutivement à sa démission.

La société Woehl n'a cependant pas agréé le nouveau conducteur pressenti pour assurer la continuation des tournées.

La sous-traitance a été suspendue jusqu'au 13 septembre, date à laquelle la société Hagtra a repris les livraisons pour le compte de la société Woehl.

Monsieur A, le nouveau chauffeur de la société Hagtra, a cependant refusé de poursuivre ce travail dès le lendemain 14 septembre.

Après une nouvelle suspension de quelques jours, un autre chauffeur de la société Hagtra, Monsieur B, a effectué les tournées journalières du 20 au 24 septembre 2004.

Le 24 septembre 2004, la société Woehl a notifié téléphoniquement à la société Hagtra qu'elle mettrait fin aux relations contractuelles à compter du lundi suivant 27 septembre 2004.

Selon un acte du 7 janvier 2005, la société Hagtra a fait assigner la société Woehl en paiement d'une somme de 54 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et sans préavis des relations commerciales.

Par un jugement du 29 juin 2007, retenant que la société Hagtra n'avait pas été en mesure de mettre à la disposition de la société Woehl un chauffeur expérimenté, prudent et possédant les aptitudes professionnelles nécessaires, malgré plusieurs tentatives, et que la défenderesse était donc en droit, par application de l'article 12.4 du contrat-type régissant les relations des parties, de mettre fin au contrat sans préavis ni indemnité en raison des manquements graves et répétés du sous-traitant, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg a débouté la société demanderesse.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 8 août 2007, la société Hagtra a interjeté appel de ce jugement.

Par des conclusions déposées le 10 décembre 2007, elle reprend devant la cour ses prétentions initiales sur le fondement de l'article L. 442-6, 5°, du Code de commerce et réclame en outre le paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la société Hagtra fait valoir :

- que les deux sociétés étant indépendantes l'une de l'autre, la société Woehl n'avait pas le pouvoir d'empêcher le nouveau chauffeur de travailler à la suite du salarié démissionnaire, puisqu'elle n'avait aucune autorité hiérarchique sur lui et qu'elle n'avait pas à s'immiscer dans la gestion du personnel de son sous-traitant ; qu'il en résulte qu'elle s'est comportée de manière particulièrement abusive en se permettant, dès le premier jour, de refuser le travail à un salarié qui n'était pas le sien ; qu'en tout état de cause, si le nouveau chauffeur était réellement inadapté comme la partie adverse le prétend, cela ne pouvait être apprécié que dans le cadre de l'accomplissement de son travail ;

- qu'ensuite, il ne saurait être reproché à la concluante de ne pas avoir affecté un autre chauffeur jusqu'en septembre, alors que la société Woehl ne lui a pas confié de fret durant toute cette période ; qu'il n'y a jamais eu d'accord de la part du sous-traitant, dont les relances téléphoniques sont restées sans résultats, entraînant l'immobilisation non rémunérée des moyens spécifiques dédiés au trafic concerné ;

- que le nouveau chauffeur finalement embauché par la concluante, Monsieur A, s'est trouvé contraint, entre le 13 et le 14 septembre 2004, de réaliser un horaire parfaitement inacceptable ; que l'amplitude horaire nécessitée par la tournée à réaliser était trop importante, étant rappelé que le parcours était défini par la société Woehl ;

- qu'il en a été de même pour le chauffeur ayant réalisé les tournées du 20 au 24 septembre 2004 ; qu'à suivre le raisonnement adverse, le chauffeur aurait dû réaliser la tournée très au-dessus des vitesses autorisées, techniquement impossibles pour un poids lourd avec semi-remorque ;

- qu'en réalité, la véritable cause de cet état de fait se situe dans les prestations supplémentaires exigées par le donneur d'ordre par rapport à la tournée d'origine, et ce pour optimiser sa rentabilité ;

- que c'est à celui qui se prévaut d'un manquement à une obligation d'en apporter la preuve, ce qui n'est pas fait en l'occurrence ;

- qu'il existe effectivement, en matière de sous-traitance de transport, un contrat-type qui s'applique de plein droit, en l'absence d'un accord écrit entre les parties ; que tel est le cas dans la présente procédure ; que l'article 12.2 prévoit un délai de préavis d'au moins trois mois en cas de rupture, lorsque la durée des relations est d'un an ou plus, comme en l'espèce ; que rien n'interdit cependant d'aller au-delà des règles ainsi stipulées lorsque, comme en l'occurrence, les relations commerciales ont été d'une durée particulièrement importante ; qu'en effet, les relations commerciales entre les parties ont duré plus de 14 ans ; que le coût d'immobilisation du matériel roulant justifie de porter à six mois la durée du préavis que la concluante est en droit de revendiquer ;

- qu'en outre, les conditions de la rupture entrent dans le cadre de l'article L. 442-6, 5°, du Code de commerce et engagent la responsabilité de la société Woehl au titre de la période de préavis non accordée ni payée ;

- qu'au regard de la durée exceptionnelle des relations entre les parties, il apparaît que la rupture brutale des relations commerciales justifie la condamnation adverse au paiement de dommages-intérêts, calculés sur la base de six mois de chiffre d'affaires ; qu'aux termes de l'article 12.3 du contrat-type, il est d'ailleurs stipulé que "pendant la période de préavis, les parties s'engagent à maintenir l'économie du contrat" ; que le préjudice du sous-traitant est égal non à la seule marge bénéficiaire manquée dans la période considérée, mais à la rémunération totale qu'il aurait perçue si le contrat avait été normalement exécuté.

Par des conclusions déposées le 11 mars 2008, la société Woehl demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner l'appelante au paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait observer en réplique :

- que par application des dispositions de l'article 12.4 du contrat-type de sous-traitance en matière de transport public, elle était en droit de mettre fin au contrat en présence de manquements graves ou répétés de la société Hagtra à ses obligations ;

- qu'en effet, le conducteur proposé pour remplacer Monsieur Z, salarié démissionnaire, était très défavorablement connu dans le milieu régional du transport, ce qui a inévitablement amené la concluante à réclamer que le remplacement se fasse par un autre conducteur ; qu'elle n'a cependant pas reçu une nouvelle offre de la part de son sous-traitant; qu'il a donc été décidé de laisser passer la période estivale ;

- que de fait, un conducteur a bien été mis en place par la société Hagtra à la date prévue du 13 septembre 2004, lequel a cependant cessé son travail le lendemain en milieu de journée, laissant inachevés deux enlèvements et deux livraisons, pour ne plus revenir ; que seule l'incompétence de ce salarié était la cause des kilomètres inutilement parcourus et des heures supplémentaires passées à les faire ;

- qu'après une nouvelle semaine de carence, la société Hagtra a mis en place un conducteur intérimaire qui n'avait aucune connaissance du secteur géographique et qui n'avait reçu de son employeur aucune instruction sur le travail à effectuer, ce qui a eu pour conséquence un rallongement des tournées, avec des inévitables insatisfactions et critiques des clients, et ce alors que le travail à réaliser en septembre était exactement le même que celui qui avait été fait en début d'année par Monsieur Z ;

- que, s'agissant de l'exécution d'un préavis, la société Hagtra a suffisamment prouvé qu'elle était dans l'incapacité d'assurer ses prestations par manque de conducteur qualifié depuis le 18 juin 2004 ;

- qu'ensuite, la société intimée ne peut soutenir que le contrat-type de sous-traitance n'est que supplétif et que les trois mois de préavis qu'il prévoit peuvent être dépassés lorsque les relations commerciales ont été d'une durée particulièrement importantes ; qu'en effet, le caractère supplétif du contrat-type signifie qu'il a vocation à s'appliquer en cas d'absence de convention existante entre les parties, ou en cas d'insuffisance de celle-ci, mais certainement pas que ses dispositions doivent être ignorées parce qu'elles ne satisfont pas l'une des parties ;

- que subsidiairement, aucune indemnisation supérieure à la marge dégagée par l'entreprise ne saurait être due.

Sur ce, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu en premier lieu que les parties s'accordent pour considérer que leurs relations contractuelles se trouvent régies, en l'absence de contrat écrit, par les dispositions du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, approuvé par un décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 ;

Attendu qu'en vertu de l'article 12.2 de ce document de référence, le contrat de sous-traitance à durée indéterminée peut être résilié par l'une ou l'autre partie par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis à respecter de trois mois lorsque la durée de la relation est d'un an et plus ; qu'il est toutefois indiqué qu'il peut être mis fin au contrat sans préavis ni indemnités en cas de manquements graves ou répétés de l'une des parties à ses obligations ;

Attendu qu'il n'est pas contesté par la société Woehl qu'en l'occurrence elle avait confié de manière ininterrompue à la société Hagtra la sous-traitance d'une tournée journalière depuis plus d'un an ; que cette dernière avait d'ailleurs été amenée, au début de l'année 2003, à acquérir en crédit-bail un tracteur et une semi-remorque entièrement dédiée aux transports Woehl, puisque comportant une bâche au nom et aux couleurs de la société intimée ;

Attendu qu'il est constant que la société Woehl a mis fin aux relations contractuelles par simple appel téléphonique et avec effet immédiat, sans indiquer par écrit les motifs graves qui l'amenaient à rompre les relations contractuelles sans respect d'un préavis, et ce au mépris des dispositions contractuelles supplétives régissant les rapports des parties ;

Attendu que le non-respect de ces dispositions fragilise en soi l'argumentation de la société Woehl, qui n'a invoqué les manquements graves ou répétés de la société Hagtra qu'en défense, une fois assignée en justice ;

Attendu en tout état de cause que les griefs invoqués a posteriori par la société Woehl, qui a la charge de prouver l'existence de manquements graves ou répétés de la société Hagtra à ses obligations, ne paraissent pas fondés ;

Attendu en effet que la société intimée s'est déjà mise dans son tort en refusant, en juin 2004, la désignation par la société Hagtra d'un nouveau chauffeur remplaçant le salarié démissionnaire ; qu'en effet, même si le contrat-type mettait à la charge du sous-traitant l'embauche d'un conducteur possédant "les aptitudes professionnelles compatibles avec la conduite d'un véhicule", la société Woehl, qui se contentait de consentir une sous-traitance, ne disposait d'aucun droit de regard sur l'embauche du nouveau chauffeur par la société Hagtra, dont la compétence ne pouvait être appréciée par elle qu'à l'occasion de l'exécution du contrat de sous-traitance ;

Attendu qu'elle s'est également mise dans son tort en omettant de faire appel aux services de la société Hagtra pendant la longue période du 18 juin au 13 septembre 2004, alors qu'il est constant que le service n'était habituellement arrêté, en période estivale, que pendant une durée de 3 à 4 semaines ; que la société appelante, dont un tracteur et une semi-remorque étaient exclusivement affectés au service de la partie adverse, n'avait aucune raison de ne pas poursuivre les tournées au même rythme que précédemment ; qu'il y a donc tout lieu de penser qu'elle avait effectivement dû relancer téléphoniquement à plusieurs reprises la société Woehl, comme elle le soutient ;

Attendu ensuite que, s'agissant du service assuré les 13 et 14 septembre, ainsi que du 20 au 24 octobre 2004, l'examen des disques chronotachygraphes fait ressortir que l'amplitude horaire nécessitée par la tournée à réaliser était effectivement trop importante ; qu'en outre, la vitesse moyenne à laquelle le second chauffeur, Monsieur B, avait dû effectuer les 2 207 km pour 32 heures de conduite (sur 5 jours) atteste en soi des difficultés qu'il y avait à réaliser la tournée journalière dans des conditions normales ;

Attendu au demeurant que la société Woehl, qui la charge de prouver les manquements graves ou répétés de la société Hagtra à ses obligations, ne démontre pas que les tournées confiées en septembre 2004 présentaient les mêmes caractéristiques que celles confiées en début d'année au chauffeur démissionnaire, alors que l'appelante soutient de son côté, sans être sérieusement contredite, que la partie adverse avait ajouté des prestations supplémentaires (l'intimée semble au contraire admettre un accroissement de la longueur des tournées de 400 à 440 km en moyenne ) ;

Attendu en tout état de cause que, y aurait-il eu matière à faute pour le premier chauffeur, Monsieur A, qui n'est plus revenu à l'issue de sa seconde tournée, après avoir laissé en suspens deux fournitures qu'il n'avait pas exécutées, et alors qu'il s'était trompé dans la manipulation du chronotachygraphe, la société Woehl ne s'en est aucunement plainte auprès de la société Hagtra, par l'envoi d'un courrier ou d'un mail, de sorte qu'elle ne saurait sérieusement s'en prévaloir dans le cadre de la présente procédure ;

Attendu en définitive que la société Hagtra avait bien droit à trois mois de préavis, tel que prévu à l'article 12.2 du contrat-type approuvé par décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 ;

Attendu en second lieu que, sur le fondement de l'article L. 442-6, 5°, du Code de commerce, la société Hagtra est également recevable à reprocher à la société Woehl d'avoir rompu brutalement une relation commerciale établie, remontant à la fin de l'année 1990, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis, déterminée notamment par référence aux usages reconnus ou par des accords interprofessionnels ;

Attendu toutefois que le décret susvisé, qui a homologué un contrat-type, a nécessairement reconnu par là les usages existant dans le secteur considéré ; que c'est donc également un délai de trois mois au moins qui devait être respecté par la société Woehl en application de ce dernier texte ;

Attendu certes qu'il s'agit là d'une durée minimale de préavis ;

Attendu cependant qu'un délai de trois mois apparaissait en l'occurrence suffisant pour permettre à la société Hagtra de trouver une nouvelle affectation à son matériel roulant ; qu'elle n'aurait d'ailleurs pas manqué de s'en prévaloir si cela n'avait pas été le cas ;

Attendu en dernier lieu que, s'agissant du montant des dommages-intérêts revenant à la société Hagtra, la rupture brutale engage la responsabilité pour faute de la société Woehl, de sorte que la société demanderesse a droit à la réparation de son entier préjudice occasionné par l'absence de préavis sur une période de trois mois ;

Attendu que, au regard de la marge bénéficiaire nette que la société Hagtra était en droit d'attendre pendant trois mois supplémentaires, ainsi que des frais fixes qu'elle a inévitablement dû continuer à supporter pendant un certain temps, compte tenu notamment de l'affectation exclusive d'un poids lourds à l'exécution du contrat de sous-traitance, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer le préjudice subi par la société demanderesse, résultant de la rupture brutale, à la somme de 5 000 euro ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à l'appelante la charge de ses frais relevant de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de la somme de 2 000 euro ;

Attendu par contre que l'exagération de la demande amène la cour à un partage de la charge des dépens par moitié ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel, régulier en la forme ; Au fond : Infirmant le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Condamne la SA Woehl et Cie Transports Internationaux à payer à la SA Hagtra Haguenau Transports une somme de 5 000 euro (cinq mille euro) à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une somme de 2 000 euro (deux mille euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne chaque partie à supporter la moitié des dépens de première instance et d'appel.